Mardi 2 mai, "Le Monde" publiait une tribune d'un collectif d’universitaires défendant le wokisme et dénonçant les attaques à son encontre comme antidémocratiques. Aujourd'hui, Isabelle Barbéris, universitaire, journaliste et membre du comité scientifique du Laboratoire de la République, prend la plume pour confronter wokisme, culture et extrême-droite.
Ce n’est pas parce qu’un phénomène est mal nommé qu’il ne mérite pas d’être pensé. Tel est le cas de ce que les médias ont figé sous l’appellation de « wokisme ». Le terme demeure très flou mais il désigne, par retournement dépriéciatif et moqueur, la certitude de la vérité et du bien que certains brandissent pour faire taire leurs contradicteurs. Au départ, il émane d’une nouvelle génération engagée, fortement sensibilisée aux enjeux du racisme, du sexisme et de l’écologie, et beaucoup plus politisée que la génération d’avant – malgré une insensibilisation inquiétante au sujet de l’antisémitisme. L’intellectuel médiatique Geoffroy de Lagasnerie, dont plusieurs déclarations n’hésitent pas à justifier la violence et la casse, prête ses traits à la nouvelle mouvance, tandis que l’ancienne se reconnaît plus dans l’écrivain dandy Frédéric Beigbeder. Autrement dit : la réaction puritaine après le désarroi moral et décadent.
Commençons par rappeler que la dénonciation du « wokisme » est trop souvent le monopole d’une pensée réactionnaire, épidermiquement réticente à la prise en compte des discriminations, des violences sexuelles, ou encore de l’importance des enjeux climatiques. Pour l’extrême-droite, « wokisme » est devenu le parfait synonyme de Grand Remplacement ; le mot désigne alors la peur d’un effacement de la culture judéo-chrétienne et de l’Occident. On l’a vu récemment dans la panique suscitée par la restauration de la statue d’Ousmane Sow à Besançon, donnant lieu à une surenchère d’imputations complotistes voulant absolument y voir une tentative de « blackface » inversé (noircissement du visage de Victor Hugo à des fins putatives d’effacement et d’humiliation du blanc).
Les dérives sont toutefois aussi pointées par des militants et des intellectuels impliqués dans les luttes progressistes – par exemple, aux Etats-Unis où les crispations identitaires tournent à un affrontement permanent entre libéraux et communautariens. Citons le philosophe progressiste Michael Walzer qui, tout en reconnaissant la légitimité de la colère des Noirs et en s’y associant, pointe l’enfermement en silos des « politiques de l’identité », ou l’intellectuel marxiste Walter Benn Michaels qui a dénoncé la logique de reproduction des élites que camouflerait selon lui la sélection par critères de « race ».
Pour ceux qui s’en réclament, les approches identitaires revendiquent un motif ancien (voltairien, hugolien, puis marxiste) du progressisme : celui de la désaliénation et de la prise de conscience. Rien de plus banal. Parfois, cette prise de conscience confine au ridicule, le wokisme devenant alors un « réveillisme »… un réveil d’un long sommeil : c’est par exemple le cas lorsqu’un metteur en scène découvre, en 2022, que Dom Juan est un personnage négatif et que la pièce de Molière ne l’attendait pas pour en être une acerbe critique … Mais le motif de la prise de conscience est aussi religieux – c’est celui de la conversion - et il se fond désormais dans des idéologies millénaristes comme la collapsologie, tournant à la panique civilisationnelle. Nous avons donc affaire à un progressisme devenu malade, autodestructeur, car convaincu que le progrès, tout du moins sa définition humaniste héritée de la Renaissance et des Lumières, détruirait l’humanité et la planète: un progressisme résolument anti-progrès, se dévorant lui-même…
La mort de l’artistique
Les causes défendues (antiracisme, antisexisme, lutte contre l’homophobie, la transphobie) sont légitimes pour tous les domaines de la société, mais dans la culture, ces causes transversales se sont substituées à la quasi-intégralité des politiques culturelles. Il faut remonter à 2015, au moment de la création par Fleur Pellerin d’un Collège de la diversité, rapidement infiltré par l’association Décoloniser les arts alors présidée par Françoise Vergès. L’association est un doublon du Parti des Indigènes de la République dans le domaine culturel et met donc fort logiquement en pratique une conception racialiste et comptable de la diversité. Si le Parti des Indigènes de la République a essuyé un échec en tant qu’organisation politique, ses idées culturalistes et différencialistes ont par contre remporté une victoire certaine sur les esprits, en premier lieu dans le secteur de la culture. Au point d’être désormais considérées comme « normales », voire porteuses en termes de carrière, par un establishment culturel désireux de faire bonne figure.
Une telle normalisation idéologique va de pair avec la standardisation des sujets traités dans les établissements d’art subventionnés, de plus en plus motivés par l’affichage d’une efficacité sociétale directe, et un discours de reconnaissance escomptant de la part des publics des schémas d’identification primaires. Elle accompagne également l’installation d’un arsenal normatif distribuant les subventions selon des critères à peine masqués de sexe, de « race » et bientôt (cela commence à poindre dans certaines institutions) par orientation sexuelle. La pénurie de moyens dans la culture accentue cette surenchère normative assimilable à une censure a priori, l’opérateur public étant d’autant plus sommé de justifier ses choix que les aides se fragmentent et se raréfient ! Autrement dit, il est plus facile pour lui de se cacher derrière des normes que d’assumer de véritables arbitrages.
La Cour des comptes épinglait cette débandade bureaucratique dans un rapport de décembre 2021[1] qui ciblait un ministère « suiviste » et « gestionnaire », vulnérable aux lobbys. Elle observait un phénomène d’atomisation du secteur professionnel lié à la fragmentation croissante des financements croisés, et allant de pair avec la consécration d’une économie par projets. Pour le dire plus simplement, si l’art subventionné fut un temps une garantie d’indépendance pour les artistes qui souhaitaient ne pas être inféodés aux pressions économiques, idéologiques du secteur privé, la fragmentation des aides fait qu’aujourd’hui, il devient suicidaire pour n’importe quel artiste, surtout jeune, de ne pas aller dans le sens du vent… Rassembler un budget exige désormais d’être détenteur d’un réseau professionnel exponentiel. La subvention n’est donc plus une garantie d’autonomie (la fameuse « exception culturelle ») mais tend au contraire à renforcer les phénomènes de concurrence et d’entre-soi.
Alliance objective avec l’extrême-droite
Souvent présenté comme une demande sociale, le wokisme est donc aussi une idéologie d’Etat : d’un état culturel faible, normatif et bureaucratique, qui saupoudre par catégorie, plutôt que d’affirmer de véritables choix politiques. En quelques années, les rapports (sur la restitution des œuvres à l’Afrique, sur la diversité à l’Opéra de Paris) et les nominations à la tête des plus grands établissements publics démontrent l’évolution en ce sens de la doctrine culturelle. On y détecte aussi une forme de clientélisme, dans lequel la culture est mise au service du « et en même temps » pour donner quelques gages à l’électorat de gauche, tandis que la plupart des sujets régaliens (sécurité, immigration, santé, droits sociaux) se négocient désormais sur la partie droite de l’échiquier idéologique et politique.
Ce pas de deux est accepté par la plupart des acteurs culturels, en grande partie du fait de l’appauvrissement déjà mentionné du secteur culturel. Les cabales (parfois pour de bonnes raisons, souvent pour de mauvaises) et les affaires de déprogrammation se multiplient de façon anarchique. Les différentes causes sont de plus en plus souvent portées par des militants radicalisés, souvent mus par le ressentiment et le « pousse-toi que je m’y mette »… Un tel paysage en décomposition ne fait qu’alimenter le populisme ambiant, dont l’un des ressorts principaux est bien la haine de la culture, dénoncée comme « élitiste ».
Or, ce jeu malsain transformant la culture et les arts en procès systématique nourrit un climat de « choc des civilisations » qui fait tourner la noria de l’extrême-droite. L’alliance avec l’extrême-droite se voit jusque dans le choix des mots : identitaires des deux extrêmes voient partout la « gangrène » et la « contamination ». Chez les décoloniaux, « gangrène » de nos esprits « contaminés » par un « racisme inconscient », et à « rééduquer ». Chez les adeptes de Renaud Camus, « gangrène » du « wokisme » des « élites » à la botte de Bruxelles, etc. Censeurs contre censeurs.
En Italie, Giorgia Meloni a parfaitement su tirer parti de l’idéologie dominante culturelle, et l’on voit désormais toutes les formations d’extrême-droite françaises enfourcher la cause de la lutte contre le wokisme et le Grand Remplacement. Meloni sut par exemple très bien mettre à profit la diffusion de la pièce manichéenne de Tiago Rodrigues Catarina ou la beauté de tuer des fascistes. Et la première programmation de celui qui s’est retrouvé propulsé à la direction du festival d’Avignon démontre par ailleurs, si cela s’avérait encore nécessaire, que les politiques identitaires dissimulent une dépolitisation réelle des arts. Si Rodrigues brandit la diversité et la parité de sa programmation, l’absence des grands enjeux politiques (guerre en Ukraine, soulèvement iranien Femme Vie Liberté) est assez désolante. Une belle illustration de la digression politique opérée par les « identity politics »…
Si ce carnaval peut sembler lassant, il dissimule sans doute le plus triste : la baisse de la créativité, l’installation de routines et d’automatismes. Le procès systématique du passé empêche l’art d’avancer et d’inventer des formes nouvelles : il le dépolitise et l’enferme dans une éternelle arrière-garde.
[1] « Recentrer les missions du Ministère de la culture », https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-12/20211214-NS-Culture.pdf
Les noms de 11 étudiants ont été inscrits dans la nuit du dimanche 2 au lundi 3 avril sur les murs de Sciences Po Lille par certains de leurs camarades. Leur seul tort : s’être opposés au blocage de leur école dans le cadre des manifestations pour la réforme des retraites. Vincent Tournier, professeur à Sciences Po Grenoble, qui avait subi un traitement comparable en 2021, réagit à l’évènement.
Le Laboratoire de la République : y a-t-il des éléments comparables entre l’évènement de ce week-end à l’IEP de Lille et ce que vous avez subi à Grenoble ? En particulier, les logiques à l’œuvre sont-elles les mêmes ?
En tout cas, cela commence à devenir une habitude. Nous avons eu l’honneur, mon collègue Klaus Kinzler et moi-même, d’ouvrir le bal en mars 2021. Puis est venu le tour de l’ancien directeur de Sciences po Lyon, Renaud Payre, et maintenant celui de ces malheureux étudiants de Sciences po Lille, cloués au pilori pour avoir osé contester les blocages.
Lorsqu’un événement se produit une fois, il peut s’agir d’un accident ; mais lorsqu’il se répète, le problème est plus profond. Initialement, les accusations placardées sur les murs se contentaient de lancer des accusations générales, pointant par exemple le sexisme de Sciences Po. Le passage aux personnes est une nouvelle étape. On songe aux dazibaos, ces affiches chinoises qui, pendant la Révolution culturelle, consistaient à placarder le nom des déviationnistes pour les livrer à la vindicte populaire.
C’est triste à dire, mais nos étudiants ont beau avoir été biberonnés au lait de la démocratie et des grands principes libéraux, ils reproduisent une logique qui rappelle les mouvements totalitaires. On en est certes au stade embryonnaire, mais c’est quand même inquiétant.
Le Laboratoire de la République : le directeur de l’IEP de Lille a immédiatement réagi à l’évènement et a annoncé que l’établissement portera plainte. Dans le journal le Monde, il appelle à un « réveil collectif ». A-t-il des chances d’être entendu et suivi dans la communauté académique et les administrations universitaires ?
La réaction du directeur de l’IEP de Lille a été parfaite, même si lui-même, en janvier 2020, a annulé une conférence de l’avocat Charles Consigny et du journaliste Geoffroy Lejeune, qui devait se tenir dans son école. Cela nous rappelle qu'il faut éviter de créer des précédents qui peuvent encourager les excès.
C’est tout le problème : cela fait des années que, tout en prônant l’amour du débat, nous valorisons en réalité l’amour de la censure, comme le montre l’intense mobilisation contre les « discours de haine », soutenue activement par les institutions nationales et européennes. De ce point de vue, nos étudiants sont de braves petits soldats : ils ne font que mettre en œuvre les consignes officielles.
Quant au monde universitaire, il ne faut pas trop en attendre : non seulement la plupart des gens optent généralement pour la prudence, mais de plus les étudiants sont officiellement encouragés à être eux-mêmes des délateurs, par exemple en matière de discriminations ou de sexisme. Donc, là aussi, il ne faut pas être surpris par le résultat, et encore moins espérer une solution de ce côté tant que nous ne changerons pas le logiciel.
Le Laboratoire de la République : Pierre Mathiot évoque également « une forme de pureté militante », véritable bombe démocratique. Quelle solution pour traiter, auprès des étudiants, cette problématique ?
L’histoire nous apprend qu’il est quasiment impossible d’aller à l’encontre des grandes passions collectives, dont les causes sont certainement multiples et profondes.
La question que l’on peut quand même se poser concerne l’impact de l’école. Notre système scolaire a-t-il échoué à immuniser les étudiants contre les idéologies totalitaires ou a-t-il au contraire trop bien réussi en créant une sorte de conditionnement contre le fascisme, sorte de monstre brandi continuellement sans être réellement défini, de sorte que les élèves sont amenés à accoler l’étiquette fasciste à tout et n’importe quoi, prélude à des campagnes d’éradication au nom de la lutte du Bien contre le Mal ?
Cette seconde interprétation est d’autant moins exclue que l’activisme révolutionnaire n’a pas fait l’objet de la même délégitimation que le fascisme. Un parfum de romantisme continue d’entourer la gauche radicale. Du reste, le système scolaire encourage les élèves à être des êtres hautement vertueux. La vertu actuelle ne consiste pas à aimer son pays et à respecter les lois, mais à traquer la moindre déviance supposée concernant l’immigration, le sexisme ou l’écologisme. D’une certaine façon, nous avons la jeunesse que nous voulons. S’il y a un échec, la responsabilité est collective. Il faudrait peut-être en tirer des leçons pour les prochaines générations.
Noëlle Lenoir, membre honoraire du Conseil constitutionnel, avocate et membre du comité scientifique du Laboratoire de la République, revient sur la décision n°2023-849 DC du 14 avril 2023 sur la réforme du régime de retraites. Qualifiant cette décision de « bonne leçon de droit parlementaire », elle évoque les points constitutionnels qui ont été débattus.
Des critiques de la décision qui ont évolué dans le temps
La décision du Conseil constitutionnel sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme du régime de retraites n’a déçu que ceux qui auraient voulu la voir censurée dans son entier. N’ayant pas pu voir la réforme bloquée par l’activisme procédurier de certains parlementaires, ils auraient aimé que le Conseil constitutionnel l’annule purement et simplement. Y croyaient-ils vraiment ? On peut en douter à l’aune des critiques dont le Conseil a fait l’objet avant et après sa décision.
A l’heure actuelle, lorsqu’une décision déplait, c’est celui ou celle qui la prend qui est visé personnellement. Le Conseil constitutionnel n’a pas échappé à ces attaques ad personam qui ont débuté plusieurs semaines avant le 14 avril. Se doutant peut-être que les saisines des sénateurs et députés (RN et NUPES à l’Assemblée nationale et groupes de gauche au Sénat) avaient peu de chances d’aboutir, il fallait décrédibiliser le décideur à travers ses membres : complices des possédants, insuffisamment compétents faute d’être tous professeurs agrégés de droit constitutionnel ou encore politisés parce qu’anciens ministres ou Premiers ministres, de gauche comme de droite, il fallait faire naître un doute sur l’impartialité du juge.
Une fois la décision adoptée, possiblement à l’unanimité, la tonalité des critiques a changé. A l’inverse des accusations de politisation, c’est le « juridisme » dont aurait fait preuve le Conseil constitutionnel qui se trouve stigmatisé. Celui aurait dû, selon ses détracteurs, revoir la copie du législateur en « s’intéressant aux aspects économiques et sociaux de la réforme ». Faute de majorité qualifiée pour adopter une motion de censure, le Conseil constitutionnel était prié de censurer la loi.
Et d’aucuns d’appeler de leurs vœux « la transformation du Conseil en une Cour constitutionnelle », sous-entendu qui peut décider en opportunité. Mais que n’aurait-on dit si le Conseil constitutionnel s’était comporté comme la Cour suprême des Etats-Unis dont la politisation, surtout depuis l’héritage de l’ère Trump, n’est pas vraiment un modèle ?
Sur la procédure parlementaire, une décision fondée sur une jurisprudence constante
Les saisines des députés et sénateurs se sont concentrées sur le détournement de procédure supposée commis par le gouvernement et les instances du Sénat, plus que sur le fond.
La question posée était de savoir si le gouvernement, mais aussi la Conférence des Présidents[1] et les commissions parlementaires chargées de l’examen du texte, avaient abusé de leur droit en utilisant les armes mises à leur disposition pour contrer l’obstructionnisme parlementaire.
Pour gonfler le nombre d’amendements et sous-amendements (plus de 30 000 au total), tous types de méthodes avaient en effet été utilisés : les mêmes amendements étaient déclinés à titre individuel, contrairement à la pratique habituelle des amendements par groupe politique ; des centaines d’amendements prévoyaient des dérogations profession par profession et des dates d'entrée en vigueur distinctes mesure par mesure ; les prises de parole et les rappels au règlement se sont comptés par centaines, sans parler du dépôt systématique de motions de renvoi en commission de chaque article du texte et des demandes non moins systématiques d’un vote à scrutin public etc.
Pour les requérants, la seule solution pour respecter la Constitution eût été de laisser s’éterniser le débat ! Les réponses apportées par le Conseil constitutionnel aux moyens des saisines constituent une véritable leçon de droit parlementaire que tout juriste et tout législateur devraient retenir.
A propos du choix de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale comme véhicule de la réforme.
Certes, les précédentes réformes des retraites en 2003, 2010 et 2014 ont été adoptées dans le cadre d’une loi ordinaire. Or celle-ci avait l’avantage, aux yeux des requérants, de ne pas être enserrée comme les lois de financement de la sécurité sociale dans les délais préfix de l’article 47-1 de la Constitution.
Toutefois, le Conseil constitutionnel leur a fait observer que le recours aux lois rectificatives de la sécurité sociale n’est pas conditionnée, comme ils le prétendaient, par « l’urgence, des circonstances exceptionnelles ou un déséquilibre majeur des comptes sociaux ».
Le gouvernement pouvait donc choisir le cadre de la loi rectificative de financement de la sécurité sociale pour sa réforme dès lors que, suivant les articles L.O. 111-3-9 et suivants du code de la sécurité sociale, elle comportait bien des « dispositions relatives à l’année en cours ayant un effet sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement et celles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des cotisations et contributions affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à leur financement ».
A propos de l’application à l’adoption des lois rectificatives de financement de la sécurité sociale des délais prévus par l’article 47-1 de la Constitution.
Selon cet article, « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours… ». C’est ce qu’a fait le gouvernement ; face au déluge d’amendements et de sous-amendements à l’Assemblée nationale, il a transmis le texte au Sénat après vingt jours.
L’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale indiquant qu’a « le caractère de loi de financement de la sécurité sociale : … 2 ° La loi de financement rectificative de la sécurité sociale », cette procédure est applicable aux deux types de lois comme a indiqué le Conseil.
A propos du recours à l’article 49-3 de la Constitution permettant au gouvernement d’engager devant l’Assemblée nationale sa responsabilité sur un texte.
Le requérants faisaient valoir que l’engagement de responsabilité du gouvernement au titre de l’article 49-3 ne pouvait pas porter sur l’ensemble du texte et qu’il aurait fallu un vote successif sur les prévisions de recettes, d’abord, et de dépenses, ensuite. Une décision de 1979[2] avait effectivement censuré la loi de finances de l’année à venir sur la base de l’article 40 de la Constitution qui impose de statuer sur la partie recettes avant de voter sur les dépenses ?
Cette règle, transposée aux lois de financement de la sécurité sociale, ne fait cependant pas échec à l’article 45 de la Constitution qui permet au gouvernement, une fois untexte élaboré par la commission mixte paritaire,de le soumettre à l’assemblée en étant libre d’accepter ou non d’autres amendements. Le gouvernement pouvait donc engager sa responsabilité sur l’ensemble du texte.
Les parlementaires requérants auraient pu anticiper cette réponse puisqu’elle avait déjà été donnée notamment en 2015[3], mais surtout en 2022 à propos de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023[4].
Sur l’irrecevabilité des amendements non préalablement soumis à la commission chargée de l’examen du texte
Nécessaire au « bon déroulement du débat démocratique », le droit d’amendement conféré aux parlementaires et au gouvernement par l’article 44 de la Constitution, n’est pas exclusif de règles fixant l’organisation du débat parlementaire. Ainsi, en vertu du 2ème alinéa de l’article 44, « après l’ouverture du débat, le gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission ».
D’après le site Internet du Sénat, « cette procédure est très peu utilisée en pratique, puisque l’hypothèse d’un amendement non soumis à la commission est relativement rare ». Pour empêcher l’adoption de la loi, les parlementaires ont dérogé à cette pratique. Ils ont déposé des milliers de sous-amendements « plusieurs jours après le dépôt des amendements » examinés en commission.
Le Conseil constitutionnel s’est borné à constater qu’en leur opposant l’irrecevabilité, le gouvernement avait appliqué le 2ème alinéa de l’article 44 de la Constitution, dont l’objet, il convient de le rappeler, est de permettre aux parlementaires de se positionner en toute connaissance de cause sur les modifications proposées au texte en discussion.
Sur le recours au vote bloqué
Les requérants faisaient valoir que le recours au vote bloqué avait altéré la clarté et la sincérité du débat, une exigence constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel a fixé le principe en 2005[5]. Il s’agit de veiller à ce que la loi soit véritablement « l’expression de la volonté générale » selon les termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Mais si le débat a eu lieu et si toutes les opinions ont pu s’exprimer, il faut pouvoir décider. Telle est l’idée sous-jacente au 3ème alinéa de l’article 44 de la Constitution qui prévoit que « Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement».
De façon imparable, eu égard aux discussions et aux nombreuses prises de parole en séance, le Conseil constitutionnel a estimé, suivant sa jurisprudence habituelle, que « la procédure de vote bloqué n’a pas eu pour effet de faire obstacle à la discussion des dispositions sur lesquelles il était demandé au Sénat de se prononcer sur un seul vote ».
Sur la mise en œuvre du règlement du Sénat concernant la clôture des débats, la détermination d’un ordre de priorité des amendements et l’examen de leur recevabilité.
Le reproche était adressé cette fois-ci, non au gouvernement, mais aux instances du Sénat. Aussi, le Conseil constitutionnel – fait rare- a demandé aux Présidents des assemblées des précisions sur le déroulement de la procédure. Le Président du Sénat a ainsi indiqué que « le taux d'irrecevabilité sur l'ensemble du texte s'est établi à environ 48 %, soit un taux en définitive assez peu supérieur à celui constaté lors de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (41%) et 2023 (38%), en dépit du dépôt massif de sous-amendements ayant fait l'objet de déclarations d'irrecevabilité spécifiques ».
Trois reproches étaient formulés concernant le déroulement du débat sur l’article 7 du projet mentionnant le report de 62 à 64 ans de l’âge de départ à la retraite :
le Sénat n’aurait pas dû recourir à son règlement pour limiter à deux orateurs d’avis contraires la discussion générale sur l’article ; mais comme le note le Conseil constitutionnel, il y avait déjà eu 64 prises de parole sur cet article !
la définition d’un ordre de priorité pour l’examen des amendements a fait tomber 1300 amendements ; mais ceux-ci étaient incompatibles avec les amendements déjà adoptés !
des milliers de sous-amendements ont été déclarés irrecevables ; mais tous contredisaient l’amendement auquel ils étaient censés se rattacher !
Sur l’usage cumulatif des moyens de moyens de procédure destinés à éviter le blocage du débat.
Point n’était besoin d’être grand clerc pour savoir que ce moyen ne tenait pas, d’autant que la question n’était pas véritablement nouvelle.
Dans sa décision de 2006 sur « feu » le contrat première embauche (le CPE), qui avait aussi suscité de fortes protestations sur certains bancs de l’hémicycle, le Conseil constitutionnel avait considéré que «que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution aient été utilisées cumulativement pour accélérer l'examen de la loi déférée n'est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l'ensemble de la procédure législative ayant conduit à son adoption ». Il avait aussi estimé que « l'utilisation combinée des différentes dispositions prévues par le règlement du Sénat pour organiser l'exercice du droit d'amendement ne saurait davantage avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution »[6].
Donc la messe était dite.
S’agissant des autres moyens au soutien de l’insincérité du débat parlementaire, le Conseil constitutionnel a constaté que les documents joints au projet de loi étaient conformes aux prescriptions du code de la sécurité sociale et il a rejeté l’argument, non étayé, de la mauvaise foi du gouvernement accusé « de fausser les grandes lignes de l’équilibre de l’équilibre de la sécurité sociale ».
Une décision sur le fond tout aussi prévisible
Curieusement, la disparition à terme des régimes spéciaux[7] (applicable il est vrai aux seuls agents recrutés à compter du 1er septembre 2023) n’a pas suscité de critiques, comme si le principe en était inéluctable. La constitutionnalité de seulement deux articles était invoquée.
A propos de l’article 10 sur le report de l’âge de la retraite et l’accélération de l’augmentation de la durée des cotisations.
Selon les requérants, le report de l’âge de la retraite et l’accélération, décidée en 2014, de la fixation à 43 ans de la durée des cotisations nécessaires pour accéder à une pension de retraite à taux plein, remettrait en cause notre système de protection sociale et violerait donc l’alinéa 11 de la Constitution de 1946 prévoyant que la Nation « garantit à tous, notamment (…) aux travailleurs… » cette protection.
Pour les députés de NUPES, le législateur doit se voir interdire de revenir sur toute avancée sociale.
Dans une décision de 1984[8], le Conseil avait affirmé à propos de la liberté de la presse que « « s'agissant d'un droit fondamental, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Mais cette formule, jamais appliquée aux droits sociaux, n’a pas tenu la distance. Depuis lors, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur est libre de modifier la loi pour peu qu’il ne prive pas « de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Derrière cette formule sibylline, l’idée est que nul n’a droit au maintien d’une législation sauf à ce que la nouvelle loi ne méconnaisse pas des principes constitutionnels.
Il n’y a ainsi pas d’exigence constitutionnelle de maintien absolu des « droits acquis ». Lorsque la législation évolue, c’est bien souvent pour concilier des valeurs contradictoires. Ainsi en est-il de la nécessité de tenir compte en matière de retraite par répartition de la démographie et des exigences relatives à l’équilibre financier de la sécurité sociale. Or, comme l’indique la décision du 14 avril, l’objectif du législateur « d’assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et ainsi en garantir la pérennité » ne remet pas en cause la « solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités » qu’elle a pour objectif de préserver dans le temps.
Certains professeurs de droit ont déploré que le Conseil constitutionnel ne questionne pas la pertinence de cet objectif. Mais que n’auraient-ils dit si, lors de l’examen de la loi sur les « 35 heures » en 1998, comme le lui demandaient les parlementaires requérants à l’époque, le Conseil avait annulé la loi en déniant toute validité à son « objectif de réduction du chômage et de sauvegarde de l’emploi » alors invoqué par le gouvernement !
Le Conseil constitutionnel ne juge pas en opportunité, et il a donc vérifié, suivant son approche constante, que les mesures prises dans la loi ne sont pas « inappropriées » au regard de l’objectif d’équilibre financier du régime des retraites que s’est assigné le législateur.
A propos de l’article 11 sur la détermination de l’âge anticipé de la retraite pour les salariés qui ont commencé à travailler avant 21 ans au plus tard.
La critique formulée à l’encontre de cet article pouvait paraître surprenante car la disposition en cause avait précisément pour objet de permettre aux salariés ayant eu une « carrière longue » de prendre leur retraite de façon anticipée.
L’argument selon lequel il y avait là une violation du principe d’égalité a été aisément rejeté pour erreur d’interprétation ; la disposition n’ayant « ni pour objet, ni pour effet d’allonger la durée d’assurance des personnes qui ont commencé à travailler avant vingt et un ans au-delà de la durée totale durée totale d’assurance exigée des autres assurés ».
De même, le Conseil a fait observer que le fait pour certains salariés ayant eu une carrière longue d’avoir à cotiser après avoir atteint l’âge prévu pour leur retraite anticipée retraite, s’inscrivait dans la logique du système d’ensemble des retraites par répartition.
In fine, la décision du 14 avril dernier a annulé, comme on pouvait s’y attendre, plusieurs « cavaliers sociaux », c’est-à-dire les dispositions qui ne peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale car elles touchent pas à son équilibre financier.
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Une décision classique, pour conclure, qui devrait donc au moins clore la controverse sur l’intégrité de la procédure parlementaire. Apparemment, le seul débat qui demeure porte sur l’usage de l’article 49-3 sur l’engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte.
Si le temps n’est plus où Michel Rocard, Premier ministre, y recourait 28 fois durant les 3 ans de son mandat, il convient de mûrement réfléchir avant de décider de se passer de cette arme « anti-filibustering ».
Ne l’oublions pas : cette procédure a été voulue par tous les responsables de partis, de gauche et droite lors de la rédaction de la Constitution de 1958. Et pour cause : la multiplication des « questions de confiance » au Sénat comme à la Chambre des députés avait généré une instabilité ministérielle chronique à laquelle l’article 49-3 a pu valablement remédier.
On peut se demander si cette procédure ne reste pas spécialement adaptée au contexte français pour deux principales raisons : d’abord, notre allergie à toute réforme au nom d’une sanctuarisation de ce que l’on appelle « les droits acquis » qui nuit en fait bien souvent à la solidarité ; ensuite, la fragilité des alliances politiques qui fait que les partis en France, contrairement aux autres grandes démocraties, sont éphémères. Ce dont témoigne la quasi disparition des partis qui tenaient le haut du pavé sous la Troisième et la Quatrième République et la faiblesse de ceux qui ont fondé la Cinquième République.
Il ne suffit pas de sauter comme un cabri en criant « Sixième République, Sixième République, Sixième République » pour savoir vers quoi l’on va. L’essentiel n’est pas le 49-3, mais la sauvegarde de notre démocratie. La Constitution de 1958 a été révisée vingt quatre fois. Une pause serait salutaire.
[1] La Conférence des Présidents à l’Assemblée nationale comme au Sénat est composée du bureau de l’assemblée, des présidents de commissions et des présidents de groupes, ainsi que les rapporteurs généraux de la commission des finances et de la commission des affaires sociales. Le gouvernement peut y déléguer un représentant, en général le ministre chargé des relations avec le Parlement. Le rôle de cette instance est de fixer le programme des travaux parlementaires qui est publié au Journal officiel. Au Sénat, elle peut déterminer la durée globale du temps dont disposeront dans le débat les orateurs des divers groupes. A l’Assemblée nationale, elle peut fixer la durée maximale de l’examen de l’ensemble d’un texte.
[2] Décision n°79-110 DC du 24 décembre 1979.
[3] Décision n°2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
[4] Décision n°2022-845 DC du 20 décembre 2022.
[5] Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005
[6] Décision n°2006-535 DC du 30 mars 2006 sur la loi sur l’égalité des chances.
[7] Elle concerne les agents des industries électriques et gazières, de la RATP et de la Banque de France ainsi que les clercs et employés de notaires et les membres du Conseil économique, social et environnemental.
[8] Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse .
Dans cette série consacrée au Service National Universel, Le Laboratoire de la République donne la parole à ceux qui font vivre ce programme dans toute la France depuis sa création en 2019. Aujourd’hui, deux jeunes qui ont effectué leur SNU nous répondent. Albin est étudiant à l’université catholique de Lille en Droit et Science Politique. Maé est lycéenne, en première HLP (Humanités, Littérature et Philosophie).
Le Laboratoire de la République : Racontez-nous votre expérience. Où avez-vous fait votre SNU, dans quelles conditions ? Qu’avez-vous appris de façon générale ? Avez-vous-eu auparavant une expérience d’engagement républicain ou de formation républicaine ?
Albin : J’ai réalisé le séjour de cohésion de deux semaines à Die, dans un centre tout proche de la forêt et des montagnes. J’étais logé dans un « marabout », une espèce de grande tente avec 8 couchages. C’était au début des grandes vacances de la fin de mon année de 4e, j’ai donc dû passer mes épreuves de français en avance pour pouvoir y participer. Etant engagé dans le cadre associatif et de représentation lycéenne notamment au Conseil National de la Vie Lycéenne, j’avais beaucoup entendu parler de la mise en place du SNU. Je voulais comprendre concrètement, au travers de l’expérience ce que j’allais vivre, ce qu’était vraiment ce fameux Service National Universel.
Maé : Mon expérience au SNU fût vraiment intéressante. Tout d'abord, la vie en communauté était vraiment enrichissante, notamment avec la vie quotidienne dans le foyer, qui m'a permis d'être plus autonome, mais également avec les diverses activités physiques qui nous ont permis de renforcer notre cohésion, nous en ressortions toujours plus unis et plus solidaires. S'ajoute à ça les nombreuses interventions sur des thèmes tel que le patrimoine et la culture française, ou encore la défense et la sécurité, des interventions qui m'ont vraiment plu, elles m'ont permis d'élargir mes connaissances sur la France, mais également sur l'Union Européenne, des connaissances que je n'avais pas acquises auparavant car ce n'est pas un sujet qui m'attirait plus que ça, mais aujourd'hui je suis contente d'avoir pu en apprendre plus.
Le Laboratoire de la République : La première phase du SNU constitue l’aboutissement du parcours citoyen. Avez-vous été satisfait des modules proposés et de votre expérience en général ? Que changeriez-vous ou non au sein de cette première phase ?
Albin : La première phase du SNU restera pour moi une expérience profondément enrichissante, permettant le dépassement de soi au travers d’activités comme la via ferrata ou bien même l’escalade, l’accrobranche et les activités physiques comme le canoë que je n’aurais probablement pas faites par moi-même. De plus, le fait que nous ayons été réunis avec des jeunes qui venaient d’horizons complètements différents, que nous ne connaissions pas, nous a permis de nouer de forts liens en seulement deux semaines passées ensemble. Nous n’avions accès à nos téléphones portables qu’une heure par jour, et cette restriction nous a probablement permis de plus nous tourner vers les autres. Au-delà des amitiés et des expériences vécues, nos journées ont été rythmées par des activités ludiques et des rencontres avec de nombreux acteurs de la République et d’autres organes liés. En effet, nous avons passé la formation aux premiers secours, rencontré des représentants de l’armée, de la banque de France et des secours. Pour nombreux de mes camarades volontaires au SNU, l’objectif était de comprendre et matérialiser leur nationalité et avoir une première expérience du service.
Au sens général, j’ai apprécié ce séjour de cohésion qui m’a permis de sortir de ma zone de confort et, grâce à ça, de me découvrir. Il y a eu, c’est sûr, des moments durs, des moments où je me suis dit « mais pourquoi je suis venu ? », et où j’ai remis en question ma participation, notamment dans des moments particulièrement difficiles comme quand, pendant plusieurs nuits, nous avons dû nous réfugier avec des lits de camps dans une salle des fêtes à cause de forts orages, quand nous devions nous laver à l’eau froide (heureusement pendant l’été) ou bien quand nous étions tout en haut d’une falaise et qu’il fallait descendre en rappel. Je crois bien que je n’aurais pas pu aller au bout de cette expérience si le groupe n’avait pas été là, si ces volontaires comme moi ne m’avais pas aidé. Je crois vraiment que c’est dans ces situations que la solidarité a pu gommer les difficultés que nous pouvions tous avoir. Alors, non, je ne changerai rien de tout ce que j’ai vécu. Aujourd’hui, je suis heureux de ce que j’ai vécu et je crois que c’est à la fin de ce séjour particulièrement fort que l’on se rend compte à quel point cela nous a permis de nous construire.
Maé : Cette expérience au SNU m'a inculqué de nouveaux enseignements. Elle m'a donné le courage de poursuivre mes objectifs et de les atteindre, et j'ai donc appris à ne jamais abandonner quelle que soit la raison. C'est avec des interventions sur les handicaps que j'ai pris conscience de l'importance de devoir toujours rester motivé pour affronter les obstacles de la vie !
Le Laboratoire de la République : Recommanderiez-vous à tous les jeunes de faire leur service ? Pensez-vous qu’il serait nécessaire d'imposer le SNU ?
Albin : Je recommande évidemment le SNU à ceux qui souhaitent vivre une expérience hors du commun de faire le SNU. Mais je ne crois pas qu’il faille le rendre obligatoire car ce qui fait que le SNU est une expérience incroyable repose sur l’envie des jeunes et leur motivation à y participer. Encourager les jeunes à s’y intéresser et ensuite à participer est important.
Maé : Je recommande le SNU car il est enrichissant, mais également marquant. Que l'on soit sociable ou réservé, petit ou grand, sportif ou non, on y trouve toujours sa place !
Depuis 2020, l’association des maires de France constate que plus d'un millier de maires ont quitté leurs fonctions. Le nombre d'élus locaux, et notamment de maires, qui démissionnent atteint des records. Le Laboratoire de la République a interrogé Vincent Chauvet, maire d’Autun (Saône-et-Loire) et 1er vice-président de la communauté de communes du Grand Autunois Morvan (CCGAM), sur sa vie quotidienne d’élu et les problèmes qui en découlent. Le Morvan, où l'on constate un recul des services publics, est un des territoires ayant connu une vague de démissions d'élus.
Le Laboratoire de la République : constatez-vous personnellement une forme de malaise ou de fatigue touchant les élus locaux ? Si oui, quels en sont les grands déterminants ?
Vincent Chauvet : Il est certain qu’il y a aujourd’hui un fossé entre les programmes que les élus ont porté devant leurs électeurs en 2020, et la réalité trois ans après. Personne n’aurait imaginé que les énergies de début de mandat seraient consacrées à gérer les conséquences d’une crise sanitaire, d’une guerre sur le continent engendrant une crise énergétique puis une inflation forte. Forcément, je comprends que le contexte d’exercice actuel des mandats locaux génère un certain nombre découragement. Pour l’élu lui-même, le mandat électif s’observe et s’évalue sur la balance entre le travail positif réalisé, les projets sortis ou engagés, face aux difficultés à résoudre et à surmonter. Pour cela, nous nous mobilisons bien souvent au détriment des vies de famille, des carrières professionnelles, pour l’intérêt général. Il faut sans doute revoir le statut de l’élu, pour continuer de susciter l’envie des citoyennes et citoyens de s’investir pour le collectif, ce qui m’anime et me motive pour ma part encore comme au premier jour de mon engagement public.
Le Laboratoire de la République : comment avez-vous vécu personnellement votre début de mandat ? Avez-vous rencontré des difficultés qui auraient pu vous décourager ?
Vincent Chauvet : A la fois avec confiance, mais aussi avec des inquiétudes quotidiennes où j’ai pu parfois ressentir un sentiment d’impuissance.
Confiance car nous avons réussi, une équipe d’élus et d’agent impliqués et mobilisés, à faire avancer sereinement nos projets municipaux les plus ambitieux, notamment les grands chantiers prévus dans le dispositif Action Cœur de Ville pour la requalification du centre historique sur le volet commercial, de l’habitat, du patrimoine et des mobilités.
En revanche, je passe une grande partie de mon temps d’élu sur la fonction de Président du conseil de surveillance de l’hôpital d’Autun. Sans réel pouvoir de décision, et en première ligne face à toutes les difficultés d’une question devenue la principale source d’inquiétude et de défiance pour nos habitants. Autun vient de perdre sa maternité publique, la seule à 1h30 de route pour beaucoup d’habitants du Morvan. Malgré nos efforts et la mobilisation des tous les acteurs du territoire, il n’y a pas de recette miracle immédiate à la pénurie de professionnels de santé, rencontrée (quasi) partout en France. Une réalité qu’il faudra affronter pendant encore plusieurs années, et contre laquelle je me bats avant tout sur le terrain du renforcement de notre attractivité territoriale et du changement des modèles, plutôt que du déclinisme et de la fatalité.
Le Laboratoire de la République : avez-vous le sentiment que l’État soutient suffisamment les élus locaux et que vous avez les moyens d’exercer votre mandat ?
Vincent Chauvet : Contrairement à la période précédant 2017, et même si nous pourrions attendre toujours plus, l’Etat a garanti aux communes les moyens financiers d’agir dans ses prérogatives. Il a été au rendez-vous du financement de nos investissements. Le « couple » Maire/Préfet s’est renforcé depuis la crise sanitaire, pendant laquelle la coopération s’est avérée vraiment efficace.
En revanche, il est bien plus difficile de boucler les budgets communaux et intercommunaux en raison des coûts exponentiels des dépenses d’énergie. Nos communes reviennent à l’essentiel et priorisent les investissements pour la rénovation énergétique des bâtiments. Je suis persuadé que nous tirerons sur le long terme du positif à ces difficultés, notamment pour la transition écologique.
Le Laboratoire de la République : l’AMF estime à 1500 le nombre d’agressions d’élus municipaux au cours de l’année 2022, une hausse de 15% par rapport à 2021. Constatez-vous un changement des relations avec certains citoyens ? Pourquoi ?
Vincent Chauvet : Dans une société de l’immédiateté, ou tout est dû à chacun, il y a effectivement une infime partie de nos habitants qui se laissent de plus en plus aller à la déviance et ce n’est pas acceptable. Le Maire est souvent à portée de baffes de toutes les frustrations du quotidien.
J’ai malheureusement dû faire face plusieurs fois depuis ma prise de fonctions à des agressions verbales nécessitant une action en justice. Menaces de mort, injures publiques, outrages et insultes constatées sur les réseaux sociaux à mon encontre mais aussi à celle d’autres élus autunois, seules des peines de sursis ont été prononcées. Or, les faits ont été réitérés plusieurs fois, tant sur les réseaux sociaux que dans la rue. On peut aussi s'interroger sur la lenteur des procédures qui finissent par laisser courir le délai de prescription des délits visés par les propos sur les réseaux sociaux, ce qui absout de fait leurs auteurs.
Il faut d'urgence mettre un terme à la culture de l'excuse à l’encontre des auteurs des violences envers les élus, revoir au plus vite l'appréciation des "limites acceptables au débat public ou à la critique envers les élus", et arrêter de considérer le fait que la victime soit une femme ou un homme politique soit une circonstance atténuante, voire penser que l'élu est en quelque sorte lui-même responsable de tels actes, comme s'il "l'avait bien cherché".
Après la menace d’être interdite aux Etats-Unis et désormais, en Europe, l'application chinoise de vidéos courtes, TikTok, particulièrement populaire auprès des jeunes, est soupçonnée d'espionner notre vie privée et de récolter des données sensibles pour le compte de Pékin. Le Laboratoire de la République a demandé à Michel Guérin, ancien inspecteur général de la DGSI et ancien professeur à Sciences Po, de nous éclairer sur les objectifs technologiques des services de renseignement chinois.
Le Laboratoire de la République : la Chine apparaît depuis deux décennies comme une puissance montante dans les conflits du cyberespace. Quels sont ses objectifs ? Doit-on s'inquiéter de son influence grandissante ?
Michel Guérin : La Chine veut égaler la puissance américaine et à terme la dépasser. Compte tenu de l'importance prise par le numérique dans nos sociétés, cette quête passe par la maîtrise de l'internet. D'abord au niveau intérieur, afin de contrôler la sphère domestique, d'où la volonté d'atteindre la souveraineté. Puis, il s'agit d'étendre, si possible, son influence le plus loin possible au plan international.
Il faut reconnaître que les résultats sont d'ores et déjà spectaculaires puisqu'à côté des géants nord-américains, les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), on parle maintenant des BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Les premiers sont pratiquement voire totalement absents en Chine, alors que les seconds, maîtres chez eux, se développent en Asie et espèrent partir à l'assaut de l'Occident, bénéficiant d'un soutien du régime chinois très important. Tout le monde sait que le Parti communiste chinois veut faire de son pays une super-puissance cyber. J'ajouterai la toute première... car les Chinois ont compris qu'ils n'auront pas la suprématie mondiale s'ils ne gagnent pas la bataille du cyber.
Le Laboratoire de la République : Le rapport de l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem) montre l'ampleur des réseaux d'influence développées par la Chine. La France ainsi que ses alliés (ex : l'Union européenne) ont-ils les moyens de les combattre ?
Michel Guérin : La question n'est pas de savoir si on a les moyens mais si on a la volonté de se les donner. Cela commence par la nécessité d'une prise de conscience qui, n'en doutons pas, après quelque retard à l'allumage, est apparue, le rapport de l'Irsem en étant un bel exemple. Il convient de sortir d'un certain angélisme que nos sociétés occidentales, surtout européennes, ont manifesté trop longtemps vis-à-vis de l'Empire du milieu. L'appât du gain, la perspective d'accéder à un marché fabuleux ne peuvent pas tout expliquer, d'autant qu'ils se sont avérés bien trop souvent chimériques, ou à tout le moins semés d'embûches.
Dans le monde contemporain, les Etats sont engagés dans une compétition féroce où les coups bas sont fréquents. A cet égard, le renseignement et la recherche d'appuis et de vecteurs pour diffuser sa vérité et étendre son influence jouent un rôle primordial. Pour les contrecarrer, la première chose est de les connaître. Cela est le rôle des services de renseignement qui alertent. Ensuite, il faut que leurs mises en garde soient entendues par les décideurs et qu'apparaissent une prise de conscience au niveau des opérateurs, économiques ou autres, via une bonne sensibilisation. Selon l'adage disant qu'une personne avertie en vaut deux, il convient alors d'adopter la bonne attitude ou prendre des mesures adéquates afin d'éviter que toutes ces actions d'influence, de propagande ou de pénétration réussissent. Alors, oui, les moyens existent !
Le Laboratoire de la République : Les institutions fédérales américaines, la Commission européenne, le Parlement européen et plusieurs gouvernements occidentaux ont interdit le réseau social chinois TikTok sur les appareils professionnels, invoquant des inquiétudes en matière de sécurité des données. Quel est le poids du renseignement dans les conflits modernes ? Quelles évolutions avec les réseaux sociaux ?
Michel Guérin : De tout temps, le poids du renseignement dans les conflits a été important. Si sa présence était souvent occultée, ce n'était pas à cause d'une absence mais d'un manque d'intérêt des chroniqueurs pour cette chose par nature cachée et donc se prêtant mal à la lecture et à l'analyse. Les choses ont évolué avec l'apparition des intelligence studies, et maintenant tout le monde a bien conscience de son rôle. Il est même considéré primordial dans certains domaines comme celui de la lutte contre le terrorisme que l'on considère comme une "guerre de renseignement". En effet, sans renseignement, on ne peut anticiper, prévenir ou neutraliser. Sans renseignement on est sourd et aveugle.
L'apparition des réseaux sociaux n'a rien changé fondamentalement, elle a simplement modifié la donne, le renseignement s'y adaptant et s'en servant à la fois dans ses modes offensif et défensif.
Ainsi, si on peut redouter, au plan technique, la mise en place de back doors et autres dispositifs permettant, dès lors qu'ils sont installés sur un appareil, de "pomper" les données que celui-ci contient, ils peuvent être utilisés comme supports pour des actions classiques de renseignement. Par exemple, c'est le cas pour l'approche ou le recrutement de sources humaines, comme l'ont récemment indiqué des informations parues dans les médias concernant l'utilisation, afin d'arriver à leurs fins, de Linkedln par les SR chinois, avec la création de profils fictifs, ou Leboncoin par les SR russes. Servant de vecteurs aux célèbres fake news, qui ne rélèvent ni plus ni moins que de la très classique désinformation, les réseaux sociaux ont été également abondamment utilisés, et continuent de l'être, par les organisations djihadistes pour leur propagande et leur recrutement.
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