République sociale

Culture : « Comment renouer le dialogue ? » Telle est la question

par Christian Gonon de la Comédie-française le 17 juillet 2023
La culture, domaine sacrifié pendant l’épidémie de Covid, où chacune de ses cérémonies de remises de prix est scrutée. La relation entre le politique et l’artiste se tend de plus en plus. Le lien entre les deux semble rompu. Le Laboratoire de la République interroge Christian Gonon de la Comédie-Française sur les défis à relever, l’essentialité de la culture et sur cette relation ambiguë. Il était à l’affiche de son seul-en-scène « La pensée, la poésie et le politique » de Karelle Ménine et Jack Ralite où il entrait dans la pensée et la peau de Jack Ralite, ancien ministre, communiste et surtout homme de culture.

Le Laboratoire de la République : Dans votre seul en scène « La pensée, la poésie et le politique » à la Comédie-Française, vous retracez la pensée de Jack Ralite sur la politique culturelle de François Mitterrand à François Hollande. Jack Ralite n’a pas connu celle d’Emmanuel Macron. Pour vous, en tant que comédien, quelles sont les avancées et quels sont les défis à relever ?

Christian Gonon : J’ai un mot qui me paraît le plus juste : c’est le dialogue, la restauration du dialogue. Cela vaut sur tous les plans d’une politique qui actuellement manque de dialogue. Je ne m’attaquerai pas à tous les champs que sont la santé, l’éducation, etc. Je resterai sur la culture et particulièrement sur le théâtre parce qu’il y a, me semble-t-il, des zones grises pour moi. Je ne sais pas très bien ce qui se passe. J’ai l’expérience de la Comédie-Française, l’expérience de camarades ayant des compagnies ou qui sont directeurs de théâtre et qui ont aussi leur problématique vis-à-vis de la politique culturelle. Jack Ralite disait qu’il fallait renouer avec le dialogue. Dans les années 60-70, le politique allait au théâtre et il y avait une conversation avec les acteurs ou avec les auteurs, ou avec les musiciens. J’ai un peu connu cela lorsque je suis entré à la Comédie-Française, il y a 25 ans. Je me souviens en particulier de Lionel Jospin qui, à l’époque était un habitué de la CF. Aujourd’hui, c’est plus exceptionnel chez nos politiques. Mes camarades se souviennent de François Mitterrand venant au Français et restant au foyer des artistes, partageant un verre et parlant de la pièce et du théâtre. De mémoire, Jacques Chirac n’est jamais venu au Français. Nicolas Sarkozy est parti à l’entracte de Cyrano car il était en campagne. Il est revenu pour « Juste la fin du monde » de Jean-Luc Lagarce mais il n’a pas beaucoup apprécié la pièce.… François Hollande et Emmanuel Macron fréquentent Richelieu de temps en temps. Aujourd’hui le politique apparaît plutôt comme un gestionnaire et un financier de la Culture mais souvent ne va pas plus loin. L’argent est bien sûr le nerf de la guerre mais il peut y avoir un dialogue plus approfondi, plus intime avec l’artiste. Comment renouer le dialogue ? Telle est la question.
Lorsqu’on lui posait des questions sur les politiques qui se désengagent, Jack Ralite répondait : « mais vous, êtes-vous déjà allé écouter un discours politique en entier ? ». Le dialogue est du côté de l’artiste et du politique. Cependant, qu’est ce aujourd’hui être un homme politique ? Existe-t-il une liberté culturelle dans la pratique de l’homme politique ? N’est-ce pas qu’une politique de débats idéologiques sans véritables objectifs ? Jack Ralite disait que faire de la politique, c’est intense, ingrat. Aujourd’hui le politique n’a plus le temps, il manage, il communique, il pare et donne des coups…il s’oppose. Il réagit à chaud. On devrait enlever le « r » et agir.

Le Laboratoire de la République : A la fin du spectacle, tous les comédiens et comédiennes de la troupe lisent une lettre à destination d’Emmanuel Macron pour défendre la culture. En quoi la culture est importante et essentielle dans notre société ?

Christian Gonon : La culture est essentielle dans notre société parce qu’elle nous permet de nous connaitre et de connaitre l’autre. « L’homme qui lit est un homme qui marche et l’homme qui marche vers un théâtre est un homme qui fait corps avec les autres. Chacun de nous devient un singulier collectif », disait Jack Ralite. On est ensemble. On partage quelque chose, encore faut-il intéresser les autres. Pourquoi la poésie nous déplace ? Elle nous sort de l’esprit mercantile à l’envi, une société de classements, de rentabilité où il faut être le meilleur, faire plein de choses, de plus en plus dans un minimum de temps. On n’apprend plus à se poser, à lire et à regarder. Il faut réhumaniser la société. Donner la possibilité à tout le monde de comprendre qu’on a besoin de tout le monde. Trop de gens restent à l’écart de la culture. La culture et le dialogue vont main dans la main. Qui dit Culture, dit aussi pensée, celle-ci ayant pour objet la connaissance, laquelle s’enrichit du dialogue.
Pendant la Covid-19, les comédiens ont été beaucoup aidés au regard de bien d’autres pays. Cependant, les tournées, les achats, la rentabilité des spectacles ont été bousculés. Certaines compagnies sont dans l’eau et n’arrivent pas à s’en sortir. La lettre adressée à Emmanuel Macron est une lettre adressée par Jack Ralite à François Hollande. Je l’ai utilisée car elle collait tellement à tous les présidents et à la défense du patrimoine culturel. J’ai voulu lire cette lettre avec toute la troupe pour donner plus de force au texte. Je ne peux le faire qu’à la Comédie-Française. Soixante comédiennes et comédiens pour une lettre de cinq minutes! Je peux donc que remercier l’institution et l’Etat qui l’aide. Nous sommes très aidés par la tutelle bien que ce ce ne soit pas suffisant pour maintenir nos créations à leur niveau des années antérieures : ainsi, quand je suis entré au Français, il y avait cinq créations à Richelieu. Cette année, il n’y en a que trois. Il y a également des problèmes de rémunération pour les plus bas salaires au sein de la maison. Il y a vingt ans, travailler à la Comédie-Française était vu comme un privilège mais aujourd’hui le prestige d’appartenir à cette institution ne suffit plus.
Aujourd’hui, nous parlons souvent de la retombée économique de la culture mais la culture est un autre enrichissement… « La culture c’est le nous extensible à l’infini des humains… »

Le Laboratoire de la République : Lors des Molière de 2023, la ministre de la culture a été prise à partie par deux comédiennes et pour la première fois, la ministre s’est immédiatement levée pour répondre aux attaques, est-ce un exemple de la relation entre l’artiste et le politique aujourd’hui ? Comment qualifieriez-vous cette relation ?

Christian Gonon : Encore une fois je vais citer Ralite : « Il s’agit maintenant de comprendre comment recréer une dynamique d’échange, sans quoi la panne de dialogue va durer et à sa suite il y aura immanquablement des « retards d’avenir » comme disait Aragon . Mais c’est difficile car le problème a une couleur nouvelle et il est impossible d’utiliser les recettes d’antan.
Le politique répète parce qu’il est pris dans une organisation du temps où son travail consiste à accumuler des preuves des actions qu’il produit. Du coup, il additionne. Celui qui prend un nouveau poste va vouloir faire mieux que son prédécesseur, il va vouloir aussi accumuler et gagner au score.
La création échappe totalement à la réalité du politique parce qu’elle échappe totalement à la société. On a organisé des chaînes de reproduction, où l’ouvrier répète sans cesse le même geste, mais ce n’est pas lui qui crée, on ne lui laisse pas cette place. Encore une fois la poésie a cette force : elle nous déplace, elle nous fait respirer ».
L’artiste est un trublion. Il est le grain de sable dans la chaussure du politique mais il est aussi le fou du roi. Il met en avant l’hypocrisie, la petitesse des choses. On peut lire Shakespeare sur le pouvoir. Le politique craint l’artiste mais ça le dynamise. Il peut y avoir une alliance mystérieuse, une complicité avec chacun son champ d’action et chacun enrichissant l’autre. Il faut que le théâtre dérange… l’Art doit être dangereux !
« Le théâtre c’est le bêchage du terrain humain et dans son champ de force très petit se joue toute l’histoire de l’humanité ! »… et cela doit commencer dès l’enfance. Le théâtre éclaire, fait bouger, émeut, nous bouleverse, efface nos certitudes et quand nous sortons d’une représentation nous avons bien souvent plus de questions que de réponses… et cela nous fait avancer !
Si chacun reste dans son camp avec l’assurance de son bon droit et cramponné à ses certitudes, on ne peut pas arriver au dialogue et trouver des solutions concrètes. Il faudrait retrouver l’élan créatif des débats lors des états généraux de la culture qu’avait impulsé Jack Ralite en 1987 où il y avait des milliers de personnes au Zénith. Des artistes et des politiques repensaient ensemble l’action culturelle.

Le Laboratoire de la République : Si vous ne deviez retenir qu’une seule citation de votre spectacle, ce serait laquelle ?

Christian Gonon : René Char : « La réalité ne peut être franchie que soulevée. » Soulevée par la poésie.
Ou encore, une citation de Saint-John Perse : « La poésie est le luxe de l’inaccoutumance. Elle est action. Elle est passion. Elle est puissance et novation qui toujours déplace les bords. L’amour est son foyer, l’insoumission, sa loi et son lieu est partout dans l’anticipation. Seule l’inertie est menaçante. »

Entretien réalisé le 12 juillet 2023

Le Laboratoire
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