Compte-Rendu (antenne de Sciences Po) : « Vers quel type de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ? »

par L'antenne de Sciences Po le 16 avril 2025
Le mercredi 9 avril 2025, l’antenne de Sciences Po du Laboratoire de la République a organisé, à la Maison de l’Amérique Latine, une conférence afin d'évoquer un sujet particulièrement sensible et dont les médias se font trop peu l'écho : la négociation d'un accord de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Si celui-ci semble devoir se conclure, quelle en sera la teneur réelle et pourra-t-il mettre un terme définitif au conflit et à l'instabilité dans la région ? Le référent de notre antenne de Sciences Po et modérateur de cet évènement Jean Lacombe a réuni autour de lui un panel d’expert : le géopolitologue et essayiste Frédéric Encel, l’écrivain et aventurier Patrice Franceschi, le représentant du Haut-Karabagh en France Hovhannès Gevorgyan, le coprésident du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France Franck Papazian et la journaliste actualité/International au Figaro Elisabeth Pierson.
Jean Michel BLANQUER rappelait en introduction qu’en parlant de l’Arménie, de Boualem Sansal ou des risques liés à la nouvelle philosophie de Washington, nous sommes dans des valeurs communes. Il est crucial de garder des idées claires dans un monde qui semble s’engager dans des directions inquiétantes. Ces idées claires, à condition que des gens comme nous se rassemblent, réfléchissent ensemble et avancent en toute liberté d’esprit, finiront par être les plus fortes. Jean LACOMBE : Le 13 mars dernier, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont annoncé avoir conclu un nouvel accord de paix, qui semble résoudre la question du Haut-Karabagh. Ce traité nous amène à nous interroger sur le type de paix vers lequel ces deux nations se dirigent.Je me tourne maintenant vers vous, Monsieur Guezorkian, pour aborder le contexte historique. Hovhannès GUEVORKIAN a choisi de répondre à cette question en effectuant un bref rappel l’Histoire de l’Artsakh, à travers quatre mots, qui résument l’Histoire de mon peuple. Le premier mot : identité. Le Haut-Karabakh n’est pas seulement un territoire, c’est une part essentielle de l’identité arménienne, ayant traversé toutes les grandes étapes de l’Histoire du peuple arménien.   Le deuxième mot : effacement. L’Histoire arménienne dure depuis 2500 ans, et pourtant, en 2003, cette Histoire s’est arrêtée. L’adversaire ne cherche pas seulement la domination, mais l’effacement de la culture arménienne. Il s’agit d’une politique systématique et méthodique d’effacement culturel. Le troisième mot : sécurité. Si l’on considère ce conflit uniquement sous l’angle territorial, la seule réponse semble être l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Cependant, la sécurité des Arméniens doit aussi être prise en compte. Après la chute des dernières forces de défense d’Artsakh en 2023, des déplacements forcés ont eu lieu. Le quatrième mot : responsabilité. Quelle réponse pouvons-nous offrir aux minorités qui ont été, et sont encore, menacées par les États ? Si la seule réponse de notre communauté face à ces menaces est de défendre l’intégrité territoriale des États, cela conduira à la suppression de ces minorités. Nous nous trouvons dans une situation où il est possible de détruire une population, puis d’imposer un fait accompli, avec l’aval international en prime. Jean LACOMBE : En 2020, a eu lieu la guerre des 44 jours, marquant un tournant dans le conflit du Haut-Karabakh. Elisabeth, pouvez-vous nous en rappeler les grandes lignes ? Elisabeth PIERSON : Oui, en 2020, l’Azerbaïdjan, bien plus puissant militairement qu’en 1994, lance une offensive éclaire avec l’aide de la Turquie et d’armements israéliens. Après 44 jours, un cessez-le-feu est signé sous l’égide de la Russie, mais très vite violé par l’Azerbaïdjan. L’Arménie subit de lourdes pertes, et des mercenaires syriens sont engagés par Bakou. Depuis, les tentatives de discussions se sont succédé, une quinzaine de rencontres ont eu lieu entre Aliyev et Pachinian. Mais en parallèle, l’Azerbaïdjan a imposé un blocus de neuf mois sur le corridor de Latchine, coupant le Haut-Karabakh de l’Arménie, dans des conditions humanitaires terribles. Jean LACOMBE : Et ce nouvel accord de paix, annoncé en mars dernier, comment s’est-il construit ? Elisabeth PIERSON : Il s’agit d’un accord bilatéral, sans médiation internationale, ce qui montre que l’Arménie ne compte plus sur la Russie ni sur l’Europe. L’annonce a été faite unilatéralement par l’Azerbaïdjan, qui affirme l’existence de 17 articles, non divulgués. L’accord n’est pas signé ni ratifié, et depuis, Bakou continue d’accuser Erevan presque quotidiennement. Jean LACOMBE : A-t-on une idée du contenu de ces 17 articles ? Elisabeth PIERSON : Ce que l’on sait, c’est qu’ils contiennent uniquement des points de coopération bilatérale, sans évoquer les sujets sensibles comme les frontières, le retour des déplacés Artsakhiotes ou le sort des prisonniers politiques. Ces points doivent être abordés dans un processus ultérieur. Donc, c’est un texte très incomplet. Jean LACOMBE : Franck Papazian, quelle est la position de la diaspora arménienne face à cet accord ? Franck PAPAZIAN : Cet accord n’est pas un véritable traité de paix, mais un texte imposé par l’Azerbaïdjan. L’Arménie n’avait pas de choix, dans un monde où les rapports de force sont déséquilibrés. L’Azerbaïdjan a utilisé des armes interdites, mené une guerre atroce avec le soutien de la Turquie et des djihadistes syriens. Le blocus du Haut-Karabakh a été condamné par la Cour Internationale de Justice (CIJ), mais aucune action concrète n’a été prise. En septembre 2023, une « épuration ethnique » a eu lieu, qualifiée de « génocide » par Luis Moreno Ocampo, l’ancien procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI). Et maintenant, on parle d’un accord de paix qui entérine la disparition de l’Artsakh, sans aucune garantie de retour pour ses habitants, ni reconnaissance de leurs droits. L’Arménie est forcée d’accepter la dissolution du groupe de Minsk et de négocier seule, dans une position de faiblesse. Il n'est plus possible de discuter de l'autodétermination des Arméniens ni du droit au retour, un droit pourtant reconnu internationalement, comme l’a souligné Mme Colonna. Ce texte impose la dissolution du groupe de Minsk, ce qui a été accepté par l’Arménie, qui doit désormais négocier bilatéralement, sous la pression du rapport de force. Il y a aussi la demande de retrait des observateurs de l'Union européenne et l’abandon des poursuites pénales contre l’Azerbaïdjan, une requête émise par ce dernier. L’Azerbaïdjan exige également que l’Arménie modifie sa Constitution, qui considère le Haut-Karabakh comme faisant partie de l'Arménie. Un point crucial reste la présence militaire azerbaïdjanaise sur le territoire arménien, qui n’est pas abordé. Enfin, l’Azerbaïdjan n’a pas respecté l’accord de libération des prisonniers de guerre de 2020, capturant de nouveaux prisonniers, dont 8 dirigeants du Karabakh en 2023. Jean LACOMBE :  Nous allons maintenant évoquer les conséquences spécifiques pour le Haut-Karabagh, notamment la question du patrimoine, en particulier des églises.Le Haut-Karabagh va changer. Monsieur Guevorkian, quelles sont vos inquiétudes concernant ces transformations ? Hovhannès GUEZORKIAN : Sans une Arménie forte, il n’y a pas de Karabakh. Si l'Arménie n'est pas renforcée, le Haut-Karabakh n'aura aucun avenir. Les destins des deux entités sont liés. Ce n’est pas seulement une question de patrimoine ou de population déracinée, mais d’un avenir commun. L’Azerbaïdjan revendique des territoires depuis 1918 : le Haut-Karabakh, le Nakhitchevan et la région de Zhangzhou. Au Nakhitchevan, il n’y a plus d’Arméniens, au Karabakh, ils sont très peu. Si cet accord de paix est signé, la question n’est pas de savoir si une guerre aura lieu, mais quand. Ce conflit est lié à une revendication centenaire… Patrice FRANCESCHI : Les mots ont un sens. Bien que j’aie de la sympathie pour les Arméniens, je ne peux pas accepter l’usage du terme « génocide ». Si un véritable génocide a lieu en Arménie, que fera-t-on ? Il y a une différence entre guerre et génocide. Quant à la situation, en 24-48 heures, les conséquences militaires et géopolitiques se feront ressentir, avec des déplacements massifs et des impacts sur la région dans les 10-20 ans à venir. Jean LACOMBE : A ce sujet, Monsieur Encel, pourriez vous développer sur les conséquences régionales déjà mentionnées par Monsieur Franceschi ? Frédéric ENCEL : Si l’on regarde l’histoire, on constate que, depuis la fin de l’Empire ottoman, la Turquie n’a cessé de persécuter ses minorités, et cela de façon particulièrement violente envers les Arméniens. Je crois, et peut-être à tort, que cette dynamique perdure depuis 150 ans. La Turquie, et avec elle son allié historique, l’Azerbaïdjan, continue d'agir dans cette logique d’agression. Les persécutions contre les Arméniens se sont transformées au fil des décennies, mais elles ne se sont jamais arrêtées. À cela s’ajoute l’Iran, qui, bien que déclinant, reste un acteur majeur de la région. L’Iran, contrairement à ce que l’on pourrait penser, s’oppose fermement à une domination turque dans la région. C’est un rival de l’Azerbaïdjan, mais dans cette rivalité, l'Iran parvient à préserver une certaine influence, notamment à travers sa relation avec la Russie. Il faut comprendre que la position géographique de l’Arménie, notamment le corridor du Zanguézour, joue un rôle stratégique essentiel en reliant l’Iran à la Russie. Cela permet à ces deux puissances de maintenir une forme d’influence dans la région, et cela freine, à mon sens, l’expansionnisme azerbaïdjanais. L’Arménie, cette petite nation, se trouve donc dans une position extrêmement stratégique. C’est un État de passage, une clé de voûte géopolitique qui facilite les échanges entre la Russie et l’Iran. Et si l’on regarde les choses de près, on comprend bien que l’Arménie, malgré sa situation difficile, a encore des cartes à jouer. Parlons maintenant des États-Unis. Ce pays, sous la présidence de Donald Trump, est une grande inconnue. L’imprévisibilité de son président fait qu’il est impossible de savoir dans quelle direction il va aller. Bien que je doute qu’il s’engage militairement pour défendre l’Arménie, il n’est pas totalement impossible que, par une étrange logique de circonstances, l’Arménie puisse recevoir un soutien américain. Mais là encore, tout cela reste hautement incertain. Eh bien, l’Europe, dans sa configuration actuelle, est une puissance essentiellement économique. Il n'y a pas de politique de défense commune, et cela limite énormément son influence stratégique et militaire. Mais je pense qu’il y a une petite chance que les choses changent. Si l’Europe se réorganise et commence à prendre la question de sa puissance politique et stratégique à bras-le-corps, alors cela pourrait avoir un impact important dans cette région. Une Europe qui s’affirmerait en tant que puissance militaire, ce serait un vrai tournant pour la région, et cela pourrait bien changer les rapports de force en faveur de l’Arménie. Enfin, la France joue un rôle non négligeable. Ces derniers mois, des accords ont été signés entre la France et l’Arménie, notamment des accords militaires. Bien sûr, rien n’est encore joué, et la situation reste fragile. Mais ces accords marquent un soutien de plus en plus visible à l’Arménie, et je pense que cela pourrait avoir des conséquences stratégiques importantes. La cause arménienne, elle, ne date pas d’hier. Elle existe depuis des siècles. Et dans toute crise, celui qui l’emporte à la fin, c’est celui qui est le plus résilient, celui qui a la capacité d’endurer. C’est là que l’Arménie, malgré toutes les adversités, pourrait bien finir par l’emporter. Jean LACOMBE : Monsieur Franceschi, pourriez vous nous parler davantage du rôle de la France dans le conflit ? Patrice FRANCESCHI : Tout à l'heure, j’ai eu l’occasion de discuter avec la commission militaire. C’est maintenant qu’il faut agir, car la situation devient critique. L’Europe, dans son ensemble, manque de personnel militaire. Les marins manquent, les bateaux sont inutilisables, et l’armée souffre d’un énorme manque de moyens. On vit dans une Europe qui ne veut pas se battre, qui est endormie. Ce n’est pas l’Arménie, ce n’est pas le Haut-Karabakh, mais c’est la réalité. On peut mettre des milliards, mais ça ne résout rien à court terme. Les attaques politiques sont inévitables. Les armées de l’Iran sont en faiblesse, mais ce qui se passe au Karabakh est une leçon. La situation est ouverte et dangereuse. En France, on se débat avec des politiques qui ne changent rien. Les "17 articles" de paix sont des illusions, rien ne bouge réellement. J’ai passé des mois dans les tranchées en Arménie, et l’écart avec l’ennemi est énorme. Les Arméniens se battent avec des moyens dérisoires, mais leur moral est exceptionnel. Mais tout est une question de politique du fait accompli. La Turquie attaque, et que fera-t-on ? Rien, à part des protestations. Le problème, c’est que la politique française et européenne ne prend pas au sérieux cette situation de guerre imminente. La défense de l’Arménie n’est pas assurée, et il est grand temps de prendre des mesures concrètes avant qu’il ne soit trop tard. Retrouvez l'intégralité de la captation vidéo ici : https://youtu.be/3bp-NN4rD8o

27/03 : Lancement de l’antenne de Nice

par L'antenne de Nice le 14 avril 2025
Le 27 mars 2025, l’antenne niçoise du Laboratoire de la République a été officiellement lancée lors d’une soirée accueillie au Centre Universitaire Méditerranéen. Un lieu symbolique pour une étape importante : l’ancrage local d’une dynamique nationale initiée en 2021, ouverte à toutes les forces vives du territoire.
Plus de 150 personnes ont répondu présentes à cet événement : des citoyens engagés, des jeunes, des enseignants, des élus, des acteurs associatifs, mais aussi quelques représentants du monde économique. Ce large rassemblement témoigne de l’attente, du besoin, et de la volonté de s’impliquer concrètement pour faire vivre la République, ici et maintenant. Une initiative née au cœur des défis contemporains Créé en 2021 par Jean-Michel Blanquer, le Laboratoire de la République se donne pour mission de défendre les principes républicains face aux tensions identitaires, à la montée des extrêmes et au recul du débat démocratique. Son action repose sur trois piliers : transmettre, agir, expérimenter. Avec le lancement de l’antenne niçoise, c’est une nouvelle page qui s’ouvre, fondée sur la co-construction et la participation. Il s’agit d’ancrer la République dans la réalité locale, en s’appuyant sur les énergies du territoire notamment celles de la jeunesse et du monde économique. Une soirée d’engagement et de prise de conscience Les interventions croisées de Jean-Michel Blanquer et de Christian Estrosi, maire de Nice et président de la Métropole, ont donné le ton. Ensemble, ils ont souligné l’urgence de se mobiliser pour réaffirmer les valeurs universalistes des Lumières et redonner corps à un idéal républicain commun. Jean-Michel Blanquer a mis en garde contre la fragmentation du débat public et les menaces qui pèsent sur l’unité républicaine. Christian Estrosi a rappelé que la République ne se décrète pas : elle se vit au quotidien, dans les écoles, les associations, les institutions, et à travers chaque engagement civique. La Fresque de la République : un outil concret pour les jeunes À l’occasion de ce lancement, les missions locales du département ont découvert la Fresque de la République, premier outil pédagogique développé par le Laboratoire. Il s’agit d’un support innovant, interactif et accessible, conçu pour permettre aux jeunes de s’approprier les valeurs républicaines de manière participative.La fresque favorise le débat, l’expérimentation et l’intelligence collective. Elle incarne l’approche du Laboratoire : faire vivre la République non par l’abstraction, mais par l’expérience et l’échange. Le monde économique invité à s’impliquer La présence des représentants du monde économiques local (UPE, CCI) a permis d’amorcer des discussions prometteuses afin de créer des liens avec le monde de la jeunesse.  Le Laboratoire souhaite associer pleinement les entreprises et les réseaux professionnels à la dynamique républicaine : inclusion, responsabilité sociétale, éthique, formation civique… autant de sujets sur lesquels leur rôle est central. Une antenne à construire ensemble Ce lancement est avant tout un point de départ. L’antenne niçoise du Laboratoire de la République est un espace à imaginer collectivement, ouvert à toutes les contributions. Chacun, selon son parcours et ses convictions républicaines peut y trouver sa place. Le Laboratoire est une plateforme vivante, ouverte à celles et ceux qui veulent s’engager pour une République concrète, inclusive, et tournée vers l’avenir. La jeunesse, moteur de la République vivante Si la République est un héritage, elle est surtout une promesse à tenir et à renouveler. Et cette promesse ne peut être portée sans l’engagement des jeunes générations. Le lancement de l’antenne niçoise a donné une place centrale à cette conviction : la République ne se transmet pas uniquement par des discours, elle se vit, se questionne et se transforme par celles et ceux qui s’en emparent. Lycéens, étudiants, jeunes en formation, en service civique, en recherche d’emploi, militants associatifs ou citoyens en devenir : vous êtes au cœur des enjeux républicains. Vous êtes confrontés aux défis contemporains — inégalités, discriminations, crises démocratiques, écologiques ou sociales — et vous êtes aussi porteurs de réponses, d’élans, d’innovations. Le Laboratoire de la République vous appelle non pas à adhérer à un dogme, mais à prendre part à une aventure collective, ouverte, exigeante. Ici, vous avez la possibilité d’imaginer des outils d’éducation citoyenne, de créer des événements, de faire entendre vos voix dans les débats, de tisser des ponts entre générations, entre quartiers, entre mondes parfois trop cloisonnés. Rejoindre l’antenne du Laboratoire, c’est accéder à un espace d’expression, de construction et d’action. C’est aussi faire l’expérience concrète d’une République qui écoute, qui soutient, qui grandit avec ceux qui la font vivre. À Nice comme ailleurs, la jeunesse n’est pas la République de demain : elle en est déjà la force active, le souffle critique, l’espoir engagé. À vous maintenant de la faire vibrer, de la porter haut, de la transmettre à votre tour. https://www.youtube.com/watch?v=ut2NQlbTZ-I

Compte-rendu antenne Orléans : « Les Énergies du Futur »

par L'antenne du Loiret le 11 avril 2025
Mercredi 3 avril, l’antenne d’Orléans a eu le plaisir d’organiser une conférence autour du thème des énergies du futur, en présence de deux intervenantes de haut niveau : Annick Noble, directrice régionale de Total Énergie pour le Centre-Val de Loire, et Christine Rousselle, professeure à Polytech Orléans et spécialiste des questions liées à l’hydrogène.
Les échanges ont débuté par un constat lucide sur la situation énergétique mondiale. Aujourd’hui, 4,5 milliards d’êtres humains n’atteignent pas le niveau minimal de consommation énergétique estimé à 70 GJ par habitant, tandis que certains pays dépassent les 240 GJ/hab. D’ici 2050, la demande énergétique sera multipliée par quatre, la demande d’électricité croissant au même rythme que le PIB mondial. Si la croissance des énergies renouvelables s’est accélérée depuis 2015, 74 % de la production mondiale d’électricité repose encore sur le charbon ou le gaz naturel. Le transport constitue le deuxième poste d’émission de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, plusieurs technologies déjà matures permettent de réduire les émissions : remplacer le charbon par du gaz et des renouvelables pourrait éviter jusqu’à 8 milliards de tonnes de CO₂, et l’électrification du transport routier jusqu’à 6 milliards. Toutefois, les scénarios prospectifs (Trends, Momentum, Rupture) montrent que seule une véritable rupture permettrait de rester sous le seuil de +2°C, alors que le scénario actuel (« Trends ») conduit à une hausse de +2,7°C. La conférence a permis de discuter des leviers techniques nécessaires : électrification, décarbonation du réseau, mobilité durable, biogaz, circularité des plastiques, ou encore CCS (Carbon Capture and Storage). Mme Rousselle a mis en garde contre une vision idéalisée de la transition énergétique, qui génère paradoxalement du CO₂ (fabrication d’éoliennes, infrastructures) et dépend d’investissements lourds. Elle a également souligné les difficultés structurelles : inertie des systèmes, acceptabilité sociale limitée (rejets locaux d’éoliennes ou de champs photovoltaïques), retards d’infrastructures et manque d’investissement privé. La transition électrique de la France est estimée à 80 milliards d’euros par an, soit environ 1200 € par habitant. À cela s’ajoute le besoin d’environ 150 réacteurs nucléaires, avec un délai moyen de 10 ans pour leur construction. Le débat a mis en lumière la complexité du développement de l’hydrogène : aujourd’hui, la France en consomme 1 million de tonnes par an à usage industriel, mais l’hydrogène vert reste marginal. Plusieurs types existent : •⁠  ⁠Gris / Noir : issu des énergies fossiles ; •⁠  ⁠Bleu : identique mais avec captation du CO₂ ; •⁠  ⁠Vert : produit via électrolyse de l’eau ; •⁠  ⁠Orange, Jaune, Blanc : selon l’origine (nucléaire, catalyseurs, sources naturelles souterraines). Toutefois, l’hydrogène est explosif, coûteux, difficile à stocker, et ne peut être généralisé sans coordination de la demande. D’autres options comme l’ammoniac, liquide mais toxique, sont aussi à l’étude. Enfin, les intervenantes ont insisté sur la nécessité d’un mix énergétique adapté à chaque territoire. Il n’existe pas de solution unique : la Norvège a presque entièrement électrifié ses transports, quand Singapour dépend de l’électricité importée de Malaisie. Les camions longue distance pourraient fonctionner à l’hydrogène (malgré un coût 6x supérieur), ceux de courte distance à l’électricité, tandis que l’aviation reste le secteur le plus difficile à décarboner, malgré les biocarburants. À l’échelle européenne, bien que l’UE ne représente que 8 % des émissions mondiales, son rôle normatif reste essentiel. Mais sans pérennité des politiques publiques ni connaissance fine des enjeux par les décideurs, les efforts restent limités. Le nucléaire, bien qu’en croissance (avec 450 centrales dans le monde, dont 60 en construction), ne peut à lui seul porter la transition. Les deux intervenantes ont conclu en soulignant que cette transition nécessite des choix politiques stables, un engagement collectif et un changement de mentalité. Il ne s’agit plus de savoir si nous devons agir, mais comment le faire, avec réalisme, ambition et justice.

Sciences Po Paris : « La protection de l’enfant face aux violences intrafamiliales »

le 7 avril 2025
Le 24 mars 2025, l’antenne de Sciences Po Paris du Laboratoire de la République a tenu sa première conférence modérée par Jean Lacombe. Julie Klein, agrégée et docteure en droit privé et professeure à Sciences Po accompagnée de Steffy Alexandrian, présidente de l’association Carl, ont échangé sur la question de la protection de l’enfant face aux violences intrafamiliales.
Les violences intrafamiliales désignent, selon Julie Klein, une forme de maltraitance, qu’elle soit physique (brûlures, abus sexuels...), psychologique (punitions) ou économique, exercée au sein de la cellule familiale. Or, ces violences ont, pour Steffi Alexandrian, des conséquences qui doivent être mesurées au moment où elles sont commises. En effet, la cellule familiale est un repère de confiance pour les enfants, qui ne se rendent pas compte de suite que les situations vécues sont anormales. Julie Klein, a tenu à rappeler que le cadre judiciaire des violences intrafamiliales avait évolué. De ce fait, si le Code civil de 1804 autorise un père à faire emprisonner son enfant, une loi de 1991 abroge la légalité de cette violence. De même, l’inceste est définit dans le Code Pénal comme une relation sexuelle entre un mineur et un membre de sa famille (relation de parenté ou d’autorité). La peine encourue peut aller jusqu'à vingt ans de réclusion criminelle (dix ans d’emprisonnement s’il s’agit d’une agression sans pénétration). Cela met en lumière le progrès de la législation concernant ces violences. Nonobstant, les progrès législatifs demeurent plutôt récents et certaines pratiques pouvant être qualifiées d’incestueuses sont ancrées dans les mœurs. Steffy Alexandrian relève que si embrasser son enfant sur la bouche est relativement admis, l’acte peut être vu comme une violence. De même, selon une étude publiée par l’IFOP en 2022, 79% des parents sont auteurs de violences éducatives ordinaires; alors que la loi « anti fessée » de 2019 interdit les pratiques punitives. Elle a pour objectif de rappeler aux parents qu’ils peuvent éduquer leurs enfants sans les frapper ou les humilier. Mmes Klein et Alexandrian portent néanmoins un regard critique sur cette loi puisque celle-ci incrimine sans réprimer : il n’y a pas de sanctions véritables pour les parents exerçant ce type de violence. Ainsi, la question des violences éducatives ordinaires témoigne des difficultés du lien entre le droit et la sociologie, alors qu’ils devraient être ramenés sur le même plan, pour défendre un modèle d’éducation plus bienveillant. Quelles procédures pour sortir de ces violences faites aux enfants ? En cas de violence intrafamiliale révélée ou suspectée, il peut y avoir saisie de la justice pénale ; souvent a posteriori, et/ou des signalements par des alertes sur les réseaux sociaux. Des déclarations, de la part des systèmes médicaux ou scolaires peuvent faire intervenir la justice et les travailleurs sociaux, qui prennent des mesures sur les plans pénal et civil. Un reproche récurrent est fait au gouvernement : le manque de statistiques (14% des filles et 10% des garçons signalés comme ayant subi des violences psychologiques, 160 000 enfants par an concernant les violences sexuelles, les enfants en situation de handicap ont trois fois plus de risque d’être victimes de violences sexuelles, à l’échelle nationale un enfant est tué tous les cinq jours.) Sur 1000 français, 24% se sont dit avoir été victimes de maltraitance grave pendant leur enfance et sur les enfants exposés aux violences conjugales, 98% des enfants sont victimes indirectes pour 37% de victimes directes. Enfin, 51 754 mineurs sont victimes de violences physiques. Un mouvement est cependant observable : la société a envie de s’intéresser à ce sujet, de se former ; le principal problème étant de donner les moyens aux acteurs désireux de changements. Il existe un problème de moyens pour la justice : notamment un manque de magistrats dédiés à ces questions. Il faut noter aussi un manque de temps, de formation et des principes qui se confrontent (parole de l’enfant, présomption d’innocence). Le risque majeur demeure l’erreur judiciaire grave. La parole de l’enfant peut être instrumentalisée dans le cadre d’une séparation difficile. La question du retrait de l’autorité parentale est une question très discutée dans l’actualité juridique. Tout l’enjeu pour la défense étant de montrer que dans le cadre de violences intrafamiliales, les parents ne sont plus en mesure de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant. La question d’une suspension de l’autorité parentale se pose alors, un droit-fonction selon Steffi Alexandrian avec comme contrepoids l’intérêt même de l’enfant. Le cas de l’affaire Marina a beaucoup fait réfléchir les autorités juridiques quant à la nécessité de motiver cette suspension d’autorité : il faut des indices graves montrant que l’intérêt de l’enfant a été mis en danger. En dernier lieu, Julie Klein revenait sur le point de la prescription dans les affaires des violences sur des mineurs, qui perdure souvent dans le temps. La prescription a augmenté le 3 août 2018 — la victime de violences peut maintenant porter plainte jusqu'à 48 ans sans que les conditions ne changent. De même, le 21 avril 2021, l’option de prescription glissante permet de concevoir que même si l’auteur agit sur des victimes différentes, on utilisera automatiquement la prescription de la dernière victime pour l’ensemble. Comment améliorer la protection des enfants ? Nos deux intervenantes défendent la nécessité d’impliquer plus de moyens : matériels et humains. Elles s’entendent sur la possibilité de la prescription glissante, l’augmentation des moyens pour les magistrats et les travailleurs sociaux, l’augmentation de la prévention. D'après les intervenantes, on possède en France un arsenal légal perfectible mais plutôt satisfaisant, et il faut laisser du temps pour que la loi puisse « faire ses preuves » — changer de manière régulière est contre-productif. Il est essentiel que l’on instruise davantage la réflexion et les travaux sur le sujet : la théorie apporte toujours beaucoup d’éléments à la pratique et leur union ne peut que renforcer l’efficacité du système. Les deux intervenantes ajoutent, au sujet de l’impossibilité de supprimer les délais de prescription, qu'un risque de ne plus pouvoir réunir les preuves nécessaires à une condamnation des décennies après les faits est très présent, et pourrait constituer un obstacle sur la route des victimes cherchant à tourner la page. Voir la captation : https://www.youtube.com/watch?v=KBRUu-PwSeQ

L’école, vectrice d’union et d’inclusion au sein de la République : retour sur la conférence de Jean-Michel Blanquer à Lyon

par L'antenne de Lyon le 3 avril 2025
Le 2 avril, l’Université Lyon 3, en partenariat avec l’association étudiante Le Vide Juridique, a accueilli Jean-Michel Blanquer à la MILC pour une conférence. Cet événement a été l’occasion d’un échange approfondi sur des sujets fondamentaux tels que la laïcité dans les établissements scolaires, le niveau scolaire des élèves, l’inclusion par l’éducation et les enjeux écologiques. Monsieur Blanquer a notamment abordé l’impact de la crise du Covid et du confinement sur les élèves, ainsi que les mesures mises en place sous son impulsion au sein de l’Éducation nationale, comme la création des éco-délégués et le dédoublement des classes. Il a également évoqué des thématiques majeures qui interrogent aujourd’hui notre système scolaire : le respect de la laïcité, la liberté d’expression, la lutte contre les communautarismes et la montée de l’extrême droite.
Une conférence au croisement des enjeux sociétaux Cette conférence a permis d’analyser l’évolution du principe de laïcité dans la société et plus spécifiquement au sein des établissements scolaires, en soulignant les tensions qui existent et la nécessité de continuer à promouvoir ce pilier de notre pacte républicain. Un accent particulier a été mis sur les enjeux écologiques et leur intégration croissante dans le débat éducatif. Un échange enrichissant avec les étudiants Après une discussion animée entre les intervenants, la conférence s’est clôturée par un moment d’échange avec les étudiants. Ces derniers ont pu poser leurs questions et partager leurs réflexions, permettant ainsi de saisir les défis et préoccupations auxquels les jeunes générations sont confrontées. Cet événement a confirmé le rôle essentiel de l’école dans la transmission des valeurs républicaines et a souligné l’importance du dialogue apaisé entre tous les acteurs du monde éducations, du décideur à l’étudiant pour relever les défis de demain. Instagram de l'antenne de Lyon

Retour sur la table ronde « Sport et neutralité »

le 2 avril 2025 table ronde neutralité
Le 20 mars dernier, la commission "République Laïque" du Laboratoire, animée par Michel Lalande, organisait un grand évènement autour du sport et de la neutralité à la maison de l'Amérique Latine. Retrouvez en vidéo l'intégralité de cette conférence.
Alors que la proposition de loi du sénateur LR de l'Isère Michel Savin visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport a été adoptée en première lecture au Sénat, le 18 février dernier, le débat public a très vite glissé vers la seule question du port du voile, devenant ainsi aussi binaire que contreproductif. Le Laboratoire a souhaité à travers cette table-ronde apporter une voix de raison, montrant que le respect de la neutralité dans le sport est un enjeu qui dépasse largement la seule question du voile, instrumentalisée tant par l'extrême gauche au nom d'un concept dévoyé de liberté, que par l'extrême-droite qui y voit une opportunité de flatter les plus bas instincts populistes. Ce débat est fondamentalement faussé par une mauvaise compréhension du sujet en général, et de l'architecture du sport français en particulier. Chose qu'a démontré de manière limpide Médéric Chapitaux, sociologue spécialiste de la radicalisation dans le sport. La discussion a ensuite laissé la part belle aux témoignages de terrain : Quentin Fouquereau, journaliste infiltré dans un club de Ju-Jitsu brésilien, et Elisabeth Alonso, référente laïcité de la Fédération de Boxe ont pu fournir des éclairages précieux, nourris par une pratique régulière du terrain. Frédéric Thiriez, ancien président de la FFF a ensuite rappelé que ce n’était pas le principe de laïcité qui justifiait l’interdiction des signes politiques, religieux, syndicaux ou philosophiques sur le terrain de sport mais bien les valeurs universelles et fondamentales du sport telles qu’elles sont écrites dans la Charte olympique, qui interdit toute discrimination et qui pose le principe de l‘égalité absolue entre les hommes et les femmes. Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, a insisté sur cette idée que la "laïcité à la française" était contreproductive dans le domaine du sport. La France doit appliquer qu'appliquer strictement les valeurs pronées par la Charte Olympique, avant qu'elle ne soit mise sous pression par l'Iran qui a crée des exigences discriminatoires, et tordu l'idéal féministe. Enfin, Iannis Roder, enseignant d'histoire-géographie en Seine Saint-Denis et membre du conseil des sages de la laïcité, est revenu sur le concept d'évitement en milieu scolaire. Richard Senghor, haut fonctionnaire, a lui souligné que la notion de laïcité ne suffisait pas à répondre à tous les problèmes, et que la République disposait de nombreux outils, notamment juridiques, dont il fallait se servir. Il a aussi rappelé qu'il fallait relativiser le sujet : les clubs de sport qui posent problème restent largement minoritaires, et dans la plupart des cas, le problème réussi à être jugulé de manière satisfaisante. Retrouvez la vidéo en intégralité. https://www.youtube.com/watch?v=01ibvBjhLV8

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