Transplant to Armenia : une révolution médicale et humaine dans l’ombre d’un contexte géopolitique fragile

par David Smadja le 3 novembre 2025 David Smadja
Au cœur d’une région en pleine recomposition, la médecine devient un moteur de transformation et d’espoir. En Arménie, le développement des soins hématologiques et de la transplantation ne symbolise pas seulement un progrès scientifique : il incarne la volonté d’un pays de bâtir un système de santé résilient, ouvert sur le monde, et de faire de la coopération médicale un levier de stabilité et de renaissance nationale. David Smadja est professeur d’hématologie à l’Université Paris Cité, praticien hospitalier à l’hôpital européen Georges Pompidou et responsable de la commission Santé du Laboratoire de la République.
À l’occasion de la première Journée Franco-Arménienne d’Hématologie, organisée dans le cadre de la Conférence Médicale Arméno-Française, médecins, chercheurs et acteurs de santé publique se sont rassemblés pour saluer l’impact historique de l’association Transplant to Armenia, fondée par le Dr Gérard Hovakimian, ardent défenseur de la coopération médicale entre l’Arménie et la France et marquer le début d’une collaboration hospitalière et universitaire entre la France et l’Arménie. La première Journée Franco-Arménienne d’Hématologie, qui s’est tenue le samedi 4 octobre 2025 à Erevan, s’inscrit dans un moment historique profondément marqué par des enjeux à la fois médicaux, géopolitiques et humains. Ce symposium n’était pas seulement un événement scientifique ; il fut aussi le reflet d’un contexte régional bouleversé et porteur d’espoir. Quelques semaines avant cette rencontre, un accord de paix a été signé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mettant officiellement un terme à plusieurs années de conflit autour de la région du Haut-Karabagh. Si cette signature représente une avancée diplomatique majeure, elle ne dissipe pas les conséquences profondes de la guerre. L’Arménie fait aujourd’hui face à un afflux massif de réfugiés, des familles déracinées, traumatisées, souvent en grande détresse physique et psychologique. Parmi ces déplacés, nombreux sont ceux qui nécessitent des traitements lourds, notamment dans le domaine de l’oncohématologie. Le cancer du sang, les syndromes myélodysplasiques et autres pathologies hématologiques exigent des soins spécialisés, coûteux et complexes, qui ne sont pas encore disponibles à large échelle en Arménie. Face à cette crise humanitaire silencieuse, l’association Transplant to Armenia a décidé d’élargir son champ d’action. Initialement centrée sur la mise en place d’un centre de greffe de cellules souches hématopoïétiques, l’organisation mobilise désormais ses ressources pour toutes les facettes de l’hématologie et pas uniquement la greffe mais elle vient aussi en aide aux réfugiés. Elle le fait en collaboration étroite avec des ONG locales, des partenaires médicaux internationaux et des membres de la diaspora. La tenue de cette première journée d’hématologie à Erevan, dans un tel climat, témoigne de la volonté collective de faire de la médecine un instrument de résilience, de reconstruction et de paix. C’est une étape symbolique et concrète dans la transformation du système de santé arménien, et un appel à la solidarité médicale internationale. « La santé est un droit fondamental. Si nous voulons un avenir stable pour la région, cela passe aussi par la santé. » — Dr Gérard Hovakimian Aux origines du projet : l’idée de créer un centre de greffe de cellules souches hématopoïétiques en Arménie a émergé en mars 2014, à Milan, lors du 40e Congrès de l’EBMT (European Society for Blood and Marrow Transplantation). Constatant le nombre croissant de patients arméniens venant se faire greffer en France, le Professeur Mohamad Mohty et plusieurs hématologues français de renom, dont le Pr Ibrahim Yakoub-Agha, ont spontanément proposé leur soutien. « L’Arménie ne disposait pas alors de cette thérapie vitale. Les patients devaient se rendre à Paris, Moscou, Téhéran ou Delhi. Ce n’était pas acceptable. » — Dr Gérard Hovakimian Depuis 2014, Transplant to Armenia a transformé un rêve en réalité : Formation intensive des hématologues arméniens dans les centres européens de référence Première autogreffe réussie le 10 avril 2017 sur un patient de 50 ans atteint d’un myélome multiple Plusieurs greffes réussies depuis, ouvrant la voie à une autonomie médicale arménienne Lors de la session d’ouverture du 4 octobre 2025 à Erevan, de nombreux spécialistes en hématologie français et arménien ont partagé la scène. Le ton était à l’espoir et à la coopération renforcée, mais aussi à la reconnaissance d’une avancée thérapeutique majeure en Arménie, permise par la synergie entre professionnels de santé, institutions et diaspora. Aujourd’hui, l’association Transplant to Armenia est plus qu’un projet médical. C’est un mouvement humanitaire, scientifique et diplomatique, qui place la médecine au service de la paix. Parmi les principales conclusions de cette première journée franco-arménienne d’hématologie, la volonté affirmée de structurer une coopération clinique bilatérale a occupé une place centrale. Celle-ci s’organise autour de trois domaines majeurs : la greffe de moelle osseuse, l’ensemble des pathologies malignes hématologiques – incluant les myélomes, leucémies, lymphomes et la myélofibrose – ainsi que l’hémostase et la prise en charge des complications thromboemboliques associées à ces maladies. Les discussions ont également permis de définir plusieurs axes prioritaires pour le système de santé arménien. L’un des enjeux essentiels demeure l’amélioration de l’accès aux traitements innovants, notamment les cellules CAR-T, les thérapies ciblées, et les greffes de cellules souches. Le déploiement de programmes de prise en charge standardisée pour les hémopathies malignes représente également un objectif majeur, afin de garantir une meilleure équité dans l’accès aux soins. En parallèle, le renforcement des capacités locales dans le domaine de l’anticoagulation et dans la prévention ainsi que la gestion des complications thromboemboliques est apparu comme un besoin urgent, en particulier dans un contexte de transformation rapide du paysage médical arménien. Un troisième pilier de cette collaboration repose sur un projet structurant de formation médicale. Celui-ci prévoit l’accueil de médecins arméniens au sein de centres universitaires français pour des formations spécialisées. Cette dynamique de transfert de compétences comprendra aussi l’intégration de ces professionnels dans des équipes de recherche, avec la possibilité de réaliser des stages de Master 2, voire des thèses de doctorat. Leur participation à l’activité clinique quotidienne des services hospitalo-universitaires partenaires permettra enfin un enrichissement mutuel, consolidant une expertise partagée au service des patients arméniens. En conclusion, le projet Transplant to Armenia avec de nombreux experts engagés, incarne ce que la médecine peut accomplir quand elle s’appuie sur la solidarité, l’excellence et la vision humaniste. En Arménie, elle a transformé des vies. Elle peut désormais changer l’avenir.

Productivité, emploi, jeunesse : l’IA face à l’épreuve du réel

par Thierry Taboy le 31 octobre 2025 Thierry Taboy LAB
L’intelligence artificielle ne détruit pas l’emploi, elle le réinvente. En transformant les tâches et en libérant du temps, elle promet des gains de productivité tout en révélant une nouvelle fracture entre savoir automatisé et intelligence humaine. Alors que la majorité des projets d’IA échouent faute d’une approche réfléchie, la clé réside désormais dans la formation et le dialogue avec la technologie. L’avenir du travail appartiendra à ceux qui sauront donner du sens à ces outils, car l’IA ne sera éthique que si nous la rendons telle.
L’intelligence artificielle redistribue silencieusement les cartes du travail. Pas en supprimant des métiers, mais en redessinant les tâches qui les composent.La productivité augmente sous conditions, les marges suivent et s’élargissent, mais la question essentielle demeure : à quoi servira le temps libéré ? Les études convergent : les entreprises qui adoptent l’IA avec une gouvernance adaptée enregistrent une croissance supérieure de 6 % de l’emploi et de 9,5 % des ventes. Mais 95 % des projets échouent encore faute d’usage maîtrisé. La technologie est prête. Ce sont les humains qui ne le sont pas. Derrière les courbes de performance, un paradoxe : les emplois les plus exposés à l’automatisation ne sont plus ceux de l’industrie, mais ceux de l’information — comptables, développeurs, analystes. Et ce sont surtout les jeunes diplômés qui en subissent le choc. Les 22-25 ans dans ces métiers ont vu leur emploi chuter de 13 % depuis 2022. Pourquoi ? Parce que l’IA imite bien la connaissance codifiée, celle qu’on enseigne à l’école. Mais elle n’imite pas encore l’intelligence vivante : le discernement, la créativité, la capacité à relier les faits à leur contexte humain. Or cette fracture cognitive pourrait devenir le nouveau fossé social. Si nous laissons l’IA décider sans comprendre, nous remplaçons la pensée par la procédure. C’est là que se joue le véritable enjeu : non pas une guerre entre l’homme et la machine, mais une discipline d’usage, une hygiène de l’intelligence artificielle. Avec un triangle d’or : Acculturation, pour comprendre les algorithmes et leurs biais économiques ; Dialogue éclairé, pour savoir interroger l’IA sans s’y soumettre ; Mise à jour permanente, pour que le temps gagné serve à apprendre se confronter à l'autre dans ses différences, se cultiver , pas à s’endormir. Mais cette hygiène suppose aussi de repenser la formation des jeunes. L’école et l’université doivent enseigner moins la maîtrise d’outils que la capacité à incarner l’humain dans le management. Cela passe par le développement de l’écoute, de la coopération et de la réflexivité : des qualités qu’aucun algorithme ne remplacera. Le futur du travail n’appartiendra pas à ceux qui savent exécuter, mais à ceux qui savent faire grandir les autres. Le leadership de demain sera horizontal : un leader qui relie, anime des collectifs hétérogènes, croise les savoirs et fait circuler l’intelligence au lieu de la concentrer. Cette posture n’est pas un renoncement à l’autorité : c’est sa transformation en influence partagée. L’IA ne sera ni responsable, ni fiable, ni digne de confiance sans cette hygiène collective. Elle ne sauvera ni la planète ni l’emploi si nous n’investissons pas d’abord dans la conscience critique de ceux qui la manient. Jensen Huang, PDG de NVIDIA, le dit sans détour : « les électriciens et les plombiers seront les grands gagnants de la révolution IA ». Parce qu’ils construisent l’infrastructure du futur. Mais la vraie infrastructure reste humaine : notre capacité à penser ce que nous faisons. Productivité, emploi, jeunesse : l’équation ne se résoudra pas par la technologie seule, mais par l’éducation du regard. L’éthique ne viendra pas de la machine — elle viendra de notre façon de rester humains en l’utilisant.

Philippe Aghion, prix Nobel d’économie 2025 !

par L'équipe du Lab' le 13 octobre 2025
Le Laboratoire de la République adresse ses plus chaleureuses félicitations à Philippe Aghion, lauréat du prix Nobel d’économie 2025 !
Créé en 1969 par la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en l’honneur d’Alfred Nobel, plus connu sous le nom de prix Nobel d’économie, récompense chaque année des chercheurs dont les travaux ont profondément renouvelé la compréhension des mécanismes économiques. Décerné par l’Académie royale des sciences de Suède, il distingue des contributions majeures à la recherche sur la croissance, les marchés, les inégalités ou encore les politiques publiques. Au fil des décennies, le prix Nobel d’économie a salué des figures qui ont transformé la pensée économique mondiale. Cette année, le prix Nobel revient à l'économiste français Philippe Aghion pour ses travaux pionniers sur la « théorie de la croissance soutenue par la destruction créatrice », développée avec Peter Howitt. Cette reconnaissance internationale souligne l'importance de ses recherches pour comprendre les dynamiques économiques actuelles. Le Laboratoire de la République adresse ses plus chaleureuses félicitations à Philippe Aghion. Le 29 août 2025, lors de la deuxième Université d'été du Laboratoire, il a partagé ses réflexions sur la situation économique en France et en Europe, avant de participer à notre table ronde consacrée au « nouveau pacte économique pour la France ».Retrouvez son discours en intégralité : https://www.youtube.com/watch?v=Bhw7XE8FFno

L’Afrique, victime du climat, mais actrice de la solution : vers une diplomatie énergétique souveraine

par Cassandra Arribas le 22 septembre 2025 aRTICLE_Lab_Marus
Au cours de son séjour en Chine, Cassandra Arribas, référente de l’antenne Panthéon-Assas du Laboratoire de la République, a eu l’opportunité de rencontrer Marus Gbomagba, juriste engagé dans la cause climatique et auteur du traité AU-China Equitable Transition Treaty (ACETT). À travers cet échange, elle nous livre un éclairage sur les paradoxes de la transition énergétique africaine, entre dépendance persistante et immense potentiel, et sur la manière dont le droit peut devenir un outil de souveraineté et de justice climatique.
L’Afrique incarne l’une des contradictions les plus brutales de l’ère climatique : responsable de moins de 4 % des émissions mondiales de CO₂, elle subit pourtant de plein fouet les impacts du dérèglement, sécheresses, inondations, crises alimentaires. Et pourtant, le continent recèle un potentiel énergétique exceptionnel : solaire, éolien, hydroélectricité, capable non seulement de répondre à ses besoins croissants, mais aussi de contribuer à la décarbonation mondiale. Le paradoxe est criant : plus de 600 millions d’Africains demeurent privés d’accès à l’électricité. Face à ce dilemme, la coopération internationale est cruciale. La Chine, devenue un investisseur majeur dans les énergies vertes, occupe une place centrale. Mais les modèles actuels, marqués par de profondes asymétries économiques, technologiques et juridiques, posent un risque majeur : celui d’une dépendance accrue qui fragilise la souveraineté énergétique africaine. C’est dans ce contexte qu’a été mené l’entretien dont est issu le présent article. Tous les propos rapportés ici émanent directement de Marus Gbomagba, juriste visionnaire et architecte du traité AU-China Equitable Transition Treaty (ACETT), qui propose une révolution silencieuse mais décisive : faire du droit le levier d’une coopération énergétique fondée sur la justice climatique et l’autonomie africaine. Docteur en droit de l’environnement, formé à l’Université de Wuhan, il a consacré sa thèse à une question centrale pour l’avenir du continent : comment transformer la coopération sino-africaine en un moteur de résilience, de souveraineté et de prospérité durable. À travers l’ACETT, il esquisse un cadre inédit, pensé comme une feuille de route pour une coopération Sud-Sud plus transparente, équitable et véritablement bénéfique aux populations. Une vision ambitieuse où la transition énergétique s’inscrit au cœur d’un projet politique et civilisationnel pour l’Afrique. Entretien_Marus_Gbomagba_Cassandra_Arribas_VFTélécharger

Taxe Zucman : justice fiscale ou frein économique ?

par Carmen Beaussier le 19 septembre 2025
En ciblant les 0,01 % les plus fortunés, la taxe Zucman entend réduire les inégalités fiscales et renforcer le financement public. Mais son application soulève des interrogations sur ses effets économiques et son efficacité réelle.
Depuis plusieurs mois, la taxe Zucman suscite le débat aussi bien dans l’hémicycle que dans les médias. Adoptée en février dernier puis rejetée par le Sénat en juin, cette proposition de loi interroge autant qu’elle divise.  Les origines de la taxe Zucman  Présenté par le groupe Écologiste et Social, cet impôt s’appliquerait sur la fortune des 0,01% des contribuables qui détiennent un patrimoine de plus de 100 millions d’euros. Ces derniers devraient alors s’acquitter d’un impôt équivalent à au moins 2% de leur fortune. Dans le cas où les impôts normalement dus seraient inférieurs à ce taux, les redevables devraient s’acquitter de la différence. Les travaux de l’économiste Gabriel Zucman, président de l’Observatoire fiscal de l’Union européenne, défendent que cette imposition différentielle permettrait de générer 15 à 25 milliards de recettes supplémentaires et ainsi d’augmenter le budget de l’État. Selon lui, en exprimant le taux d’imposition effectif comme une fraction du revenu et en prenant en compte l’ensemble des impôts acquittés par un contribuable, au-delà de l’impôt sur le revenu, les Français paieraient en moyenne 45% à 50% d’impôts tandis que ceux appartenant à la catégorie des « ultras-riches » ne contribueraient qu’à hauteur de 26% environ. Le rapport de l’Observatoire fiscal de l’Union européenne de 2024 démontre que les milliardaires s’acquitteraient en France d’un impôt effectif moyen presque nul. Ils paieraient environ 2% de leur revenu en impôt à titre personnel, ce qui correspond à 0,1% de leur fortune. Bien que leur patrimoine soit plus élevé, leur imposition serait nettement inférieure aux autres catégories de contribuables. La principale raison pointée par cette analyse est le recours à des montages en holdings qui les placeraient dans une « zone grise » sur le plan fiscal.  Dans un sens plus large, ce phénomène s’explique principalement par le fait que la fortune de ces individus repose sur des actifs financiers et professionnels dont la valeur, bien que croissante, n’est imposée que lorsque des gains sont réalisés, comme lors d’une vente. En ce sens, les partisans de la taxe Zucman soutiennent que ce dispositif permettrait d’affirmer le principe d’égalité devant l’impôt et de faciliter le financement des services publics.    Il convient de préciser que, selon les statistiques livrées par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), les 0,1% de foyers fiscaux redevables d’un taux marginal d’imposition de 45%, le plus élevé du barème, contribuaient à hauteur de 13,6% du montant total de l’impôt sur le revenu en 2023. Les foyers concernés par le taux marginal de 30% représentaient le principal contributeur avec 53% du montant total de l’impôt au barème progressif, pour seulement 16,7% des foyers fiscaux.  Le rapport de la DGFiP présente également que les 10% des foyers fiscaux les plus aisés se sont acquittés d’un impôt d’en moyenne 15,2% de leur revenu fiscal de référence en 2023. Leur contribution représentait alors les trois quarts des recettes d’impôt sur le revenu.  L’identification des redevables à partir d’une fortune plancher La taxe Zucman s’appliquerait à tout contribuable dont l’ensemble des actifs a une valeur supérieure à 100 millions d’euros. L’assiette de cet impôt plancher sur la fortune se basera sur la valeur nette au 1er janvier de l’année de l’ensemble des biens, droits et valeurs imposables des contribuables visés. Elle prendra également en compte l’administration légale de ces biens par leurs enfants mineurs. Les montages patrimoniaux, les contrats d’assurances-vie et les fruits qui en sont issus seront aussi pris en compte, empêchant la mise en place de stratégies d’évitement fiscal. Toutefois, il convient de préciser qu’un abattement d’un million d’euros est prévu sur la valeur de la résidence principale des redevables.  Les contribuables ayant leur domicile fiscal en France ainsi que les non-résidents possédant des biens situés en France devront s’acquitter de cet impôt dès lors qu’ils atteindront ce niveau de patrimoine. Les redevables ont été estimés à 1 800 foyers en France. Le risque d’un frein au développement   Considérée comme indispensable par une partie de la classe politique, cette mesure représente toutefois un alourdissement non négligeable de la fiscalité qui peut devenir un frein pour le développement des entreprises françaises et en particulier celui des licornes comme Mistral IA, Quonto ou encore Verkor. Cependant, une adaptation sera nécessaire pour éviter que ces entreprises bien valorisées mais difficilement lucratives sur le court terme ne soient contraintes de vendre une partie de leurs actifs voire de s’exiler fiscalement afin de poursuivre leur développement. En effet, comptabiliser les actifs professionnels dans la base de cette imposition nécessiterait l’application d’un taux bien plus faible. Bien que le texte ait été rejeté par le Sénat, la dynamique actuelle en faveur d’une taxation plus forte des grandes fortunes tend à ce que l’on retrouve une proposition similaire avec une base plus restreinte, ou une proposition alternative visant la contribution différentielle sur le patrimoine ou la taxation des holdings, dans le projet de loi de finances (PLF) 2026 qui sera présenté cet automne.   Sources : https://www.taxobservatory.eu/www-site/uploads/2023/10/global_tax_evasion_report_24.pdf   https://www.senat.fr/leg/ppl24-380.html   https://www.impots.gouv.fr/sites/default/files/media/9_statistiques/0_etudes_et_stats/0_publications/d gfip_statistiques/2025/num32_04/dgfip_stat_32_2025.pdf  

Ce que l’utilisation du concept de responsabilité dit de l’évolution de la société

par Tarik Yildiz le 16 septembre 2025
Devenue omniprésente dans le débat public, la notion de « responsabilité » se révèle aujourd’hui paradoxalement floue et diluée. Dans cette tribune, le sociologue Tarik Yildiz en analyse les racines, en souligne les parallèles avec la crise de l’« identité » et interroge le besoin de verticalité de nos sociétés.
Des débats autour du vote de confiance jusqu’aux discussions sur la formation d’un nouveau gouvernement, rarement le mot « responsabilité » aura été autant invoqué dans le débat public que ces derniers mois. Alors que les gouvernements successifs et les oppositions se reprochent mutuellement d’en manquer, que révèle la fréquence d’usage d’une notion pourtant mal définie sur notre société ? Une dilution de la responsabilité de plus en plus marquée La surutilisation du concept de responsabilité révèle moins sa clarté que sa crise et une forme de dilution. Qu’est-ce que la responsabilité à l’heure d’un partage accru de cette dernière ? Les individus sont-ils véritablement moins responsables, ressentent-ils moins l’obligation de répondre de leurs actes et d’en assumer les conséquences ? En 1968, deux psychologues sociaux de l’université de Columbia, John Darley et Bibb Latané, théorisèrent la dilution de la responsabilité à la suite d’une polémique née d’un fait divers : le 13 mars 1964, une jeune femme nommée Kitty Genovese fut sauvagement assassinée alors qu’elle rentrait chez elle à New York. Selon les journaux de l’époque, plusieurs dizaines de personnes furent témoins de l’agression, mais aucune n’intervint. Abe Rosenthal, alors rédacteur en chef du New York Times, fustigea l’indifférence et la lâcheté des habitants des grandes villes. Darley et Latané apportèrent alors une réponse en formulant et testant une hypothèse : seuls face à une situation, en état de responsabilité non partagée, nous nous sentons davantage impliqués et agissons en conséquence. Quand d’autres personnes sont présentes, la responsabilité est « diluée » et nous déléguons instinctivement la responsabilité à autrui de manière plus ou moins consciente, convaincus qu’il sera plus apte à prendre la situation en main. D’autres recherches, avec des résultats parfois contradictoires, ont été menées depuis. La logique sous-jacente semble cependant se diffuser avec vigueur dans notre société : la responsabilité est diluée, ce qui explique paradoxalement le fait que l’on fasse de plus en plus appel à elle sans que personne ne se sente totalement comptable. Outre le débat public et le monde politique, la responsabilité est évoquée de plus en plus souvent dans le monde des entreprises ou dans le secteur public et associatif, parallèlement à la volonté de « davantage concerter ». Les deux phénomènes ne sont pas étrangers : la prise de décision, la responsabilité inhérente et la prise de risque associée sont diluées par l’ère du temps exigeant de l’« horizontalité » et impliquant de nombreuses parties prenantes pour chaque arbitrage. De l’identité à la responsabilité  Le parallèle avec la généralisation de l’utilisation de la notion d’identité est troublant. Les deux concepts sont complexes et se réfèrent à des caractéristiques profondes de l’humain comme le suggérait Saint-Exupéry dans Terre des Hommes : « être homme, c’est précisément être responsable ». Tout comme l’emploi du substantif responsabilité, celui d’identité est apparu avec force il y a plus de 50 ans : une simple recherche dans les archives des journaux illustre l’utilisation tous azimuts d’un concept alors mal défini. A l’instar des procès en « irresponsabilité » beaucoup plus fréquents ces derniers mois, les expressions « crise d’identité », « identité culturelle », « recherche d’identité » fleurissent au cours des années 1970. Constatant ce phénomène, Claude Lévi-Strauss dirigea un séminaire au Collège de France en 1974 afin de définir cette notion et de décrypter ce que sa diffusion révélait : dans une société du destin social, dans laquelle chacun avait un rôle figé désigné dès la naissance et prédéterminé par les origines familiales, la question de l’identité, de savoir « qui nous sommes » se posait moins. A partir de la fin des années 1960, particulièrement dans le monde occidental, l’affirmation de la liberté individuelle rebat les cartes. L’individu est censé choisir son destin, pense faire ses choix. Ces choix multiples génèrent un questionnement plus fort et une anxiété associée qui sera évoquée par Alain Ehrenberg : comment me définir, suis-je la somme de mes choix, parfois contradictoires ? Un besoin de verticalité Que ce soit celui de l’identité ou celui de la responsabilité, l’omniprésence d’un concept dans les discours révèle certaines évolutions de la société dans laquelle nous vivons et un certain besoin de verticalité. Dans ce contexte, les idéologies les plus radicales – politiques comme religieuses – répondent à cette aspiration profonde de la société, identifiant clairement le responsable, que ce soit pour le suivre ou s’y opposer.  « La masse, comme telle, est toujours anonyme et irresponsable » écrivait Carl Gustav Jung dans L'Homme à la découverte de son âme : l’enjeu consiste aujourd’hui à répondre aux crises politiques et identitaires en réaffirmant la notion de responsabilité individuelle des gouvernants comme de l’ensemble des citoyens. Tarik Yildiz, sociologue, auteur notamment de « De la fatigue d’être soi au prêt-à-croire » (Editions du Puits de Roulle).

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