Hommage à Laurent Bouvet

par Isabelle Barbéris le 28 décembre 2021 photo de bougies
Il y a parfois des ouvrages qui partent d’un désir de dédicace, c’est le cas de mon prochain livre dédié à Laurent Bouvet. Ce furent les premiers mots que je tapais sur mon clavier, il y a deux ans : « A Laurent Bouvet. A tout honnête homme », alors même, je l’avoue, que je n’avais pas encore fermement arrêté le sujet précis que je souhaitais aborder…
Tribune publiée dans les pages « Idées » de Libération le lundi 27 décembre 2021 Lorsque j’ai rencontré Laurent Bouvet, je faisais le bilan d’une quinzaine d’années vécues dans un quartier bien dur de Seine Saint-Denis, et de ses déconvenues parfois très violentes. Quinze années où j’ai observé le clientélisme, la démission ou l’épuisement des pouvoirs publics, la clanisation, la paupérisation, ainsi qu’une forme d’inertie et de déshumanisation des rapports sociaux. C’était l’époque, juste après les attentats de novembre 2015, où Kamel Daoud se voyait intenter un procès intellectuel en racisme, où l’on voulait « élargir les trottoirs », où fleurissait la notion militante d’islamophobie. Sur mes deux terrains d’activité – l’université et la culture - j’observais la montée en puissance de discours creux et commodes, non seulement déconnectés de la réalité, en particulier pour l’ancienne enseignante en « zone de violence » que j’étais, mais contreproductifs sur le terrain de l’antiracisme et du progressisme, qui étaient pourtant brandis en toute circonstance. La lecture du Sens du peuple (2012) apportait des clés de compréhension et des pistes de refondation de la gauche sociale et démocrate. J’y vis un apport pour ma recherche (je travaillais alors sur théâtre et démocratie) mais aussi une planche de salut pour raffermir mes convictions politiques, que les errances idéologiques de la gauche « professionnelle » et des révolutionnaires de salon avaient considérablement rudoyées. Je pouvais enfin renouer avec une laïcité au cœur de mon histoire familiale, puisque ceux qui la conspuent méthodiquement semblent ignorer que la République laïque a permis l’intégration de plusieurs générations d’immigrés. Elle, et elle seule. Laurent était à la tête d’un mouvement intellectuel et militant qui voulait réarmer la gauche en lui offrant de se réapproprier son socle historique, laïque et universaliste. L’abandon de ces principes était à ses yeux – j’en suis pour ma part désormais convaincue – à l’origine de son effondrement et d’une escalade des extrêmes qui mettait en péril la vie démocratique dans son ensemble. Chez lui, cette thèse a toujours été explicitement rattachée à un combat contre l’extrême-droite, dont il a prophétisé la montée en puissance. Qui pourrait aujourd’hui lui donner tort ? En pointant sans fard l’ornière « sociétale » et culturaliste de la gauche postmoderne, il affirmait l’urgence d’en revenir à une conception d’abord politique de l’émancipation. C’est dire à quel point le procès qui lui est fait au sujet de l’ « insécurité culturelle » me semblait et me semble toujours hypocrite : partant du constat du repli identitaire, son projet intellectuel était de redonner corps au « peuple politique », afin de se prémunir de tout enfermement. En restant sourde à ses alertes, la gauche s’est elle-même inoculée un lent poison qui pourrait bien s’avérer mortel. Sa contribution à la gauche républicaine et sociale est majeure, et il l’a menée à bien avec détermination : cela lui valut des évictions, des tirs de barrage professionnels, des attaques personnelles souvent odieuses et obsessionnelles, méconnaissant totalement sa part humaniste, sa camaraderie, sa gentillesse, son ouverture d’esprit. C’est aussi tout ce qui opposait Laurent Bouvet à la figure du mandarin qui opte pour la rente idéologique et la facilité. Et c’est ce qui explique l’admiration et l’affection que les étudiants accordaient à leur professeur, pédagogue érudit et accessible. Il était l’incarnation de la « common decency » ; l’opposé des pulsions haineuses qui rongent la gauche, et de la tendance au mépris qui mine la droite. Combatif, il l’était, avec les débordements humains que cela implique, mais sans cette méchanceté qui pourrit aujourd’hui le débat démocratique. Il pensait à l’échelle de l’humain, sans le renvoyer à des assignations préconçues, sans nier les différences, sans jamais non plus les penser comme insurmontables. Il y avait, dans le rire à gorge déployée, dans la barbe et le regard perçant, dans la force d’entrainement, dans l’amour du peuple, dans l’insatiable curiosité et surtout dans la manière de ne jamais, jamais, jamais rien céder, quelque chose d’hugolien et de la force-qui-va. Une saleté de maladie ne lui aura pas permis de traverser un siècle. Il a toujours répondu présent dans les moments difficiles, et sans lui, sans ses amis, j’aurais peut-être dû renoncer à mes propres convictions. Je dois à Laurent Bouvet de m’avoir donné le courage de ne pas démissionner de mes principes. Il n’y a pas d’au-delà pour les laïques que nous sommes, mais tu as gagné ta place dans le ciel des idées, cher Laurent.

Promotion du voile par le Conseil de l’Europe : l’Occident ne sait plus défendre ses valeurs

par Razika Adnani le 29 novembre 2021 photo de femmes portant un voile
Razika Adnani est islamologue et philosophe. Dans cette tribune, elle revient sur le choc que la campagne pour la promotion du voile a provoqué. Elle explique les causes et l’origine de ce qu’elle appelle « la guerre du voile » et comment les islamistes détournent le sens de principes de liberté et d’égalité pour l’imposer.
Publié par Fild Media le 17 novembre 2021 Le choc que la campagne pour la promotion du voile a provoqué a été terrible parce qu’il s’agissait de l’Occident et parce que la campagne faisait la promotion de la pratique la plus opprimante pour les femmes et la plus discriminatoire à leur égard. L’Occident qui a été longtemps un exemple à suivre dans le domaine de la protection de la liberté et des droits des femmes a piétiné ses propres valeurs. Personne n’est dupe pour croire que le Conseil de l’Europe seul a eu l’idée de faire la promotion du voile. Si le choc est aussi grand, c’est parce qu’on a réalisé que les islamistes, qui ont mené farouchement « la guerre du voile » depuis un siècle environ, ont réussi à imposer cette pratique au sein d’institutions censées protéger les valeurs de l’Occident, dont l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Conseil de l’Europe a trahi des millions de femmes dans le monde qui se battent contre le voile auquel le patriarcat les soumet ou veut les soumettre. La « guerre du voile » a commencé dans le monde musulman au début du XXe siècle, pour ne parler que de la période contemporaine. C’est l’époque où des intellectuels et des politiques modernistes, influencés par les valeurs occidentales qui étaient pour eux celles de toute l’humanité, ont entamé le grand projet de modernisation de leurs sociétés. Ils ont, cependant, très vite compris que sans l’émancipation des femmes aucune évolution sociale ou politique n’était possible. Ils ont alors sérieusement critiqué la claustration des femmes et le port du voile, intimement liés. La philosophe Doria Chafik (1908-1975) a remis en cause l’idée du voile comme prescription islamique. « Nous trouvons dans les œuvres artistiques de l'Égypte ancienne des indices nous permettant de déduire que le voile n'était pas inconnu dans l'antiquité », écrit-elle dans son livre La femme et le droit religieux de l'Égypte contemporaine. Les efforts de ces modernistes ont donné des résultats spectaculaires. Lors de la première moitié du XXe siècle, les femmes sortaient dans les rues d’Alger, de Tunis, du Caire, de Manama et même de Kaboul les jambes et la chevelure non dissimulées et cela ne posait pas de problème. Des dignitaires religieux ne voyaient pas d’inconvénients à ce que les femmes ne portent pas le voile, c’est-à-dire ne se couvrent pas la tête comme le prouvent les photos de l’époque. Parmi eux, il y a ceux qui ont occupé plusieurs fonctions religieuses y compris au sein de la mosquée d’al Azhar du Caire comme Ahmed Hassen al-Bakouri (1907-1985) ainsi que l’Algérien Cheikh Bachir Ibrahimi (1989-1956) qui a été président de l’association des Oulémas algériens. En 1928, les conservateurs, qui voulaient prendre le pouvoir pour contrer la modernisation des sociétés musulmanes, ont créé en Égypte la Confrérie des Frères musulmans pour mieux s’organiser. Leur objectif était de ré-islamiser les musulmans trop influencés, selon eux, par la culture occidentale qui les avaient éloignés du vrai islam. Un de leurs projets était de soumettre les femmes à nouveau au port du voile. Leur dévoilement était vu comme une menace pour leur domination sur les femmes et comme un danger pour la société musulmane qui devait impérativement se distinguer de la société occidentale. En revanche, les islamistes n’ont pas cherché à renvoyer les femmes à la maison. Ils avaient compris l’importance pour la réussite de leur mouvement de la présence de femmes voilées dans l’espace public. Une femme voilée qui va à l’université et travaille était un meilleur emblème pour leur mouvement que des dizaines qui restaient à la maison. Ils ont décidé d’utiliser le voile comme arme dans leur lutte contre les modernistes et ils ont même intégré les femmes dans leur confrérie en créant en 1932 la branche féminine appelée Sœurs musulmanes, dont le rôle était surtout d’inciter les autres femmes au port du voile. Zineb al-Ghazali en a été la première représentante.Dans leur lutte pour re-voiler les femmes, les Frères musulmans ont monopolisé les médias et les moyens de communication. Beaucoup de feuilletons montrant des femmes voilées pieuses ont été produits et diffusés partout dans le monde musulman. En 1990, presque toutes les femmes dans les sociétés musulmanes étaient voilées. Avec l’abolition du voile, les modernistes avaient propulsé les sociétés musulmanes dans le monde de la modernité. Les conservateurs ont voulu avec sa réinstauration les ramener vers le passé. Cette victoire des islamistes s’explique par les dollars des Wahhabites et l’acharnement des conservateurs. Mais il y a autre chose de plus important. Les modernistes qui ont lutté contre le voile et qui l’ont critiqué comme un obstacle à l’épanouissement sociale et économique des femmes et de la société n’ont pas osé, ou très timidement, questionner les textes et la religion ni le présenter comme une discrimination à l’égard de la femme de peur d’heurter la religion.Cela a donné aux islamistes des arguments pour défendre leur projet d’imposer le port du voile aux femmes. Ils ont incité les étudiantes et les femmes qui travaillaient à le porter pour qu’elles donnent un exemple que le voile ne constitue pas une entrave à l’émancipation de la femme et de la société et démonter l’argument des modernistes.Quant à l’argument de la religion, il leur avait suffi de réaffirmer que le voile était une pratique religieuse incontournable pour les femmes. Alors que la dissimilation de la chevelure de la femme n’apparaît dans aucun des trois versets recommandant pour la femme une manière de s’habiller. Quand bien même il apparaitrait, cela ne suffirait pas pour l’imposer aux femmes. Les musulmans ne mettent pas en pratique toutes les recommandations du Coran comme l’esclavage qu’ils ont déclaré caduc, alors qu’il est cité et codifié dans 25 versets coraniques. Il faut également souligner que les recommandations s’opposent entre elles. Cependant, parce que la question du voile n’a pas été remise en cause au sein de l’islam, les conservateurs ont pu facilement convaincre les femmes que c’était une règle coranique à laquelle elles devaient se soumettre. La guerre du voile se poursuit en Occident Mais la guerre du voile n’était pas pour autant terminée. Elle s’est poursuivie en Occident. Non seulement parce que des musulmans vivaient de plus en plus en Occident, mais aussi parce que l’objectif des islamistes n’était pas d’islamiser uniquement les sociétés musulmanes, mais aussi l’Occident où ils sont également partis au front avec le voile comme arme. Comme dans les pays musulmans, il est la meilleure preuve de la réussite de leur mouvement. Porté sur la tête d’une femme, il est toujours plus efficace que la prière et le jeûne qui ne se voient pas forcément sur les visages des personnes dans la rue. Malgré les tensions permanentes que le port du voile suscite et la riposte de ceux qui veillent à défendre les valeurs de l’époque actuelle, l’objectif de l’imposer partout en Occident et de le faire accepter par l’autre ne faiblit pas. En Occident, les adeptes du voile ne se sont pas contentés de le présenter comme une recommandation coranique, ils ont voulu qu’il soit la condition même de l’appartenance de la femme à l’islam. Tariq Ramadan en a fait un acte de foi. « Pour les femmes, la prescription porte également sur le port du voile… (et) il s’agit d’un acte de foi », écrit-il dans son ouvrage Le Génie de l’islam publié en France en 2016. Ce qui est un grand dérapage théologique, car le voile n’est ni un principe fondateur de l’islam, ni un principe de la pratique de l’islam. En islam, avoir la foi consiste à avoir la conviction que Dieu existe et qu’il est unique, que Mohamed est son prophète et que le Coran est sa parole sans aucune distinction entre les femmes et les hommes. Les principes de la pratique de l’islam sont la prière, l’aumône, le hadj (pèlerinage à La Mecque) et le jeûne. Une personne peut donc appartenir à l’islam et être pratiquante sans avoir à porter le voile. Le voile n’est pas non plus une pratique spécifique à l’islam ni un critère identitaire des musulmanes comme l’a affirmé la campagne du Conseil de l’Europe. Le couvrement de la tête pour les femmes était une tradition méditerranéenne remontant à une période bien antérieure à l’islam. Changer la représentation du voile En Occident, bien que le port du voile soit en hausse, celui-ci se heurte toutefois aux valeurs de la liberté et de l’égalité. Pour que l’autre l’accepte et afin de pouvoir l’introduire dans toutes les sphères de la société, ses adeptes ont décidé de changer son image, de le présenter comme un signe d’égalité et une preuve de liberté. Or, le concept de liberté n’est ni connu dans la pensée musulmane ni reconnu par les sociétés musulmanes et le voile comme les autres pratiques est présenté, compris et vécu comme une obligation juridique et un ordre divin que l’on ne discute pas. Cependant, ceux qui utilisent ce concept de liberté sont conscients de sa valeur dans les sociétés occidentales et cela sur le plan social, politique et moral, valeur qu’eux ne reconnaissent pas. Seulement, ils voient en lui le meilleur moyen pour défendre le port du voile et l’imposer. Le voile n’est pas non plus une preuve d’égalité. Ordonné à la femme et non à l’homme, il est lui-même une discrimination tant à l’égard des femmes par rapport aux hommes qu’à l’égard des femmes non-voilées par rapport à celles qui sont voilées. Les non-voilées sont considérées comme impudiques qui méritent d’être violentées et violées. Une discrimination qui remonte à l’antiquité et qu’on retrouve dans le verset 59 de la sourate 33, Les Coalisés : « Ô prophète dis à tes épouses à tes filles et aux femmes des croyants de ramener sur elles leurs djalabib ( pluriel de djilbab signifiant robe longue) ainsi elles seront vite reconnues et ne seront pas offensées ».Ainsi, si l’égalité consiste à accorder à tous les mêmes droits, les islamistes revendiquent une autre égalité qui accorde les mêmes droits à ceux qui pratiquent les discriminations qu’à ceux qui accordent à tous les mêmes droits. Une égalité qui veut la même visibilité et le même respect à une pratique qui discrimine les femmes qu’à une autre qui met les hommes et les femmes sur un pied d’égalité. Ce détournement des valeurs de la liberté et de l’égalité crée une confusion grave quant à leur sens et les menace sérieusement avec le consentement du Conseil de l’Europe. Ce qui aggrave la situation, c’est que le Conseil de l’Europe n’a pas fait seulement la promotion du voile des femmes, mais aussi de celui des petites filles dans une vidéo intitulée « United diversity » qui a ensuite été supprimée de leur site.Le voilement des petites filles est la preuve indéniable de l’absurdité de l’argument du voile comme liberté. On ne peut pas prétendre que les petites filles ont atteint la maturité intellectuelle et morale qui leur permette de choisir leurs actes, de décider elles-mêmes de se voiler. D’autant plus que ceux qui imposent le voile aux petites filles expliquent que leur objectif est d’habituer les femmes au port du voile dès leur jeune âge, afin d’éliminer chez elles toute velléité de liberté qui entraînerait le risque qu’elles se rebellent contre cette pratique. Décidément, l’Occident ne sait plus défendre ses valeurs. Les femmes notamment celles qui vivent dans les pays musulmans, doivent désormais compter sur elles-mêmes pour changer leur condition et arracher leurs droits d’être humain et leur droit d’avoir les mêmes droits que les hommes. Elles doivent impérativement s’armer de moyen théologiques, historiques, philosophiques et politiques qui leur permettent de se défendre contre le discours qui veut faire d’elles des êtres inférieurs au nom de la religion. Razika Adnanihttp://www.razika-adnani.com

Les femmes ne sont pas des sorcières

par Marie Ameller le 14 novembre 2021 photo de citrouille sculptée pour Halloween
Fête qu’on espérait en voie de disparition, Halloween nous a encore donné cette année l’occasion de croiser dans les rues des adultes, avec ou sans enfants, plus ou moins savamment grimés en personnages supposés terrifiants, monstres, vampires, sorcières.
Ce sont sans doute les mêmes qui organisent ou se rendent avec enthousiasme dans des soirées déguisés, espérant avec elles retrouver l’excitation qu’ils avaient petits, déguisés soir et matin en Zorro, Superman, Luke Skywalker, Princesse Raiponce, Maléfik, la Fée Clochette. En vérité, nous adorons tous nous glisser de temps à autre dans la peau de personnages exceptionnels, puissants (puissants à divers titres, par leur force, leur beauté, intelligence, habileté, monstruosité). Force est aussi de constater que nous adorons plus encore revêtir les panoplies ceux dotés de super-pouvoirs, doués de puissance surnaturelle, magique. Résurgence de l’enfance, nous nous sommes d’ailleurs tous presque persuadés un jour que nous étions capables, par la seule force de nos incantations, par un pouvoir magique insoupçonné des autres, d’inverser le cours d’un événement fatal, de convaincre un supérieur du bien-fondé d’une promotion, de faire marquer un but décisif à l’équipe de France. Tout cela est sympathique et très naturel. Ce qui l’est moins, c’est de se prendre vraiment en jeu. De finir par croire que nous sommes vraiment, naturellement, doués de super-pouvoirs. Ce phénomène singulier n’est pas le propre de personnes atteintes de pathologies mégalomaniaques. On le voit se développer avec insistance dans un nombre grandissant de discours pseudo féministes, qui brandissent avec fierté le personnage de la sorcière comme l’expression chimiquement pure de la nature profonde de la femme. Magique et rebelle, le personnage de la sorcière a tout pour plaire, et le succès du livre de Mona Chollet « Sorcières : la puissance invaincue des femmes » l’a parfaitement démontré. Sans remettre en cause ses qualités littéraires et l’importance du travail de recherche accompli, le livre satisfait un double désir narcissique, propre aux ouvrages de développement personnel : celui de se découvrir plus extraordinaire qu’on ne pense (« vous avez des pouvoirs que vous ne soupçonnez pas »), et celui de transformer nos frustrations et notre insatisfaction personnelle en motifs de fierté (« ciel je suis idiot, quelle chance ! »). Si la figure de la sorcière comme emblème féministe est loin d’être nouvelle, son invocation prend aujourd’hui un tour singulier et problématique qui, bien loin d’aboutir à l’empowerment recherché, aboutit à un contre-sens complet qui fait de l’assignation la marque même de l’émancipation. La sorcière est la figure « maximisée » de la vraie femme, la femme affranchie du joug de l’homme. La sorcière est une femme qui s’assume, c’est-à-dire une femme qui a su faire de ses qualités dites « naturelles » des armes contre le patriarcat qui tente de l’assujettir. Sensibilité et intelligence émotionnelle, attention à la nature et compréhension de celle-ci, propension innée à soigner les autres (ce fameux « care », si en vogue aujourd’hui) : autant de « caractéristiques féminines » qu’il convient de revendiquer haut et fort. Parce qu’ils les envient, les hommes ont sciemment dénigré depuis des millénaires ces super pouvoirs qu’ils n’ont pas, et érigé en valeurs supra la Raison, la Logique, l’Autorité, en un mot ce cartésianisme tellement occidental qui voulut se rendre « comme maître et possesseur de la nature ». Dès lors, puisque les femmes n’ont pas, par nature, les mêmes qualités que les hommes, et que du reste les hommes sont des êtres mauvais par essence (car tous jaloux de la femme donc potentiels chasseurs de sorcières), il devient contre-nature qu’une femme puisse prétendre à la même rationalité et au même sens logique qu’un homme. Puisqu’il est établi que la Science combat la Nature, et que cette même Science est un produit de l’homme, tout ce qui se rapporte à l’esprit ou au progrès scientifique devient de fait suspect. De fil en aiguille, une femme ingénieure, qui fait le choix des sciences et de la technique, devient traître à sa cause. Une femme qui prend la pilule est sous emprise masculine (et des Big Pharma, donc du grand Capital). Une femme qui dit prétendre, sans souhaiter l’instauration de quotas, à des postes habituellement pourvus par des hommes est une renégate. Et une femme qui ne se revendique d’aucune « sororité » est tout simplement une vendue qui a basculé du mauvais côté. D’un coup de balai, voilà mis sous le tapis 50 ans de revendications féministes. Nous ne disons pas qu’il serait bon de dénier à l’homme et à la femme toutes leurs différences, ou qu’on ne devrait pas davantage valoriser dans la société comme dans le monde du travail les qualités sensibles habituellement dévolues aux femmes. Mais il nous semble aberrant, sinon dangereux, de considérer qu’effectivement la rationalité serait « du côté » des hommes, ou plus exactement des mâles blancs hétérosexuels. Il nous semble aberrant, sinon dangereux, de dénier à la raison sa valeur et son universalisme. Et il nous semble par conséquent aberrant, sinon dangereux, de laisser entendre que les femmes doivent se satisfaire d’être des idiotes, de se limiter à leur « intelligence émotionnelle », leur « 6e sens », leur « intuition féminine », heureuses de ne « rien capter » à un article un peu pointu, ravies d’être mauvaises en mathématiques et en géographie, épanouies dans la lecture d’ouvrages ésotériques, genre qu’on voit d’ailleurs exploser dans les rayons de librairies. Nous assistons aujourd’hui à un renversement à 180° de la défense de la cause des femmes. Ce qui hier était vu comme complètement réactionnaire et misogyne devient le nec plus ultra du combat féministe. On explique aux femmes ce qu’elles doivent penser des hommes (des persécuteurs), ce qu’elles doivent penser d’elles-mêmes (des victimes), comme s’il n’était pas envisageable qu’elles puissent les penser et se penser autrement. On justifie leurs manques d’ambition professionnelle en y lisant la marque d’un engagement, le refus courageux de toute domination sur autrui. On finit même par s’esbaudir devant leur pain « home made » et immédiatement instagrammé en invoquant la proximité retrouvée avec la Mère Nature, Gaïa la Terre. La réhabilitation de la sorcellerie ne fera pas avancer l’égalité des sexes. Elle ne fera qu’essentialiser un peu plus la femme, c’est-à-dire qu’elle ne fera que la priver un peu plus de sa capacité à se définir comme elle l’entend, en être libre. Libre de se conformer à la norme ou de la refuser, libre de réussir par l’effort, la persévérance et le talent, libre de pulvériser les plafonds de verre, libre de diriger, libre de croire à la science et au progrès, libre enfin de n’être la sœur de personne mais l’égale de tous. Fort heureusement, les femmes ne sont pas des sorcières.

Lettre ouverte « L’école pour la liberté, contre l’obscurantisme »

par L'équipe du Lab' le 4 novembre 2021 photos d'enfants à l'école
Les ministres de l’Éducation français et québécois dénoncent la culture de l’annulation (cancel culture) dans une lettre ouverte.
Le ministre de l’Éducation du Québec, Jean-François Roberge, et le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports de la France, Jean-Michel Blanquer, s’associent contre la culture de l’annulation qu’ils jugent « à mille lieues des valeurs de respect et de tolérance sur lesquelles se fondent nos démocraties ». En effet, pour les deux ministres, « cette mouvance constitue un terreau fertile pour tous les extrêmes qui menacent la cohésion de nos sociétés. […] Sans contrepoids à l’influence pernicieuse de la culture de l’intolérance et de l’effacement, les valeurs démocratiques — liberté d’expression, égalité, laïcité — qui nous unissent risquent inévitablement de s’affaiblir. » Ces deux ministres s’engagent ensemble, car pour eux « ce phénomène frappe autant la France que le Québec », et concerne leur sujet commun, l’école, qu’ils voient comme un « rempart primordial contre l’ignorance et l’obscurantisme ». Ils comptent notamment organiser « une rencontre de jeunes pour débattre de ces questions aux côtés d’intellectuels » qui rassemblerait les deux pays. Vous pouvez lire le texte en entier ici : https://www.lelaboratoiredelarepublique.fr/publications/lecole-pour-la-liberte-contre-lobscurantisme/ Et découvrez quelques réactions de la presse canadienne : La Presse :https://www.lapresse.ca/actualites/education/2021-10-21/quebec-et-paris-s-allient-contre-la-culture-de-l-annulation.php Journal de Québec :https://www.journaldequebec.com/2021/10/21/jean-francois-roberge-sallie-au-ministre-anti-woke-demmanuel-macron Radio-Canada :https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1833421/quebec-woke-france-legault-macron-blanquer-roberge-tintin-livres? Le Devoir :https://www.ledevoir.com/societe/641979/jean-francois-roberge-et-jean-michel-blanquer-signent-une-lettre-contre-la-culture-de-l-annulation

« Débattre Vraiment », le Laboratoire de la République soutient l’appel de La Croix

par L'équipe du Lab' le 7 octobre 2021 photo de stylos
"Débattre Vraiment", pour "instaurer un débat libre et respectueux"
Jean-Michel Blanquer, président du Laboratoire de la République fait partie des signataires de l'appel de "La Croix" à "Débattre Vraiment". Le manifeste de La Croix appelle à une meilleure "qualité du débat", alors que s'ouvre une nouvelle période électorale. Il propose dix engagements "simples et concrets" pour tous, que ce soient les médias ou personnalités publiques, mais également tous les individus actifs sur les réseaux sociaux, afin d'avoir un débat "honnête et sincère, qui n’occulte pas les divergences mais permet de les exprimer sereinement." Parmi ces engagements : "Ne pas injurier, diffamer, humilier, dénigrer, harceler", "Veiller à ne pas déformer des propos et à ne pas les sortir de leur contexte" et "Ne pas enfermer les interlocuteurs dans des identités figées, d’origine, de genre, d’âge, de religion, de classe sociale". Vous pouvez retrouver l'intégralité des engagements de La Croix "pour cette année électorale", et signer leur manifeste via ce lien https://www.la-croix.com/Debats/Debattre-vraiment-10-engagements-Croix-presidentielle-2021-09-23-1201176947

La France est indivisible !

par L'équipe du Lab' le 12 août 2021 photo de la Constitution
La France ne serait plus la France si elle devenait divisible, si elle cédait au poison de la division. En tout cas, elle ne serait plus la France républicaine que nous aimons.
Rappelons-nous les six premiers mots de l’article 1er de notre Constitution: « La France est une République indivisible ». Cet article dit encore, et c’est tout aussi important, qu’elle est « laïque, démocratique et sociale », qu’elle « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » et, enfin qu’elle « respecte toutes les croyances ». Chacun l’aura cependant relevé : la première affirmation de notre loi suprême est « La France est une République indivisible ». Nous ne sommes pas là face à une formule vague ou théorique. Nous sommes là, au contraire, devant la traduction juridique de notre contrat social républicain. Ce lien entre contrat social et République est essentiel. Il est préparé par les pages lumineuses du Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, lorsque l’auteur démontre qu’en acceptant de faire partie de la communauté, les citoyens établissent une égalité de droit entre tous : « au lieu de détruire l'égalité naturelle, le pacte fondamental substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avait pu mettre d'inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit. » Lorsque la Convention déclare le 25 septembre 1792 que la République est une et indivisible, elle pose donc en son centre le principe politique par excellence, celui qui établit que la société existe par le consentement de tous ses membres et que c’est ce consentement qui fonde l’égalité des citoyens. Cet article premier énonce ainsi une conception unitaire de l’État, caractérisée par l’unité du peuple français, par l’élaboration de la loi dans un lieu unique, le Parlement, qui représente la souveraineté nationale. Cette loi prévoit l’application d’un droit uniforme sur tout le territoire, et qui s’adresse à tous les citoyens, tous égaux devant la loi. Le Conseil constitutionnel a précisé que la Constitution ne connaissait « que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion » et que ce « principe d'unicité du peuple français » avait valeur constitutionnelle. Il en a justement déduit que les principes d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français « s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » (Conseil constitutionnel, 15 juin 1999). Il est toujours très salutaire d’en référer toujours à notre Constitution, de revenir toujours à notre texte de base, à notre « charte » de principe, celle qui fixe la règle du jeu collectif de notre démocratie. Cette référence à la Constitution nous permet de contrer les discours militants qui revendiquent le droit aux particularismes, au détriment de l’unité de la communauté nationale et de l’égalité des citoyens entre eux. Ce projet d’indivisibilité, qui s’inscrit dans une approche universaliste, rejette par construction, d’une part, les tentations communautaires, d’autre part, les velléités de divisions. A cet égard, il est donc l’exact opposé de l’antisémitisme et du racisme, car il les proscrit par essence. Partant, sur le plan strictement juridique (et ce seul plan devrait suffire), l’expression « racisme d’État » est une aberration complète. Il y a quelques années encore, cette précision tombait sous le sens, relevait de la tarte à la crème, du moins du B-A-BA de l’enseignement moral et civique. Aujourd’hui, beaucoup de nos concitoyens semblent avoir oublié ce principe fondamental de l’indivisibilité, son sens, son projet, projet qui est la raison d’être de l’État français.

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