EHPAD : ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie ?

par Dr Olivier de Ladoucette le 2 février 2022 photo de personne âgée devant une fenêtre
"La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne le peut" avait écrit René Char. Dernier exemple en date : la publication, le 26 janvier dernier, d'une enquête fouillée (Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, publié chez Fayard), sur le quatrième âge et sur le traitement des personnes âgées dépendantes. Etat des lieux avec le Dr Olivier de Ladoucette.
Le Dr Olivier de Ladoucette est psychiatre, gériatre et Président de la Fondation Recherche Alzheimer et co-fondateur de SOS EHPAD. La situation des EHPAD, décrite dans cette enquête ainsi que dans « anéantir » le dernier ouvrage de M. Houellebecq, est-elle, comme le suggère l’auteur, le signe d’un affaiblissement du lien intergénérationnel? Dr Olivier de Ladoucette : Oui sans doute. Ce qui est derrière tout ça, est une forme d’âgisme, c’est-à-dire une intolérance vis-à-vis du sujet âgé (le racisme anti-vieux) qui traverse nos sociétés contemporaines et qui a pour origine un certain nombre de facteurs culturels et sociologiques. Le premier est le refus de la mort. Les personnes âgées, étant le plus proche de la mort, nous renvoient à notre propre finitude. Le deuxième point concerne la différence. Le sujet âgé est différent par son comportement, son physique et sa compréhension des choses. Souvent victime de la fracture numérique, il a du mal à s’adapter au monde actuel et les plus jeunes ont du mal à le comprendre. Cela participe également de cette exclusion. Enfin les contraintes de logement, les difficultés financières rendent plus difficiles le contact étroit avec un parent vieillissant A un niveau individuel les liens intergénérationnels peuvent exister, certaines personnes âgées ont d’excellents rapports avec leurs proches, y compris les plus jeunes. Cela va dépendre beaucoup d’eux et de la manière dont ils ont interagi avec leur entourage dans le passé. Les rapports ne se font plus sur le mode du devoir mais de la réciprocité : « je te rends ce que tu m’as donné ». Est-ce, selon vous, la seule explication aux dérives constatées dans certains EHPAD ? Dr Olivier de Ladoucette : Les EHPAD sont une mauvaise solution posée à un vrai problème. Le vrai problème c’est la dépendance des personnes âgées. Cette dépendance augmente avec le vieillissement de la population. Même si on vit de plus en plus longtemps en bonne santé, nous allons tous à un moment décliner et mourir. Cette période de déclin, qui dure plus ou moins longtemps, a besoin d’être gérée. Aujourd’hui en France et dans de nombreux pays développés, la solution retenue passe par la construction d’établissements d’accueil pour personnes dépendantes. Par définition ces structures sont maltraitantes, puisqu’on y accueille à 50% des personnes qui présentent des troubles cognitifs plus ou moins graves, donc peu conscientes des raisons pour lesquelles on les conduit dans ces établissements. Quand elles sont lucides, peu sont consentantes. Elles y vont contraintes et forcées, pour raisons de santé. On ne va plus, comme autrefois, en maison de retraite pour des raisons sociales, on va en EHPAD pour des motifs médicaux. Les EHPAD sont des lieux d’enfermement thérapeutiques où l’on vient pour mourir. Quand on a réalisé cela, on comprend aussi que pour les équipes, éviter de rendre ces endroits trop mortifères, est un challenge extrêmement compliqué. La grande majorité des établissements font ce qu’ils peuvent. Ce livre dénonce certainement des dérives mais il ne faut pas en faire une généralité. L’EHPAD bashing c’est très facile, mais en réalité des progrès importants ont été faits si on compare avec la situation il y a 20 - 30 ans. Certes il reste encore des progrès à faire. Il faudrait réinventer le concept même de l’EHPAD. A votre avis, le modèle actuel est-il tenable ? Quelles mesures devraient être mises en place pour améliorer la prise en charge des personnes âgées dépendantes ? Dr Olivier de Ladoucette : En France la politique du vieillissement a toujours été à la traîne. C’est une « patate chaude » que les différents gouvernements se refilent sans savoir comment vraiment résoudre le problème. Dans le gouvernement actuel il n’y a même pas de secrétariat d’Etat aux personnes âgées, et, dans le passé, on a rarement nommé des secrétaires d’Etat qui connaissaient vraiment le sujet. On n’a donc pas de politique du vieillissement et on n’a pas non plus de financement pour cette filière. Dans les pays d’Europe du Nord comme la Suède et le Danemark, plutôt que de grands établissements, ils ont mis en place des logements d’accueil sous forme d’appartements disséminés sur tout le territoire. Ils ont en moyenne 10 soignants pour 10 patients, soit un ratio de 1. En France le ratio est de 0,6. Le personnel est sous-payé, peu valorisé et chroniquement en sous effectifs. Les EHPAD privés représentent 30% des EHPAD en France. Les situations conduisant à la maltraitance dans les autres établissements (publics et associatifs), qui manquent de moyens, y sont hélas aussi certainement présentes. Il faut absolument revaloriser la filière gériatrique, la refinancer, lui donner un peu d’éclat pour attirer du personnel. Il faut aussi restructurer la prise en charge des personnes âgées et essayer de trouver des solutions pour les maintenir à domicile dans de bonnes conditions le plus longtemps possible. Et enfin il faut trouver de nouveaux modes d’accueil du sujet âgé très dépendant.

UKRAINE : COMMENT L’UNION EUROPÉENNE POURRAIT S’IMPOSER COMME PUISSANCE ?

par Galia Ackerman , Marie-Hélène Bérard le 26 janvier 2022 photo de soldats au front
"L'Europe, quel numéro de téléphone ?" avait questionné Henri Kissinger en 1970. Un demi-siècle après, l'Europe se trouve de nouveau exclue des négociations internationales dans le dossier ukrainien. Regards croisés sur la situation avec Marie-Hélène Bérard et Galia Ackerman.
Le Laboratoire de la République : Quel est votre regard sur la place de l’Union Européenne (UE) aujourd’hui ?  Galia Ackerman : L’UE doit être beaucoup plus affirmative vis-à-vis de la Russie. Le pouvoir russe a tendance à considérer que l’Ukraine est un terrain de conflit entre les États Unis et la Russie, non pas entre la Russie et l’Ukraine, ni entre l’UE et la Russie. Aux yeux des Russes, l’UE n’a pas de place dans cette équation. La Russie propose deux traités : l’un est destiné aux États Unis, l’autre est destiné à l’OTAN. Bien sûr, l’UE fait partie de l’OTAN mais aux yeux du régime russe, les États Unis représentent la partie dominante de l’OTAN. Vladimir Poutine aimerait revenir au temps de la guerre froide lorsqu’il y avait deux blocs : l’Union Soviétique contre les États-Unis. Comme cela est un fantasme et non pas la réalité, l’UE, et notamment le président Macron puisqu’il la préside aujourd’hui, doivent être beaucoup plus affirmatifs et ne pas permettre que des négociations sur la sécurité européenne, et sur le conflit potentiel en Ukraine, se déroulent sans la participation de l’UE. Il ne faut pas oublier que l’Ukraine se trouve géographiquement au milieu de l’Europe, et non pas au milieu des États Unis.  Marie-Hélène Bérard : La place de l’Union Européenne  n’est pas facile. Nous n’avons pas parmi les 27 une position unitaire. Et la Russie a clairement fait savoir son intention  de discuter en bilatéral avec les seuls États-Unis. Sur ce point, à mon avis, les Russes ont tort. Même s’ils ont raison de penser que la participation  de l’Union européenne  à  ce type de négociations alourdira et prolongera le processus. Et même s’ils sont nombreux à se souvenir que l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, finalement refusée  par ce pays, avait été discutée complètement en dehors d’eux. Le Laboratoire de la République : Comment analysez-vous la démarche de Vladimir Poutine dans cette séquence ? Quelles sont ses intentions selon vous ?  Marie-Hélène Bérard : Les Russes, et pas seulement leur gouvernement, ont le sentiment d’avoir été floués. Le pacte de Varsovie a disparu, mais l’OTAN demeure. L’idée que l’Ukraine puisse rejoindre l’OTAN est la plus grande claque que l’Occident pourrait  donner à la Russie. Pour les Russes, l’Ukraine est partie intégrante de leur histoire, de leur géographie, de leur culture. Les Russes sont très nombreux dans le Donbass , et leur nombre s’accroît  chaque jour avec des  passeports  russes libéralement distribués. Sans parler des salaires des fonctionnaires sur place , qui ne sont plus payés par Kiev. Pour moi, le président Poutine n’est pas un  va t’en guerre. Mais nous sommes dans une impasse: ni l’Union Européenne,  ni les États-Unis, ni l’OTAN ne peuvent accepter les engagements formels de non élargissement tels que  demandés par les Russes. Galia Ackerman : Il y a plusieurs scénarii différents des intentions de Vladimir Poutine et de sa possible façon de procéder. Il est très difficile de savoir quel sera le scénario effectif mais il me semble que Vladimir Poutine pense qu’il y a actuellement une fenêtre d’opportunité pour récupérer totalement ou partiellement l’Ukraine. Tout le reste est du bluff. Lorsque Vladimir Poutine pose des conditions dans ses traités, il est évident que celles-ci sont inacceptables. L’OTAN ne va pas quitter l’Europe, les Américains ne vont pas retirer leurs armes des pays européens, les pays de l’Europe de l’Est, y compris de l’Europe du Sud comme la Roumanie et la Bulgarie, ne vont pas sortir de l’OTAN, etc. Il met en place ces conditions pour créer une sorte de climat hystérique dans lequel le monde occidental va craindre une invasion qui dépasserait le cadre de l’Ukraine. Celui-ci se réjouirait donc peut-être, selon les prévisions du régime russe, si tout cela se limite à une reconquête, partielle ou même totale, de l’Ukraine. On monte la planche très haut pour pouvoir la baisser et que tout le monde puisse pousser un soupir de soulagement. Il s’agit du regard russe, bien sûr, je ne dis pas que cela va effectivement se produire. Quant au scénario possible en Ukraine, il n’est toujours pas exclu qu’il y ait une incursion probablement dans la région de Donbass pour élargir et définitivement séparer ces territoires des républiques autoproclamées de l’Ukraine. Probablement y aurait-il également une autre offensive dans la région de la mer Noire pour couper l'accès de l'Ukraine à la mer et récupérer Odessa qui a une très grande valeur symbolique aux yeux des Russes. Cela pourrait s'accompagner, comme certains services de renseignement britanniques semblent le supposer, d’une tentative de faire tomber le gouvernement actuel et d'instaurer un régime pro-russe. Ainsi, l’Ukraine pourrait être récupérée sans une énorme effusion de sang. Cependant, il n'y a pas de certitude que seuls ces scénarii-là se réalisent. Il y a et il peut y avoir encore toutes sortes de choses que nous ne connaissons pas, toutes sortes de facteurs que nous ne connaissons pas. Par exemple, lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, le monde a été à deux doigts d'une guerre nucléaire, lorsque finalement les Russes ont enlevé leurs missiles stationnés à Cuba. Mais on n'a pas beaucoup parlé du fait que les Américains, eux aussi, ont enlevé leurs missiles stationnés en Turquie. Aujourd’hui, un compromis pourrait également être trouvé.  Et puis, en Chine les Jeux Olympiques vont commencer dans quelques jours. Ne souhaitant pas qu’ils soient assombris par une guerre en Europe, Xi Jinping aurait demandé à Vladimir Poutine de ne pas commencer la guerre avant la fin des Jeux Paralympiques, ce qui repousse l’agression éventuelle au mois de mars. Or le sol est gelé actuellement à l'est de l'Ukraine mais en mars, il va fondre et cela sera plus difficile pour les chars de circuler. Peut-être que le moment important sera passé et que cette guerre ne sera pas déclenchée. Il y a parfois des petites choses qui font que les choses s’orientent dans un sens et non pas dans un autre.  Le Laboratoire de la République : Quelles initiatives l’UE devrait elle prendre pour éviter une escalade et peser plus concrètement ? Galia Ackerman : Je ne pense pas qu'une réforme quelconque soit nécessaire. Récemment, la France a déjà subi quelques revers, comme par exemple la création de l’AUKUS, une association militaire de l’Australie, de la Grande-Bretagne et des États-Unis derrière le dos de l’UE et de l'OTAN. L'Union Européenne n'a pas été informée d'une décision internationale très grave. Il ne faut pas que de telles choses se reproduisent. Le président Macron, qui tient maintenant les rênes de l’UE, devrait poser non pas un ultimatum mais une exigence très ferme de participer à toutes les négociations qui concernent l'Ukraine. La France a toujours soutenu les aspirations européennes de l'Ukraine - sans toutefois vouloir l'accepter au sein de l'OTAN et au sein de l'Union européenne. Puisque maintenant on fait face à un ultimatum russe, il ne faut pas que la partie se joue uniquement entre les États-Unis et la Russie. La France a quand même d'excellentes relations avec les États-Unis, qui eux, affirment ne jamais prendre de décision sans concerter l’UE. Il faut que cela reste non seulement déclaratif mais se transforme en actions concrètes. Il y a toutes les bonnes vraies raisons pour que la France soit présente dans tout ce débat.  Marie-Hélène Bérard : L’Union européenne pourrait faire le pari de la sincérité de la Russie : autrement dit, accepter l’idée que la Russie ne cherche qu’à assurer sa propre sécurité, et non pas à envahir militairement l’Ukraine. Reste à imaginer quels engagements pourraient satisfaire les Russes sans porter atteinte à la souveraineté de ses voisins ? C’est là où les diplomates européens, qui sont bien meilleurs  que les Américains sur ces sujets, pourraient  faire des propositions. Mais il faut faire vite, car les Russes se sont eux-mêmes enfermés  dans des délais très courts.

GUERRE D’ALGERIE : COMMENT PANSER L’HISTOIRE PAR L’ECOLE ?

par Yannick Clavé le 26 janvier 2022 photo de livre
"La mémoire, ce passé conjugué au présent" écrivait François Chalais. Par sa complexité historique et l'importance des logiques mémorielles, la guerre d'Algérie illustre les défis auxquels l'école et la République font face, selon Yannick Clavé.
Comment enseigner la guerre d’Algérie aujourd’hui ? Le sujet est-il trop présent ou trop absent dans les programmes scolaires ? Yannick Clavé : Contrairement à une idée reçue, la guerre d’Algérie est présente depuis déjà plusieurs décennies dans les programmes du secondaire. Aujourd’hui, tous les élèves en ont entendu parler : elle est enseignée en 3e, en Terminale générale (dans le tronc commun et dans la spécialité géopolitique) et en Terminale technologique. L’enjeu de cet enseignement apparaît d’autant plus important que la guerre d’Algérie fait partie de ces questions socialement vives, qui portent en elles une intense charge émotionnelle pour beaucoup d’élèves.  La question n’est pas tant quantitative – trop ou pas assez – que, surtout, la manière dont elle est abordée. La guerre d’Algérie a eu trop tendance à être évoquée uniquement sous l’angle de l’histoire de France (les IVe et Ve Républiques) et de la décolonisation. C’est ce qui a empêché de l’appréhender dans une complexité plus globale, en particulier celle de la longue durée des relations entre la France et l’Algérie dès 1830 voire avant. D’ailleurs, l’expression même de « guerre d’Algérie » que nous continuons à utiliser par commodité montre que nous nous inscrivons dans un point de vue résolument français, alors que les historiens ont désormais plutôt tendance à parler de « guerre d’indépendance algérienne ». C’est aussi pour eux une manière de mieux souligner que l’enjeu de cette lutte armée était d’abord et avant tout politique. Cette expression ne figure certes pas encore dans les programmes, mais leurs rédacteurs ont fait des efforts ces dernières années pour mieux prendre en compte les acquis les plus récents de la recherche historique. Que signifie réconcilier les mémoires ? Yannick Clavé : Réconcilier les mémoires ne signifie pas entrer dans la logique mémorielle de tel ou tel groupe pour répondre à ses revendications, mais exige de regarder l’Histoire en face et de ne plus laisser aucun sujet sous le tapis. Pour les historiens, rien n’est tabou et tout peut faire l’objet d’un travail scientifique sérieux et le plus objectif possible.  Le rôle du politique est aussi important, car par ses gestes et ses paroles il peut contribuer à apporter un apaisement social, indispensable pour permettre aux historiens de travailler en toute sérénité. Le Président Chirac avait été le premier à prendre des décisions importantes, inaugurant par exemple un Mémorial en 2002 aux morts pour la France en Afrique du Nord puis en reconnaissant officiellement l’année suivante le rôle joué par les harkis. C’est aussi le sens à donner aux décisions prises récemment par le Président Macron, par exemple lorsqu’il a reconnu, en 2018, la responsabilité de l’État et celle de l’armée française dans l’assassinat de Maurice Audin ; ou lorsqu’il a honoré le 17 octobre 2021 la mémoire des victimes du 17 octobre 1961. Bien entendu, tout ne peut pas se régler en quelques années : il faudra sans doute encore beaucoup de temps. C’est cette « politique des petits pas » qu’appelle de ses vœux Benjamin Stora dans son rapport remis en 2020. D’autant plus que le travail mémoriel n’en est pas du tout au même stade des deux côtés de la Méditerranée : en Algérie, malgré des historiens courageux et talentueux, le pouvoir politique continue à entretenir une confusion entre l’histoire et la mémoire, voire à instrumentaliser une « rente mémorielle » qui n’a guère évolué depuis les années 1960.  Comment sortir du « symptôme de hantise » mémorielle (Paul Ricoeur) ? Yannick Clavé : La recherche historienne sur la guerre d’Algérie est aujourd’hui très dynamique. Le rapport Stora et d’autres publications montrent le chemin qu’il reste à parcourir, même si beaucoup a déjà été fait. Des initiatives intéressantes ont vu le jour, ainsi des collaborations entre historiens français et algériens, convaincus qu’il est possible d’en finir avec ce passé franco-algérien empoisonné pour construire, au contraire, une histoire partagée des deux côtés de la Méditerranée. D’autres initiatives ont permis de replacer la guerre d’Algérie dans la longue durée des relations franco-algériennes depuis le début du XIXe siècle, permettant ainsi, justement, de ne pas réduire ces relations à ce seul conflit armé.  Dans les classes, le rôle du professeur est essentiel. Non seulement il faut continuer à former les enseignants, mais il faut les inciter à aborder la guerre d’Algérie de manière incarnée, pour susciter l’intérêt des élèves et les faire réfléchir, d’autant plus lorsque ces derniers se revendiquent d’une mémoire particulière et peuvent se montrer virulents dans leurs propos. Le recours à la diversité des témoignages des anciens combattants (appelés, rappelés, engagés), des combattants ou descendants du FLN, des harkis et de leurs descendants, mais aussi des pieds-noirs, permet de confronter les élèves à la complexité de la réalité historique, loin des simplifications mémorielles et des instrumentalisations idéologiques. Tout ceci peut s’articuler avec un travail autour de la pédagogie de projet, permettant d’impliquer les élèves tout en maintenant un haut niveau d’exigences dans la transmission des connaissances et l’apprentissage de l’esprit critique. 

Gauche camembert et gauche quinoa : peuvent-elles encore se mettre autour de la table ?

par Jacques Julliard le 20 janvier 2022 photo de fromages
Le candidat PCF à l’élection présidentielle, Fabien Roussel, a déclaré, le 9 janvier dernier sur France 3, qu’il ambitionnait de défendre l’accès pour tous à des produits de qualité : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : pour moi, c'est la gastronomie française », propos qui ont déclenché une vive polémique au sein de la gauche. Le symbole d’une division historique, estime Jacques Julliard.
« La vie à base de quinoa et de tofu est fade. Ce n’est pas ma France », dit Fabien Roussel, le candidat du PCF aux élections présidentielles. « Le couscous est le plat préféré des Français », lui rétorque Sandrine Rousseau d’EELV. Une illustration de la théorie des « deux gauches » ? Jacques Julliard : Oui, c’est une illustration, certes un peu marginale, mais attendue, de l’idée, lancée il y a quelques années, par Manuel Valls et d’autres avant lui qui avaient fait le même constat. Parce qu’il y a toujours eu une gauche proche des valeurs traditionnelles de la République, c’est-à-dire patriotique et laïque. De ce point de vue, le rôle décisif, dans la constitution de la nation française, a été l’école. Cette même gauche est celle qui a compris également la valeur fondamentale de la sécurité ; c’est Gambetta qui, à partir de 1875, a convaincu ses amis que la gauche devait s’atteler à rétablir la sécurité dans les villes et dans les campagnes. Ce programme, bien rapidement esquissé, c’est celui d’une partie de la gauche, celle qui a été populaire. L’autre gauche, dont je dirais qu’elle est plutôt intellectuelle et qu’elle s’est développée moins dans les partis de gauche, que dans l’Université et dans la presse, donc chez des intellectuels plutôt que des élus, insiste sur l’idée de diversité. Et le clivage fondamental entre les deux gauches porte sur l’idée qu’elles se font de la nation : d’un côté, vous avez une insistance sur l’unicité de la République, de l’autre, sur la diversité des composantes du peuple. Cette gauche-ci a pris la place de la « gauche américaine ». Elle s’inspire de ce qui se pense dans la gauche américaine. C’est ce qui explique, d’après vous, la coupure de l’électorat de gauche ? Jacques Julliard : Mais non : l’électorat de gauche, il est presque tout entier du premier côté, du côté républicain. Enfin, voyons, la gauche, dans notre pays, a perdu la moitié de son électorat en quelques années et elle ne se demande pas pourquoi… Il y aurait pourtant urgence à chercher les raisons de cette hémorragie électorale !  Mais pour en revenir à cette querelle culinaire au sein de la gauche, il faudrait rappeler aux deux partis en présence qu’un bon casse-croûte n’exclut pas le couscous. Pourquoi vouloir les opposer ? Vous savez, je suis fils de vigneron, et de marchand de vin, du côté de ma mère. Alors, le vin joue un rôle important dans ma vie et cet élément a aussi joué un rôle dans l’éducation que j’ai voulu donner à mes enfants. Je leur ai transmis cette culture, afin de les prémunir contre l’alcoolisme. Et je pense qu’à travers le goût du vin, qu’ils ont conservé, ils ont manifesté une fidélité à leur pays. Pensez-vous qu’il y a, derrière, un clivage générationnel : la gauche âgée serait républicaine et les nouvelles générations peu ou prou gagnée par les thèmes woke (identités, minorités, frugalité…) ? Jacques Julliard : C’est bien possible, en effet. Parce que ce qui est décisif, c’est la nature de la formation reçue. Nous sommes les fils et les filles de l’école républicaine. Aussi, si beaucoup de jeunes se sont éloignés des idéaux de la gauche traditionnelle, c’est que l’école n’a pas fait son travail. L’échec le plus dramatique de la République, depuis trente ans, c’est celui de notre école.  Elle a cessé de leur enseigner que la France, si elle n’existe pas en dehors des Français bien sûr, doit être conçue comme une idée en surplomb des Français, et pas seulement comme une espèce de résultante d’un composite de tendances et de singularités. Et puis, je crois, moi, à l’existence de la culture française. Contrairement à Emmanuel Macron… Comment peut-on prétendre qu’il n’y a « pas de culture française » ? Pour moi, avoir dire cette ânerie a constitué un motif de rupture. 

Molière au Panthéon : ce que le débat dit de la République aujourd’hui

par Pascal Ory , Patrick Dandrey le 19 janvier 2022 photo du Panthéon, à Paris
Nous célébrions le 15 janvier dernier les 400 ans de la naissance de Molière. A cette occasion, un débat s’est ouvert sur l’entrée au Panthéon du plus illustre de nos dramaturges. Polémique stérile ou vrai débat sur notre conception de la République ?
Le Laboratoire de la République : Peut-on considérer que Molière était une sorte de républicain avant l'heure ? Et son Tartuffe annonce-t-il, à votre avis, notre laïcité ? Pascal Ory : Raisonner ainsi est assez anachronique. Le Tartuffe est audacieux pour son époque mais cette critique des hypocrites n’était pas incompatible avec, d’une part, une conception exigeante de la religion chrétienne, de l’autre, une protection royale, à un moment où Louis XIV pouvait se croire cible du « parti dévot ». Quant à la république, n’en parlons même pas : quand, un siècle plus tard, en mai 1789, s’ouvrent les États-Généraux, d’où sortira la Révolution française, aucun des élus -y compris Robespierre- n’est encore républicain. Non : le vœu de la panthéonisation de Molière est né d’un double constat : que les artistes sont très peu nombreux en ce lieu -Joséphine Baker est l’exception récente qui confirme la règle- et que la Comédie française est le plus vieil exemple au monde, et peut-être aujourd’hui le seul, d’une société de comédiens patronnée par l’État. L’Académie française a eu, au reste, plus d’audace que le gouvernement : elle a accueilli en son sein dès le XVIIIème siècle un buste de Molière, avec cette belle inscription, due à un confrère : « Rien ne manquait à sa gloire ; il manquait à la nôtre »… Patrick Dandrey : L’idée de République, pour Molière, renvoyait à la res publica romaine, rien moins que démocratique, et à la confédération batave, c’est-à-dire une oligarchie. Lui et ses contemporains ne peuvent penser en dehors du régime monarchique héréditaire. Mais le portrait du « prince » parfait qui anéantit Tartuffe au dernière acte de la comédie laisse deviner, en transparence de l’absolutisme bourbon, le « despote éclairé » des Philosophes des Lumières. Son « fin discernement » fonde sur les lumières de sa raison une justice lucide et implacable envers le masque d’une tyrannie dévote (Tartuffe) et une indulgence généreuse envers une fidélité au trône que l’amitié a temporairement égarée (Orgon). Si ce monarque idéal n’est pas encore voltairien, il est déjà cartésien.  Une démocratie balbutiante, en revanche, se révèle au sein de la famille d’Orgon partagée, comme un futur parlement républicain, entre le conservatisme obtus des dévots vrais et faux, réfractaires au débat, et les esprits raisonnables et raisonnant, qui revendiquent, comme Cléante, une liberté de conscience déjà laïque. « Parlons sans nous fâcher, Monsieur, je vous supplie », réclame Dorine à Orgon : parler, c’est raisonner. Et la raison est égalitaire : femme, célibataire et domestique, c’est-à-dire trois fois rien, Dorine se hausse à la hauteur de son riche et puissant maître, drapé dans son fanatisme aveugle, pour débattre en toute « laïcité » du gouvernement de sa famille. Faute de pouvoir être déjà publica, la ré-publique émerge au moins sur la scène de Molière comme res privata. Le Laboratoire de la République : Quels devraient être, d'après vous, les critères de sélection pour accueillir, au Panthéon les grandes figures de notre histoire ? Molière y a-t-il selon vous sa place ? Pascal Ory : Ce que je pense n’a aucune importance. J’essaye de décrypter la logique qui a présidé, dès le premier jour, à la panthéonisation des « grands hommes ». J’y vois trois voies d’entrée : patriotique, civique ou nationale. Patriotique quand ils se sont battus -parfois jusqu’à la mort- pour la liberté ou la libération de la France (le député Baudin ou Jean Moulin), civique quand la postérité leur reconnaît un rôle positif dans l’histoire des droits de l’homme (Condorcet ou Jaurès), nationale quand, ayant excellé dans leur domaine, ils ajoutent au prestige de la nation (Pierre et Marie Curie). Bien entendu l’idéal est atteint chez certains personnages qui réussiraient à combiner plusieurs de ces qualités, tel Victor Hugo, pour qui le Panthéon a été réouvert en 1885, ou André Malraux. Patrick Dandrey : La panthéonisation est la consécration nationale d’une excellence universelle. Or, écrivain national s’il en fut (le français n’est-il pas la « langue de Molière » ?), classique et par là offert à tous les âges, depuis celui des petites classes, poète identifiant d’une nation qui, plus que jamais, a besoin de faire communauté, Molière est tout autant universel : parce qu’il incarne le rire, ce « propre de l’homme » ; parce que, comme acteur, auteur, scénographe et chef de troupe, entrepreneur d’une start up qui connut la faillite et le succès, il incarne ce bien commun à l’humanité qu’est le théâtre ; parce qu’enfin il promeut une vision de l’homme saisi sous l’angle du ridicule, recours universel de ceux qui n’ont d’autre moyen pour contester les tyrannies d’État ou d’esprit, très majoritaires dans le monde d’aujourd’hui. Faire entrer l’auteur de Tartuffe au Panthéon, ce serait sanctuariser moralement le droit laïque et universel à la caricature blasphématoire.  Mais pour autant le théâtre, cet art qui ressuscite chaque fois qu’un acteur le réincarne, peut-il être enfoui dans l’ombre d’un tombeau ? Le rire peut-il trouver sa juste résonance sous les voûtes obscures d’une crypte ? Ne serait-ce pas donner la victoire définitive à la mort contre laquelle le poète comique chercha à se dérober, parade prodigieuse, sous le masque d’un malade imaginaire ? Peut-on même imaginer Molière mort ? On sait que les ossements enterrés sous son nom au Père Lachaise sont anonymes. N’est-ce pas le signe qu’il reste insaisissable, même pour les fossoyeurs ? Le Laboratoire de la République : Le débat qui a lieu en ce moment autour de "Molière au Panthéon" vous semble-t-il révélateur de conceptions différentes de l'identité culturelle de la France ? Si oui, lesquelles ? Patrick Dandrey : La question révèle bien des traits de notre imaginaire national : passion pour l’histoire et la littérature, pour le débat d’idées, pour la revendication égalitaire et la dérision moqueuse, dans le cadre et la mesure, pourtant, d’une conviction amère que l’injustice, la sottise et la méchanceté sont des fatalités ; ce qui rend la France volontiers misanthrope et périodiquement effervescente, comme le Misanthrope de Molière. Ces contradictions sont attisées par le projet de panthéoniser un poète d’Ancien Régime adulé par la République, un esprit frondeur qui prêche pourtant une sagesse mesurée, un féministe néanmoins pourfendeur des Femmes (trop) savantes, un libertin sans illusion sur le « grand seigneur méchant homme » qu’est Don Juan, mais pas plus sur son valet Sganarelle, tour à tour menteur et sincère, capon et hardi, stupide et malin, odieux et touchant, comme le peuple.  Ce débat révèle ainsi les contradictions de l’imaginaire national à travers celles d’une œuvre comique qui les a cristallisées en débusquant le ridicule inhérent à toutes les conduites, toutes les certitudes, tous les combats humains, même les plus nobles en apparence, perpétuellement menacés par ces deux égarements de l’imagination, sources de toutes nos erreurs, que Molière a si bien ciblés : la chimère qui prend des illusions pour réalité, la marotte qui s’engoue d’une idée fixe et y réduit la diversité des choses. Après tout, Molière au Panthéon, n’était-ce pas une chimère qui a tourné en marotte chez ses zélateurs ? Où qu’il soit, parions que Molière est le premier à en rire. Pascal Ory : Le fait qu’on débatte, voire qu’on se batte, autour de la panthéonisation de tel ou tel – Gisèle Halimi, Missak Manouchian, Molière, …- est un bon signe pour cette institution, pour ce symbole, pour ce pays. Le Panthéon est, au sens strict, un « monument », un lieu de mémoire. Le lieu de mémoire par excellence de la France. Il n’en est que plus problématique de constater qu’il est proportionnellement plus visité par les étrangers que par les Français. Une belle initiative a été prise par son administrateur, David Madec : y organiser des cérémonies d’entrée dans la nationalité française des nouveaux naturalisés. La distinction que j’ai faite au début permet d’éclairer le débat autour de Molière : si l’on choisit la troisième voie, sa panthéonisation se justifierait -mais les Curie ou Dumas, eux, appartiennent au monde moderne et ne sont pas en contradiction avec ses valeurs. Molière appartient au monde d’avant. Il n’y aurait qu’un biais solide pour l’admettre : se rappeler que la décision avait été prise, en 1793, de panthéoniser Descartes -et jamais mise en œuvre. Les faire entrer tous les deux serait surprenant mais aurait de la gueule… Pascal Ory est membre de l’Académie française Patrick Dandrey est professeur émérite de littérature française du XVIIe siècle à la faculté des Lettres de la Sorbonne

Hommage à Laurent Bouvet

par Isabelle Barbéris le 28 décembre 2021 photo de bougies
Il y a parfois des ouvrages qui partent d’un désir de dédicace, c’est le cas de mon prochain livre dédié à Laurent Bouvet. Ce furent les premiers mots que je tapais sur mon clavier, il y a deux ans : « A Laurent Bouvet. A tout honnête homme », alors même, je l’avoue, que je n’avais pas encore fermement arrêté le sujet précis que je souhaitais aborder…
Tribune publiée dans les pages « Idées » de Libération le lundi 27 décembre 2021 Lorsque j’ai rencontré Laurent Bouvet, je faisais le bilan d’une quinzaine d’années vécues dans un quartier bien dur de Seine Saint-Denis, et de ses déconvenues parfois très violentes. Quinze années où j’ai observé le clientélisme, la démission ou l’épuisement des pouvoirs publics, la clanisation, la paupérisation, ainsi qu’une forme d’inertie et de déshumanisation des rapports sociaux. C’était l’époque, juste après les attentats de novembre 2015, où Kamel Daoud se voyait intenter un procès intellectuel en racisme, où l’on voulait « élargir les trottoirs », où fleurissait la notion militante d’islamophobie. Sur mes deux terrains d’activité – l’université et la culture - j’observais la montée en puissance de discours creux et commodes, non seulement déconnectés de la réalité, en particulier pour l’ancienne enseignante en « zone de violence » que j’étais, mais contreproductifs sur le terrain de l’antiracisme et du progressisme, qui étaient pourtant brandis en toute circonstance. La lecture du Sens du peuple (2012) apportait des clés de compréhension et des pistes de refondation de la gauche sociale et démocrate. J’y vis un apport pour ma recherche (je travaillais alors sur théâtre et démocratie) mais aussi une planche de salut pour raffermir mes convictions politiques, que les errances idéologiques de la gauche « professionnelle » et des révolutionnaires de salon avaient considérablement rudoyées. Je pouvais enfin renouer avec une laïcité au cœur de mon histoire familiale, puisque ceux qui la conspuent méthodiquement semblent ignorer que la République laïque a permis l’intégration de plusieurs générations d’immigrés. Elle, et elle seule. Laurent était à la tête d’un mouvement intellectuel et militant qui voulait réarmer la gauche en lui offrant de se réapproprier son socle historique, laïque et universaliste. L’abandon de ces principes était à ses yeux – j’en suis pour ma part désormais convaincue – à l’origine de son effondrement et d’une escalade des extrêmes qui mettait en péril la vie démocratique dans son ensemble. Chez lui, cette thèse a toujours été explicitement rattachée à un combat contre l’extrême-droite, dont il a prophétisé la montée en puissance. Qui pourrait aujourd’hui lui donner tort ? En pointant sans fard l’ornière « sociétale » et culturaliste de la gauche postmoderne, il affirmait l’urgence d’en revenir à une conception d’abord politique de l’émancipation. C’est dire à quel point le procès qui lui est fait au sujet de l’ « insécurité culturelle » me semblait et me semble toujours hypocrite : partant du constat du repli identitaire, son projet intellectuel était de redonner corps au « peuple politique », afin de se prémunir de tout enfermement. En restant sourde à ses alertes, la gauche s’est elle-même inoculée un lent poison qui pourrait bien s’avérer mortel. Sa contribution à la gauche républicaine et sociale est majeure, et il l’a menée à bien avec détermination : cela lui valut des évictions, des tirs de barrage professionnels, des attaques personnelles souvent odieuses et obsessionnelles, méconnaissant totalement sa part humaniste, sa camaraderie, sa gentillesse, son ouverture d’esprit. C’est aussi tout ce qui opposait Laurent Bouvet à la figure du mandarin qui opte pour la rente idéologique et la facilité. Et c’est ce qui explique l’admiration et l’affection que les étudiants accordaient à leur professeur, pédagogue érudit et accessible. Il était l’incarnation de la « common decency » ; l’opposé des pulsions haineuses qui rongent la gauche, et de la tendance au mépris qui mine la droite. Combatif, il l’était, avec les débordements humains que cela implique, mais sans cette méchanceté qui pourrit aujourd’hui le débat démocratique. Il pensait à l’échelle de l’humain, sans le renvoyer à des assignations préconçues, sans nier les différences, sans jamais non plus les penser comme insurmontables. Il y avait, dans le rire à gorge déployée, dans la barbe et le regard perçant, dans la force d’entrainement, dans l’amour du peuple, dans l’insatiable curiosité et surtout dans la manière de ne jamais, jamais, jamais rien céder, quelque chose d’hugolien et de la force-qui-va. Une saleté de maladie ne lui aura pas permis de traverser un siècle. Il a toujours répondu présent dans les moments difficiles, et sans lui, sans ses amis, j’aurais peut-être dû renoncer à mes propres convictions. Je dois à Laurent Bouvet de m’avoir donné le courage de ne pas démissionner de mes principes. Il n’y a pas d’au-delà pour les laïques que nous sommes, mais tu as gagné ta place dans le ciel des idées, cher Laurent.

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