République sociale

EHPAD : ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie ?

par Dr Olivier de Ladoucette le 2 février 2022
"La parole soulève plus de terre que le fossoyeur ne le peut" avait écrit René Char. Dernier exemple en date : la publication, le 26 janvier dernier, d'une enquête fouillée (Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, publié chez Fayard), sur le quatrième âge et sur le traitement des personnes âgées dépendantes. Etat des lieux avec le Dr Olivier de Ladoucette.
photo de personne âgée devant une fenêtre

Le Dr Olivier de Ladoucette est psychiatre, gériatre et Président de la Fondation Recherche Alzheimer et co-fondateur de SOS EHPAD.

La situation des EHPAD, décrite dans cette enquête ainsi que dans « anéantir » le dernier ouvrage de M. Houellebecq, est-elle, comme le suggère l’auteur, le signe d’un affaiblissement du lien intergénérationnel?

Dr Olivier de Ladoucette : Oui sans doute. Ce qui est derrière tout ça, est une forme d’âgisme, c’est-à-dire une intolérance vis-à-vis du sujet âgé (le racisme anti-vieux) qui traverse nos sociétés contemporaines et qui a pour origine un certain nombre de facteurs culturels et sociologiques. Le premier est le refus de la mort. Les personnes âgées, étant le plus proche de la mort, nous renvoient à notre propre finitude. Le deuxième point concerne la différence. Le sujet âgé est différent par son comportement, son physique et sa compréhension des choses. Souvent victime de la fracture numérique, il a du mal à s’adapter au monde actuel et les plus jeunes ont du mal à le comprendre. Cela participe également de cette exclusion.

Enfin les contraintes de logement, les difficultés financières rendent plus difficiles le contact étroit avec un parent vieillissant A un niveau individuel les liens intergénérationnels peuvent exister, certaines personnes âgées ont d’excellents rapports avec leurs proches, y compris les plus jeunes. Cela va dépendre beaucoup d’eux et de la manière dont ils ont interagi avec leur entourage dans le passé. Les rapports ne se font plus sur le mode du devoir mais de la réciprocité : « je te rends ce que tu m’as donné ».

Est-ce, selon vous, la seule explication aux dérives constatées dans certains EHPAD ?

Dr Olivier de Ladoucette : Les EHPAD sont une mauvaise solution posée à un vrai problème. Le vrai problème c’est la dépendance des personnes âgées. Cette dépendance augmente avec le vieillissement de la population. Même si on vit de plus en plus longtemps en bonne santé, nous allons tous à un moment décliner et mourir. Cette période de déclin, qui dure plus ou moins longtemps, a besoin d’être gérée. Aujourd’hui en France et dans de nombreux pays développés, la solution retenue passe par la construction d’établissements d’accueil pour personnes dépendantes. Par définition ces structures sont maltraitantes, puisqu’on y accueille à 50% des personnes qui présentent des troubles cognitifs plus ou moins graves, donc peu conscientes des raisons pour lesquelles on les conduit dans ces établissements. Quand elles sont lucides, peu sont consentantes. Elles y vont contraintes et forcées, pour raisons de santé. On ne va plus, comme autrefois, en maison de retraite pour des raisons sociales, on va en EHPAD pour des motifs médicaux.

Les EHPAD sont des lieux d’enfermement thérapeutiques où l’on vient pour mourir. Quand on a réalisé cela, on comprend aussi que pour les équipes, éviter de rendre ces endroits trop mortifères, est un challenge extrêmement compliqué. La grande majorité des établissements font ce qu’ils peuvent. Ce livre dénonce certainement des dérives mais il ne faut pas en faire une généralité. L’EHPAD bashing c’est très facile, mais en réalité des progrès importants ont été faits si on compare avec la situation il y a 20 – 30 ans. Certes il reste encore des progrès à faire. Il faudrait réinventer le concept même de l’EHPAD.

A votre avis, le modèle actuel est-il tenable ? Quelles mesures devraient être mises en place pour améliorer la prise en charge des personnes âgées dépendantes ?

Dr Olivier de Ladoucette : En France la politique du vieillissement a toujours été à la traîne. C’est une « patate chaude » que les différents gouvernements se refilent sans savoir comment vraiment résoudre le problème. Dans le gouvernement actuel il n’y a même pas de secrétariat d’Etat aux personnes âgées, et, dans le passé, on a rarement nommé des secrétaires d’Etat qui connaissaient vraiment le sujet. On n’a donc pas de politique du vieillissement et on n’a pas non plus de financement pour cette filière. Dans les pays d’Europe du Nord comme la Suède et le Danemark, plutôt que de grands établissements, ils ont mis en place des logements d’accueil sous forme d’appartements disséminés sur tout le territoire. Ils ont en moyenne 10 soignants pour 10 patients, soit un ratio de 1. En France le ratio est de 0,6. Le personnel est sous-payé, peu valorisé et chroniquement en sous effectifs.

Les EHPAD privés représentent 30% des EHPAD en France. Les situations conduisant à la maltraitance dans les autres établissements (publics et associatifs), qui manquent de moyens, y sont hélas aussi certainement présentes.

Il faut absolument revaloriser la filière gériatrique, la refinancer, lui donner un peu d’éclat pour attirer du personnel. Il faut aussi restructurer la prise en charge des personnes âgées et essayer de trouver des solutions pour les maintenir à domicile dans de bonnes conditions le plus longtemps possible. Et enfin il faut trouver de nouveaux modes d’accueil du sujet âgé très dépendant.

Le Laboratoire
de la République

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