Le 30 mars 2023, la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France" a rendu son rapport. Ses conclusions décryptent les raisons de ce constat. Le député Antoine Armand évoque pour la commission Défi environnemental du Laboratoire les pistes de solution pour regagner en souveraineté et favoriser sobriété et transition énergétique vertueuse.
Antoine Armand, dans le cadre des travaux de la commission « défi environnemental » du Laboratoire de la République, nous éclaire sur les décisions politiques qui ont conduit à la situation de dépendance énergétique actuelle.
Celle-ci a impliqué, l’hiver dernier, la nécessité de prendre des mesures d’urgence en matière de sobriété. Le parlementaire, en revenant sur les principales conclusions de la commission d’enquête, nous explique les grandes orientations qui permettront de retrouver notre souveraineté énergétique et d’optimiser la transition écologique.
Regarder l’entretien en entier sur notre chaîne Youtube :
Entretien avec le député Antoine Armand, rapporteur de la commission d’enquête « visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France »
Gilles Clavreul, haut fonctionnaire et cofondateur du Printemps républicain, répond aux questions du Laboratoire de la République au sujet des potentielles réformes institutionnelles de l'exécutif et évoque les relations entre le président et le premier ministre à l'aube du nouveau quinquennat.
Dans la plupart des démocraties, le rôle et les pouvoirs du chef du gouvernement sont très grands, tandis que ceux du chef de l’État, là où le poste existe séparément, sont très limités (Italie, Allemagne), voire inexistants (reine d’Angleterre). Pourquoi en va-t-il différemment chez nous ? Est-ce une bonne ou une mauvaise chose, à vos yeux ?
Gilles Clavreul : Les systèmes politiques sont les héritiers de nos histoires nationales. Le modèle parlementaire, suivant l’exemple britannique, s’est répandu en Europe à la fois parmi les nations qui ont conservé la monarchie, et parmi ceux qui ont eu à pâtir d’une expérience autoritaire ou totalitaire. La France elle aussi, ne l’oublions pas, a vécu de longues décennies de régime parlementaire stable sous la IIIème République.
Cependant, le traumatisme de la défaite de 1940 et les excès du régime d’assemblée de la IVème, empêtrée dans les guerres de décolonisation, ont achevé de convaincre les Français qu’une forme de rééquilibrage au profit de l’exécutif devait être recherché. Cela a donné les institutions de la Vème, non sans de vives controverses, puisque certaines des plus éminentes figures de la République parlementaire, à commencer par Pierre Mendès-France, s’y sont vigoureusement opposées.
Il est courant d’expliquer cette voie française par une sorte d’inguérissable nostalgie pour l’absolutisme monarchique, ou pour cet hybride empruntant à la fois à l’idée républicaine et au principe monarchique qu’a été le bonapartisme. On peut en faire une lecture disons moins psychologisante : la démocratie, c’est toujours la recherche d’un équilibre. Équilibre entre les pouvoirs, équilibre entre exigence d’unité et expression de la pluralité, équilibre entre délibération et action.
Aucune solution n’est parfaite, toutes aboutissent à des résultats très différents. Ainsi l’Allemagne connait une stabilité politique remarquable, marquée à la fois par la propension à créer de vastes coalitions, et par la longévité exceptionnelle des chanceliers : Olaf Scholz n’est que le neuvième chef du gouvernement depuis 1949 ! A l’autre extrémité, l’Italie a longtemps connu une instabilité chronique ; plus près de nous dans le temps, le président israélien a dû convoquer les électeurs à quatre reprises en deux ans, faute de dégager une majorité, structurellement difficile à constituer compte tenu de la proportionnelle intégrale.
Notre régime présidentiel, ou semi-présidentiel comme l’ont appelé certains publicistes, nous distingue-t-il radicalement des autres ? Oui, à une grosse exception près : les États-Unis. Mais à partir d’une expérience politique aux antipodes de la nôtre, dépourvue de référence absolutiste et aussi éloignée que possible de notre infrastructure politico-administrative centralisatrice.
La Constitution prévoit que le Premier ministre « dirige l’action du gouvernement » (21) et « dispose de l’administration et de la force armée » (20). Dans les faits, beaucoup de présidents ont traité le Premier ministre comme un simple « collaborateur » (Sarkozy sur Fillon), ou comme un fusible. A l’aube de ce second quinquennat d’Emmanuel Macron, quel conseil lui donneriez-vous quant au choix d’un Premier ministre ?
Gilles Clavreul : Dans la première version de la Constitution de 1958, le Président est élu par un collège de grands électeurs : il dispose d’une légitimité démocratique et institutionnelle, mais c’est la révision de 1962, dans les conditions controversées d’un référendum par le moyen de l’article 11, qui lui donne une légitimité populaire. Dans ces conditions, comment le Premier ministre, qu’il nomme, pourrait-il être autre chose que le premier de ses collaborateurs ? Réponse : en cas de cohabitation. Là, bien que les textes ne l’y obligent pas, le président est contraint, dans les faits, à choisir un Premier ministre issu des rangs de la majorité parlementaire.
Mais la réforme du quinquennat a réduit très fortement la probabilité d’une cohabitation – sans l’annihiler complètement, cela dit. En tout cas, de 2012 à 2017, les Français ont mis quatre fois de suite le Palais-Bourbon en cohérence avec l’Élysée – d’ailleurs, l’habitude a été prise de parler de « majorité présidentielle », et ce dès avant le quinquennat. Dans ces conditions, le Premier ministre a la place que le Président lui donne, ni plus ni moins. Le choix des termes (« collaborateur », « fusible », etc.) est secondaire.
Le problème que cela pose est facile à saisir : c’est celui de l’expression de la diversité des opinions, indispensable à la respiration démocratique, et à sa prise en compte par l’exécutif. Notre pays souffre incontestablement d’un manque de représentation, beaucoup de nos concitoyens ne s’estimant pas entendus. Il faut trouver une forme d’exercice du pouvoir qui, sans compromettre l’efficacité de l’action de l’État – que les citoyens attendent aussi -, permette d’associer davantage la société.
Dans sa récente interview au Point, E Macron distingue « l’exécutif gouvernemental » de « l’exécutif présidentiel » et dit être à la recherche de moyens visant à désynchroniser le rythme des élections qui les sanctionnent (retour éventuel au septennat, élections de midterms, à l’américaine…). Qu’en pensez-vous ?
Gilles Clavreul : Le quinquennat raccourcit tout. Il place, de fait, le Président en première ligne sur tous les sujets. Ce schéma n’est pas celui de la Vème à son origine, qui place le Président en surplomb, garant des intérêts fondamentaux de la Nation et maître des décisions ultimes. Je suis pour ma part favorable à ce qu’on revienne à cette formule, qui distingue – plus qu’il ne dissocie, car il doit toujours y avoir une certaine cohérence – le temps long présidentiel et le temps court de l’action gouvernemental.
Pour cela, on peut en effet revenir au septennat voire, pourquoi pas, envisager un mandat encore plus long, mais non renouvelable. Cela dégagerait totalement la fonction présidentielle de la contingence partisane. En revanche, cela laisse pendante la question de l’animation de la vie démocratique. On peut envisager des solutions comme des élections intermédiaires, mais on pourrait aussi se dire que la pratique politique est d’abord en cause, et non les institutions : les partis politiques ne jouent plus le rôle de catalyseurs d’hommes et d’idées, ils sont devenus des machines électorales froides, dont les citoyens se défient ; la démocratie locale s’affaiblit en raison de l’enchevêtrement des responsabilités et du centralisme ; le champ médiatique est saturé par la commentocratie et menacé par les fake news.
C’est l’ensemble de notre vie démocratique qu’il faut repenser à nouveaux frais. Il faut la repenser par le bas, c’est-à-dire par le citoyen : à quoi aspire-t-il ? quelles sont ses moyens d’agir ? comment s’informe-t-il ? comment se fait-il entendre ? etc. Le citoyen n’est pas le consommateur qui se trouve au bout du dernier kilomètre : il est le kilomètre-zéro de la démocratie, son point de départ, avant d’être son point d’arrivée.
Seriez-vous favorable à un régime de type présidentiel pur, qui supposerait la suppression du poste de Premier ministre et l’irresponsabilité politique du Président de la République devant l’Assemblée nationale ? Pourquoi ?
Gilles Clavreul : Ce serait aller au bout de la logique du quinquennat, or je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure.
Gilles Clavreul est haut-fonctionnaire, cofondateur du mouvement Printemps républicain et délégué général du thinktank L'Aurore. De 2015 à 2017, il est délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
Sommes-nous vraiment prêts à le relever ? La question du changement climatique cristallise certaines peurs, celle de l’avenir de notre planète, des futures générations. Alors que La COP27 s’achève et nourrit ce dialogue entre les dirigeants du monde, le titre du dernier ouvrage de Bertrand Badré, « Voulons nous sérieusement changer le monde ? » semble être plus que d’actualité. Ancien Directeur Général de la Banque mondiale, il dirige actuellement Blue like an Orange, il revient pour nous sur l’urgence à réussir cette transformation.
Le Laboratoire de la République : La tenue de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique fixe une fois de plus les enjeux des bouleversements auxquels le monde fait face. Un des objectifs fixés est de renforcer les ambitions d’une solidarité internationale. Pensez-vous que nous en prenions le chemin ? Cette fraternité à l’échelle mondiale est- elle vraiment possible ?
Bertrand Badré : Nous n'avons pas le choix. Comme déjà évoqué dans mes différents ouvrages et reprenant d'ailleurs les paroles de l’encyclique « fratelli, Tutti » du Pape François : « on n'est pas forcément sur le même pont ou dans la même classe, mais on est tous sur le même bateau. » Si nous n’avons pas une approche fraternelle de cette question planétaire, nous n'y arriverons pas. Des efforts formidables sont faits en France et en Europe. Mais la réalité est plus complexe. Si on ne permet pas à des pays qui ne sont pas partie de la même situation que nous, en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, de s'accrocher au paquebot, on aura tout perdu. La bataille du climat se livre partout tant à Bruxelles, Washington que Paris. Elle se gagnera ou se perdra à la fin à Delhi ou à Bogota. Et donc cette COP est très importante parce qu'elle met le doigt là où ça fait mal. Les pays riches s'étaient engagés à accompagner financièrement les plus pauvres à hauteur de 100 milliards de dollars par an pour l’action climatique pour la période 2020-2025. Cet objectif a été rappelé à Copenhague en 2009, à Paris en 2015. Nous sommes en 2022 et nous n’y sommes toujours pas. Les pays qui souffrent le plus du climat sont précisément ceux qui n'ont pas contribué à ce changement climatique. La proportion des émissions de gaz à effet de serre qui relèvent des anciens pays industrialisés est colossale par rapport à ce qu'a pu émettre un pays comme la Côte d'Ivoire, le Cambodge, la Bolivie ou la Colombie.
On est effectivement dans une approche où la fraternité est probablement une des clés, une fraternité intéressée d'ailleurs, mais une fraternité malgré tout. Certains imaginent un monde où l’on construit des digues et des murs protégés par des drones ou toutes sortes de prouesses technologiques qui nous isolent du reste du monde. Cela ne peut pas être ma vision.
Le Laboratoire de la République : En désignant deux ministres chargés respectivement de la transition écologique et de la transition énergétique, le gouvernement français souhaite renforcer son action de planification. Est-ce selon vous, suffisant ?
Bertrand Badré : je n'ai pas d'avis sur la structuration gouvernementale elle-même et je n'aime pas tellement le mot de « transition », je lui préfère celui de transformation. Il ne s’agit pas non de réduire cette question aux émissions de carbone. En tirant sur la pelote on s’aperçoit rapidement que cette transformation pose un cadre plus vaste et que tous les sujets viennent les uns derrière les autres. S’il suffisait que nous ayons tous une voiture électrique pour qu'il n'y ait plus de problème, ce serait simple. La construction de la voiture électrique est un sujet complexe en soit. Même chose pour la question des éoliennes. On voit bien que le concept qui se développe c'est celui de transition juste, parce qu'il y a une dimension sociale. Tous ces sujets sont très liés les uns aux autres et remettent en question notre modèle, notre mode de production, de consommation et de financement.
Ces transformations sur le développement durable et le climat ne se passent pas d’ailleurs comme on l'avait prévu en 2015. On a implicitement laissé la main libre à « la main invisible » en pensant que le marché allait faire le boulot. Sept ans plus tard, on a certes fait des progrès, mais très insuffisants. Les Français aiment bien le mot de « planification », il leur rappelle la période de la reconstruction à la sortie de la seconde guerre mondiale. Je pense qu'effectivement qu’il faut une planification mais pas seulement étatique. Il faut surtout garder cet esprit de la planification à la française où tout le monde a été capable de se mettre autour de la table en disant : « voilà, on a un objectif qui est celui-là, comment peut-on ajouter les pièces ? Comment chacun peut y contribuer sachant qu’il y aura des gagnants et des perdants ? » A l’heure actuelle, nous sommes dans cette phase où il faut rendre la main un peu plus visible. Cela oblige à prendre des décisions fortes. Ce qui peut expliquer que les débats soient tendus en ce moment. Non seulement parce que la conjoncture est plus difficile, que la crise énergétique est là mais aussi parce qu'on se rend compte que la situation doit être prise au sérieux et la prise de décision aura des conséquences sur le long terme.
Le Laboratoire de la République : le premier chantier de cette planification écologique est l'eau. Face à la complexité du sujet, pensez-vous qu’il faille accorder plus de place au travail de la recherche, à la science dans le débat d’idées et la prise de décision politique ?
Bertrand Badré : Je n'aime pas parler de priorité parce que dans la planification, on comprend précisément que les sujets sont liés et que tout est prioritaire. Il faut traiter les sujets les uns avec les autres. L'eau est évidemment un sujet central, mais j'ose dire ni plus ni moins que le CO2, la biodiversité, nos équilibres sociaux, environnementaux. Avoir une approche d'ensemble de rénovation de notre modèle économique est essentiel et non la prendre par petits bouts. Ne perdons pas à l’esprit que depuis la création, le vieux principe de Lavoisier s’applique à la planète terre : « rien ne se perd, tout se transforme ». Le problème, c'est que cette eau, elle est plus ou moins disponible, plus ou moins propre. Et c'est un problème mondial. Le cycle de l'eau est mondial et en même temps, c'est très local. On est obligé de penser mondial et d'agir local.
La prise en compte du réchauffement climatique a un fondement scientifique. Il y a un travail de pédagogie, de compréhension nécessaire. Il faut évidemment laisser sa place pleine et entière à la science et aux faits dans l'intérêt même de la parole politique. Dans un monde où les gens ne croient plus aux experts, il faut à la fois au maximum réhabiliter la science pour que la parole complotiste recule. Et en même temps, il ne faut pas la nier. Et donc la question se pose : « comment embarque -t-on tous ces gens-là sans créer de psychodrame, voire de révolte? »
Le Laboratoire de la République : Les grandes écoles françaises s’emparent de la question climatique pour adapter le système éducatif aux nombreux défis. Vous intervenez régulièrement dans des grandes universités à travers le monde pour partager votre expérience et analyse, pensez-vous que nous soyons assez compétitif par rapport à d’autres pays du monde ?
Bertrand Badré : Je suis revenu en France il y a un an. J'ai fait un certain nombre d'interventions dans un certain nombre d'écoles et d'universités. Ça ne me donne pas une légitimité pour savoir si on est bien ou mal formé ici. En revanche, ce qui me parait central c ‘est d’avoir une approche multidisciplinaire. Notre faiblesse c'est que le rayonnement de nos institutions est plus limité que le rayonnement des grandes institutions anglo-saxonnes. C'est triste, mais c'est comme ça. C'est aussi important de regarder ce qui peut se passer dans les grandes universités britanniques ou américaines qui ont une force de frappe, y compris financière, infiniment supérieure à la nôtre. On a quand même beaucoup d’atouts qu’il faut valoriser. Je pense aux savoir-faire d’entreprises telle que Veolia, à l’effervescence de la French tech, aux nombreux intellectuels et chercheurs comme le penseur du « nouveau régime climatique » Bruno Latour ou le prix Nobel Jean Tirole. J'ai eu la chance d'avoir des responsabilités internationales, j’ai pu observer l’influence de la France. Elle n'est pas non plus infinie. L'Europe est un levier important à ne pas négliger, elle a une capacité à faire travailler ensemble des pays et c’est là un chemin d’avenir. Et probablement aussi, on ne prend pas complètement en compte les liens possibles avec les Britanniques.
D’une manière générale, il y a toujours intérêt à construire ces ponts entre toutes les parties prenantes : entreprises et ministères, mais aussi la puissance publique avec les ONG. Chacun est convaincu d'avoir raison tout seul. Donc il faut des endroits où tous les gens qui auraient raison tout seul se rendent compte qu'ils n'ont pas forcément raison sur tout et qu'ils sont plus pertinents ensemble. C'est un enjeu majeur. Je suis très préoccupé de l'urgence à trouver des solutions, là encore une fois il faut faire preuve d'intelligence collective.
Jean-François Cervel, ancien inspecteur général de l'Éducation nationale, ancien directeur du Cnous (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires) et membre de la commission géopolitique du Laboratoire de la République, analyse le nouvel ordre mondial en place depuis le début de la guerre en Ukraine. Il s'attache, dans cette tribune, à révéler le projet plus ambitieux de Vladimir Poutine de redistribuer les cartes du jeu géopolitique et géostratégique mondial afin de mettre en marche une véritable "révolution mondiale".
La décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine le 24 février 2022 n’est pas seulement la manifestation d’un impérialisme territorial classique souhaitant retrouver une partie de l’empire soviétique défunt. Elle s’inscrit dans un projet beaucoup plus ambitieux d’instaurer un nouvel ordre mondial.
Le projet est global, relevant de la géostratégie et de l’idéologie. Il s’agit de mettre fin à la domination occidentale sur le monde et de faire disparaître, du même coup, la pensée libérale qui caractérise l’occident depuis le 18eme siècle. Cette « révolution mondiale » a été clairement affirmée par Vladimir Poutine. Elle est partagée par une grande partie des pays du monde et, au premier chef, par les dirigeants chinois. Ces pays s’organisent, aujourd’hui, dans une alliance plus ou moins formalisée contre l’occident afin d’établir ce nouvel ordre du monde.
Il s’agit, d’une part, de s’attaquer à la position dominante américaine et, d’autre part, de détruire les fondements du système libéral occidental. En dépit des deux guerres mondiales qui ont ravagé l’Europe, la domination occidentale sur le monde a perduré. Victorieux en 1918, encore davantage en 1945 puis en 1989, les États-Unis d’Amérique ont dominé le monde. Le dollar règne en maître sur les échanges internationaux et sur la finance mondiale, les États-Unis, avec leurs alliés de l’OTAN, britanniques et français, ont trois sièges de membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, l’armée américaine possède des bases sur tous les continents, les grandes entreprises américaines dominent largement les marchés des technologies les plus avancées, les standards et le droit étasuniens tendent à s’imposer partout... C’est d’abord à cette domination historique que nombre de pays veulent mettre fin. Mais, par-delà cette remise en cause de puissances dominantes, c’est aux fondements du système occidental qu’ils veulent s’attaquer.
Qu’est-ce que le système occidental ? Le système occidental se définit fondamentalement par la défense de l’individu et de sa liberté, la gestion démocratique de l’intérêt général, la limitation de l’arbitraire du pouvoir dans le cadre d’un Etat de droit, le règlement pacifique des conflits, l’universalisme des valeurs des droits de l’homme et du citoyen, le progrès de la connaissance et de l’éducation de tous. C’est donc un système libéral, démocratique, progressiste et universaliste.
Le système libéral n’est ni la licence, ni l’anarchie, ni le libertarisme que certains dénoncent. Le système libéral c’est la gestion d’un équilibre permanent entre les droits de l’individu et l’organisation de l’intérêt général. C’est la destruction de ce corpus de valeurs qui forment un tout et qui constituent le « système libéral », qui est l’objectif central de l’alliance des pays anti-libéraux qui contestent chacun des éléments de cet ensemble.
Au fil du temps, les ennemis de ce système de valeurs ont été nombreux. Les intégrismes religieux, les idéologies fasciste, national-socialiste et communiste ont affirmé leur volonté de détruire ce système de la liberté. Les mêmes sources idéologiques affichent à nouveau, aujourd’hui, avec une force particulière, leur volonté de destruction. Comme le dit clairement Pierre Servent, il suffit de lire les textes des idéologues islamistes, russes et plus encore chinois pour comprendre que c’est sur ce registre que se situe le combat.
Bien entendu, il est parfaitement légitime de contester la domination des puissances occidentales et, au premier chef, la domination américaine et de souhaiter une organisation plus équilibrée de la gestion du monde, faisant appel à tous les acteurs, sur tous les continents. Bien entendu, il est parfaitement légitime de dénoncer les excès du système libéral et de souhaiter une régulation plus ferme de ses dérives, environnementales, financières ou sociales.
Mais le « nouvel ordre mondial » doit-il, sous prétexte de rééquilibrage, faire disparaître la liberté et la démocratie ?
C’est la question que l’on doit se poser en examinant ces propositions de nouvel ordre mondial que prônent un certain nombre de dirigeants alors que, selon une analyse récente (citée par Pierre Buhler, dans Le Monde, le 10 novembre 2022 ), seuls 34 pays relèvent, aujourd’hui, de la catégorie des démocraties libérales !
Le « nouvel ordre mondial » peut-il être celui préconisé par nombre d’intégristes de toutes les religions et notamment islamistes qui veulent imposer leurs croyances et leur organisation traditionnelle de la société ?
Le nouvel ordre mondial peut-il être l’ordre autocratique et militaire que Vladimir Poutine veut imposer à l’Ukraine en détruisant ses infrastructures et en martyrisant sa population civile en la livrant à une soldatesque qui, comme toute soldatesque au long de l’histoire, détruit, massacre, viole et pille ?
Le nouvel ordre mondial peut-il être l’ordre totalitaire du Parti communiste chinois qui veut imposer partout son despotisme prétendument éclairé dans une société totalement contrôlée, uniformisée, enrégimentée, sous l’autorité d’une oligarchie auto-désignée dans la plus totale opacité ?
Les textes adoptés par le Parti communiste chinois parlent d’un monde idyllique de prospérité, de développement harmonieux, de défense d’un véritable multilatéralisme, de réforme du système de gouvernance mondiale. Ils affirment que « la Chine aide à la stabilisation d’un monde changeant et troublé ». Ils prônent le partage et la coopération gagnant-gagnant.
Peu importe les changements dans le monde, la Chine dans la nouvelle ère sera toujours un bâtisseur de la paix mondiale, un contributeur au développement mondial, un défenseur de l’ordre international. La Chine ne va bien que lorsque le monde va bien et le monde va encore mieux lorsque la Chine va bien. Le concept de construction de la communauté de destin pour l’humanité relie le rêve chinois aux rêves des peuples du monde entier.
Texte affiché lors d’une exposition chinoise dans les locaux de l’UNESCO à Paris le 15 novembre 2022.
Derrière ces propos lénifiants de prospérité partagée et de développement mondial harmonieux, il y a la réalité du rouleau compresseur de la dictature communiste chinoise et de sa main mise progressive sur de nombreux pays devenus économiquement et financièrement dépendants. Le multilatéralisme prétendument égalitaire peut-il être développé avec des pays autoritaires dont les dirigeants n’ont aucune légitimité démocratique ?
C’est toute la question qui est posée aujourd’hui. La « révolution mondiale » que Vladimir Poutine appelle de ses vœux doit-elle être la victoire de l’alliance des régimes autoritaires visant à vaincre enfin les tenants du système libéral ? L’union des régimes autoritaires de la Chine, de la Russie, de l’Iran, manipulant les états vassaux de la Corée du Nord ou de la Syrie serait-elle plus efficace et plus satisfaisante pour la gouvernance du monde que le système libéral ?
Bien sûr, le nouvel ordre mondial ne doit pas être non plus l’ordre insidieux que veulent mettre en place les sociétés multinationales du Net ou les détenteurs de la puissance financière qui s’organisent pour échapper à toute réglementation et à tout contrôle au service de leurs seuls profits. La liberté des puissances économiques ne doit évidemment pas l’emporter sur la bonne gouvernance de l’intérêt général.
Le nouvel ordre mondial devrait donc être un ordre collectif supra national garantissant la liberté individuelle et organisant le pilotage de l’intérêt général planétaire. Il devrait être l’ordre d’une véritable République-Monde en charge d’un développement harmonieux de l’espèce humaine respectant l’environnement naturel dont elle procède. Il ne devrait être l’ordre d’aucun pays ni d’aucun groupe d’intérêts mais il devrait être celui de l’intérêt général de l’humanité. C’est cet ordre-là qui devrait l’emporter sur les logiques d’affrontement, de guerre et de mort qui sont affichées aujourd’hui par l’alliance des puissances totalitaires.
Evidemment, une telle définition paraît totalement utopique aujourd’hui alors que la réalité est celle de l’affirmation généralisée d’intégrismes exacerbés et belliqueux.
Mais il faut continuer à affirmer ce projet qui est le seul à même d’éviter des dérives tragiques pour tous.
L’Europe, porteuse de ces valeurs de paix, de respect et de liberté doit continuer à défendre cette ambition collective que demandent tous les peuples à travers le monde.
Jean-François Cervel
Jean-François Cervel a été directeur du Cnous (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires). Agrégé d'histoire, il a effectué la quasi-totalité de sa carrière au sein de l'administration, notamment en tant qu'inspecteur général de l'administration de l'Éducation nationale. Il est membre de la commission "Géopolitique" du Laboratoire.
Le Laboratoire de la République
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