Étiquettes : République

« La France est ma seule communauté, mon pays et mon exil »

par Omar Youssef Souleimane le 9 octobre 2023
A l'occasion de la sortie de son dernier ouvrage "Être Français" aux éditions Flammarion, Omar Youssef Souleimane, journaliste, auteur et poète syrien, témoigne de son amour pour la France, pays qui l'a accueilli en lui donnant la nationalité française l'année dernière. Il dénonce la dictature de Bachar al-Assad en Syrie et rend hommage aux Syriens restés sur place qui résistent face au régime violent et assassin.
Omar Youssef Souleimane a quitté la Syrie à cause de sa participation dans la révolution syrienne et de son opposition au régime dictatorial de Bachar-al-Assad. Il nous fait part de son sentiment sur la situation actuelle et sur sa position en tant que réfugié politique. Il nous décrypte le terme de dictature et nous dit qu'il ne faut pas utiliser ce qualificatif pour tout et n'importe quoi. Par exemple, utiliser ce terme pour la France est lourd de sens et innocente en quelque sorte le dictateur syrien. Entretien complet sur notre chaîne YouTube : https://youtu.be/2EOPljSZ4wA

Jeudi 19 octobre : Drame du Haut Karabagh et menaces sur l’Arménie (complet)

par L'équipe du Lab' le 7 octobre 2023
Jeudi 19 octobre, à la Maison de l'Amérique latine, le Laboratoire de la République vous invite à la première étape d’une mobilisation de l’opinion publique face au drame du Haut-Karabakh et aux menaces pesant sur l’Arménie.
Face au drame du Haut-Karabakh et aux menaces pesant sur l’Arménie, le Laboratoire de la République vous invite le 19 octobre prochain à la première étape d’une mobilisation de l’opinion publique. L’objectif de cette initiative est de décrypter les enjeux humanitaires et géopolitiques de la tragédie en cours et de fédérer le plus grand nombre autour de propositions concrètes. En présence de Hasmik Tolmajyan, ambassadrice d’Arménie en France Hovhannès Guévorkian, représentant du Haut-Karabagh Nathalie Loiseau, député européenne Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale Tigrane Yegavian, chercheur et auteur, spécialiste géopolitique Jean-Christophe Buisson, journaliste et spécialiste de l’Arménie et de plusieurs associations arméniennes, de nombreux intellectuels et politiques qui s’engagent aux côtés du Laboratoire pour qu’un soutien et des solutions durables s’organisent. Nous croyons en la puissance de la réflexion collective et de l'engagement. Joignez vous à nous pour promouvoir des solutions afin d'apporter un soutien significatif à l'Arménie et à la région du Haut-Karabagh. Quand ? Jeudi 19 octobre, 19h Où ? Maison de l’Amérique latine 217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris NOMBRE DE PLACES ATTEINT.

Logement : « N’attendons pas un autre hiver 1954… »

par Sophie Bénard le 5 octobre 2023
Parc HLM saturé, pénurie de logement de long terme, prix en hausse, difficultés grandissantes d'accès à la propriété : la crise du logement en France semble s'amplifier, l'inflation des derniers mois accentuant encore les effets d'exclusion. Alors que le mal logement qui frappe les ménages les plus précaires s'enracine, Le Laboratoire de la République a interrogé Sophie Bénard, responsable de l'expression publique chez Action Logement, pour imaginer les solutions de demain contre ce fléau.
Le Laboratoire de la République : Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, la France n'obtient pas de bons résultats par rapport à ses voisins européens en matière de lutte contre le sans-abrisme et le mal-logement. Comment l'expliquer ? Sophie Bénard : Traiter du sans-abrisme en tant que tel n’a pas grand sens : toute réflexion sur le mal logement et ses conséquences ne peut que s’inscrire que dans la cadre d’une réflexion plus large sur le logement en France. Or aujourd’hui, sans noircir inutilement le tableau, c’est toute la chaine du logement qui s’étiole et se fragilise en France. Trois illustrations rapides, assez significatives d’un système qui frôle l’embolie :  d’abord, les plus modestes peinent à devenir propriétaire, plus que jamais depuis dix-huit mois où se conjuguent hausse des taux, augmentation des prix du foncier et des coûts de construction. Autre exemple, l’accès au logement dans ce que l’on nomme joliment les « zones tendues » est un chemin du combattant pour les actifs contraints à la relégation de plus en plus loin des centres économiques.  Enfin, l’effort de construction de logement sociaux est notoirement insuffisant : il y a aujourd’hui près de 2,5 millions de ménages qui en sont demandeurs, dont plus de 800 000 dans la seule Ile-de-France, tandis que les bailleurs sociaux ne produisent que moins de 100 000 nouveaux logements par an. Au regard de ce tableau, le sans-abrisme et la mal-logement, avec leur lot de drames personnels auxquels personne ne peut rester insensibles, sont tout à la fois la partie la plus visible des enjeux et paradoxalement celle qui fait l’objet du moins d’initiatives publiques. Pour l’essentiel et depuis de longues années, ces sujets sont pris en charge pour une part mineure par la solidarité nationale, mais surtout opérationnellement, concrètement  traités par le secteur associatif, à bout de sous souffle et de moyens pour répondre à l’ampleur des besoins. Autrement dit, nulle solution pérenne au sans-abrisme ne peut être imaginée, sans une vision globale des enjeux du logement, c’est-à-dire une politique publique, entendue dans le sens noble du terme, qui couvre l’ensemble des facettes d’un secteur complexe. N’attendons pas un hiver 54 bis… Le Laboratoire de la République : La précarité énergétique est un sujet qui a ressurgi avec la hausse des prix du gaz et de l'électricité l'hiver dernier. Quelle est la situation à quelques mois de la période hivernale ? Sophie Bénard : La précarité énergétique est évidemment la conséquence systématique du mal-logement. Sur ce point, il convient de tordre le cou à une idée trop répandue : fin du mois et fin du monde ne sont pas antinomiques. Développer un plan ambitieux en faveur de la rénovation thermique des logements, c’est bien sûr travailler à l’avenir de notre planète, mais c’est surtout, dans des délais assez immédiats contribuer au pouvoir d’achat des locataires et propriétaires les plus fragiles. Sur ce terrain, il y a des « quick wins » à réaliser : nombre de solutions techniques à coût raisonnable existent pour piloter mieux les fameux radiateurs grille-pains trop énergivores. Idem pour les ballons d’eau chaude sanitaire dont on peut réguler les températures et les consommations, avec des boitiers de contrôle faciles à installer. Même si cela peut sembler contre-intuitif, les bailleurs sociaux propriétaires de plus de 5 millions de logements en France ont parfaitement intégré ces enjeux et tout en améliorant la qualité énergétique de leur parc, contribuent à la  modération des charges énergétiques. Reste le champ de l’habitat privé qui appelle d’urgence des mesures d’accompagnement. Le Laboratoire de la République : Que faudrait-il mettre en place pour lutter durablement contre le mal-logement ? Sophie Bénard : L’une des difficultés majeures est que le mal-logement et le sans-abrisme appellent pour d’évidentes raisons humanitaires des réponses rapides pour ne pas dire immédiates.  Or, la construction est par essence un sujet de temps long. L’Etat et les collectivités territoriales se doivent a minima d’être des facilitateurs. Il est très frappant de voir combien, absolument partout en France, il existe des solutions agiles qui déployées plus massivement permettraient d’au moins partiellement de désengorger le système et de fluidifier les parcours résidentiels : ici le développement d’habitat modulaire, là la cohabitation intergénérationnelle avec un bail dédié, plus loin encore la transformation de bureaux vacants en logements. Certes, l’écosystème du logement a besoin de règles. Mais il exige aussi de la souplesse, de la fluidité. Beaucoup d’acteurs, publics, associatifs – et également privés, puisqu’historiquement, en France, les entreprises ont établi un lien entre l’emploi et le logement – développent des initiatives qui peinent à être dupliquées, systématisées et durablement associées en tant que tel aux procédures de suivi social des personnes sans abri ou mal logées.  Faute d’être portée par une volonté politique, elles ne seront au mieux qu’un cautère sur  une jambe de bois.

La régénération de la V ème République

par Thomas Clay le 3 octobre 2023
Alors que nous fêtons les 65 ans de la Constitution de la Vème République, le Laboratoire de la République interroge Thomas Clay, agrégé de droit et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Celui-ci a participé en 2005 à la rédaction d'un projet de Constitution d'une VIème République. Il nous explique qu'à ses yeux la VIe République s'est réalisée dans les faits et en partie dans la pratique. Il souligne qu'il importe aujourd'hui de regénérer la Vème par des réformes évoquées dans cet entretien.
Le Laboratoire de la République : Vous avez eu l’occasion de participer à la rédaction d’un projet de Constitution d’une VIe République en 2005. Pouvez-vous revenir sur les raisons qui militaient alors en faveur de cette proposition ? Thomas Clay : Ce travail s’inscrivait dans la suite du livre d’Arnaud Montebourg, « La machine à trahir » (Denoël éd., 2000) qui avait parfaitement montré les limites et les insuffisances de la Ve République laquelle, en particulier, organise l’irresponsabilité politique de son chef pendant tout le temps de son mandat. Avec notamment Arnaud Montebourg, Bastien François, professeur de science politique, et d’autres, nous nous sommes pris au jeu d’élaborer une nouvelle République, et avons rédigé article par article ce qu’en serait la constitution et nous l’avons publiée (Odile Jacob éd., 2005). On s’est aperçu que le résultat était cohérent et homogène, et prenait le meilleur des constitutions précédentes, tout en essayant de gommer leurs défauts. L’objectif était aussi de transformer les modalités d’accès au pouvoir, qu’il soit la présidence de la République ou le Parlement, car il était verrouillé par les deux grandes forces politiques du pays depuis la guerre, sans aucune oxygénation. Souvenez-vous que les parlementaires cumulaient les mandats dans le temps et dans l’espace, parfois pendant des décennies, et que les candidats à l’élection présidentielle étaient choisis par d’obscurs aréopages au sein des partis politiques, parfois à trois ou quatre personnes, ce qui avait notamment comme conséquence les succession de candidatures d’une même personne jusqu’à ce qu’elle l’emporte. Bref, le constat était celui d’une démocratie malade. Le Laboratoire de la République : Quels éléments vous ont fait revenir sur l’idée même d’une VIe République pour préférer désormais le maintien de la Constitution de la Ve République ? Thomas Clay : Il y a trois raisons de nature différente qui permettent de penser désormais que, au lieu du grand soir constitutionnel, des modifications du texte actuel pourraient suffire. D’abord, notre projet reposait notamment sur le fait que le président de la République ne serait plus élu au suffrage universel direct car il aurait moins de pouvoirs, ceux-ci étaient transférés au Premier ministre, responsable devant le Parlement. Or le peuple français reste très attaché à l’élection présidentielle, et il apparaît paradoxal que, au nom d’un renouvellement démocratique, on supprime l’élection à laquelle les Français sont le plus attachés. C’est la quadrature du cercle : soit le président a peu de pouvoirs, et un scrutin au suffrage universel direct n’a pas de raison d’être, soit il a beaucoup de pouvoirs, et alors on le fait élire au suffrage universel direct, et on conserve l’architecture de la Ve République. Comme on disait à l’époque : on ne déplace pas les Français pour élire la Reine d’Angleterre. Ensuite, depuis cette époque, le mode de sélection des candidats à l’élection présidentielle a été bouleversé, notamment par l’instauration des primaires dans presque tous les partis, avec d’ailleurs des fortunes diverses. L’Assemblée nationale s’est aussi fortement renouvelée. La fin du cumul des mandats a aussi transformé la démocratie locale avec des maires pleinement à leur tâche. D’une certaine manière, l’oxygénation recherchée a déjà eu lieu. D’ailleurs, et c’est la troisième raison : l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 a percuté la Ve République. Non seulement un homme sans parti, avec peu d’expérience, peu de troupes et à moins de 40 ans a été élu président de la République, mais il a en plus éliminé les deux principales forces politiques du pays qui étaient, selon moi, en grande partie responsables de la sclérose du système et qui ne s’en sont toujours pas remise. Or cette élection a eu lieu dans le cadre du système existant, sans le modifier, montrant ainsi sa très grande plasticité. Une constitution qui permet à la fois l’élection du Général de Gaulle et d’Emmanuel Macron montre qu’elle sait s’adapter à tous et à tout, et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle a 65 ans. D’une certaine manière, l’élection d’Emmanuel Macron peut être considérer comme l’avènement d’une nouvelle pratique institutionnelle, forgée dans le cadre de la Ve République, mais qui l’a reconfigurée et même dépassée, et qui confine à une nouvelle république. D’ailleurs, l’élection présidentielle suivante fut du même type, et ça ne changera probablement plus. Reste à savoir si cette évolution est durable ou si, en 2027, on reviendra aux pratiques d’avant 2017. La constitution de la Ve République a ainsi trouvé en elle-même les sources de sa régénération, ce qui est très précieux. Le Laboratoire de la République : Vous avez évoqué lors d’une récente conférence du Laboratoire de la République la nécessité, entre autres, de s’intéresser au statut du Conseil Supérieur de la Magistrature, l’indépendance du parquet ou l’irresponsabilité du Président de la République… Ces évolutions peuvent-elles s’inscrire dans une évolution du corpus juridique de la Ve République ? Thomas Clay : Autant je pense que la VIe République n’est plus d’actualité, autant il me semble que la Ve République doit faire un nouvel aggiornamento. Notre démocratie est malade, et il suffit de constater l’abstention qui augmente élection après élection pour s’en rendre compte. A quel niveau d’abstention faudra-t-il parvenir pour qu’on change les choses de façon à impliquer davantage les citoyens ? Certes, les expérimentations récentes d’instauration de nouveaux formats démocratiques sont intéressantes et méritaient d’être tentées (Conventions citoyennes, Grand débat, Conseil National de la Refondation, Cahiers de doléances), mais cela ne suffit pas, et on voit se profiler avec angoisse l’arrivée de l’extrême droite dans quatre ans. Si ce funeste scénario se réalise, ce sera aussi le résultat d’une crise de nos institutions et de notre incapacité à les modifier à temps. À ce sujet, l’absence d’alternance au Sénat pendant 62 ans sur 65 ans est une anomalie démocratique qui montre que la Haute chambre est arrivée au bout de sa propre existence. Le mode d’élection des Sénateurs doit être totalement repensé. Pourquoi pas un scrutin à la proportionnelle intégrale, pour disposer une chambre des opinions, à côté de l’Assemblée nationale qui serait la chambre des décisions ? Les réformes à mener sont connues, j’en soumets quelques exemples à votre réflexion, en vrac, lesquelles ne relèvent pas toutes d’une révision constitutionnelle : réduction sensible du nombre de parlementaires, à 400 pour les députés, à 200 pour les sénateurs, pour que chacun d’entre-eux soit renforcé et plus puissant ; rendre le président de la République responsable pénalement pour les actes commis sans rapport avec ses fonctions car le privilège dont il bénéfice encore est un héritage de la monarchie qui n’a pas sa place dans une république adulte ; suppression de la Cour de justice de la République dont les dossiers récents ont montré qu’elle n’était pas adaptée, si elle ne l’a jamais été ; modification de la composition du Conseil constitutionnel qui n’est plus conforme à ses nouvelles attributions élargies, nées de la question prioritaires de constitutionnalité et en écarter les anciens présidents de la République qui n’ont rien à y faire ; transformation du ministère de la justice en ministère du droit et de la justice avec deux missions bien distinctes, celle du droit et celle de l’action ; suppression des conseils départementaux, et gagner ainsi un étage du mille-feuille administratif ; transformation du Conseil supérieur de la magistrature pour rendre la justice enfin pleinement indépendante ; modification de la justice prud’homale, aujourd’hui à l’agonie ; introduction du droit de vote des étrangers aux élections locales, etc. On voit que les sujets sont nombreux et importants et qu’il est temps de s’y atteler plutôt que de se fourvoyer dans un bricolage constitutionnel, tel que celui qui se profile pour étendre l’autonomie de la Corse. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux du 65e anniversaire de la Ve République.

Déserts médicaux : Bilan et perspectives d’un fléau territorial

par Louis-Charles Viossat le 27 septembre 2023
Les initiatives qui visent à lutter contre les déserts médicaux se multiplient depuis quelques semaines : une régulation de l’installation des chirurgiens-dentistes, une mise en place des assistants médicaux, etc. Pourtant, la baisse du nombre de praticiens et la hausse de fermeture de services publics (ex : maternité) continuent et risquent de limiter l’efficacité de ces dispositifs. Louis-Charles Viossat, professeur à Sciences Po sur les politiques sociales et de santé internationales et membre du comité scientifique du Laboratoire de la République, nous dresse une vue d'ensemble des problèmes liés aux inégalités territoriales, des déserts médicaux et des solutions apportées depuis quelques années.
Le Laboratoire de la République : De nombreux rapports montrent que les inégalités territoriales de santé continuent de s’accentuer. Pourquoi ? Louis-Charles Viossat : En effet, l’amélioration continue de l’espérance de vie à la naissance depuis les années 50 n’a pas permis de réduire les inégalités sociales ni les inégalités territoriales de santé. Le nord et le nord-est de la France ont, par exemple, une mortalité plus importante, pour l’ensemble des cancers, les maladies de l’appareil respiratoire et les maladies cardio-neurovasculaires. La proportion de personnes obèses varie d’un facteur de 1 à 3 entre les Hautes-Alpes (8%) et l’Orne (23%). L’accessibilité géographique à l’offre de soins est aussi très variable selon les territoires. Selon les dernières études, les difficultés géographiques d’accès aux soins sont particulièrement marquées dans les régions autour de l’Île-de-France (Oise, Seine-Maritime, Eure, Orne, Eure-et-Loir, Sarthe, Loir-et-Cher), dans les régions montagneuses (Alpes, Pyrénées, Vosges, Jura) et dans le Grand Est. Dans le reste de la France, les « déserts médicaux » sont plus dispersés et de taille plus réduite. Mais trouver un médecin traitant, avoir une réponse rapide à un besoin de soins immédiat, obtenir un rendez-vous avec un spécialiste dans un délai raisonnable, bénéficier d’un suivi médical à domicile ou en EHPAD quand on ne peut pas se déplacer est de plus en plus problématique. Entre 2000 et 2017, la part des femmes en âge de procréer et résidant à plus de 30 minutes d’une maternité s’est accrue de 5,7% à 7,6%. Et les inégalités sociales se cumulent aux inégalités territoriales :  les difficultés affectent tout particulièrement, et de plus en plus, les plus âgés, les plus fragiles et les ruraux. L’accroissement des inégalités territoriales de santé et d’offre de soins est lié à de nombreux facteurs. Et c’est pour cela qu’affronter ce problème est compliqué et prendra nécessairement du temps. Ce d’autant plus que la démographie des professions de santé est en berne et que la demande de soins croit rapidement. Les départs en retraite de très nombreux médecins dans les prochaines années vont aggraver la situation. Avec souvent un effet boule de neige, car quand un cabinet généraliste ferme, ce sont les autres médecins alentour qui trinquent. Les jeunes professionnels n’acceptent plus les conditions de travail et de vie de leurs prédécesseurs et ce qu’il juge être un déséquilibre inacceptable entre vie familiale et vie professionnelle. En plus, les déserts médicaux ne sont pas seulement médicaux : ils concernent aussi les services publics, l’offre culturelle, commerciale… Les spécialistes sont trois fois moins nombreux dans les quartiers prioritaires de la ville qu’ailleurs. Les élus locaux ont un rôle clé à jouer. C’est toute la politique de développement local qui est en jeu. Le Laboratoire de la République : Peut-on régler le problème des déserts médicaux sans contraindre les jeunes médecins sur une zone d’installation ? Louis-Charles Viossat : Dans le contexte français, imposer aux nouveaux médecins des contraintes territoriales à l’installation serait un pari risqué. Il est vrai que certains de nos voisins ont avancé dans cette direction. Mais le caractère profondément libéral de la médecine en France, son mode d’exercice toujours très individuel, l’histoire chaotique des relations des médecins avec l’assurance maladie, et la pénurie de médecins aujourd’hui sont autant de facteurs qui pourraient conduire, si on n’autorisait plus les médecins à s’installer où ils le souhaitent, à une grave crise de confiance, en ville et à l’hôpital. Prendre le risque d’une rupture en vaut-il la peine ? Je ne le crois pas. L’amélioration de l’accès de la population aux médecins passe plutôt, dans les années qui viennent, par la mise en place d’une palette d’autres solutions : l’accroissement rapide du nombre d’étudiants en médecine, y compris en permettant aux professionnels paramédicaux de reprendre des études de médecine avec des équivalences, plus d’exercice groupé et de travail en équipe ainsi que de travail aidé comme ont su le faire les ophtalmologistes, un large recours à des assistants médicaux auprès des médecins qui auraient des missions cliniques étendues comme en Allemagne, le développement de toutes les formes de télémédecine et de télésanté, le recours à des infirmières de pratique avancée en nombre et à d’autres professions intermédiaires à créer, l’utilisation des ressources de l’intelligence artificielle… C’est un grand chantier qui est devant nous ! Le Laboratoire de la République : Quel rôle doit avoir l’hospitalisation privée dans le dispositif de prise en charge local ?   Louis-Charles Viossat : L’hospitalisation privée joue d’ores et déjà un rôle clé dans le système de santé et doit continuer à l’exercer. Il y a plus d’établissements privés, lucratifs ou non-lucratifs, que d’hôpitaux publics même s’ils emploient qu’un tiers des personnels et représentent 40% des lits. Les cliniques privées concentrent les deux-tiers de la chirurgie ambulatoire (cataracte, arthroscopie…) alors que les hôpitaux publics prennent en charge des actes plus complexes, dont la durée de réalisation est plus longue, et la majeure partie de la médecine d’urgence. Certains groupes de cliniques privés se sont toutefois engagés depuis quelques temps vers l’ouverture de centres de soins primaires. C’est une évolution intéressante à suivre. Le Laboratoire de la République : La création des ARS (2009) et des GHT (2016) a-t-elle eu les effets escomptés en matière de coopération médicale territoriale ? Louis-Charles Viossat : Les objectifs fixés aux ARS par la loi HPST étaient trop ambitieux : ce devait être « la clé de voûte de l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience du système de santé ». On a voulu créer une sorte d’administration sanitaire type NHS au moment où ce dernier montrait ses limites. Les ARH, créées par Jacques Barrot, étaient, par contraste, des administrations de mission légères et dédiées à un objectif clair. Près de 15 ans, sans surprise, le bilan des ARS est mitigé, notamment mais pas seulement en ce qui concerne la coopération médicale sur les territoires. Il faut dire aussi que les outils de coordination se sont multipliés à en donner le tournis (maisons de santé pluriprofessionnelles, protocoles de coopération, CTPS, services d’accès aux soins, dispositifs d’appui à la coordination…) et que les ARS se sont bureaucratisées et éloignées du terrain. L’impact des GHT n’est pas très différent. Penser qu’on va régler les problèmes de santé, en l’occurrence hospitaliers, en fusionnant et en reconcentrant les structures publiques est une fausse bonne idée.

Urgence de réactiver les vigilances républicaines face aux extrémismes et aux complotismes

par Jean-Philippe Moinet le 26 septembre 2023
A l'occasion de la sortie de son roman : "Un journal sous influence", Jean-Philippe Moinet, journaliste, fondateur de l'Observatoire de l'extrémisme et fondateur-directeur de la Revue civique, prône la réactivation des vigilances républicaines face aux complotismes et aux extrémismes.
Le Laboratoire de la République : Votre roman est une plongée, assez mouvementée, dans le monde politique et médiatique, à travers un personnage principal, Myriam, grand reporter politique. Pourquoi avoir écrit ce livre ? Jean-Philippe Moinet : Je l’ai d’abord écrit par plaisir, celui qu’offre l’écriture romanesque, qui est une vraie évasion pour l’auteur que je suis et, je l’espère, pour les futurs lecteurs et lectrices. Ensuite, il me tenait particulièrement à cœur de dépeindre de cette manière le « merveilleux » monde politique et médiatique français, que je connais bien et côtoie depuis plus de trente ans, univers particulier avec ses passions (humaines), ses grandeurs (de convictions) et ses (gros) travers aussi. La liberté qu’offre le roman débouche naturellement sur des personnages et des tranches de vie qui relèvent de la totale fiction. Mais certains personnages, comme « Z le xénophobe » et quelques autres se reconnaîtront. Je décris aussi quelques coulisses par exemple de l’Elysée, d’une rédaction d’un grand quotidien national et de certains plateaux TV aussi. Le roman permet de mettre en scène des personnages, des épisodes et des tendances de notre vie publique, il permet aussi de mettre en perspective certaines problématiques, présentes dans notre espace démocratique. Le Laboratoire de la République : Quelles problématiques actuelles avez-vous voulu mettre en perspective ? Jean-Philippe Moinet : Il y en a plusieurs, comme l’éthique journalistique, la probité en politique ou la xénophobie, cette peste – pour reprendre le mot camusien – qui a tendance à dangereusement se propager dans l’espace public. J’avais amorcé l’écriture de ce livre il y a plus de dix ans, à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, Président auprès duquel sévissait un ex-lepéniste (proche de Jean-Marie Le Pen), Patrick Buisson, mu en « sondologue » très influent, au point où le chef de l’Etat d’alors l’avait intronisé à l’Elysée et parlé de lui comme de son « hémisphère droit » ! C’est le même homme qui, depuis 25 ans, militait pour une acception très particulière, racialiste, de « l’identité nationale » française. J’ai donc amorcé l’écriture de ce roman à cette époque, puis j’ai mis mon manuscrit de côté pendant des années. Je l’ai repris en 2022, finalisé en janvier 2023. Et j’avoue que je n’imaginais pas que ma fiction serait à ce point rattrapé, l’été dernier, par l’actualité ! La crise du JDD en particulier a marqué, à mes yeux, une bascule historique, grave et inquiétante. Ce titre, depuis 75 ans, était lu et apprécié le dimanche à la fois par des lecteurs de droite, de gauche et d’autres qui ne s’inscrivent pas dans un quelconque camp politique. La direction de ce titre a été confiée à une personne, Geoffroy Lejeune, licenciée en 2023 de la direction de la rédaction d’un hebdomadaire déjà classé à l’extrême droite pour avoir opéré une dérive idéologique allant à l’extrême droite de l’extrême droite ! Et il est venu, en août dernier, prendre la direction de ce grand journal, entouré notamment d’une proche collaboratrice elle-même passée par le journal « Présent », qui est dans le noyau le plus dur de l’extrême droite, à tendance raciste, antisémite et révisionniste. Du jamais vu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale en France. Cela dit évidemment quelque chose d’inquiétant concernant les dérives de notre paysage politique et médiatique. Où l’on voit par exemple un Eric Zemmour, utiliser des thèses complotistes – celle du « grand remplacement » par exemple  - sans le moindre scrupule, alors que ces thèses insensées étaient, il y a quelques années encore, cantonnées aux marges de notre vie publique. Le même polémiste xénophobe professionnel et ses amis (où l’on retrouve Geoffroy Lejeune) – polémiste que je décris précisément dans mon livre – osant aussi prétendre que le régime collaborationniste de Pétain « a sauvé les juifs » de France, ceci contre les plus grands travaux d’historiens et contre tous les témoignages des rescapés des camps de la mort et de leurs familles, documentés par exemple au Mémorial de la Shoah. Nous assistons actuellement à des basculements de notre mémoire collective et de la conscience historique, dont il faut fortement se méfier. Parce que ce sont les mêmes qui trahissent les réalités historiques, qui en viennent à nier les réalités d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des actuels crimes de guerre de Poutine en Ukraine ou des réalités sociales ou sociétales, totalement caricaturées, par exemple en ce qui concerne les migrations, qui n’ont rien à voir avec une quelconque « invasion », contrairement à ce que prétend bruyamment la propagande déversée par l’extrême droite sur les réseaux sociaux mais aussi sur certaines grandes ondes et maintenant dans certains journaux grands publics.  Mon livre évoque ces enjeux devenus très (et trop) actuels. Une manière, par le roman, de s’en prémunir. Le Laboratoire de la République : Mais le roman est-il une bonne manière de traiter ces sujets importants ? Jean-Philippe Moinet : Je pense, au stade d’expériences que j’ai pu accumuler par exemple en matière d’écriture journalistique, qu’il n’y a pas de mauvaises manières ou de mauvais registres pour traiter des sujets, y compris les plus sérieux ou les plus importants. Ce roman évoque d’ailleurs bien d’autres choses, bien plus légères, des histoires d’amours, des traits d’humour, une intrigue totalement fictive autour d’une affaire politico-financière de dimension internationale qui secoue au plus haut niveau de l’Etat, et dans laquelle interfèrent des services de renseignements pouvant être instrumentalisés. L’évasion romanesque est un beau transport de l’esprit humain, je m’y suis attelé avec plaisir certain et un certain goût, qui ne fait sans doute que commencer pour moi. Et oui, je pense que pour aiguiser une vigilance républicaine, dont notre époque a grand besoin, oui, le roman peut aussi faire partie des bons moyens pour transmettre à la fois les fruits d’une expérience et des messages utiles pour l’avenir.   Son entretien à voir sur notre chaîne Youtube : https://youtu.be/lc8WweBRgwU Entretien avec J.P. Moinet : Réactiver les vigilances républicaines

Le Laboratoire
de la République

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