Le jeudi 24 avril 2025, dans le cadre des Conversations éclairées organisées par le Laboratoire de la République, Brice Couturier a reçu Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas. L’échange portait sur son dernier ouvrage, Le nouveau régime ou l’impossible parlementarisme, dans lequel il analyse les évolutions récentes de la vie politique française. À partir du constat des fractures traversant le pays, des déséquilibres politiques accentués depuis 2022 (montée des populismes, tripolarisation...), Benjamin Morel s’interroge sur l’effectivité des institutions actuelles. Plusieurs pistes ont été évoquées : la parlementarisation du régime, l’établissement d’un mode de scrutin proportionnel…
Benjamin Morel propose dans son livre une analyse approfondie de la situation politique française actuelle, marquée par des bouleversements institutionnels et une recomposition profonde du paysage partisan.
Au cœur de l’échange : la crise de fonctionnement des institutions de la Ve République, illustrée récemment par la dissolution engagée par Emmanuel Macron. Cette décision, selon Benjamin Morel, révèle moins une crise institutionnelle qu’une dégradation de la vie politique. L’absence de majorité claire menace la stabilité gouvernementale et favorise une montée des mouvements populistes.
L’auteur interroge la pertinence du présidentialisme tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Il rappelle que sous la Troisième République, le président disposait paradoxalement de pouvoirs plus étendus qu’actuellement, et que la notion de "domaine réservé" n’a jamais eu d’existence juridique précise. Ce constat le conduit à formuler une question centrale : le présidentialisme est-il encore viable dans un contexte de tripolarisation du champ politique, aggravée par des conflits intrapartisans croissants ?
Selon Benjamin Morel, le maintien du rôle prépondérant du Président suppose impérativement l’existence d’une majorité parlementaire stable. À défaut, c’est l’impasse. Mais cette impasse, insiste-t-il, ne justifie pas nécessairement un changement de régime : elle appelle plutôt à une réforme du fonctionnement des institutions. Il s’agit moins de refonder que de réajuster pour éviter de retomber dans l’instabilité chronique connue sous la Quatrième République.
La discussion a également porté sur les modalités de représentation électorale. Aux yeux de Benjamin Morel, le mode de scrutin majoritaire à deux tours semble désormais inapte à produire une majorité efficace, compte tenu d’une tripartition stable de l’électorat — chacun des trois blocs politiques représentant environ un tiers des voix, avec une faible porosité entre eux. Ces réflexions sur le mode de scrutin ont fait l'objet de points de vue divergents, justifiant la nécessité d'un tel débat. Cette configuration, loin d’être spécifiquement française, est observable en Allemagne et tend à s’étendre à l’échelle de l’Europe occidentale.
Benjamin Morel a écarté plusieurs pistes de réforme (scrutin à un tour, relèvement du seuil de qualification, élargissement des circonscriptions) au profit d’une réflexion plus large sur le recours à un scrutin proportionnel. Il rappelle que celui-ci existe sous de nombreuses formes – entre 50 et 80 variantes – et pourrait permettre une représentation plus fidèle du paysage politique. Toutefois, il souligne que le mode de scrutin, en tant qu’outil, ne peut à lui seul résoudre la question de la polarisation et de la stabilité politique.
Enfin, l’auteur insiste sur le caractère systémique de la crise actuelle. Elle ne touche pas uniquement la France, mais l’ensemble du monde occidental. Il s’agit d’une crise de l’action politique, doublée d’une crise de l’espace public démocratique. Les institutions, dans cette dynamique, jouent un rôle aggravant mais ne sont pas la cause unique du malaise. Pour Benjamin Morel, l’urgence est claire : des décisions rapides et lucides doivent être prises pour éviter l’affaiblissement durable de notre capacité à gouverner.
Retrouvez sur Youtube l’intégralité de la conversation menée par Brice Couturier et Chloé Morin :
https://www.youtube.com/watch?v=GsgPeONwakk