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Le référendum, réalité ou mirage de la Ve République ?

par Jean-Éric Schoettl le 30 mai 2025 Schoettl-Laboratoiredelarepublique
Alors que le président de la République envisage de recourir au référendum pour répondre à certaines tensions démocratiques et contourner l’impasse parlementaire, le débat sur l’usage de cet outil fondamental de la Ve République refait surface. Dans ce contexte brûlant, Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel et conseiller d’État honoraire, apporte un éclairage précieux à travers une note publiée pour le Laboratoire de la République, intitulée « Le référendum, réalité ou mirage de la Vème République ? ». Cette contribution interroge à la fois les fondements juridiques, les usages passés et les enjeux contemporains du référendum, et appelle à une réflexion lucide sur ses potentialités comme sur ses limites dans notre démocratie représentative.
Le 13 mai 2025, sur TF1, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de référendums sur des sujets comme la fin de vie ou l’accès des mineurs aux réseaux sociaux. François Bayrou avait envisagé peu avant un référendum sur le redressement des finances publiques. En théorie, l’appel au peuple devrait permettre de trancher bien des débats. Historiquement aussi : n’a-t-il pas été l’instrument privilégié du général de Gaulle pour sortir la France de ses ornières et sceller une nouvelle alliance entre la République et le peuple ? Le référendum ne se heurte pas moins aujourd’hui à de sérieux obstacles juridiques et politiques, ce qui explique qu’on n’en ait pas organisé depuis vingt ans et qu’on parle tant d’assouplir son usage. Il inspire autant d’espoirs (de renouveau démocratique, de déblocage en période de majorité introuvable…) que de craintes (de dérapage populiste, d’atteinte à l’Etat de droit…). Quelle sont les parts respectives des opportunités à saisir et des illusions à dissiper dans la perspective référendaire ? Tour d’horizon et décryptage. Lire la note : Jean-Eric_Schoettl_Referendum_Laboratoire_RepubliqueTélécharger

IA générative : l’Europe face aux promesses productivistes et aux tensions de souveraineté

par Eric Farro , Thierry Taboy le 16 mai 2025 IA générative - Le Laboratoire de la République
L’intelligence artificielle générative bouleverse l’économie, réinvente les processus, mais questionne la qualité du travail et la souveraineté technologique. Derrière toutes ces promesses, les premières données appellent à la prudence. L’Europe, elle, doit choisir sa voie — en résistant à la tentation d’un pilotage intégral par les données.
Créer, pas seulement prédire : un tournant Là où les intelligences artificielles supervisées se focalisaient sur des analyses ou prédictions ciblées, tandis que le "machine/deep learning" utilise des réseaux de neurones profonds pour traiter automatiquement des données complexes, l'intelligence artificielle générative produit désormais des contenus — textes, images, vidéos, code... Cette capacité offre des potentiels significatifs, mais suscite tout autant d’inquiétudes quant à ses effets en particulier sur l’emploi et les conditions de travail. Or, comme le rappelle l’auteur et essayiste Hubert Guillaud, produire ne signifie pas penser. L’IA calcule, mais ne comprend pas. Elle mime l’intelligence humaine sans jamais l’égaler dans sa capacité réflexive, éthique et critique. Un propos qui complète celui de Bernard Stiegler : « Tout objet technique est pharmacologique : il est à la fois poison et remède s’il n’est pas réfléchi politiquement. ». L’exemple du travail est ici largement représentatif. Productivité : l’enthousiasme confronté à la complexité du terrain Les estimations affluent. Le BCG anticipe des gains diffus de 10 à 20 %, et jusqu’à 50 % sur certaines fonctions. Le Hub Institute parle de 2 à 6 % pour les entreprises du CAC 40. Mais ces projections idéalisées rencontrent des limites issues des usages concrets. Début 2024, l’économiste Daron Acemoglu du MIT avait pourtant déjà alerté : les gains de productivité seraient largement surestimés. Un constat partagé par Oliver Wyman, qui souligne que plus d’un tiers des salariés ne perçoivent aucun effet positif après adoption de l’IA, certains observant même une baisse nette de productivité. En somme, ce n’est pas la technologie qui détermine l’impact de l’IA, mais la façon dont on l’intègre dans nos réalités. Performances contrastées, valeur en tension Les premières études de terrain confirment cet effet contrasté. Une IA générative bien utilisée peut doper la productivité (+14 % de résolutions horaires en service client, -9 % de temps de traitement, +14 % de conversations simultanées selon les estimations). L’outil devient un amplificateur des compétences. Mais à l’inverse, une étude du BCG menée fin 2023 révèle qu’une mauvaise utilisation provoque une chute de performance. Le débat ne peut ainsi se limiter à la quantité d’emplois détruits ou créés. La qualité du travail est un enjeu tout aussi déterminant. Amazon Mechanical Turk ou les tâches fragmentées “au clic” dessinent un futur du travail pour le moins peu enthousiasmant voire très inquiétant. Il est temps d’élargir les indicateurs : intégrer le bien-être, l’autonomie... L’outil sans stratégie : le risque du décalage Ces illustrations posent un problème structurel : le décalage entre les formations dispensées et les besoins opérationnels. Même si l’on peut noter de véritables avancées en particulier dans les grandes entreprises, les projets d’intégration sont encore trop souvent lancés sans analyse d’impact rigoureuse, sans accompagnement d’envergure, ni stratégie de transformation claire. Au final, une adoption chaotique, une démobilisation silencieuse, et des promesses de gains qui tardent à se matérialiser. Avec comme effet une perte de réflexivité dans les organisations. À force d’automatiser sans requestionner les finalités, on risque un management sans pensée, piloté par des indicateurs déconnectés du réel. Des collaborateurs prenant pour argent comptant des réponses erronées de GPT-4 ont à ce titre vu leur efficacité s’effondrer. Ici se joue l’un des risques majeurs souvent évoqué : celui du désapprentissage par délégation hors supervision humaine. Comme le notent de nombreux chercheurs comme Etienne Klein, à trop vouloir automatiser, c’est notre capacité à débattre en conscience, à préserver notre pensée critique qui en patira. L’IA ne remplace pas l’expertise : elle en dépend L’IA générative transforme les gestes, pas les jugements. Elle fait évoluer les métiers sans en supprimer le sens — à condition de les repenser. Le designer peut ainsi devenir curateur, le chirurgien, assisté par un exosquelette intelligent, gagner en précision sans perdre la main. Mais l’expérience humaine reste le socle de la performance. Dans un monde saturé de données, on oublie souvent ce qui échappe à la mesure. La confiance, la relation, l'expérience et l’éthique : autant d’éléments invisibles dans les tableaux de bord mais essentiels à la performance durable. Dans sa course au rattrapage, l'Europe se différenciera par l’intelligence de son déploiement. C’est bien là que se joue l’avenir du projet européen. Une souveraineté numérique à définir, pas à importer L’Europe ne contrôle pas la chaîne de valeur de l’IA générative : ni les modèles, ni les serveurs, ni les jeux de données, ni les outils. Une dépendance technologique qui s’accompagne de biais culturels. Entraînés sur des données nord-américaines et bientôt (déjà ?) chinoises, les modèles importent des logiques culturelles et managériales étrangères à nos traditions. L’indépendance à court terme, malgré les efforts déployés sur le vieux continent, reste encore chimérique. Mais une souveraineté fonctionnelle est possible. Elle passe par la diffusion maîtrisée, la spécialisation sectorielle, et l’alignement sur nos forces : industrie, santé, culture, services... Les modèles miniaturisés verticaux sont ici une piste plus que réaliste. Cette autre voie, celle d’un numérique situé, maîtrisé, orienté vers l’utilité collective, est le cœur du défi à venir. Transformer oui, déraciner non L’IA générative peut servir la productivité, enrichir le travail, favoriser la créativité et réinventer la notion même de performance. Mais elle exige méthode, gouvernance, dialogue social et investissement humain. Sans cela, elle ne pourra qu'accroître les inégalités, accélérer les désillusions et déstabiliser nos structures sociales. L’Europe n’a pas vocation à copier. Elle a sa propre trajectoire d’innovation à tracer, fondée sur la responsabilité, la réflexivité et plus que jamais le sens.

02/06 : Soudan, une tragédie oubliée

le 12 mai 2025
Le Soudan s’enfonce dans la guerre et l’oubli. Tandis que les combats ravagent Khartoum et déplacent des millions de personnes, la scène internationale détourne le regard, saturée par d’autres urgences.
Ce pays au cœur du continent africain est aussi un carrefour où se nouent des dynamiques historiques, politiques et géopolitiques d’une rare complexité. La conférence « Soudan : une tragédie oubliée », modérée par Jean-Michel Blanquer, ambitionne de restituer la profondeur de cette crise. À travers les voix croisées de Clément Deshayes (anthropologue, chargé de recherche IRD, Laboratoire Prodig), Caroline Bouvard (directrice pays pour le Soudan de l’association Solidarités International) et François Sennesael (doctorant en sciences politiques à l’Université d’Oxford), il s’agira moins d’additionner les expertises que de faire émerger, dans un dialogue rigoureux, les strates multiples d’un drame contemporain. Car comprendre le Soudan aujourd’hui, c’est aussi interroger notre rapport collectif à la solidarité et au silence. Quand ? Lundi 2 juin à 19h00 Où ? Maison de l'Amérique Latine Gratuit, inscription obligatoire Cliquez ici pour vous inscrire

L’antenne lyonnaise au cœur de la Fraternité le 7 mai dernier

par L'antenne de Lyon le 10 mai 2025 lyon-7mai-fraternite
Sous le signe de l’échange avec le format table ronde et de l’engagement citoyen, l’évènement de l’antenne lyonnaise du Laboratoire de la République a exploré une notion souvent délaissée ou mal comprise du triptyque républicain : la fraternité. Jean-Michel Blanquer, Président du Laboratoire, a ouvert les débats en interrogeant la place réelle de la fraternité dans une société française de plus en plus fragmentée.
Trois regards sur la fraternité : économique, générationnelle, éducation : Notre table ronde composé de 3 intervenants riches de leurs diversité a permis de saisir les contours de la fraternité et de comment celle-ci peut se vivre concrètement dans notre société. Cathy Simon (Centaure, sécurité routière – élue locale) a illustré la fraternité en entreprise par des initiatives concrètes : entraide entre collaborateurs, soutien aux publics fragiles et partenariats territoriaux. Pour elle, la fraternité économique passe par l’inclusion active : emploi des personnes handicapées, l’insertion des jeunes, la reconversion des seniors. Philippe Albanel (Chez Daddy) par son intervention a mis en lumière la dimension intergénérationnelle de la fraternité. Ses cafés, conçus comme des « secondes familles », créent des espaces d’accueil et de lien social. Il appelle à un modèle hybride pour promouvoir la fraternité : un soutien public mais toujours fondé sur l’engagement citoyen local. Olivier Dugrip (ancien recteur) a défendu une fraternité passant par l’éducation pour la rendre aussi concrète que les autres piliers républicains. De son enseignement théorique à sa promotion en dehors des temps de classe, l’école doit jouer un rôle majeur chez les jeunes à ce sujet. Des grands défis pour la fraternité : La fraternité dans le numérique : Le numérique peut-il rapprocher plutôt que diviser ? Les intervenants ont débattu de la fracture générationnelle et de la nécessité de former à la citoyenneté numérique dès l’école. La fraternité dans les territoires : Comment tisser du lien dans une France marquée par des déséquilibres géographiques ? Les zones rurales ont leurs propres défis et la solution passe par des initiatives locales ancrées. Tous ont souligné que la fraternité n’est pas qu’une vertu morale : elle doit être une obligation structurelle dans la République comme le sont la liberté et l’égalité. Le Laboratoire de la République et plus particulièrement son antenne lyonnaise a rappelé son ambition : travailler précisément sur la fraternité dans toutes ses acceptions pour permettre d’en faire une réalité tangible à l’école, en entreprise et au cœur des politiques publiques en général. Les prochains travaux de l’antenne lyonnaise iront dans ce sens : faire vivre cet idéal républicain qu’est la fraternité. Voir la captation : https://youtu.be/vtFMpf_RQe4

12/05 : Conversations éclairées x Renée FREGOSI

par Brice Couturier , Chloé Morin , Renée Fregosi le 9 mai 2025
Renée Fregosi est docteur en philosophie et en science politique. Consultante en relations internationales, elle a été directrice de recherche à l’Université Paris-Sorbonne-Nouvelle et membre du Conseil Scientifique du Laboratoire de la République.
“Qu’appelle-t-on aujourd’hui le Sud global ? Ce terme désormais courant semble pourtant dénué de définition précise, voire mystérieux. De l’Amérique du Sud au Proche-Orient, quels sont les traits fédérateurs d’un ensemble si disparate ? Comment peut-on décrire l’unité et les positionnements du Sud global dans la géopolitique internationale ? Quel rôle y joue l’axe Moscou-Ankara-Téhéran ? Nouvel acteur de la scène diplomatique et politique, le Sud global se manifeste également par sa présence militante au sein du monde occidental, et s’affirme de plus en plus comme une figure idéologique impulsant une dynamique critique, héritière du tiers-mondisme et du mouvement des non-alignés. La politologue Renée Fregosi propose une description historique et conceptuelle du Sud global, de ses intérêts communs et des antagonismes qui le travaillent. En articulant le Sud global à l’actualité, elle examine notamment les réactions au massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 afin d’évaluer le poids déterminant de la cause palestinienne et de l’islam politique dans cette galaxie, ainsi que celui des discours d’opposition à la « domination » occidentale. Quatre-vingts ans tout juste après la conférence de Bandung, les espoirs placés dans l’anticolonialisme et le non-alignement auraient-ils été sacrifiés, comme on les en accuse parfois, sur l’autel de l’antisémitisme et d’un anti-occidentalisme systématique ?” Quand ? Lundi 12 mai à 19h30 Où ? Maison de l’Amérique latine 217 bd St Germain, 75007, Paris Cliquer ici pour s'inscrire

Compte-rendu : Conversation éclairée x Benjamin Morel

par Benjamin Morel , Brice Couturier le 29 avril 2025
Le jeudi 24 avril 2025, dans le cadre des Conversations éclairées organisées par le Laboratoire de la République, Brice Couturier a reçu Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas. L’échange portait sur son dernier ouvrage, Le nouveau régime ou l’impossible parlementarisme, dans lequel il analyse les évolutions récentes de la vie politique française. À partir du constat des fractures traversant le pays, des déséquilibres politiques accentués depuis 2022 (montée des populismes, tripolarisation...), Benjamin Morel s’interroge sur l’effectivité des institutions actuelles. Plusieurs pistes ont été évoquées : la parlementarisation du régime, l’établissement d’un mode de scrutin proportionnel…
Benjamin Morel propose dans son livre une analyse approfondie de la situation politique française actuelle, marquée par des bouleversements institutionnels et une recomposition profonde du paysage partisan. Au cœur de l’échange : la crise de fonctionnement des institutions de la Ve République, illustrée récemment par la dissolution engagée par Emmanuel Macron. Cette décision, selon Benjamin Morel, révèle moins une crise institutionnelle qu’une dégradation de la vie politique. L’absence de majorité claire menace la stabilité gouvernementale et favorise une montée des mouvements populistes. L’auteur interroge la pertinence du présidentialisme tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Il rappelle que sous la Troisième République, le président disposait paradoxalement de pouvoirs plus étendus qu’actuellement, et que la notion de "domaine réservé" n’a jamais eu d’existence juridique précise. Ce constat le conduit à formuler une question centrale : le présidentialisme est-il encore viable dans un contexte de tripolarisation du champ politique, aggravée par des conflits intrapartisans croissants ? Selon Benjamin Morel, le maintien du rôle prépondérant du Président suppose impérativement l’existence d’une majorité parlementaire stable. À défaut, c’est l’impasse. Mais cette impasse, insiste-t-il, ne justifie pas nécessairement un changement de régime : elle appelle plutôt à une réforme du fonctionnement des institutions. Il s’agit moins de refonder que de réajuster pour éviter de retomber dans l’instabilité chronique connue sous la Quatrième République. La discussion a également porté sur les modalités de représentation électorale. Aux yeux de Benjamin Morel, le mode de scrutin majoritaire à deux tours semble désormais inapte à produire une majorité efficace, compte tenu d’une tripartition stable de l’électorat — chacun des trois blocs politiques représentant environ un tiers des voix, avec une faible porosité entre eux. Ces réflexions sur le mode de scrutin ont fait l'objet de points de vue divergents, justifiant la nécessité d'un tel débat. Cette configuration, loin d’être spécifiquement française, est observable en Allemagne et tend à s’étendre à l’échelle de l’Europe occidentale. Benjamin Morel a écarté plusieurs pistes de réforme (scrutin à un tour, relèvement du seuil de qualification, élargissement des circonscriptions) au profit d’une réflexion plus large sur le recours à un scrutin proportionnel. Il rappelle que celui-ci existe sous de nombreuses formes – entre 50 et 80 variantes – et pourrait permettre une représentation plus fidèle du paysage politique. Toutefois, il souligne que le mode de scrutin, en tant qu’outil, ne peut à lui seul résoudre la question de la polarisation et de la stabilité politique. Enfin, l’auteur insiste sur le caractère systémique de la crise actuelle. Elle ne touche pas uniquement la France, mais l’ensemble du monde occidental. Il s’agit d’une crise de l’action politique, doublée d’une crise de l’espace public démocratique. Les institutions, dans cette dynamique, jouent un rôle aggravant mais ne sont pas la cause unique du malaise. Pour Benjamin Morel, l’urgence est claire : des décisions rapides et lucides doivent être prises pour éviter l’affaiblissement durable de notre capacité à gouverner. Retrouvez sur Youtube l’intégralité de la conversation menée par Brice Couturier et Chloé Morin : https://www.youtube.com/watch?v=GsgPeONwakk

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