Le premier Baromètre de la République, mené par IPSOS / CESI École d’ingénieurs pour le Laboratoire de la République auprès d’un échantillon représentatif de 1 000 Français, révèle un paradoxe majeur : une forte adhésion des Français aux valeurs et principes républicains, mais la conviction que leur traduction dans la réalité reste insuffisante. Le Laboratoire de la République remercie l'AFER et l'Oréal pour leur soutien à la réalisation de cette étude.
L'étude en intégralité
Le Baromètre de la République 2025Télécharger
Synthèse du Baromètre de la République 2025
Un consensus autour des valeurs républicaines, mais des écarts dans la réalité vécue par les Français
Les Français expriment une adhésion quasi unanime aux valeurs cardinales de la devise républicaine :
Liberté : 95 % jugent la notion importante, dont 68 % « très importante ».
Égalité : 93 % jugent la notion importante, dont 55 % « très importante ».
Fraternité : 89 % jugent la notion importante, dont 46 % « très importante ».
Ce consensus traverse les sensibilités politiques. Cependant, la traduction de ces valeurs dans la vie quotidienne est jugée très insuffisante. Seuls 50 % des Français estiment que la liberté correspond bien à la situation actuelle dans la société française, 28 % pour l’égalité et 29 % pour la fraternité. Le décalage est particulièrement marqué pour l’égalité, cœur des attentes sociales.
Les principes constitutionnels : une identification forte, une compréhension limitée
Les qualificatifs de la République inscrits dans l’article premier de notre Constitution (laïque, démocratique, sociale et indivisible) sont considérés comme essentiels par plus de 85 % des répondants. Toutefois, la compréhension réelle de ces termes reste limitée : près d'un tiers des Français déclarent ne pas en maitriser le sens.
La laïcité est interprétée de manière plurielle : 34 % y voient la liberté de croire ou de ne pas croire, 26 % la séparation de l’État et des religions, et 26 % l’interdiction d’expression religieuse dans certains lieux publics. Ces perceptions varient fortement selon les familles politiques.
Des valeurs sociales et sociétales largement plébiscitées
Le refus de la violence dans la société, le système de protection sociale, le système scolaire public, l'égalité femmes-hommes ou le droit à l'avortement pour toutes les femmes sont jugés essentiels par plus de 90 % des répondants, quelle que soit la sensibilité politique.
La justice, le respect et l’honnêteté arrivent en tête des valeurs jugées « très importantes » pour l'ensemble des Français, toutes tendances politiques confondues. Les Français restent attachés à la famille, au travail, à l’ordre ou à la solidarité, même si l’intensité varie selon l’orientation politique.
Un jugement sévère sur l’action politique
Malgré cette adhésion aux valeurs, les Français estiment que les responsables politiques ne les défendent pas efficacement. Moins d’un citoyen sur deux juge la famille, la laïcité ou la nation bien défendues, et ce chiffre tombe sous les 35 % pour la justice, le respect et l’honnêteté. Ce sentiment traverse l’ensemble de la population, avec une défiance plus marquée hors du bloc macroniste.
Les priorités pour l’avenir : cohésion et justice sociale avant tout
Interrogés sur leurs priorités, les Français placent en tête :
La réduction des tensions dans la société française (incivilités, violence, désinformation), signe d’une inquiétude majeure face à la fragmentation du pays.
L’amélioration de la situation économique et sociale (pouvoir d’achat, croissance, chômage).
La maîtrise de l’endettement du pays (114% du PIB).
Derrière ces préoccupations, se dessine la volonté d’un retour à la cohésion et à la stabilité dans un contexte d’inquiétudes multiples.
Présentation du Baromètre de la République lors de l'Université d'été d'Autun le 30 août 2025
Découvrez la présentation du Baromètre de la République lors de l'Université d'été du Laboratoire à Autun par Mathieu Gallard, directeur d'études chez IPSOS BVA, et les réactions de nos Grands témoins, le politologue Pascal Perrineau et le philosophe Pierre-Henri Tavoillot.
https://www.youtube.com/watch?v=va-s5MuM8CU
Le Laboratoire de la République tient à remercier ses partenaires pour leur soutien à la réalisation du Baromètre de la République :
La démocratie municipale s’essouffle. Les conseils municipaux, jadis creusets civiques, peinent à se renouveler tandis que les freins à l'engagement restent nombreux. Pourtant, un potentiel existe dans notre pays : près d’un quart des Français se disent prêts à s’engager en 2026. Comment lever les obstacles ? Notre étude rédigée par Benjamin Morel et réalisée en partenariat avec l’Institut Terram identifie cinq leviers pour renouer avec l’engagement citoyen.
Étude Conseils municipaux - Renouer avec l'engagement citoyenTélécharger
L'auteur
Benjamin Morel est constitutionnaliste, docteur en sciences politiques à l’ENS Paris-Saclay et maître de conférences à l’université Paris Panthéon-Assas. Il dirige le conseil scientifique de la Fondation Res Publica, est secrétaire général du Laboratoire de la République et membre du comité scientifique de l’Institut Terram. Ses recherches se concentrent principalement sur le fonctionnement du Parlement, les dynamiques des collectivités territoriales et les évolutions du système politique français.
Synthèse de l'étude « Conseils municipaux : renouer avec l’engagement citoyen »
Une enquête inédite du Laboratoire de la République et de l’Institut Terram, administrée par l’Ifop auprès de 10 000 Français
La démocratie municipale connaît aujourd’hui une érosion multiforme : raréfaction des candidatures, abstention, usure et isolement des élus, inégal accès selon le genre, la classe sociale et le territoire. Jadis creusets civiques, les conseils municipaux butent sur des freins cumulatifs – charge temporelle, inflation normative, déficit de reconnaissance – qui en hypothèquent le renouvellement. L’analyse révèle une mosaïque de vulnérabilités, différenciées selon la morphologie territoriale, et une crise du mandat lui-même.
Un potentiel d’engagement sous-exploité
Malgré des signes d’essoufflement, un réservoir civique perdure : près d’un quart des citoyens (24 %) se déclarent prêts à se présenter sur une liste en 2026, une proportion stable depuis une vingtaine d’années. Cependant, seuls quelques-uns semblent prêts à passer de l’intention à la candidature effective. Les principaux freins sont le manque de temps (42 %), la lourdeur administrative (41 %), le sentiment d’incompétence (39 %), la difficulté à concilier engagement et vie familiale (38 %), le climat politique local tendu (36 %), le manque de reconnaissance de l’engagement municipal (33 %) et la crainte d’un impact négatif sur la carrière (19 %).
Une crise démocratique à géographie variable
La crise de l’engagement n’est pas uniforme. Dans les communes rurales, en particulier celles de moins de 1 000 habitants (plus de 60 % des communes françaises), les difficultés à renouveler les listes sont les plus aiguës. Les jeunes quittent massivement ces territoires, tandis que ceux qui restent hésitent à s’engager dans des fonctions exigeantes, peu rémunérées et chronophages. À l’inverse, dans les grandes villes, l’engagement s’apparente souvent à la défense de causes spécifiques mais reste freiné par le manque de temps (52 % des habitants des métropoles) et la complexité institutionnelle.
Des freins genrés et sociaux persistants
Les femmes ne représentent qu’environ 20 % des maires et, dans les communes de moins de 1 000 habitants, elles n’occupent qu’un tiers des sièges de conseiller municipal. Seules 17 % des femmes interrogées se disent prêtes à envisager une candidature aux élections municipales de 2026, contre 31 % des hommes. Plusieurs freins majeurs expliquent cet écart, en particulier la difficulté à concilier engagement politique, vie professionnelle et charge familiale (46 % des femmes évoquent un manque de temps dans un quotidien déjà chargé, contre 39 % des hommes), mais aussi un sentiment de moindre légitimité (43 % des femmes estiment ne pas avoir les compétences suffisantes, contre 34 % des hommes).
Sur le plan social, l’accès à la fonction municipale demeure biaisé : 19 % des agriculteurs, 12 % des commerçants ou artisans ont déjà été élus, contre seulement 6 % des employés. Le sentiment d’exclusion, la complexité du langage politique local et la faible valorisation des parcours populaires participent à l’autocensure. Néanmoins, la participation associative ou religieuse joue un rôle décisif : plus d’un quart des Français issus de l’immigration extra-européenne ont déjà été élus (27 %), contre 8 % des natifs de parents français. De même, 24 % des personnes de confession juive ou musulmane, 21 % des protestants et 16 % des catholiques pratiquants déclarent avoir déjà été membres d’un conseil municipal, contre 8 % chez les catholiques non pratiquants et seulement 7 % chez les Français sans appartenance religieuse.
Les jeunes, enfin, expriment un désir d’engagement supérieur à la moyenne (29 %, contre 19 % chez les 65 ans et plus), mais rencontrent des obstacles spécifiques : précarité du logement, absence de réseau, incompatibilité avec l’emploi et la vie familiale. Ils sont donc moins enclins à vouloir s’impliquer durablement dans la vie locale : seuls 35 % d’entre eux souhaitent être davantage associés aux décisions communales, contre 41 % chez les aînés.
Une promesse républicaine en recul
Le modèle républicain de la commune comme premier échelon de la citoyenneté s’effrite. L’accès au mandat et, surtout, ses conditions d’exercice sont de plus en plus inégalitaires : surcharge administrative (principal obstacle cité par 41 % des répondants et 46 % des élus en poste), manque de relais institutionnels, faiblesse de l’indemnisation (particulièrement dans les petites communes), usure démocratique face à la défiance et à la violence croissante. Plus de 13 000 démissions d’élus ont été enregistrées en 2023, un chiffre en hausse continue. Dans les territoires les plus enclavés, les élus assument des fonctions de gestion, de médiation, d’assistance sociale qui dépassent largement leur mandat initial.
Les ressorts d’un rebond démocratique
Malgré ce tableau préoccupant, des motifs d’espoir subsistent. Le premier moteur d’engagement demeure le désir d’être utile à la commune : près d’un Français sur deux cite le souhait de changer les choses de l’intérieur (47 %) et de contribuer concrètement à la vie locale (45 %). La possibilité de faire entendre la voix des oubliés (46 %), l’envie de faire contrepoids à des décisions jugées injustes (44 %), la volonté de représenter un collectif ou une génération (29 %) ou d’acquérir des compétences nouvelles (28 %) participent aussi de la dynamique d’engagement. Le sentiment d’efficacité politique et la reconnaissance du mandat sont également des leviers puissants.
Trois futurs pour la démocratie locale
Le délitement progressif : tarissement du vivier civique, multiplication des listes uniques, abstention record et marginalisation du conseil municipal au profit de l’intercommunalité et de la technocratie ;
La rationalisation technocratique : transformation des conseils municipaux en chambres d’enregistrement, montée en puissance de la gestion professionnelle et de la démocratie numérique, mais éloignement du pouvoir et perte du lien de proximité ;
La refondation civique : revalorisation statutaire et symbolique du mandat, soutien aux listes citoyennes, simplification administrative, diversification des formes d’engagement, et ancrage d’une démocratie participative vivante et inclusive.
Cinq axes pour revivifier la démocratie municipale
Valoriser le mandat municipal : reconnaissance sociale, intégration du mandat dans les parcours professionnels, meilleure visibilité médiatique, campagnes d’information, bonification dans les concours de la fonction publique.
Réduire les barrières d’entrée : simplifier les démarches, développer la formation et l’accompagnement des candidats, renforcer les dispositifs de mentorat et de soutien logistique.
Encourager la participation sous toutes ses formes : soutien aux listes citoyennes, innovation démocratique (jurys citoyens, budgets participatifs…), implication des jeunes et des publics éloignés de la vie politique.
Recréer l’écosystème civique local : densification du tissu associatif, liens intergénérationnels, coopération entre collectivités, universités et acteurs de la société civile.
Rééquilibrer les pouvoirs locaux : renforcer l’autonomie et la clarté des responsabilités, garantir des ressources suffisantes, promouvoir la proximité et la responsabilité démocratique.
Alors que l’intelligence artificielle – en particulier l’IA générative – s’impose comme l’une des grandes ruptures de notre siècle, une question décisive se pose : quel avenir réserve-t-elle aux jeunes sur le marché du travail ? Si les promesses de gain de productivité et de création de nouveaux métiers abondent, les premiers signaux d’alerte, notamment aux États-Unis, montrent que cette transition pourrait fragiliser les débuts de carrière, en particulier dans les secteurs les plus exposés. Dans cet article, Louis-Charles Viossat, responsable de la commission République sociale, plaide pour une mobilisation collective afin d’anticiper les risques, renforcer la formation et bâtir un véritable pacte pour garantir aux jeunes une place dans un monde du travail transformé par l’IA.
La diffusion de l’intelligence artificielle, en particulier de l’IA générative, constitue sans doute l’un des bouleversements structurels les plus profonds de ce début de XXIe siècle. Si les jeunes générations en sont les principaux utilisateurs au quotidien, elles pourraient aussi en devenir les premières victimes sur le marché du travail. Plusieurs signaux faibles, notamment aux États-Unis, laissent déjà entrevoir cette possibilité. Il est temps d’agir pour éviter qu’elle ne devienne réalité.
Des opportunités nombreuses, mais des signaux d’alerte
Les économistes et les organisations internationales, telles que l’OCDE ou l’OIT, ont jusqu’ici abordé l’impact de l’IA sur l’emploi avec un certain optimisme, tant en termes de volume que de qualité. Le rapport Aghion-Bouverot, remis en 2024, conclut ainsi à « un effet positif de l’IA sur l’emploi dans les entreprises qui l’adoptent ». Selon ses auteurs, l’IA remplace des tâches, non des emplois, et seuls 5 % des postes seraient directement substituables dans un pays comme la France. Ils estiment par ailleurs que l’IA créera de nombreux postes, dans des métiers nouveaux comme dans des secteurs existants. Des ajustements seront nécessaires dans certains domaines, mais l’effet global sur l’emploi national ne serait pas négatif.
L’Organisation internationale du travail, souvent critique à l’égard des transformations de l’emploi, a elle aussi publié des analyses globalement positives, y compris dans les pays du Sud.
Sur le papier, les jeunes, premiers utilisateurs de l’IA, pourraient être les grands bénéficiaires de cette transition. L’IA améliore la productivité des salariés les moins expérimentés, crée de nouveaux usages et, donc, de nouveaux postes naturellement accessibles aux jeunes actifs. Selon une étude récente, 70 % des jeunes Américains de 18 à 25 ans considèrent l’IA générative comme une opportunité pour développer leurs compétences.
Mais cet optimisme est aujourd’hui largement tempéré par l’évolution du marché de l’emploi des jeunes aux États-Unis. La Réserve fédérale de New York a récemment publié un rapport faisant état d’une dégradation notable de la situation des diplômés du supérieur au premier trimestre 2025 : le taux de chômage des jeunes diplômés y approche les 6 %, son plus haut niveau depuis 2021. Même les sortants des meilleurs MBA peinent à trouver un emploi.
Trois explications émergent dans les analyses américaines. La première est conjoncturelle : les marchés de l’emploi dans la tech, le conseil ou la finance n’ont jamais retrouvé leur dynamique d’avant-Covid, ni même celle d’avant la crise financière de 2008. La deuxième est structurelle : depuis 2010, les diplômes universitaires procurent un avantage moindre sur le marché du travail, comme l’a souligné la Réserve fédérale de San Francisco.
La troisième hypothèse, plus préoccupante, met en cause l’effet même de l’IA. Selon un responsable de LinkedIn, les outils de codage assisté remplacent peu à peu les tâches simples qui servaient de tremplin aux jeunes développeurs. Hors secteur tech, les fonctions traditionnellement confiées aux jeunes recrues – rédaction de synthèses, recherches juridiques, saisie et traitement de données – sont elles aussi largement automatisées.
Les premiers secteurs touchés seraient la finance et l’informatique, où les gains de productivité liés à l’IA sont les plus marqués. Dario Amodei, PDG d’Anthropic, estime que la moitié des emplois de début de carrière des cols blancs pourraient disparaître d’ici cinq ans, avec un risque de chômage atteignant 10 à 20 %, notamment dans les fonctions routinières ou standardisées – celles précisément occupées par les jeunes actifs.
Même sans scénario aussi abrupt, les grandes entreprises technologiques – naguère avides de jeunes talents – privilégient désormais les profils expérimentés. Selon Business Insider, les recrutements de jeunes diplômés dans les grands groupes comme Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia ou Tesla auraient chuté de plus de 50 % depuis 2022. Dans les start-up de la Silicon Valley, la baisse atteindrait 30 % depuis 2019.
Certaines directions des ressources humaines inciteraient même leurs équipes à envisager l’option IA avant d’ouvrir un poste. En retour, les jeunes diplômés, anticipant ces mutations, se détournent des carrières autrefois prisées, notamment dans la finance ou la tech. En France, les données précises font défaut, mais l’inquiétude semble elle aussi croître dans les universités et parmi les jeunes diplômés.
Agir pour ne pas subir
Face à ces bouleversements, l’inaction serait une erreur stratégique. Des réponses existent, mais elles supposent une mobilisation rapide et ambitieuse.
Mieux connaître. Il est urgent de mieux suivre l’évolution du marché du travail des jeunes en France. À ce jour, les outils d’analyse ne permettent pas une observation fine, régulière et en temps réel. La mobilisation coordonnée de la statistique publique, en lien avec des acteurs privés comme LinkedIn, les cabinets de recrutement et les DRH, est indispensable.
Former massivement. L’enseignement de l’intelligence artificielle doit être significativement renforcé, dès le secondaire et à l’université. Le rapport Villani de 2018 appelait déjà à tripler le nombre de personnes formées en IA, en féminisant les filières, en créant des cursus croisés (droit-IA, par exemple), et en soutenant des parcours de formation du niveau bac+2 au doctorat. Six ans après, le rapport Aghion-Bouverot réaffirme la nécessité de former, sans délai et à tous niveaux, tant les concepteurs de solutions d’IA que leurs utilisateurs ou les citoyens appelés à vivre dans une société augmentée par l’IA.
Cela implique également de renforcer les formations STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques), notamment pour les jeunes les plus vulnérables, afin d’éviter une nouvelle fracture numérique. Parallèlement, les soft skills – communication, collaboration, créativité, résolution de problèmes – doivent être revalorisées dans les parcours éducatifs. Ces compétences, difficilement automatisables, constituent un levier essentiel d’insertion pour les jeunes.
Un pacte pour les jeunes
Les employeurs ont, eux aussi, un rôle crucial à jouer. Les jeunes n’attendent pas un monde sans IA, mais un monde dans lequel ils ont leur place. Les entreprises doivent éviter une automatisation brutale, préserver les débuts de carrière et parier sur le potentiel humain. Dans ce cadre, les partenaires sociaux pourraient engager une négociation interprofessionnelle pour bâtir un pacte en faveur de l’emploi des jeunes. Celui-ci pourrait conjuguer des engagements sur l’orientation, la formation, l’accès au marché du travail, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et les conditions de travail.
La relation entre l’IA et l’emploi des jeunes ne sera pas univoque. Elle produira des gagnants et des perdants, selon les choix politiques, économiques, éducatifs qui seront faits. La révolution est en marche ; son issue, elle, reste à écrire. L’enjeu dépasse la seule sphère technologique. Il est profondément social.
Dans une contribution publiée à l’occasion du retour du référendum dans le débat institutionnel, Gil Delannoi, chercheur et professeur à Sciences Po Paris, propose une voie de réforme pragmatique : recourir à plusieurs référendums le même jour pour limiter les effets de personnalisation et recentrer l’attention sur les enjeux de fond. Ce format, encore inédit en France, permettrait de réduire les biais plébiscitaires et d’améliorer la qualité délibérative de cette procédure.
Dans cette note pour Le Laboratoire de la République, Gil Delannoi identifie plusieurs conditions nécessaires à un usage rigoureux et légitime du référendum : formulation impartiale des choix, diversité thématique des questions, effectivité de la mise en œuvre, fréquence raisonnable des consultations, et articulation avec les différents niveaux de décision. Il insiste également sur la nécessité d’un cadre éthique partagé par l’ensemble des acteurs, élus comme électeurs. En clarifiant les modalités d’un bon usage référendaire, cette note entend contribuer à une réflexion renouvelée sur les mécanismes de participation démocratique dans un régime représentatif.
Note Référendum Gil Delannoi_Laboratoire_dela_RepubliqueTélécharger
Alors que le président de la République envisage de recourir au référendum pour répondre à certaines tensions démocratiques et contourner l’impasse parlementaire, le débat sur l’usage de cet outil fondamental de la Ve République refait surface. Dans ce contexte brûlant, Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel et conseiller d’État honoraire, apporte un éclairage précieux à travers une note publiée pour le Laboratoire de la République, intitulée « Le référendum, réalité ou mirage de la Vème République ? ». Cette contribution interroge à la fois les fondements juridiques, les usages passés et les enjeux contemporains du référendum, et appelle à une réflexion lucide sur ses potentialités comme sur ses limites dans notre démocratie représentative.
Le 13 mai 2025, sur TF1, Emmanuel Macron a évoqué la possibilité de référendums sur des sujets comme la fin de vie ou l’accès des mineurs aux réseaux sociaux. François Bayrou avait envisagé peu avant un référendum sur le redressement des finances publiques. En théorie, l’appel au peuple devrait permettre de trancher bien des débats. Historiquement aussi : n’a-t-il pas été l’instrument privilégié du général de Gaulle pour sortir la France de ses ornières et sceller une nouvelle alliance entre la République et le peuple ? Le référendum ne se heurte pas moins aujourd’hui à de sérieux obstacles juridiques et politiques, ce qui explique qu’on n’en ait pas organisé depuis vingt ans et qu’on parle tant d’assouplir son usage. Il inspire autant d’espoirs (de renouveau démocratique, de déblocage en période de majorité introuvable…) que de craintes (de dérapage populiste, d’atteinte à l’Etat de droit…). Quelle sont les parts respectives des opportunités à saisir et des illusions à dissiper dans la perspective référendaire ? Tour d’horizon et décryptage.
Lire la note :
Jean-Eric_Schoettl_Referendum_Laboratoire_RepubliqueTélécharger
Les titres de séjour pour soins représentent un dispositif unique au monde, sans cesse étendu par le juge et le législateur – la condition relative à « l’existence » du traitement dans le pays d’origine ayant été remplacée par celle de « bénéfice effectif ». Or, les rapports de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) relèvent un coût important mais « invisible », puisque englobé dans les dépenses du régime général de l’Assurance maladie. Il est donc préconisé de faire basculer la prise en charge financière de ce dispositif dans le cadre de l’Aide Médicale d’Etat (AME), pour plus de transparence, et ce afin de mieux contrôler les critères d’attribution de ces titres de séjour. Une réflexion serait alors engagée pour une refonte globale de l’AME, qui assurerait désormais la prise en charge des différentes catégories d’étrangers extra-européens non-contributeurs.
Les titres et autorisations provisoires de séjour pour soins sont des dispositifs peu connus du grand public, mais pourtant bien documentés dans les rapports officiels. Créé en 1998 sous le gouvernement de Lionel Jospin, ce dispositif permet, sous certaines conditions, à un étranger, résidant depuis un certain temps en France, gravement malade d’obtenir une carte de séjour « vie privée et familiale » afin de bénéficier gratuitement de soins en France. Ainsi, l’OFII estime que 228 275 demandes ont été déposées entre 2017 et 2024, avec 206 923 avis transmis au préfet, pour un taux moyen d’avis favorables s’élevant à 58,8 %.
Or, ce dispositif unique au monde des titres de séjour pour soins ayant été sans cesse élargi par le législateur et le juge (I), celui-ci présente un caractère difficilement soutenable, son opacité budgétaire posant par ailleurs une question de transparence démocratique et du principe même de cette contribution (II).
Un dispositif unique au monde, sans cesse élargi par le législateur et le juge
Formellement, en vertu des articles L. 425-9 à L. 425-10 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), les étrangers qui veulent obtenir un titre de séjour pour soins doivent remplir trois conditions :
Justifier d’une résidence habituelle en France depuis au moins un an (sans qu’aucun texte ne fixe de délai réglementaire) ;
Nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité ;
Ne pas pouvoir bénéficier d’un traitement effectif et approprié, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine.
Titres de séjour pour soins, AME, soins urgents et vitaux, visas pour motifs de santé : des dispositifs de prise en charge à ne pas confondre Les titres de séjour pour soins confèrent un statut administratif qui ne doit pas être confondu avec celui de l’Aide médicale de l'État (AME), qui garantit l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière – et qui n’ont, par définition, pas de titre de séjour. Pour bénéficier de l’AME, il est demandé de justifier : D’une résidence habituelle sur le territoire national depuis trois mois, contre un an pour bénéficier d’un titre de séjour pour soins (à défaut, les étrangers en situation irrégulière peuvent néanmoins bénéficier du dispositif des soins urgents et vitaux) ;De ressources ne dépassant pas un certain plafond (10 166 € annuels pour une personne seule en métropole). L’AME ouvre droit à la prise en charge à 100% de l’ensemble des soins médicaux et hospitaliers, avec dispense d’avance de frais, sous réserve de quelques exceptions : les cures thermales, l’assistance médicale à la procréation et les médicaments à service médical faible. Les étrangers en situation irrégulière qui ne remplissent pas les critères d’admission à l’AME – en particulier celui de la résidence habituelle sur le territoire depuis trois mois – sont néanmoins couverts par le dispositif des « soins urgents et vitaux », qui assure l’ensemble des soins nécessaires pour préserver la vie ou éviter une altération sévère et durable de la santé, mais aussi le traitement et la prévention de la propagation des maladies ainsi que les soins maternels et obstétriques. En revanche, les Français non-inscrits à la Sécurité sociale (ex : expatriés de retour en France, travailleurs frontaliers …) ne peuvent pas bénéficier de ce dispositif, puisque par définition ils ne remplissent pas le critère d’irrégularité du séjour sur le territoire national. Les titres de séjour pour soins ne doivent pas non plus être confondus avec les visas pour motif de santé, qui permettent également à un étranger de venir se faire soigner en France. Cependant, il s’agit alors d’un visa de courte durée, valable 90 jours, régi par l’annexe II du Code communautaire des visas, lequel prévoit que « pour des voyages entrepris pour raisons médicales, [le demandeur doit produire] un document officiel de l’établissement médical confirmant la nécessité d’y suivre un traitement, et la preuve de moyens financiers suffisants pour payer ce traitement médical ». L’établissement de santé en France peut aussi demander le versement d’une provision au patient titulaire de ce visa.
Dans les faits, le législateur et le juge n’ont cessé d’étendre ce dispositif, lequel est unique au monde :
Dans un premier temps, une loi du 24 juillet 2006 a dispensé les demandeurs de l’obligation de justifier de la régularité de leur entrée sur le territoire national. De même, la condition d’une résidence habituelle en France depuis au moins un an, qui fait l’objet d’un contrôle limité, connaît par ailleurs de larges exceptions : en effet, l’article R.425-14 du CESEDA permet à tout étranger de bénéficier d’une autorisation « provisoire » en la matière – ce qui a pour effet de vider la loi de sa substance[1]. Par ailleurs, si le refus de faire droit à une demande de séjour pour soins revient à interrompre un traitement en cours, le juge en tient compte lors de son examen du respect des conditions d’octroi. En effet, d’autres dispositifs de soins spécifiques permettent d’entamer un parcours de soins sur le territoire national pour les étrangers en situation irrégulière, à savoir l’AME et le dispositif de soins urgents et vitaux ; c’est pourquoi, comme le souligne l’OFII « l’AME n’est souvent que la première étape avant la demande d’un titre de séjour pour soins »[2].
Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat a décidé, dans un arrêt de 2010[3], d’interpréter largement les termes de la loi, faisant valoir qu’il incombait au Préfet d’apprécier « si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine », c'est-à-dire soit que « de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement ». Cette notion de « bénéfice effectif » (et non de « l’existence ») d’un traitement approprié a été consacrée par le législateur dans une loi de 2016.
Par ailleurs, l’OFII souligne dans ses rapports que la jurisprudence ne respecte pas toujours les trois critères légaux en la matière :
Le critère des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » de l’absence de soins « est souvent omise par rapport au critère d’accès aux traitements dans le pays d’origine, quelle que soit la gravité de la maladie »[4]. A titre d’exemple, 14,7% des demandes de titre de séjour pour soins concernaient pour l’année 2022 des troubles mentaux et du comportement, alors que le traitement des pathologies concernées « ne nécessite pas de plateau technique » tandis que « les molécules des grandes classes pharmacologiques en psychiatrie sont universellement disponibles, à faible coût »[5] ;
Le critère de « l’offre de soins » et des « caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine » paraît également éludé, puisque de nombreuses décisions judiciaires « semblent considérer qu’aucun traitement n’existe par définition dans un certain nombre de pays, ce qui fait fi de l’évolution considérable constatée ces vingt dernières années »[6]. Ainsi, le juge peut refuser de prendre en compte la disponibilité de traitements dans certains pays, notamment contre l’hépatite B et l’hépatite C[7], ou même l’existence d’un système de soins raisonnablement performant, comme au Chili[8] ;
Le critère de l’impossibilité de bénéficier « d’un traitement effectif et approprié » dans le pays d’origine ne semble pas non plus correctement appliqué, puisque l’OFII relève, pour l’année 2022, que 687 demandes déposées étaient issues de ressortissants de pays du G20 (hors UE)[9], dont le système de santé est d’un niveau comparable, voire supérieur à celui de la France pour certains d’entre eux. En effet, « Les malades viennent d’abord du Maghreb et dʼAfrique. Mais peuvent aussi bénéficier [du dispositif] des Américains n’ayant pas de couverture sociale suffisante dans leur pays ou ne pouvant s’endetter pour se faire soigner et qui trouvent les moyens de résider en France le temps de guérir »[10]. Pour l’année 2023, l’OFII relève 618 demandes de séjour pour soins provenant de ressortissants de pays du G20 (2,5% du total des demandes). La même année, l’OFII explique que 40,6% de ces demandes clôturées ont reçu un avis favorable, et détaille les nationalités les plus représentées : « la nationalité brésilienne est en 1ère position avec 32,5 % des demandes des pays du G20, ensuite la nationalité russe avec 30,3 % des demandes, puis la nationalité turque avec 14,1 % des demandes et enfin la nationalité chinoise avec 8,3 % des demandes » [11] ;
De même, l’OFII souligne que les décisions judiciaires « écartent parfois tout argument fondé sur l’existence d’un traitement comparable, comme si la loi exigeait la prescription de la même molécule, exactement »[12], certaines allant même jusqu’à exiger une identité de posologie[13] ; enfin, certaines décisions de refus d’octroi d’un titre de séjour pour soins sont annulées par le juge, alors même qu’elles concernent des pathologies pour lesquelles aucun traitement efficace n’existe à la date du jugement. C’est le cas en particulier pour des handicaps.
Ainsi, « la France est, dans ce domaine, le pays dont la législation est la plus bienveillante »[14] ; mais ce dispositif présente un caractère difficilement soutenable pour nos finances publiques et les capacités d’accueil de notre système de santé.
Un dispositif difficilement soutenable et dont l’opacité budgétaire pose une question de transparence démocratique
Le coût du dispositif de titres de séjour pour soins n’a jamais été quantifié – ou publié – par l’Assurance maladie. Néanmoins, si l’OFII n’est pas en mesure d’opérer une estimation chiffrée, de nombreux éléments issus de ses rapports tendent à accréditer la thèse d’un caractère difficilement soutenable pour les finances publiques :
Ainsi, l’OFII rappelle que « les soins fournis aux « étrangers malades » dans le cadre de cette procédure sont sans limitation, avec un coût invisible [….] le coût peut être très important et sans limitation. Il est simplement non visible puisque pris en charge de manière globale par l’Assurance maladie »[15] ;
Or, «l’impact financier du recours à certaines thérapies médicales ou médicaments onéreux est conséquent »[16] puisque certains traitements liés à des pathologies justifiant le recours aux séjours pour soins peuvent être lourds, parfois innovants, donc très coûteux, et bien souvent pour toute la vie du patient. A titre d’exemple, l’OFII relève que certains d’entre eux peuvent « atteindre 1 million d’euros la 1ère année de traitement selon les protocoles »[17], voire un « coût journalier de 6 206 euros soit un coût annuel estimé à 2,265 millions d’euros par an »[18]. De même, certains patients bénéficient en plus d’un accompagnement social et éducatif (Maison Départementale pour les Personnes Handicapées, Allocation adulte handicapé, Allocation d’éducation de l’enfant handicapé, Institut Médico-éducatif, Aide aux vacances pour les enfants …).
Dans son rapport pour 2021, l’OFII donne une série d’exemples de pathologies particulièrement coûteuses dans le cadre des titres de séjour pour soins :
Exemple des médicaments coûteux observés dans les dossiers Etrangers malades (EM) entre le 1er et 31 décembre 2021*
Pathologie MédicamentsPrix / an (approximatif) par personneHémophilie A ou BNovoseven1 019 611,00 €Hyperoxaliurie primitive de type 1 Lumasiran814 842,32 €Hémophilie B Benefix + Idelvion464 400,00 €Amyotrophie Spinale III Spinraza420 000,00 €Amyotrophie Spinale Spinraza420 000,00 €Myasthénie Soliris402 608,00 €Porphyrie érythropoïétique héréditaire Allogreffe de moelle400 000,00 €Beta thalassémieGreffe de moelle ou thérapie génique400 000,00 €Hémophilie A Elocta303 264,00 €Hémophilie A Hemlibra279 480,00 €Adénocarcinome de l’iléon Nivolumab133 000,00 €Néoplasie sein Kadcyla108 252,00 €Adénocarcinome pulmonaire Osimertinib 8062 555,16 €Recto-cholite hémorragique Stelara50 873,00 €Hépatite delta Bulevirtide23 000,00 €
*certains plusieurs fois, estimations selon les informations disponibles fournies sur la fréquence et durée
Figure 1 : OFII, Procédure d’admission au séjour pour soins – rapport au Parlement 2021
De plus, au-delà de cette lourde charge pour les finances publiques, l’OFII souligne également que ce dispositif « participe à la pression exercée sur notre système de santé »[19]. Une telle pression oblige parfois des services médicaux et hospitaliers, pratiquant dans des secteurs déjà sous forte tension, à procéder à des choix contraints au détriment des résidents qui peuvent être déprogrammés comme pour la dialyse afin d’accueillir les urgences. À titre d’exemple :
3 377 greffes de rein ont été réalisées en France en 2022, avec un temps d’attente médian de 2,5 ans[20] ;
Cette même année, 1 740 demandes dont le dossier médical faisait état d’une insuffisance rénale chronique, dialyse ou greffe de reins ont été recensées[21] ;
En 2023, 1 962 demandes dont le dossier médical faisait état d’une insuffisance rénale chronique (IRC), d’une dialyse ou d’une greffe de rein ont été clôturées, soit 8,4% du total des demandes clôturées cette année (contre 5,2% en 2021)[22]
Figure 2 OFII, Procédure d’admission au séjour pour soins – rapport au Parlement 2023
Or, l’exemple du traitement rénal est frappant à deux titres :
Un effet d’éviction sur la filière de greffes, celle-ci étant particulièrement sous tension ;
Un coût majeur pour les finances publiques : la dialyse coûte environ 80 000 euros par an et par patient, avec des dépenses additionnelles selon l’état de santé de patient et d’éventuelles complications (analyses biologiques régulières, examens complémentaires, consultation médicales, hospitalisation) et d’importants frais de transport (20 à 25% du coût total de la prise en charge pour l’hémodialyse en centre).
Plus globalement, l’OFII fait savoir que le nombre total de titres de séjour pour soins en circulation s’élevait à 20 600 à la fin de l’année 2022, contre 30 400 à la fin de l’année 2018. Pour l’année 2023, elle estime à 3 090 le nombre de premiers titres de soins délivrés, contre 3 291 en 2022 (-6,1%)[23]
Figure 3 OFII, Procédure d’admission au séjour pour soins – rapport au Parlement 2023
Enfin, au-delà de la seule problématique des titres de séjour pour soins, l’ensemble des dispositifs dédiés aux soins des étrangers font preuve d’un manque de cohérence globale. Ainsi, les demandeurs d’asile ont accès à la protection universelle maladie (PUMa), mais ceux-ci doivent rebasculer dans le régime de l’AME s’ils sont déboutés de leur demande – après un délai de carence de 3 mois de présence irrégulière sur le territoire. Dans l’intervalle, ceux-ci sont néanmoins éligibles au dispositif des soins urgents et vitaux.
Or, cette situation est préjudiciable à plusieurs égards :
Elle entraîne des lourdeurs administratives, les services instructeurs de l’Assurance maladie, comme les assistantes sociales des hôpitaux étant mobilisés pour distinguer les demandeurs d’asile des étrangers en situation irrégulière en matière de couverture santé ;
Elle mène à une « rupture de droits » pour les personnes concernées, d’une durée moyenne de « près d’un an pour les demandeurs d’asile déboutés qui n’ont pas directement bénéficié de l’AME », et concernerait plus de 100.000 personnes bénéficiaires actuels de l’AME[24].
Elle pose la même question d’opacité au regard des finances publiques, puisque les statistiques ne distinguent pas le coût spécifique des demandeurs d’asile et des bénéficiaires des titres de séjour pour soins.
Enfin, le dispositif des titres de séjour pour soins implique plus globalement la question de la prise en charge des étrangers extra-européens non-contributeurs à l’Assurance maladie, et celle de l’équité avec les Français non rattachés à la Sécurité sociale (ex : expatriés de retour en France, travailleurs frontaliers …) qui n’y sont par définition pas éligibles. En ce qui les concerne, un processus de réaffiliation à la Sécurité sociale est un processus très lourd, long et complexe, qui peut entrainer d’importantes ruptures de couverture, alors même qu’ils ne bénéficient pas de filets de sécurité similaires à ceux dédiés aux étrangers extra-européens non-contributeurs.
Pistes et propositions
1) Faire basculer le coût des soins dispensés aux demandeurs d’asile et aux bénéficiaires d’un titre de séjour « étranger maladie » dans le dispositif de l’AME pour une quantification plus transparente.
A ce jour, les demandeurs d’asile comme les bénéficiaires d’un titre de séjour pour soins relèvent de la protection universelle maladie (PUMa), c’est-à-dire du régime général de l’Assurance maladie, sans forcément y cotiser. Ainsi, pour davantage de cohérence, de lisibilité mais aussi de transparence du montant des dépenses engagées et afin d’éviter les ruptures de soins dans l’intérêt des étrangers concernés, il est recommandé de faire basculer ces deux catégories de soins dans le cadre de l’AME, et de distinguer dans les statistiques publiques en la matière entre les soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, ceux accordés aux demandeurs d’asile et ceux octroyés aux bénéficiaires d’un titre de séjour pour soin.
2) Entamer une réflexion sur la réforme globale de l’AME et sa transformation en aide médicale des étrangers extra-européens non-contributeurs
L’AME étant aujourd’hui un dispositif de soins dédié aux étrangers en situation irrégulière, le basculement des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’un titre de séjour pour soins dans son périmètre changerait de fait sa nature et sa dimension ; elle deviendrait alors un dispositif de soins plus large, dédié à l’ensemble des catégories d’étrangers extra-communautaires non-contributeurs à l’Assurance Maladie.
Cette transformation appellerait une réflexion plus globale, portant notamment sur sa nouvelle dénomination, le panier de soins retenu, le caractère provisoire ou non des soins dispensés et les conditions pour en bénéficier : durée de résidence, niveau de ressources… Elle s’inscrirait dans une démarche de meilleure distinction des prestations contributives (relevant du modèle « assurantiel » historique de la Sécurité sociale) et non-contributives. En tout état de cause, elle serait la première étape pour repenser en profondeur le système de soins dédiés aux étrangers en situation irrégulière.
Les mécanismes d’assistance et de solidarité pour prendre en charge les patients étrangers doivent être préservés, mais ils doivent être cadrés pour ne pas remettre en cause le principe fondamental de contribution dans l’assurance. Une séparation claire entre assurance contributive et dispositifs de solidarité est essentielle pour ne pas créer une confusion entre les deux logiques et éviter que le système assurantiel ne se transforme en modèle redistributif total, insoutenable à long terme.
3) Restreindre le critère d’octroi du titre de séjour « étranger malade » à l’absence du traitement dans le pays d’origine et non à ses difficultés « d’accès effectif »
Afin de contrecarrer la jurisprudence du Conseil d’Etat du 7 avril 2010 qui a opéré une interprétation extensive du dispositif de séjour pour soins, et de revenir sur la réforme législative de 2016 qui l’a consacrée, il est préconisé de modifier l’article L. 425-9 du CESEDA, pour remplacer les termes de « bénéfice effectif » par celui « d’existence » d’un traitement approprié dans le pays d’origine.
Le dispositif de séjour pour soins a été largement étendu, bien au-delà des conditions initialement énumérées par le législateur – ce qui le rend difficilement soutenable sur le long terme, tant pour l’équilibre des finances publiques que pour les capacités d’accueil du système de santé. Une clarification de ses critères d’attribution s’avère indispensable, tandis qu’une véritable démarche de transparence et de mise en cohérence doit être menée plus globalement pour l’ensemble des dispositifs de soin dédiés aux étrangers.
Ont contribué à cette note de synthèse : Grégoire Daubigny, Fernand Gontier, Thanh Le-Luong, Didier Leschi, Nicolas Pouvreau-Monti, Charles Rodwell, David Smadja, Frederic Wehrle
[1] Pour les mineurs demandeurs d’un TS pour soins, comme tout mineur sont dispensés de TS, ce sont les parents ou représentants qui bénéficient d’une APS renouvelables en tant que de besoins.
[2] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[3] Conseil d’Etat, section du contentieux 7 avril 2010, n°316625
[4] OFII, Rapport au Parlement 2021 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[5] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[6] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[7] TA de Lyon, 1er décembre 2023, instance n° 2306000
[8] CAA de Marseille, 3 avril 2023, n° d’instance 22MA01769
[9] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[10] Didier Leschi, Ce grand dérangement, tracts Gallimard, 21/09/2023
[11] OFII, Rapport au Parlement 2023 – Procédure d’admission au séjour pour soins
[12] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[13] CAA de Douai, 11 avril 2023, n° 22DA01323
[14] Fondapol, Migrations : la France singulière, Didier Leschi, octobre 2018
[15] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[16] Idem
[17] Idem
[18] OFII, Rapport au Parlement 2023 – Procédure d’admission au séjour pour soins
[19] Idem
[20] Rapport d’information sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, rapporteure spéciale Véronique Louwagie, 17/05/2023
[21] OFII, Rapport au Parlement 2022 - Procédure d’admission au séjour pour soins
[22] OFII, Rapport au Parlement 2023 – Procédure d’admission au séjour pour soins
[23] Idem
[24] Rapport sur l’Aide médicale de l’Etat, établi par Patrick Stefanini, décembre 2023
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