Groupuscules d’ultra-droite : analyse d’une émergence identitaire décomplexée

par Jean-Yves Camus le 21 décembre 2023
Après le drame de Crépol, les groupuscules d’ultra-droite reviennent dans l’actualité, par leur action, leur manifestation et leur possible dissolution. Jean-Yves Camus, codirecteur de l'Observatoire des radicalités politiques et chercheur rattaché à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) apporte son analyse.
Le Laboratoire de la République : Parlons-nous de groupuscules d’ultra-droite ou d’extrême-droite ? Quelle est la différence entre ces deux notions ? Jean-Yves Camus : Le concept d'ultra-droite n'est pas un concept scientifique. Il a été forgé après que les anciens renseignements généraux aient été entièrement refondus dans ce qui est maintenant la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), la grande différence étant que les renseignements généraux avaient le droit de surveiller les partis politiques. Il a fallu forger une catégorie pour désigner ce qui, à l'extrême droite du spectre politique, restait encore dans le giron du renseignement intérieur. Or ce qui restait dans le giron du renseignement intérieur, ce sont les gens qui présentent une menace pour la sécurité de l'État ou ceux qui promeuvent une idéologie raciste, antisémite, suprémaciste et qui tombent sous le coup de la loi. Donc le renseignement intérieur s'est retrouvé dans l'obligation de forger une catégorie qui apparaît au début des années 2010 : l’ultra-droite. Ultra, c'est à dire au-delà de la limite de ce qui reste dans le champ du renseignement, ce qui est une menace. Concrètement, cela veut dire que le Rassemblement national et désormais Reconquête sont des partis qui ne peuvent pas être suivis par le renseignement intérieur parce qu'ils cherchent à conquérir le pouvoir par les urnes, mais ceux qui souhaitent le conquérir autrement ou qui s'adonnent régulièrement à des activités de propagande ou de manifestations sur la voie publique et qui utilisent la violence ou la haine, ceux-là sont classés à l'ultra-droite. La pertinence du concept, pour nous, politistes, est relative parce qu’à l'intérieur de l'ultra-droite, il existe des gens dont les idées sont effectivement très radicales, hostiles à la démocratie par exemple, mais est-ce qu'ils sont un danger pour les institutions ? Pour moi, non. Ils ont une idéologie, certes radicale, parfois antidémocratique, souvent identitaire, avec parfois, pas toujours, une notion de suprématie de la race blanche, mais leur discours, à mon sens, n'est pas un danger imminent pour la sécurité des institutions. Le Laboratoire de la République : Comment les partis politiques, notamment le Rassemblement national et Reconquête, se positionnent-ils par rapport à ces groupuscules ? Jean-Yves Camus : Le Rassemblement national de 2023 n'est pas le Front national fondé en 1972. Il y a peut-être encore des militants de base du Rassemblement national qui ont un pied dans un groupuscule radical. Cependant, l'identité du parti, son positionnement comme acteur politique, n'est plus celui de Jean-Marie Le Pen et des fondateurs du Front national. En 1972, Jean-Marie Le Pen a fondé le Front national avec un numéro 2, qui, quand il avait 20 ans, portait l'uniforme nazi, c'est historiquement vrai. Mais cela ne définit pas l'identité du Rassemblement national de 2023. Aujourd’hui, les membres du parti sont nationalistes, hostiles à l’immigration, à l'Union européenne et à toute forme de supranationalité. Le projet politique de Civitas qui a été dissous récemment, disait souhaiter l'abolition des lois de 1905 sur la laïcité et le retour du catholicisme comme religion d'État. C’est évidemment une atteinte aux institutions, au moins en paroles.  Le RN n’a pas le même discours. Marine Le Pen n'a jamais parlé d’abolir la laïcité. Elle ne parle pas de remigration. Elle n'a jamais dit que l'islam était incompatible avec la République contrairement à Éric Zemmour. Le combat contre les idées du Rassemblement national et celles de Reconquête ne peut être efficace que si on évite les raccourcis hâtifs en se servant de l'histoire. Il faut distinguer ce qui rentre dans la stratégie dite de normalisation de Le Pen ou dans la stratégie politique d’Eric Zemmour. L'extrême droite existe. Il y a eu longtemps un consensus établi des chercheurs pour avaliser l'utilisation de ce terme. Désormais il y a débat. Dans le monde anglo-saxon, on a tendance à utiliser le terme « droite radicale » et il me convient assez pour décrire les partis qui s’inscrivent dans le jeu démocratique tout en se démarquant du consensus par des propositions, au sens premier, « radicales » telles la priorité nationale et l’arrêt de l’immigration. Contrairement à la France qui n’a pas de définition juridique, les Allemands, pour des raisons historiques, ont été amenés à élaborer une définition de l'extrême droite comme de l'extrême gauche qui est utilisée par l’office de protection de la Constitution et les services de renseignement pour décider qui peut être mis sous surveillance. Les Allemands font la différence entre ce qui est extrême et ce qui est radical. Un parti a le droit d'être de droite et d'élaborer un projet politique assez radical dans l'ampleur des réformes qu'il propose à la condition de rester dans le respect de la loi fondamentale de 1949. Le parti est dit extrême quand le type d'État qu’il propose est condamné par la loi fondamentale, par exemple le retour au Grand Reich ou à une vision ethniciste de la citoyenneté allemande. Le Laboratoire de la République : Quelle est la réalité aujourd’hui de ces groupuscules, leur idéologie, méthode et activité ? Jean-Yves Camus : Plusieurs cartes ont montré dernièrement qu'il existait des groupuscules pratiquement dans chaque métropole régionale et dans beaucoup de petites villes : Thionville, Narbonne, Albi, Chambéry, Annecy. Les dissolutions des grands mouvements qui étaient Génération identitaire, l’Œuvre française et le Bastion social entre 2013 et 2021 ont obligé ces gens à contourner le délit de reconstitution de ligne dissoute en formant de petits groupes par scissiparité. Pour un groupe dissous, naissent X groupes qui ont chacun un intitulé différent qui se réfère, le plus souvent, à l'histoire locale. Ils font partie de la mouvance identitaire, ce qui veut dire que ces gens sont des ethno différentialistes, c'est à dire qu’ils pensent que sur une terre ne peut exister que le peuple qui y a des racines millénaires et que les autres ne doivent ni y habiter ni se mélanger. Le sang fait la citoyenneté. Pour comprendre leur idéologie, il faut s'intéresser à ce sujet sur la durée. Or on ne s'intéresse à cette mouvance d'ultra droite ou de droite radicale que lorsqu'il se produit un incident. Dès lors on n'a pas de repères historiques et on a l'impression que ces groupes ne font que se greffer sur un événement. Au contraire, ce sont des acteurs politiques permanents. Certains effectivement suite à la dissolution, se mettent en sommeil, d'autres continuent sous un autre nom et surtout il y en a qui produisent de la théorie. Academia Christiana, dont la dissolution a été annoncée par Gérald Darmanin, a publié un livre de 128 pages qui s'appelle « Programme politique d'une génération dans l'orage » (2022). Il ne faut pas penser que ces gens sont juste des écervelés qui échafaudent des plans pour abattre la République. Jean-Eudes Gannat, qui est l'ancien leader de l’Alvarium dissout, a écrit la préface du programme d'Academia Christiana avec qui il collabore. Il pose dans son texte cette question : pourquoi intituler « programme politique », le manifeste d'un groupe qui ne participe pas aux élections. Pour lui, un programme politique n’est pas quelque chose qui est destiné à arriver au pouvoir. Il explique que les lecteurs d’un programme électoral savent parfaitement celui que les différents partis présentent en période de campagne ne sera pas appliqué, ne sera pas l'action de l'État. Son objectif est de former idéologiquement des gens qui seront des « soldats politiques » (Dominique Venner), des propagandistes, des acteurs, des gens qui, par leur mode de vie, leur attitude, leur degré d'engagement, montreront qu'il est possible de faire de la politique sur d'autres bases que celle du système existant. Le Laboratoire de la République : Les dernières mesures des autorités françaises à leur encontre tel que la dissolution sont-elles efficaces ? Jean-Yves Camus : Les dissolutions ne sont pas entièrement efficaces parce qu'il est illusoire de vouloir éradiquer une mouvance politique. Seul le totalitarisme peut l’éradiquer, évidemment, il ne faut pas en arriver là. On est dans un Etat de droit, où l’on respecte les libertés publiques. Une démocratie est saine quand elle tolère dans son sein des gens qui la remettent radicalement en cause. Il y en aura toujours. La limite est la sécurité de l'État et des institutions mais on doit pouvoir dire qu'on est radicalement contre le consensus. Entretien enregistré le 12 décembre 2023.

L’appel de Jean-Michel Blanquer contre le risque de fragmentation de la République

par Martin Bernier le 14 décembre 2023
Sur lefigaro.fr, retrouvez l'appel du Président du Laboratoire de la République, Jean-Michel Blanquer, contre le risque de fragmentation de la République. Cet appel souligne l'importance cruciale de préserver l'unité nationale et de renforcer les valeurs de la République notamment celle de son indivisibilité.
Photo : Ludovic Marin/AFP Le Laboratoire de la République, fondé par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, organisait le 13 décembre à Paris une conférence sur « La République indivisible face aux risques de fragmentation »... Lire l'article sur le site lefigaro.fr

La protection de la biodiversité, défi du siècle et enjeu de cohésion nationale

par Sarah El Haïry le 24 novembre 2023
Dans cet entretien exclusif, Sarah El Haïry, Secrétaire d'État chargée de la Biodiversité, nous livre sa vision passionnée et engagée sur l'importance cruciale de la protection de la biodiversité. Elle met en lumière le caractère fondamental de ce défi, soulignant son rôle dans la préservation de notre planète et son impact direct sur la vie des citoyens.
Sarah El Haïry expose son point de vue sur la protection de la biodiversité en tant que défi majeur du XXIe siècle. Elle souligne que cette question transcende les frontières nationales et représente un enjeu mondial qui nécessite une action immédiate et concertée. Elle insiste sur la responsabilité collective de l'humanité à préserver la diversité des espèces et des écosystèmes pour garantir un avenir durable. Interrogée sur la place accordée à la biodiversité dans le débat public, la Secrétaire d'État partage son constat sur les progrès réalisés, tout en soulignant le chemin à parcourir. Elle estime que la question de la biodiversité gagne progressivement en visibilité, mais insiste sur l'importance de sensibiliser davantage le public et les décideurs politiques pour susciter une mobilisation plus large. Elle explique comment la préservation de la nature et la biodiversité peuvent transcender les clivages politiques et sociaux, offrant ainsi une opportunité de mobilisation collective autour d'un objectif commun. Elle voit dans cette cause une source de fierté nationale et un moyen de construire un avenir durable et solidaire. Enfin, Sarah El Haïry détaille les ambitions de la stratégie nationale de la biodiversité à l'horizon 2030. https://youtu.be/Uf4Du3jrThg Remaniement : la composition du nouveau gouvernement d'Élisabeth Borne | vie-publique.fr

La transmission de l’information scientifique face à sa dégradation et au climatoscepticisme

par François-Marie Bréon le 15 novembre 2023
A l'heure où les rapports du GIEC sont remis en cause et les débats sur l'environnement font face à des menaces et des actions de blocage, le Laboratoire de la République interroge François-Marie Bréon, président de l'Association française pour l'information scientifique pour qu'il nous donne son éclairage.
Dans cet entretien, François-Marie Bréon, président de l'Association française pour l'information scientifique, offre un éclairage expert sur les défis contemporains liés à la communication de l'information environnementale. Il aborde des sujets brûlants tels que le climatoscepticisme, les blocages des conférences sur l'environnement, et la propagation de la mésinformation. M. Bréon partage ses réflexions sur la manière dont la société peut mieux faire face à la diffusion de fausses informations et promouvoir une compréhension fondée sur des faits scientifiques. Il met en lumière les obstacles actuels et les nouvelles dynamiques qui influent sur la perception publique des enjeux environnementaux. https://youtu.be/GyLGfoawEqc

Haut-Karabagh : les réalités du nettoyage ethnique

par Hovhannès Guévorkian le 10 novembre 2023
Dans cet entretien exceptionnel, Hovhannès Guévorkian, Haut-représentant du Haut-Karabagh, dévoile les sombres réalités du conflit arménien post-offensive de Bakou. Alors que le patrimoine culturel et religieux est en péril, plus de 100 000 personnes ont fui vers l'Arménie, laissant derrière elles une terre déchirée. H. Guévorkian évoque les conditions de vie des réfugiés, les solutions afin de préserver l'identité et l'avenir de la région, ainsi que les défis existentiels de la représentation arménienne.
Le Laboratoire de la République : Pouvez-vous, quelques semaines après l’offensive menée par Bakou et la dramatique invasion du Haut Karabagh du 19 septembre dernier, nous faire part des informations que vous avez sur la situation sur place ? Vous mentionniez lors de notre récente conférence qu’il ne restait que 8 arméniens localement et que le patrimoine culturel et religieux était en grand danger. Hovhannès Guévorkian : Il me semble nécessaire de rappeler que l'agression menée par le régime de Bakou le 19 et le 20 septembre 2023 contre l’Artsakh (le Haut-Karabagh), a été précédée d’un blocus imposé durant près de 10 mois. Le blocus routier s’est accompagné d’un blocus énergétique et communicationnel avec la coupure de toutes les infrastructures d’acheminement (gaz, électricité et fibre optique). La famine s’est instaurée en Artsakh et la situation sanitaire y était également catastrophique. C’est dans ces conditions que les Arméniens d’Artsakh ont été soumis durant 36 heures à de bombardements azerbaidjanais intenses, conduisant les autorités artsakhiotes à se rendre. L’agression a provoqué un exode massif de quelques 105 000 Arméniens restants, les contraignants à quitter leur terre d'origine pour trouver refuge dans la République d'Arménie. Je voudrais souligner que ce déplacement forcé s'est déroulé dans les pires conditions imaginables. Il en résulte une véritable épuration ethnique, ainsi que l’a qualifié le Parlement européen par une résolution adoptée le 5 octobre 2023. Aujourd’hui, l’Artsakh est vidé de sa population. Seulement une petite dizaine d’Arméniens dans l’incapacité de se déplacer y sont restés. Cette région autrefois vibrante se retrouve avec ses villes et ses villages déserts. Afin d’anéantir toute velléité de résistance, les autorités politiques actuelles de la République d’Artsakh et ses anciens dirigeants ont été arrêtées par l’Azerbaïdjan. Maintenant que presque tous les habitants ont été chassés de cette terre, Bakou persiste dans sa politique de réécriture de l'histoire en attribuant de fantaisistes origines albanaises au patrimoine culturel arménien. Cette stratégie met en danger des siècles d’héritage arménien, témoin irremplaçable de la présence arménienne millénaire en Artsakh. L'Azerbaïdjan s'efforcera d'effacer les traces de l'existence des Arméniens en Artsakh, reproduisant ainsi des pratiques déjà observées dans d'autres régions arméniennes telle que la région de Nakhitchevan, où au début du siècle dernier la population arménienne était majoritaire. La présence arménienne a été complètement éradiquée, tout comme nos édifices religieux. Nos cimetières ont même été rasés. Les autorités azéries ont délibérément créé des environnements dénaturés, dans le but que les Arméniens ne souhaitent plus revenir, confrontés à la disparition totale de leur patrimoine. Le Laboratoire de la République : Plus de 100 000 personnes ont été contraintes de fuir, ce qui est dénoncé comme une volonté de purification ethnique, pour gagner l’Arménie. Quelle est aujourd’hui la réalité vécue par les réfugiés ? Hovhannès Guévorkian : Avant d'aborder les événements constitutifs d'un nettoyage ethnique, je voudrais mettre en lumière les actions entreprises par l'Azerbaïdjan depuis sa victoire militaire contre l’Artsakh en 2020. Bakou a mis en œuvre une politique de terreur à l'encontre de la population arménienne : appels quasi quotidiens par les haut-parleurs incitant les Arméniens à quitter leurs terres sous peine de représailles, tirs de snipers assassinant des paysans cultivant leurs terres ou des techniciens venus réparer une conduite d’eau ou un équipement électrique, utilisation la nuit des projecteurs lumineux visant les maisons des villageois arméniens des zones frontalières pour les empêcher de dormir, le tout attesté par des centaines de photos et de vidéos. La politique mise en place par l’Azerbaïdjan est sans ambiguïté une politique criminelle de déplacement forcé de la population arménienne. Les éléments des crimes de la Cour Pénale internationale précisent que le terme « de force » ne se limite pas à la force physique et peut comprendre un acte commis à l’encontre des personnes de la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un climat coercitif. Je souhaite citer également Luis Moreno Ocampo, ancien procureur général de la Cour Pénale Internationale, qui qualifie les actions de l’Azerbaïdjan de génocide. D’après le magistrat, on peut qualifier ces actions de processus génocidaire car il y a une réelle intention de détruire en tout ou en partie, les Arméniens d’Artsakh. Affamer une population, ne pas l’alimenter en électricité et en eau, en clair mettre en place des conditions aboutissant à leur disparition, c’est aussi un génocide au titre de la Convention de 1948. J’aimerai reprendre la citation de Hubert Heckmann, enseignant et chercheur en littérature médiévale, qui dédiait un article le 6 octobre dernier à la presse Figaro, « pour l’Azerbaïdjan, il ne suffit pas de chasser les Arméniens de leurs terres, il faut aussi qu’ils n’aient jamais existé. Cette forme extrême de cancel culture fait partie du processus génocidaire ». Quant à la situation actuelle des réfugiés, il est important de souligner l'impact psychologique et émotionnel. Ce déplacement massif a engendré des traumatismes, plongeant les personnes concernées dans un sentiment de déracinement, de choc moral, de deuil, d'isolement, d'anxiété et d’incertitude. Une autre réalité est d’envergure politique. Le refus de la communauté internationale à reconnaitre le droit à l’autodétermination des Arméniens d’Artsakh face à la politique agressive, raciste et arménophobe de l’Azerbaïdjan laisse les personnes déplacées de force dans une situation précaire. En abordant la dimension économique, les réfugiés artsakhiotes se trouvent désormais démunis, ayant été contraints de quitter leur terre et d’abandonner leurs emplois ainsi que leurs logements. La République d’Arménie a pris l'engagement de faciliter une intégration rapide des réfugiés, mettant en œuvre diverses mesures tels le soutien au logement, l'assistance dans la recherche d'emplois, et la fourniture de biens de première nécessité. Le Laboratoire de la République : La création d’une délégation de l’Artsakh en exil est-elle une option envisageable ? Hovhannès Guévorkian : Entretenir un espoir quant à la restauration des droits des Artsakhiotes, dépossédés de leur terre et de leur patrimoine, demeure une priorité et constitue l'un de nos objectifs fondamentaux. L'enjeu est bien évidemment de taille, il s’agit de restaurer les Artsakhiotes dans leurs droits légitimes. Cette cause jouit non seulement dans la dynamique positive instaurée en France par les amis de l'Arménie et de l'Artsakh, mais elle bénéficie également d'un vaste soutien sociétal et politique qu’il faut considérer à sa juste valeur. Ces appuis nous engagent fermement à persévérer dans notre action politique. Au sein de la Représentation et avec le soutien de nos alliés, une réflexion approfondie est en cours pour déterminer la forme politique que pourrait adopter cet engagement renouvelé. Cette démarche est motivée par une volonté clairement exprimée par ceux qui refusent de rester indifférents face au sort inhumain et injuste infligé aux Arméniens de l’Artsakh. Crédit photo : Lydia Kasparian Le Représentant - Représentation Permanente de la République d'Artsakh en France (haut-karabagh.com) Importante mobilisation pour l'Arménie et le Haut-Karabagh - Laboratoire de la République (lelaboratoiredelarepublique.fr)

« Pour le fondamentalisme islamiste, l’école est une zone de guerre »

par Pierre-Henri Tavoillot le 6 novembre 2023
Vendredi 13 octobre 2023, trois jours avant l’hommage à Samuel Paty, Dominique Bernard, professeur de français, était assassiné devant son collège-lycée à Arras par un terroriste de nationalité russe, ayant fait allégeance à l’État islamique quelques minutes avant les faits. Dans ce contexte de tensions et d'attaques des valeurs et principes de la République française, le Laboratoire de la République interroge Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie et responsable du DU "référent Laïcité" à la faculté des lettres de Sorbonne Université.
Le Laboratoire de la République : L’assaillant, Mohammed M., a revendiqué un combat contre la République lors de l’attentat. Il aurait par exemple crié à une personne qui tentait de joindre les secours : "Appelle Marianne, appelle ta République". Pourquoi ce combat spécifique ? A quoi s’attaque l’islamisme en ciblant l’école ? Pierre-Henri Tavoillot : Toute l’idéologie du fondamentalisme islamiste le conduit à la contestation et à la destruction de l’école républicaine. En Afrique, ce mouvement a un nom : Boko Haram, soit littéralement « livre (book) impur » ou encore « l’éducation occidentale est un péché ». L’école est donc une cible, voire une zone de guerre, pour cette idéologie totalitaire. Voilà pourquoi des professeurs sont tués ; voilà pourquoi des étudiants et particulièrement des étudiantes sont enlevés ; voilà pourquoi des établissements scolaires sont brûlés. Voilà aussi pourquoi on note soudain, dans le courant de l’année 2021, une arrivée massive du port des abayas et des qamis. Elle est téléguidée par des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui fournissent aux jeunes élèves les éléments de langage que l’on retrouvera partout en France. Au nom de la liberté de s’habiller pudiquement, on n’hésite pas à exhiber son appartenance religieuse : la pudeur corporelle prétexte à l’impudeur et à la pression spirituelle.Ce qu’il faut comprendre, c’est que le fondamentalisme ne prône pas une religion au sens occidental et moderne du terme car nous nous sommes habitués à considérer que la religion, c’est beaucoup de foi et un peu de pratique. Pour le fondamentalisme, la religion régit et dicte tout, du matin au soir, du berceau à la tombe dans tous les domaines de l’existence privé, public et civil. Il est donc normal que l’école, lieu de construction de la personne, soit visée, car il s’agit bien de conquérir les jeunes esprits et de les protéger des impuretés et des mensonges. Le Laboratoire de la République : Mardi 17 octobre, Gabriel Attal a haussé le ton à l’Assemblée nationale. "Le pas de vague, c’est fini", a-t-il promis, à la fin d’une prise de parole pour évoquer les 179 élèves qui ont perturbé la minute de silence d’hommage à Samuel Paty et Dominique Bernard. A quelles conditions cette promesse peut-elle être tenue ? Pierre-Henri Tavoillot : Une seule condition : il faut être ferme contre tout espèce de comportement « manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse ». Le texte de la loi de 2004 est — c’est assez rare pour le noter à propos d’une loi — bref, clair et net. Je suis ébahi que l’on ait eu, à propos des abayas et qamis, exactement les mêmes controverses (heureusement en moins développées) qu’en 2004 à propos du voile. Or cette loi a été particulièrement efficace ; il faut donc l’appliquer. La difficulté est que notre école républicaine est affaiblie de l’intérieur par une forme de mauvaise conscience structurelle. C’est là, où l’ennemi fondamentaliste rencontre un précieux allié : l’hyperinvidualisme woke. Celui-ci dit aux élèves : « Venez comme vous êtes, vos identités sont remarquables ; n’en changez surtout pas. Nous autres adultes, coupables par nature, avons trop peur de vous discriminer pour pouvoir encore vous éduquer. Nous autres adultes avons trop de doutes sur nos savoirs pour espérer vous instruire. Nous autres adultes avons trop honte de notre histoire pour oser vous la transmettre ». Et voici l’autre message qu’il adresse à la jeunesse : « la France d’aujourd’hui est patriarcale, raciste, néocoloniale, indifférente au sort de la planète, inégalitaire, islamophobe, homophobe, transphobe, anti-jeune et oublieuse des vieux, inhospitalière, discriminatoire, immorale, égoïste, rance…» On pourrait sans peine continuer la liste (où l’antisémitisme est « étrangement » absent) de cette auto-détestation qui dépasse de très loin les limites d’une légitime autocritique. Car il ne s’agit pas non plus de s’adorer sans réserve ; mais à force de se haïr, on en vient à se détruire. Aucune école, nulle transmission n’ont de sens dès lors qu’une culture commence à avoir honte d’elle-même. Le Laboratoire de la République : Mohammed M. résidait en France depuis l’âge de 5 ans et était fiché S. Cet attentat a donné lieu à une polémique sur les modalités d’expulsion du territoire des ressortissants étrangers. Les questions soulevées sont-elles selon vous légitimes ? Pierre-Henri Tavoillot : C’est une évidence et même une exigence démocratique : un peuple doit pouvoir être maître de son destin. L’Etat de droit doit certes protéger les droits des individus, mais sans mettre en péril la collectivité. Pourtant la gestion de l’immigration n’est pas seule en cause, puisqu’à côté des flux, il y a, si je puis dire, le stock ; c’est-à-dire une part notable de la population française qui n’accepte pas le cadre de la laïcité et qui, pour une autre part, plus réduite, mais non négligeable, aspire à le détruire. Le défi est donc immense. Le Laboratoire de la République : Cet attentat intervient dans un contexte marqué par l’attaque terroriste du Hamas en Israël et sa résurgence dans le débat politique national. La période est-elle révélatrice de nos fragilités ? Pierre-Henri Tavoillot : La montée des actes antisémites, les prises de position irresponsables de trop nombreux courants et organisations qui continuent de qualifier le Hamas de « mouvement de résistance » et non d’organisation terroriste, totalitaire et génocidaire, … tout cela en effet est très inquiétant. La République aujourd’hui doit faire face non seulement à des ennemis redoutables, mais à tous ceux qui, en son sein, que ce soit par déni, par peur ou par cynisme, n’hésitent pas à leur faciliter la tâche.

Le Laboratoire
de la République

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