Les noms de 11 étudiants ont été inscrits dans la nuit du dimanche 2 au lundi 3 avril sur les murs de Sciences Po Lille par certains de leurs camarades. Leur seul tort : s’être opposés au blocage de leur école dans le cadre des manifestations pour la réforme des retraites. Vincent Tournier, professeur à Sciences Po Grenoble, qui avait subi un traitement comparable en 2021, réagit à l’évènement.
Le Laboratoire de la République : y a-t-il des éléments comparables entre l’évènement de ce week-end à l’IEP de Lille et ce que vous avez subi à Grenoble ? En particulier, les logiques à l’œuvre sont-elles les mêmes ?
En tout cas, cela commence à devenir une habitude. Nous avons eu l’honneur, mon collègue Klaus Kinzler et moi-même, d’ouvrir le bal en mars 2021. Puis est venu le tour de l’ancien directeur de Sciences po Lyon, Renaud Payre, et maintenant celui de ces malheureux étudiants de Sciences po Lille, cloués au pilori pour avoir osé contester les blocages.
Lorsqu’un événement se produit une fois, il peut s’agir d’un accident ; mais lorsqu’il se répète, le problème est plus profond. Initialement, les accusations placardées sur les murs se contentaient de lancer des accusations générales, pointant par exemple le sexisme de Sciences Po. Le passage aux personnes est une nouvelle étape. On songe aux dazibaos, ces affiches chinoises qui, pendant la Révolution culturelle, consistaient à placarder le nom des déviationnistes pour les livrer à la vindicte populaire.
C’est triste à dire, mais nos étudiants ont beau avoir été biberonnés au lait de la démocratie et des grands principes libéraux, ils reproduisent une logique qui rappelle les mouvements totalitaires. On en est certes au stade embryonnaire, mais c’est quand même inquiétant.
Le Laboratoire de la République : le directeur de l’IEP de Lille a immédiatement réagi à l’évènement et a annoncé que l’établissement portera plainte. Dans le journal le Monde, il appelle à un « réveil collectif ». A-t-il des chances d’être entendu et suivi dans la communauté académique et les administrations universitaires ?
La réaction du directeur de l’IEP de Lille a été parfaite, même si lui-même, en janvier 2020, a annulé une conférence de l’avocat Charles Consigny et du journaliste Geoffroy Lejeune, qui devait se tenir dans son école. Cela nous rappelle qu'il faut éviter de créer des précédents qui peuvent encourager les excès.
C’est tout le problème : cela fait des années que, tout en prônant l’amour du débat, nous valorisons en réalité l’amour de la censure, comme le montre l’intense mobilisation contre les « discours de haine », soutenue activement par les institutions nationales et européennes. De ce point de vue, nos étudiants sont de braves petits soldats : ils ne font que mettre en œuvre les consignes officielles.
Quant au monde universitaire, il ne faut pas trop en attendre : non seulement la plupart des gens optent généralement pour la prudence, mais de plus les étudiants sont officiellement encouragés à être eux-mêmes des délateurs, par exemple en matière de discriminations ou de sexisme. Donc, là aussi, il ne faut pas être surpris par le résultat, et encore moins espérer une solution de ce côté tant que nous ne changerons pas le logiciel.
Le Laboratoire de la République : Pierre Mathiot évoque également « une forme de pureté militante », véritable bombe démocratique. Quelle solution pour traiter, auprès des étudiants, cette problématique ?
L’histoire nous apprend qu’il est quasiment impossible d’aller à l’encontre des grandes passions collectives, dont les causes sont certainement multiples et profondes.
La question que l’on peut quand même se poser concerne l’impact de l’école. Notre système scolaire a-t-il échoué à immuniser les étudiants contre les idéologies totalitaires ou a-t-il au contraire trop bien réussi en créant une sorte de conditionnement contre le fascisme, sorte de monstre brandi continuellement sans être réellement défini, de sorte que les élèves sont amenés à accoler l’étiquette fasciste à tout et n’importe quoi, prélude à des campagnes d’éradication au nom de la lutte du Bien contre le Mal ?
Cette seconde interprétation est d’autant moins exclue que l’activisme révolutionnaire n’a pas fait l’objet de la même délégitimation que le fascisme. Un parfum de romantisme continue d’entourer la gauche radicale. Du reste, le système scolaire encourage les élèves à être des êtres hautement vertueux. La vertu actuelle ne consiste pas à aimer son pays et à respecter les lois, mais à traquer la moindre déviance supposée concernant l’immigration, le sexisme ou l’écologisme. D’une certaine façon, nous avons la jeunesse que nous voulons. S’il y a un échec, la responsabilité est collective. Il faudrait peut-être en tirer des leçons pour les prochaines générations.
Noëlle Lenoir, membre honoraire du Conseil constitutionnel, avocate et membre du comité scientifique du Laboratoire de la République, revient sur la décision n°2023-849 DC du 14 avril 2023 sur la réforme du régime de retraites. Qualifiant cette décision de « bonne leçon de droit parlementaire », elle évoque les points constitutionnels qui ont été débattus.
Des critiques de la décision qui ont évolué dans le temps
La décision du Conseil constitutionnel sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme du régime de retraites n’a déçu que ceux qui auraient voulu la voir censurée dans son entier. N’ayant pas pu voir la réforme bloquée par l’activisme procédurier de certains parlementaires, ils auraient aimé que le Conseil constitutionnel l’annule purement et simplement. Y croyaient-ils vraiment ? On peut en douter à l’aune des critiques dont le Conseil a fait l’objet avant et après sa décision.
A l’heure actuelle, lorsqu’une décision déplait, c’est celui ou celle qui la prend qui est visé personnellement. Le Conseil constitutionnel n’a pas échappé à ces attaques ad personam qui ont débuté plusieurs semaines avant le 14 avril. Se doutant peut-être que les saisines des sénateurs et députés (RN et NUPES à l’Assemblée nationale et groupes de gauche au Sénat) avaient peu de chances d’aboutir, il fallait décrédibiliser le décideur à travers ses membres : complices des possédants, insuffisamment compétents faute d’être tous professeurs agrégés de droit constitutionnel ou encore politisés parce qu’anciens ministres ou Premiers ministres, de gauche comme de droite, il fallait faire naître un doute sur l’impartialité du juge.
Une fois la décision adoptée, possiblement à l’unanimité, la tonalité des critiques a changé. A l’inverse des accusations de politisation, c’est le « juridisme » dont aurait fait preuve le Conseil constitutionnel qui se trouve stigmatisé. Celui aurait dû, selon ses détracteurs, revoir la copie du législateur en « s’intéressant aux aspects économiques et sociaux de la réforme ». Faute de majorité qualifiée pour adopter une motion de censure, le Conseil constitutionnel était prié de censurer la loi.
Et d’aucuns d’appeler de leurs vœux « la transformation du Conseil en une Cour constitutionnelle », sous-entendu qui peut décider en opportunité. Mais que n’aurait-on dit si le Conseil constitutionnel s’était comporté comme la Cour suprême des Etats-Unis dont la politisation, surtout depuis l’héritage de l’ère Trump, n’est pas vraiment un modèle ?
Sur la procédure parlementaire, une décision fondée sur une jurisprudence constante
Les saisines des députés et sénateurs se sont concentrées sur le détournement de procédure supposée commis par le gouvernement et les instances du Sénat, plus que sur le fond.
La question posée était de savoir si le gouvernement, mais aussi la Conférence des Présidents[1] et les commissions parlementaires chargées de l’examen du texte, avaient abusé de leur droit en utilisant les armes mises à leur disposition pour contrer l’obstructionnisme parlementaire.
Pour gonfler le nombre d’amendements et sous-amendements (plus de 30 000 au total), tous types de méthodes avaient en effet été utilisés : les mêmes amendements étaient déclinés à titre individuel, contrairement à la pratique habituelle des amendements par groupe politique ; des centaines d’amendements prévoyaient des dérogations profession par profession et des dates d'entrée en vigueur distinctes mesure par mesure ; les prises de parole et les rappels au règlement se sont comptés par centaines, sans parler du dépôt systématique de motions de renvoi en commission de chaque article du texte et des demandes non moins systématiques d’un vote à scrutin public etc.
Pour les requérants, la seule solution pour respecter la Constitution eût été de laisser s’éterniser le débat ! Les réponses apportées par le Conseil constitutionnel aux moyens des saisines constituent une véritable leçon de droit parlementaire que tout juriste et tout législateur devraient retenir.
A propos du choix de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale comme véhicule de la réforme.
Certes, les précédentes réformes des retraites en 2003, 2010 et 2014 ont été adoptées dans le cadre d’une loi ordinaire. Or celle-ci avait l’avantage, aux yeux des requérants, de ne pas être enserrée comme les lois de financement de la sécurité sociale dans les délais préfix de l’article 47-1 de la Constitution.
Toutefois, le Conseil constitutionnel leur a fait observer que le recours aux lois rectificatives de la sécurité sociale n’est pas conditionnée, comme ils le prétendaient, par « l’urgence, des circonstances exceptionnelles ou un déséquilibre majeur des comptes sociaux ».
Le gouvernement pouvait donc choisir le cadre de la loi rectificative de financement de la sécurité sociale pour sa réforme dès lors que, suivant les articles L.O. 111-3-9 et suivants du code de la sécurité sociale, elle comportait bien des « dispositions relatives à l’année en cours ayant un effet sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement et celles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des cotisations et contributions affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à leur financement ».
A propos de l’application à l’adoption des lois rectificatives de financement de la sécurité sociale des délais prévus par l’article 47-1 de la Constitution.
Selon cet article, « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours… ». C’est ce qu’a fait le gouvernement ; face au déluge d’amendements et de sous-amendements à l’Assemblée nationale, il a transmis le texte au Sénat après vingt jours.
L’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale indiquant qu’a « le caractère de loi de financement de la sécurité sociale : … 2 ° La loi de financement rectificative de la sécurité sociale », cette procédure est applicable aux deux types de lois comme a indiqué le Conseil.
A propos du recours à l’article 49-3 de la Constitution permettant au gouvernement d’engager devant l’Assemblée nationale sa responsabilité sur un texte.
Le requérants faisaient valoir que l’engagement de responsabilité du gouvernement au titre de l’article 49-3 ne pouvait pas porter sur l’ensemble du texte et qu’il aurait fallu un vote successif sur les prévisions de recettes, d’abord, et de dépenses, ensuite. Une décision de 1979[2] avait effectivement censuré la loi de finances de l’année à venir sur la base de l’article 40 de la Constitution qui impose de statuer sur la partie recettes avant de voter sur les dépenses ?
Cette règle, transposée aux lois de financement de la sécurité sociale, ne fait cependant pas échec à l’article 45 de la Constitution qui permet au gouvernement, une fois untexte élaboré par la commission mixte paritaire,de le soumettre à l’assemblée en étant libre d’accepter ou non d’autres amendements. Le gouvernement pouvait donc engager sa responsabilité sur l’ensemble du texte.
Les parlementaires requérants auraient pu anticiper cette réponse puisqu’elle avait déjà été donnée notamment en 2015[3], mais surtout en 2022 à propos de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023[4].
Sur l’irrecevabilité des amendements non préalablement soumis à la commission chargée de l’examen du texte
Nécessaire au « bon déroulement du débat démocratique », le droit d’amendement conféré aux parlementaires et au gouvernement par l’article 44 de la Constitution, n’est pas exclusif de règles fixant l’organisation du débat parlementaire. Ainsi, en vertu du 2ème alinéa de l’article 44, « après l’ouverture du débat, le gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission ».
D’après le site Internet du Sénat, « cette procédure est très peu utilisée en pratique, puisque l’hypothèse d’un amendement non soumis à la commission est relativement rare ». Pour empêcher l’adoption de la loi, les parlementaires ont dérogé à cette pratique. Ils ont déposé des milliers de sous-amendements « plusieurs jours après le dépôt des amendements » examinés en commission.
Le Conseil constitutionnel s’est borné à constater qu’en leur opposant l’irrecevabilité, le gouvernement avait appliqué le 2ème alinéa de l’article 44 de la Constitution, dont l’objet, il convient de le rappeler, est de permettre aux parlementaires de se positionner en toute connaissance de cause sur les modifications proposées au texte en discussion.
Sur le recours au vote bloqué
Les requérants faisaient valoir que le recours au vote bloqué avait altéré la clarté et la sincérité du débat, une exigence constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel a fixé le principe en 2005[5]. Il s’agit de veiller à ce que la loi soit véritablement « l’expression de la volonté générale » selon les termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Mais si le débat a eu lieu et si toutes les opinions ont pu s’exprimer, il faut pouvoir décider. Telle est l’idée sous-jacente au 3ème alinéa de l’article 44 de la Constitution qui prévoit que « Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement».
De façon imparable, eu égard aux discussions et aux nombreuses prises de parole en séance, le Conseil constitutionnel a estimé, suivant sa jurisprudence habituelle, que « la procédure de vote bloqué n’a pas eu pour effet de faire obstacle à la discussion des dispositions sur lesquelles il était demandé au Sénat de se prononcer sur un seul vote ».
Sur la mise en œuvre du règlement du Sénat concernant la clôture des débats, la détermination d’un ordre de priorité des amendements et l’examen de leur recevabilité.
Le reproche était adressé cette fois-ci, non au gouvernement, mais aux instances du Sénat. Aussi, le Conseil constitutionnel – fait rare- a demandé aux Présidents des assemblées des précisions sur le déroulement de la procédure. Le Président du Sénat a ainsi indiqué que « le taux d'irrecevabilité sur l'ensemble du texte s'est établi à environ 48 %, soit un taux en définitive assez peu supérieur à celui constaté lors de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 (41%) et 2023 (38%), en dépit du dépôt massif de sous-amendements ayant fait l'objet de déclarations d'irrecevabilité spécifiques ».
Trois reproches étaient formulés concernant le déroulement du débat sur l’article 7 du projet mentionnant le report de 62 à 64 ans de l’âge de départ à la retraite :
le Sénat n’aurait pas dû recourir à son règlement pour limiter à deux orateurs d’avis contraires la discussion générale sur l’article ; mais comme le note le Conseil constitutionnel, il y avait déjà eu 64 prises de parole sur cet article !
la définition d’un ordre de priorité pour l’examen des amendements a fait tomber 1300 amendements ; mais ceux-ci étaient incompatibles avec les amendements déjà adoptés !
des milliers de sous-amendements ont été déclarés irrecevables ; mais tous contredisaient l’amendement auquel ils étaient censés se rattacher !
Sur l’usage cumulatif des moyens de moyens de procédure destinés à éviter le blocage du débat.
Point n’était besoin d’être grand clerc pour savoir que ce moyen ne tenait pas, d’autant que la question n’était pas véritablement nouvelle.
Dans sa décision de 2006 sur « feu » le contrat première embauche (le CPE), qui avait aussi suscité de fortes protestations sur certains bancs de l’hémicycle, le Conseil constitutionnel avait considéré que «que la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution aient été utilisées cumulativement pour accélérer l'examen de la loi déférée n'est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l'ensemble de la procédure législative ayant conduit à son adoption ». Il avait aussi estimé que « l'utilisation combinée des différentes dispositions prévues par le règlement du Sénat pour organiser l'exercice du droit d'amendement ne saurait davantage avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution »[6].
Donc la messe était dite.
S’agissant des autres moyens au soutien de l’insincérité du débat parlementaire, le Conseil constitutionnel a constaté que les documents joints au projet de loi étaient conformes aux prescriptions du code de la sécurité sociale et il a rejeté l’argument, non étayé, de la mauvaise foi du gouvernement accusé « de fausser les grandes lignes de l’équilibre de l’équilibre de la sécurité sociale ».
Une décision sur le fond tout aussi prévisible
Curieusement, la disparition à terme des régimes spéciaux[7] (applicable il est vrai aux seuls agents recrutés à compter du 1er septembre 2023) n’a pas suscité de critiques, comme si le principe en était inéluctable. La constitutionnalité de seulement deux articles était invoquée.
A propos de l’article 10 sur le report de l’âge de la retraite et l’accélération de l’augmentation de la durée des cotisations.
Selon les requérants, le report de l’âge de la retraite et l’accélération, décidée en 2014, de la fixation à 43 ans de la durée des cotisations nécessaires pour accéder à une pension de retraite à taux plein, remettrait en cause notre système de protection sociale et violerait donc l’alinéa 11 de la Constitution de 1946 prévoyant que la Nation « garantit à tous, notamment (…) aux travailleurs… » cette protection.
Pour les députés de NUPES, le législateur doit se voir interdire de revenir sur toute avancée sociale.
Dans une décision de 1984[8], le Conseil avait affirmé à propos de la liberté de la presse que « « s'agissant d'un droit fondamental, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ». Mais cette formule, jamais appliquée aux droits sociaux, n’a pas tenu la distance. Depuis lors, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur est libre de modifier la loi pour peu qu’il ne prive pas « de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Derrière cette formule sibylline, l’idée est que nul n’a droit au maintien d’une législation sauf à ce que la nouvelle loi ne méconnaisse pas des principes constitutionnels.
Il n’y a ainsi pas d’exigence constitutionnelle de maintien absolu des « droits acquis ». Lorsque la législation évolue, c’est bien souvent pour concilier des valeurs contradictoires. Ainsi en est-il de la nécessité de tenir compte en matière de retraite par répartition de la démographie et des exigences relatives à l’équilibre financier de la sécurité sociale. Or, comme l’indique la décision du 14 avril, l’objectif du législateur « d’assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et ainsi en garantir la pérennité » ne remet pas en cause la « solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités » qu’elle a pour objectif de préserver dans le temps.
Certains professeurs de droit ont déploré que le Conseil constitutionnel ne questionne pas la pertinence de cet objectif. Mais que n’auraient-ils dit si, lors de l’examen de la loi sur les « 35 heures » en 1998, comme le lui demandaient les parlementaires requérants à l’époque, le Conseil avait annulé la loi en déniant toute validité à son « objectif de réduction du chômage et de sauvegarde de l’emploi » alors invoqué par le gouvernement !
Le Conseil constitutionnel ne juge pas en opportunité, et il a donc vérifié, suivant son approche constante, que les mesures prises dans la loi ne sont pas « inappropriées » au regard de l’objectif d’équilibre financier du régime des retraites que s’est assigné le législateur.
A propos de l’article 11 sur la détermination de l’âge anticipé de la retraite pour les salariés qui ont commencé à travailler avant 21 ans au plus tard.
La critique formulée à l’encontre de cet article pouvait paraître surprenante car la disposition en cause avait précisément pour objet de permettre aux salariés ayant eu une « carrière longue » de prendre leur retraite de façon anticipée.
L’argument selon lequel il y avait là une violation du principe d’égalité a été aisément rejeté pour erreur d’interprétation ; la disposition n’ayant « ni pour objet, ni pour effet d’allonger la durée d’assurance des personnes qui ont commencé à travailler avant vingt et un ans au-delà de la durée totale durée totale d’assurance exigée des autres assurés ».
De même, le Conseil a fait observer que le fait pour certains salariés ayant eu une carrière longue d’avoir à cotiser après avoir atteint l’âge prévu pour leur retraite anticipée retraite, s’inscrivait dans la logique du système d’ensemble des retraites par répartition.
In fine, la décision du 14 avril dernier a annulé, comme on pouvait s’y attendre, plusieurs « cavaliers sociaux », c’est-à-dire les dispositions qui ne peuvent figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale car elles touchent pas à son équilibre financier.
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Une décision classique, pour conclure, qui devrait donc au moins clore la controverse sur l’intégrité de la procédure parlementaire. Apparemment, le seul débat qui demeure porte sur l’usage de l’article 49-3 sur l’engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte.
Si le temps n’est plus où Michel Rocard, Premier ministre, y recourait 28 fois durant les 3 ans de son mandat, il convient de mûrement réfléchir avant de décider de se passer de cette arme « anti-filibustering ».
Ne l’oublions pas : cette procédure a été voulue par tous les responsables de partis, de gauche et droite lors de la rédaction de la Constitution de 1958. Et pour cause : la multiplication des « questions de confiance » au Sénat comme à la Chambre des députés avait généré une instabilité ministérielle chronique à laquelle l’article 49-3 a pu valablement remédier.
On peut se demander si cette procédure ne reste pas spécialement adaptée au contexte français pour deux principales raisons : d’abord, notre allergie à toute réforme au nom d’une sanctuarisation de ce que l’on appelle « les droits acquis » qui nuit en fait bien souvent à la solidarité ; ensuite, la fragilité des alliances politiques qui fait que les partis en France, contrairement aux autres grandes démocraties, sont éphémères. Ce dont témoigne la quasi disparition des partis qui tenaient le haut du pavé sous la Troisième et la Quatrième République et la faiblesse de ceux qui ont fondé la Cinquième République.
Il ne suffit pas de sauter comme un cabri en criant « Sixième République, Sixième République, Sixième République » pour savoir vers quoi l’on va. L’essentiel n’est pas le 49-3, mais la sauvegarde de notre démocratie. La Constitution de 1958 a été révisée vingt quatre fois. Une pause serait salutaire.
[1] La Conférence des Présidents à l’Assemblée nationale comme au Sénat est composée du bureau de l’assemblée, des présidents de commissions et des présidents de groupes, ainsi que les rapporteurs généraux de la commission des finances et de la commission des affaires sociales. Le gouvernement peut y déléguer un représentant, en général le ministre chargé des relations avec le Parlement. Le rôle de cette instance est de fixer le programme des travaux parlementaires qui est publié au Journal officiel. Au Sénat, elle peut déterminer la durée globale du temps dont disposeront dans le débat les orateurs des divers groupes. A l’Assemblée nationale, elle peut fixer la durée maximale de l’examen de l’ensemble d’un texte.
[2] Décision n°79-110 DC du 24 décembre 1979.
[3] Décision n°2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
[4] Décision n°2022-845 DC du 20 décembre 2022.
[5] Décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005
[6] Décision n°2006-535 DC du 30 mars 2006 sur la loi sur l’égalité des chances.
[7] Elle concerne les agents des industries électriques et gazières, de la RATP et de la Banque de France ainsi que les clercs et employés de notaires et les membres du Conseil économique, social et environnemental.
[8] Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse .
Mercredi 19 avril, l'antenne d'Assas a organisé sa première table ronde sur l'intelligence artificielle, les nouveaux médias et leur impact sur la démocratie. Nathalie Sonnac, ancienne membre du CSA, David Lacombled, président de "La villa numeris" et la juriste Laure-Alice Bouvier sont intervenus.
I. Quelles conséquences l'intelligence artificielle a-t-elle à ce jour sur les médias et la démocratie ?
A) De nouveaux usages des médias
Une nouvelle ère de transition numérique se présente pour les médias, qui doivent se conformer à de nouveaux standards et se numériser, sans quoi ils risquent de disparaître. Or les entreprises du numérique, bien qu’elles soient des entreprises privées, ont une empreinte grandissante sur l’espace public. Faut-il ainsi limiter l’influence de ces patrons qui n’ont pas de légitimité démocratique ?
Du fait du passage en ligne de nombreux médias, ces derniers sont de moins en moins verticaux à l’égard de la diffusion d'informations. La parole du journaliste perd ainsi en crédibilité par rapport à la parole de l’amateur. Sur nombre de nouveaux médias, en particulier les médias gratuits, en ligne et en réseaux, utilisant l’intelligence artificielle à travers leurs algorithmes d’accès à l’information, un article de journaliste et un article amateur ne sont en effet plus hiérarchisés. Chez les 15-34 ans, les réseaux sociaux sont ainsi la première source d’information, devant les journaux télévisés, papiers et la radio.
Amplifiés par cette totale liberté de publication, ainsi que par la caisse de résonance offerte par les réseaux, les discours de haine, de complotisme et la fausse information deviennent une préoccupation majeure. Un remède, bien que partiel, à la circulation de fausses informations serait de surveiller le comportement des personnes âgées qui statistiquement font circuler le plus ce type d’information, car cette population manque en général de recul face aux dérives des nouvelles technologies. La véracité des informations diffusées sur ces nouveaux médias est donc primordiale à vérifier, afin que les utilisateurs ne se détournent pas de ces réseaux qu’ils pourraient trouver trop “sales” (D. Lacombled), se dirigeant alors vers des sources d’information davantage biaisées qui ne feraient qu'accroître leur désinformation. Veillons à ce que les réseaux sociaux servent à “ouvrir l’appétit d’information” (D. Lacombled) sans en devenir la seule source.
B) Un nouveau modèle économique pour les médias
Le modèle économique médiatique a été totalement bouleversé par l'émergence des nouveaux médias. Ces derniers suivent un modèle économique dit “de plateforme”, selon lequel le média devient l’intermédiaire entre le consommateur et l’annonceur. D’une part, la plateforme médiatique met une vaste source d’information gratuite à la disposition du consommateur contre la collecte de ses données personnelles. D’autre part, elle met à disposition des emplacements publicitaires pour l’annonceur contre une rémunération. Ainsi dans ce modèle les effets de réseau avantagent le média le plus populaire (“winner-takes-all effect”), conduisant à des quasi-monopoles médiatiques. Cette situation monopolistique engendre des hausses de prix, une baisse de qualité de l’information, voire une certaine influence politique de certains nouveaux médias.
Certains réseaux sociaux sont également en passe d’adopter des sources de revenu plus diverses, provenant du consommateur et non seulement de l’annonceur. Citons Twitter depuis sa reprise par Elon Musk, qui fait payer le “tick” bleu de certification ouvrant son accès au plus grand nombre, au détriment des médias qui utilisaient ce symbole comme gage d’authenticité et de validation, comme le New York Times.
C) Un risque démocratique causé par une nouvelle répartition des pouvoirs
L’intelligence artificielle possède des “conséquences démocratiques surpuissantes” (N. Sonnac) notamment en ce qui concerne la circulation d’informations. En effet, tandis que l’espace médiatique s'élargit, les pouvoirs se concentrent ce qui menace le pluralisme des opinions. Les nouveaux médias rivalisent de puissance avec les Etats, comme l’illustre leur capitalisation boursière : la capitalisation des GAFAM fluctue aux alentours des 7000 Milliards d’euros largement supérieure au PIB Français d’environ 3000 Milliards d’euros. Ainsi, en collectant toujours davantage de données sur les utilisateurs, les nouveaux médias sont capables de fournir des informations clés en politique, comme le scandale de Cambridge Analytica l'a mis en lumière. En effet, l’intelligence artificielle est arrivée à un tel niveau de précision qu’elle prédit parfois mieux le comportement d’un individu que l’individu lui-même.
Biaisant également l’accès à l'information à travers leurs algorithmes, les nouveaux médias rendent la diffusion d’information pertinente plus ardue, ce qui n’est pas sans conséquence démocratique. Cela s’illustre chez les jeunes, qui souffrent d’une méconnaissance politique due à leur désinformation partielle, et dont l’abstention ne cesse d’augmenter.
Enfin, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine de la sécurité s’avère être un enjeu démocratique de taille notamment en ce qui concerne l'essor de l’utilisation de caméras biométriques. Ces dernières sont déployées pour des raisons de sécurité des populations, mais font débat pour leur utilisation en Chine et leur mise en place lors des jeux olympiques à Paris. La présence humaine demeure ainsi une nécessité pour obtenir la confiance des usagers lors de l’utilisation d’un algorithme. Parcoursup, qui fait régulièrement l’objet de critiques en raison de l’utilisation d’un algorithme pour déterminer l’avenir des lycéens, en est une juste illustration.
II. Quelles pistes de réponse apporter à ces dangers ?
A) Une réglementation de l’immatériel
“L’intelligence artificielle remet en cause tous les droits” (L.A. Bouvier), rendant sa réglementation nécessaire bien qu’ardue en raison de son caractère disruptif. L’Union Européenne, place majeure dans la défense des droits humains et de la presse, doit donc s’emparer du sujet, ce qu’elle a entamé à juste titre. Premièrement, la principale législation européenne à ce sujet, le RGPD, qui réglemente la collecte et le traitement des données, s’applique depuis 2018 et permet de sécuriser les données des utilisateurs ainsi qu’un panel plus vaste d’actifs tels que les NFT. Deuxièmement, l’ “Artificial Intelligence Act”, proposé en avril 2021 par la Commission européenne, hiérarchise de manière plus poussée les plateformes médiatiques, permettant d’agir de manière graduelle selon le risque que la plateforme et ses algorithmes présentent.
Cependant, l’intelligence artificielle, qui se contente de répliquer ce qu’elle connaît, possède un fort biais dont les conséquences ne sont pas encore mesurées. Réglementer et atténuer ce biais semble difficile à ce jour, car les algorithmes développés sont très souvent gardés secrets à des fins concurrentielles. Ainsi, le problème se pose dans le métaverse, dans lequel il s’agit de réguler des éventuels comportements qui seraient répréhensibles hors de ce réseau, tel qu’un biais raciste induit par l’algorithme.
Les démocraties ont donc un rôle important à jouer afin de disposer des ressources et moyens nécessaires pour contrôler cette technologie. Tandis que la quantité de données collectées augmente de façon exponentielle, une majorité des données européennes est pourtant hébergée par les serveurs des GAFAM, sur lesquels nous n’avons que peu de contrôle. La question de la réglementation de l'intelligence artificielle est ainsi trop souvent traitée de manière locale au niveau européen, tandis que le sujet est bien plus étendu et nécessiterait une réglementation mondiale.
B) Adapter l'ensemble de l'environnement réglementaire
Plus largement, l'ensemble de l’environnement réglementaire, hérité de plusieurs siècles, doit s’adapter à marche forcée aux disruptions de l'intelligence artificielle et des nouveaux médias. L’environnement réglementaire fiscal est souvent impuissant face aux montages financiers des nouveaux réseaux. Les états cherchent la juste balance entre des taxes proportionnées et un maintien de l’innovation. Mais les évolutions des législateurs sont inertielles, de même que la jurisprudence qui évolue lentement. Ainsi, les possibles failles que l’intelligence artificielle pourrait trouver dans notre système réglementaire risquent de persister. Par exemple, l’intelligence artificielle pourrait servir à générer gratuitement des montages fiscaux à quiconque le demande, rendant l’administration fiscale bien impuissante face à cela. De façon équivalente, comment définir juridiquement la responsabilité d’une voiture autonome lors d’un accident ? Comment assurer le respect de la RGPD lorsque les données sont disséminées dans l’espace numérique ? Toutes ces questions nécessitent une adaptation de la législation, sans quoi le progrès technique ne peut être mis en pratique, comme nous le voyons actuellement avec les voitures autonomes dont la maturité de la technologie précède celle du cadre réglementaire.
C) L’enjeu crucial de la formation
Afin d’accorder “l’orchestre pas toujours symphonique” (D. Lacombled) que représente l'intelligence artificielle et son utilisation dans les nouveaux médias, l’éducation est une nécessité. D’une part, les acteurs du cadre réglementaire, des ministères à l’ARCOM, doivent être formés à ses dangers et opportunités, afin que des décisions éclairées puissent être prises pour encourager l’innovation sans prendre de risque démocratique. A ce titre, le CSA s’est transformé en ARCOM, disposant de davantage de moyens afin de renforcer la souveraineté culturelle. D’autre part, chaque utilisateur est sujet à une sensibilisation accrue aux enjeux des nouveaux médias. Opportunités d’accès à une immense quantité d’information, bien que de qualité hautement variable, les nouveaux médias et l’intelligence artificielle qui s’y insinue prennent également note d’une partie grandissante de notre quotidien, contractant les frontières de notre vie privée. Ainsi, l’utilisation de ces réseaux n’est pas anodine et requiert une certaine éducation, passant par la détermination d’outils d’apprentissages numériques pour sensibiliser plus largement la population et limiter le désordre informationnel.
Soulignons enfin que certains domaines d’activité tels que la médecine et le droit sont des disciplines humaines qui comprennent les qualités et les défauts de cet aspect. Ainsi, leur entière robotisation n’est pas envisageable à ce jour, bien que l’intelligence artificielle puisse aider à en soulager certaines fonctions. L’humain doit donc persister moteur de la technologie, même si cette dernière acquiert un pouvoir grandissant.
Marie Ameller et Brice Couturier ont animé la douzième "conversation éclairée" du Laboratoire en invitant Sonia Mabrouk à débattre sur son nouvel ouvrage : "Reconquérir le sacré" aux éditions de L'Observatoire.
Salle pleine à la Maison de l'Amérique latine pour débattre et échanger avec Sonia Mabrouk pour son dernier livre "Reconquérir le sacré" aux éditions de L'Observatoire. La soirée était animée par Marie Ameller et Brice Couturier.
Comment le sacré peut s'harmoniser avec la République contrairement à nombre d'idées préconçues ? "Le sacré n'est pas une chose archaïque ou passéiste. Le sacré donne accès à plus grand que soi. Si on le chasse par la porte de notre esprit, il revient par la fenêtre de notre cœur."
Le sacré répond à une question fondamentale : "Que peut-on dire encore aux hommes ?" "De ce que nous avons aimé, que restera-t-il ?" (A. de Saint Exupéry)
Retrouver toutes nos "conversations éclairées" sur notre chaine Youtube.
https://www.youtube.com/watch?v=fwwJbE20U0g
Conversation éclairée de Sonia Mabrouk
Jean-François Cervel, ancien inspecteur général de l'Éducation nationale, ancien directeur du Cnous (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires) et membre de la commission géopolitique du Laboratoire de la République nous éclaire sur la situation géopolitique d'aujourd'hui. Selon lui, l’évolution des évènements internationaux au long des dernières semaines confirme l’inéluctable montée d’une logique d’affrontement entre le bloc des démocraties libérales et le bloc des régimes totalitaires.
Vladimir Poutine vient de dire clairement quels étaient ses objectifs lorsqu’il a engagé la guerre contre l’Ukraine. Par-delà les occupations territoriales, il s’agissait d’empêcher que l’Ukraine ne rejoigne le camp des démocraties libérales. Il s’agissait de défendre le camp des valeurs traditionnelles contre le camp de la décadence occidentale. Il s’agissait de réintégrer l’Ukraine dans le giron du grand Empire euro-asiatique défenseur de l’ordre traditionnel. Comme la Biélorussie, l’Ukraine devait redevenir une province de cet empire anti-libéral, de même que les Etats du Caucase et la Moldavie. L’ennemi de Vladimir Poutine, c’est l’Occident libéral. Il affirme clairement qu’il s’agit d’un affrontement global, de puissances, de systèmes et de valeurs. C’est lui qui le dit, démentant ainsi le discours des « réalistes » occidentaux essayant de trouver des excuses à la guerre engagée par le pouvoir russe contre l’Ukraine.
Les actions de déstabilisation menées contre la Géorgie et la Moldavie afin de s’opposer à la volonté d’une majorité des populations de ces pays de rejoindre l’Union européenne, s’inscrivent dans le droit fil de cette volonté. La Russie a entamé une guerre complète et inexpiable contre l’Occident libéral considéré comme un ennemi global. En témoignent outre la mise en œuvre d’une guerre particulièrement destructrice, des décisions symboliques comme le retrait de la Russie du processus de Bologne en matière de diplômes d’enseignement supérieur ou la réaffirmation d’une « politique éducative patriotique ».
La décision qui a été prise par Vladimir Poutine d’engager une guerre de destruction massive en Ukraine apparait donc clairement comme une décision stratégique. Le conflit sera, de ce fait, de longue durée et la Russie s’organise pour développer son économie de guerre à long terme autour des ressources énergétiques, du complexe militaro-industriel et de ses alliances internationales.
Elle bénéficie pour cela, en effet, de ses relations chaque jour renforcées avec l’ensemble des régimes totalitaires qui affichent la même hostilité au système de valeurs libérales au premier rang desquelles le parti communiste chinois et le régime islamique iranien.
Le parti communiste chinois vient de réaffirmer clairement son dispositif de dictature en renforçant sa mainmise sur l’ensemble de l’appareil d’Etat et sur l’ensemble du tissu économique. Dans la plus totale opacité, de nouveaux dirigeants ont été désignés par les instances du Parti et le pouvoir sans partage de Xi Jin Ping a été encore renforcé. Son discours a été aussi d’une grande limpidité. Il est violemment et intégralement anti-libéral, sur tous les plans, économique, politique, culturel, idéologique. Il veut un nouvel ordre mondial, dirigé selon les règles du système dictatorial chinois. Ce discours n’est pas nouveau puisque les dirigeants chinois l’affichent depuis longtemps mais il est réaffirmé avec la plus grande brutalité.
L’Iran a rejoint cet axe russo-chinois et développe ses liens avec ses deux grands partenaires comme en témoignent les accords signés en matière économique et militaire et les déplacements des plus hauts dirigeants dans chacun de ces pays.
Cet ensemble étend à très grande vitesse sa mainmise sur le reste du monde en s’appuyant sur ses états vassaux déjà existants et en faisant basculer dans son camp nombre de pays qui se voulaient non-alignés. Comme à l’époque de la guerre froide une compétition acharnée est engagée sur tous les continents entre le bloc totalitaire et le bloc occidental. Sous prétexte de « désoccidentaliser » le monde, les puissances totalitaires installent leur propre domination en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Les provocations militaires de la Corée du Nord participent de cette pression sur l’occident de même que l’aide à la nucléarisation de l’Iran.
L’accord qui vient d’être signé, à Pékin, ce vendredi 10 Mars, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, sous l’égide de la Chine, témoigne de manière aveuglante de ce rapprochement entre régimes autoritaires, autour de la Chine, contre les Etats-Unis et l’occident. Mohamed ben Salman a choisi son camp, celui des régimes totalitaires. Ce n’est pas une surprise puisqu’il partage leur idéologie et qu’il avait déjà montré tout le mépris qu’il a pour les valeurs occidentales et pour les Etats-Unis. Mais c’est une alerte majeure pour les occidentaux et notamment pour les Etats-Unis alliés traditionnels des pays de la péninsule arabique puisque l’Arabie, comme la Turquie avant elle, n’hésite pas, désormais, à acheter des armes chinoises sophistiquées.
La pression est donc présente partout. La France la subit, au premier chef, en Afrique mais l’Europe est en première ligne notamment tout autour de la Méditerranée et au Proche-Orient.
Dans ce contexte, pouvons-nous continuer à être dans une logique sinon de coopération internationale - comme pendant toute la période dite de « mondialisation » - mais au moins de coexistence pacifique comme semble le défendre le pouvoir chinois ?
Quand les pays totalitaires manifestent une telle volonté d’agression et de destruction du système libéral cela semble difficile à envisager. Peut-on faire confiance à des régimes dictatoriaux pour organiser des échanges économiques honnêtes et, au-delà, une véritable gouvernance raisonnable du monde ? On ne peut qu’en douter.
L’affrontement est donc ouvert. Il va utiliser tous les moyens et se développer dans tous les champs. On le voit clairement en matière économique où le pouvoir chinois joue des énormes investissements engagés par les entreprises occidentales sur le territoire de la Chine. On le voit en matière monétaire avec la volonté d’utiliser de moins en moins les devises occidentales et d’organiser un système de paiements propre au bloc eurasiatique.
Mais le domaine essentiel sera celui des sciences et des techniques et notamment de leurs applications militaires. La compétition en ces domaines est ouverte de longue date et ne fera que s’accentuer comme le montre la course en matière d’intelligence artificielle ou dans le domaine spatial et, plus généralement, dans tout le champ des techno-sciences où la compétition pour la prééminence est acharnée. Il faudra donc redoubler d’attention pour protéger les compétences occidentales en ces domaines.
Loin d’être des champs d’action collective commune, la lutte contre le changement climatique et la protection de l’environnement seront des éléments de l’affrontement global.
Cet affrontement sera de longue haleine. La seule question aujourd’hui est de savoir lequel des deux systèmes s’effritera le premier, les deux ayant des forces et des faiblesses. On voit bien que, lorsqu’elles sont en capacité de s’exprimer, les populations des pays totalitaires demandent la liberté et la démocratie comme l’ont montré les oppositions à Hong Kong, en Iran ou en Biélorussie. Mais la puissance coercitive des régimes totalitaires est telle que ces oppositions pacifiques et, par définition, inorganisées, n’ont guère de chances de faire changer les choses si elles ne sont pas soutenues par l’alliance des pays libres. D’où l’importance du soutien à l’Ukraine et à la Moldavie, aujourd’hui en première ligne de cette guerre. D’où l’importance de la défense de la liberté de choix pour Taiwan. D’où l’importance du soutien à la lutte des femmes partout où elles sont soumises à des régimes despotiques. Tout recul en ces domaines sera une victoire pour les puissances totalitaires.
On sait bien qu’il faudrait sortir collectivement d’une logique de puissance pour affronter les problèmes communs à l’ensemble de l’Humanité. Mais on ne peut le faire aujourd’hui face à des régimes qui veulent imposer leur modèle totalitaire. Il faut donc continuer à défendre fermement les valeurs du système démocratique libéral face à cette organisation mondiale des pays anti-libéraux.
Encore faut-il que les populations des pays occidentaux comprennent la situation d’affrontement dans laquelle nous nous trouvons et prennent la mesure des redoutables conséquences de cette situation que nous allons devoir gérer. Il est inquiétant de constater qu’aucun parti politique ne veut le dire clairement aujourd’hui, entretenant l’illusion que tout peut continuer comme avant alors que les équilibres du monde sont en train de changer sous nos yeux et à notre détriment.
Ecrit le 15 mars 2023
Mercredi 19 avril, le Laboratoire de la République ouvre une antenne à l'Université Paris-Panthéon-Assas. Cette ouverture sera l'occasion d'une première table ronde sur l'intelligence artificielle (IA), les nouveaux médias et les enjeux démocratiques qui en découlent.
Pour sa première conférence, l’antenne d’Assas évoquera les enjeux de l’intelligence artificielle (IA), des nouveaux médias et de leur impact sur la démocratie.
Les experts invités interrogeront les ruptures vertueuses et les avancées que peut permettre la révolution technologique de l’IA dans le quotidien des citoyens mais également les risques de manipulation de l’opinion, de désinformation et de polarisation politique.
Sera évoqué l’impact des nouveaux médias sur le rapport à l’information, en particulier la manière dont les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour diffuser discours de haine, « fake news » et théories complotistes.
La réflexion permettra d’évoquer la mise en place de garde-fous, réglementations et des mécanismes de contrôle contre les abus et dérives.
En présence de : Laure-Alice Bouvier : Avocate du barreau de Paris, chroniqueuse télé et docteur en droit ;
David Lacombled : Président de "La villa numeris", président du conseil d'administration du CELSA Sorbonne Université et membre du conseil d'administration de l'AFP ;
Nathalie Sonnac : Ex-membre du CSA (2015-2021), présidente du Comité d'éthique pour les données d'éducation, spécialiste de l'économie des médias et professeure d'université.
Thierry Taboy, responsable chez Orange et spécialiste de l’IA, membre du comité scientifique et de la commission Défi technologique du Laboratoire, modèrera les échanges.
Quand ? Mercredi 19 avril à 19h
Où ? Amphi I, Centre Panthéon
12 place du Panthéon, 75005 Paris
Gratuit, inscription obligatoire
Première table ronde à Assas sur l'IA, les nouveaux médias et la démocratie - Laboratoire de la République (lelaboratoiredelarepublique.fr)
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