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Un an après la mort de Mahsa Amini, où en est la Révolution iranienne ?

par Shaparak Saleh le 16 septembre 2023
Le 16 septembre 2022, Mahsa Jina Amini décède dans un hôpital de Téhéran des suites de mauvais traitements subis pendant sa détention. Elle avait été arrêtée, trois jours avant, par la police des mœurs pour avoir prétendument enfreint les lois strictes sur le voile. Sa mort a provoqué des manifestations à travers le pays qui ont été violemment réprimées par les autorités. Un an après, la Révolution iranienne continue le combat pour renverser la République islamique d’Iran. Shaparak Saleh, co-fondatrice et Secrétaire générale de « Femme Azadi », association sensibilisant l'opinion publique à cette cause et voulant porter la voix du peuple iranien, a accepté de présenter la situation et les enjeux de cette révolution pour le Laboratoire de la République.
Le Laboratoire de la République : Qu’y-a-t-il d’inédit dans la révolution en cours en Iran depuis le 16 septembre 2022 ? Shaparak Saleh : La révolution en cours depuis le meurtre de Mahsa Jina Amini par la police des mœurs, le 16 septembre 2022, est inédite à plusieurs égards. Elle l’est déjà si l’on se situe au niveau de l’Iran. En effet, pour la première fois, les manifestations ne sont pas régionales. Elles ont envahi tout le pays, c’est-à-dire aussi bien les villes que les villages. La révolution gronde même dans les villes réputées pour être les plus croyantes, à l’instar de la ville sainte de Qom, ville natale du guide suprême iranien Ali Khamenei. Ensuite, cette révolution n’est pas comparable aux précédents mouvements de révolte. Ainsi, contrairement au mouvement vert de 2019 pendant lequel les jeunes scandaient : « Où est mon vote ? » en arborant la couleur verte – symbole de Mir Hossein Moussavi, candidat floué prônant un islam réformé et plus ouvert – c’est aujourd’hui le principe même d’une république islamique qui est contesté. Les Iraniens ont compris que les conservateurs et les modérés faisaient partie d’un même système visant à maintenir sur pied une théocratie. Ils souhaitent la mise en place d’un état de droit et d’une démocratie, laquelle ne sera possible que si le régime des mollahs chute. Enfin et surtout, pour la première fois, la peur a changé de camp. Malgré la répression féroce, le mouvement ne s’est pas éteint. Tandis que les mollahs n’osent plus porter leur tenue dans la rue, de crainte de subir des agressions, de nombreuses femmes refusent de porter le voile. Pour ne plus qu’on leur dicte ce qu’elles doivent porter, elles refusent de courber l’échine devant la redoutable police des mœurs, risquant arrestation, coups de fouet, viol ou mise à mort. Cependant, ces femmes n’ont plus peur. Elles préfèrent prendre ce risque que de vivre éternellement sans être libres. Mais ce n’est pas qu’en Iran que cette révolution est inédite : une révolution menée par des femmes, pour tout un peuple, c’est une première mondiale. C’est notamment pour cela qu’elle ne peut pas échouer. Un échec serait un revers pour toutes les femmes. La chute du régime des mollahs serait aussi la défaite de la première république islamique au monde et, par conséquent, l’échec de l’islamisme politique. Le Laboratoire de la République : A quoi ressemblerait le monde si la révolution aboutit et conduit à la chute du régime des mollahs ? Shaparak Saleh : C’est une évidence : le monde serait bien meilleur sans la République islamique d’Iran. Toute une partie du globe retrouverait la paix. Il s’agit avant tout d’une théocratie qui rêve d’exporter son modèle dans le monde. Soutien aux mouvements radicaux dans le Moyen-Orient, la République islamique n’hésite pas à utiliser le terrorisme pour régner. Prises d’otages, attentats, répressions, massacres sont autant d’armes utilisées pour dominer le monde. La République islamique déploie une énergie sans limite pour augmenter son influence et sa politique de déstabilisation de la région : elle parraine le Hezbollah, soutient le Hamas, livre des drones à la Russie pour l’aider à dominer l’Ukraine, aide les milices en Irak, tout en appelant à la destruction d’Israël. La liste n’est pas exhaustive. Si on se situe au niveau de la France, l’aboutissement de la révolution et la chute du régime des mollahs présenteraient de nombreux avantages. Du point de vue des droits humains, la chute du régime tyrannique et sanguinaire qui pratique l’apartheid des genres ne peut qu’être accueillie favorablement par la France, pays des droits de l’Homme. Ce serait la fin d’un régime qui autorise les mariages des fillettes dès l’âge de huit ans ou pour qui la parole d’une femme dans un procès vaut quatre fois moins que celle d’un homme (si une femme dépose une plainte pour viol, quatre autres femmes devront témoigner avec elle pour qu'on lui accorde plus de crédit face à son agresseur présumé). Il s’agirait également d’une bonne nouvelle pour le quai d’Orsay puisqu’à l’heure actuelle, on compte quatre otages français. Cette politique des otages a été mise en œuvre par le régime dès son accession au pouvoir en 1979 avec « la crise des otages américains en Iran ». Enfin, un Iran libre et démocratique où règnerait l’état de droit serait seul à même d’attirer des investisseurs étrangers. On entend des rumeurs selon lesquelles des négociations seraient en cours entre les pays occidentaux et la République islamique d’Iran pour raviver le Plan d’action global commun (dit JCPOA). Pense-t-on sérieusement que des investisseurs ne mesureraient pas le risque financier et réputationnel d’un accord avec l’Iran ? Les pays occidentaux ont tout à gagner à la liberté de l’Iran. C’est un pays stratégique en raison de ses réserves de pétrole, mais également un marché à gros potentiel pour les industriels français dans tous les domaines : aéronautique, agroalimentaire, automobile, construction, hôtellerie, luxe ou encore télécommunications. En effet, après quarante-trois années de privations générées par l’isolement de la République islamique d’Iran sur la scène internationale, le succès serait nécessairement au rendez-vous. Les démocraties du monde libre ont tout intérêt à abandonner les efforts visant à pactiser avec un régime à l’agonie qui n’a rien à leur apporter. Elles doivent se concentrer à la réussite d’une révolution qui comporte en elle l’assurance de nombreux débouchés. Pour l’heure, tant que le régime sera en place, aucune négociation ne peut et ne doit avoir lieu. En attendant, la République islamique d’Iran a adhéré au BRICS, ce qui va lui permettre de développer son réseau commercial avec les autres membres de ce club des puissances anti-démocratiques. Le Laboratoire de la République : Quel soutien peut-on apporter ? Shaparak Saleh : Le peuple iranien et la diaspora iranienne ont du mal à se faire entendre. En Iran, l’accès à internet est souvent coupé afin que le régime puisse commettre ses exactions à huis-clos. En dehors du pays, nous avons aussi du mal à nous faire entendre. Nous avons besoin que notre combat soit visible. Dans l’ensemble, les médias ne font pas bien leur travail sur ce sujet. La recherche du scoop ou du clic les conduit à traiter en priorité les faits divers nationaux au détriment des sujets de fonds internationaux qui ont du mal à rester visibles avec pour seule exception l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Alors mon premier message s’adresse aux journalistes : nous avons besoin de vous ! Rendez visible cette révolution. Chaque information relayée dans la presse internationale suscite tant d’espoir en Iran. Mais, me direz-vous, comment soutenir quand on n’est pas journaliste mais simple citoyen ? Personne ne doit minimiser son pouvoir. Il faut s’abonner aux pages Instagram, Twitter et LinkedIn des associations qui font un formidable travail d’investigation. Vous pouvez suivre les comptes de Femme Azadi ou de This is a Revolution pour avoir des informations traduites en français. S’informer, c’est déjà bien. Partager, c’est encore mieux. Notre première vidéo de sensibilisation a atteint 10 millions de vues sur les différents réseaux sociaux. La dernière dans laquelle nous annoncions avoir porté plainte contre un dignitaire du régime lors de son déplacement à Paris à l’occasion de la préparation des JO a atteint 130.000 vues. Enfin, vous pouvez soutenir des associations comme la nôtre en faisant par exemple des dons. Pour prendre notre exemple, les montant des dons récoltés par notre collectif nous permettent d’apporter un soutien financier, juridique et administratif aux réfugiés, d’organiser des évènements en France pour amplifier la voix du peuple iranien, d’aider les activistes sur place à continuer de mener le combat, et de financer VPN et Starlinks afin que le peuple iranien puisse nous envoyer des images de cette révolution, malgré les efforts du régime pour couper internet et massacrer en toute discrétion. Pour nous soutenir, vous pouvez également participer à la marche, aujourd'hui samedi 16 septembre, date anniversaire de la révolution (l'emplacement exact est communiqué sur nos réseaux).

La laïcité : principe républicain pour émanciper les élèves de toutes influences extérieures et protéger les professeurs

par Caroline Yadan le 8 septembre 2023 Caroline Yadan
Dimanche 26 août, le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal a annoncé que le port de l’abaya et des qamis serait désormais interdit à l’école. Une note et un protocole publiés le 31 août ont permis aux chefs d’établissements de mettre en œuvre le dispositif avec succès lors de la rentrée scolaire, lundi dernier, 4 septembre. Caroline Yadan, députée de Paris, nous fait part de son regard sur la laïcité et l'interdiction de ces tenues.
Les chefs d’établissements ont globalement salué un texte clair et sécurisant. Pourquoi était-il essentiel de préciser l’application de la loi de 2004 pour ces deux tenues vestimentaires ? Le procès en « islamophobie » n’a pas manqué de ressurgir, venant en majorité d’influenceurs fréristes, mais aussi de LFI. Pourquoi est-il infondé ? Que dire aux jeunes qui revendiquent sincèrement leur liberté de porter des signes religieux ostentatoires ? Selon un sondage IFOP pour Charlie Hebdo publié le 4 septembre, 70% des Français (48% des sympathisants LFI, 71% des sympathisants PS) associent l’abaya à des tenues ayant un caractère religieux. Comment comprendre l’entêtement de certaines figures de gauche alors que le consensus paraît solide ? Comment s’assurer de l’application de la loi dans les prochains mois ? Comment contrer les minorités religieuses qui vont essayer d’en contourner la lettre ? Toutes ces questions ont été posées à Caroline Yadan, députée de Paris. Entretien complet sur notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=DTdDhtUatSE&list=PLnuatIJNLTZWAbN4pAsF9KCsAqUX9Bn9F&index=6

Synthèse des travaux préparatoires à la conférence « laïcité pour aujourd’hui et demain »

le 7 juillet 2023
Alors même qu’elle a été pensée et concrétisée comme le meilleur moyen de libérer les individus, la laïcité est désormais perçue, notamment chez les jeunes, comme un instrument de coercition qu’exerceraient sur eux les pouvoirs publics. La hiérarchisation entre lois républicaines et préceptes religieux, l’émancipation de l’individu des emprises communautaires, l’égalité hommes-femmes, autant de principes auxquels la laïcité donne des fondements théoriques et des réponses concrètes, qui sont aujourd’hui remis en question. Depuis la Troisième République jusqu’à la Constitution de 1958, instituée sur la base d’un solide corpus juridique initial (lois de 1880 à 1906) la laïcité comme vivre-ensemble, accorde pourtant à chaque citoyens des libertés individuelles et collectives, dans le respect de l’égalité de tous les individus, et bénéficie à ce titre d’une cohésion sociale d’un consensus qui assure la paix civile. L’Église catholique, dont la domination morale sur les esprits et les corps était à l’origine la première visée par les lois laïques, étant rentrée dans le cadre républicain avec la sécularisation du pays, on a pu estimer que le combat laïque était achevé.  Oubliant le caractère éminemment subversif de l’esprit laïque, on n'a par ailleurs pas envisagé les possibles résurgences, sous d’autres formes, de l’hostilité à la laïcité. Aujourd’hui encore, à travers l’acquisition de connaissances et par la combinaison de l’exercice du raisonnement et de la sensibilité, l’École laïque, a un rôle majeur pour valoriser la construction de l’autonomie individuelle de chacun, dans l’assimilation des règles de vie communes.  Lieu essentiel de socialisation et de la formation des esprits des enfants et des jeunes-gens, le cadre scolaire doit avoir le courage de redevenir le lieu primordial de l’affranchissement des dogmes, des préjugés et de certains interdits, parfois imposés par le milieu social et familial. Car si l’École a constitué l’enjeu central du combat laïque passé, elle se trouve aujourd’hui au cœur de nouveaux affrontements autour du rapport au religieux, de la séparation de la sphère privée et de la sphère publique, sommée de poser à nouveau la question de la vérité et de la science. Il est urgent de ne pas se complaire dans le déni, afin de regarder nos sociétés démocratiques avec lucidité pour retrouver courageusement les voies de la cohésion sociale et de l’engagement pour une unité toute républicaine. Si la tolérance demeure une exigence éthique, elle ne doit pourtant pas dériver dans une tolérance de l’intolérable. Si le dialogue entre les pouvoirs publics et les autorités religieuses s’impose, son objectif demeure l’acclimatation des religions au cadre laïque français et non pas la faillite de la laïcité face aux idées religieuses et/ou traditionnelles. Notre engagement en faveur de la laïcité doit nous conduire, d’une part à un réarmement intellectuel et moral pour revivifier les fondements de l’esprit laïque et sa défense des trois Libertés, de conscience, de pensée et d’expression, et d’autre part, pour dire et mettre en œuvre la laïcité dans des termes actuels, afin de promouvoir une nouvelle dynamique laïque, un réenchantement et un réarmement de la laïcité. Il s’agit-là d’une vaste mobilisation citoyenne dans laquelle les acteurs de terrain (enseignants personnels de santé, agents des services publics) et les élus sont en première ligne, et où les intellectuels jouent un rôle fondamental. Par ailleurs, si la laïcité a trouvé son origine autant dans la philosophie du libertinage que dans la philosophie humaniste du siècle des Lumières, et si elle doit sa mise en forme juridique dans le cadre de la formation de l’État-nation, de 1789 à la Troisième république, elle n’est pas qu’une spécificité française. Aujourd’hui, la laïcité est explicitement défendue comme modèle libérateur notamment dans les régions que les islamistes considèrent comme Dar al Islam (« Terre d’Islam ») que ce soit en Iran, en Algérie ou au Kurdistan syrien. La solidarité laïque internationale est donc une dimension importante du renouveau laïque auquel nous travaillons. Afin de réarmer nos esprits et agir, cette première rencontre de la Commission laïcité du Laboratoire de la République, marque le lancement de notre action et propose de réfléchir autour de trois tables rondes conviant des praticiens de terrains, des élus, des grands témoins et des acteurs de la laïcité.

Jeudi 29 juin : « La laïcité pour aujourd’hui et demain »

par L'équipe du Lab' le 21 juin 2023
Jeudi 29 juin, la Commission République laïque du Laboratoire organise sa première conférence sur le sujet : "La laïcité pour aujourd'hui et demain".
Alors même qu’elle a été pensée et concrétisée comme le meilleur moyen de libérer les individus, la laïcité est désormais perçue, notamment chez les jeunes, comme un instrument de coercition qu’exerceraient sur eux les pouvoirs publics. Notre engagement en faveur de la laïcité doit nous conduire, d’une part à un réarmement intellectuel pour revivifier les fondements de l’esprit laïque et sa défense des trois Libertés, de conscience, de pensée et d’expression, et d’autre part, à réenchanter la laïcité. Cette première rencontre de la Commission « République Laïque » du Laboratoire de la République, marque le lancement de notre action et propose de réfléchir autour de trois tables rondes. Celles-ci interrogent des praticiens de terrains, élus, grands témoins tous acteurs de la promotion de la laïcité. Les échanges seront introduits par Jean-Michel Blanquer, président du Laboratoire de la République, et modérés par Michel Lalande, haut fonctionnaire et référent de la Commission « République laïque » du Laboratoire. Nos tables rondes seront les suivantes : 1) La laïcité sur le terrain : Véronique Grandpierre : historienne et inspecteur d’Académie de Paris. Inspecteur pédagogique régional au rectorat de Paris. Référente académique laïcité et faits religieux pour Paris. Iannis Roder : professeur agrégé d’histoire en collège (Seine-Saint-Denis). Membre du Conseil des sages de la laïcité. 2) Les élus face aux enjeux de la laïcité : Caroline Yadan : députée de la 3ème circonscription de Paris. 3) De grands témoins - L'enjeu de la formation : Fahimeh Robiolle : ingénieure nucléaire iranienne, enseignante à Sciences Po et à l'ESSEC. Militante en faveur des femmes iraniennes et afghanes. Pierre-Henri Tavoillot : maître de conférences en philosophie et responsable du DU « référent Laïcité » à la faculté des lettres de Sorbonne Université. Les tables rondes seront suivies d’un dialogue avec la salle. Quand ? Jeudi 29 juin, 19h Où ? Maison de l'Amérique latine 217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris Gratuit, inscription obligatoire Pour vous s'inscrire, cliquez-ici

Se réarmer face au frérisme

par Florence Bergeaud-Blackler le 9 juin 2023
Florence Bergeaud-Blackler est anthropologue, docteure en sociologie et chargée de recherche au CNRS. Elle est également membre du laboratoire Groupe Sociétés, Religions, Laïcités de l’EPHE. Ses travaux portent notamment sur la normativité islamique dans les sociétés sécularisées occidentales. Après son ouvrage « Le marché halal, ou l’invention d’une tradition », paru en 2017, ses recherches se sont concentrées sur les Frères musulmans. Elle a publié en janvier 2023 « Le frérisme et ses réseaux : l’enquête », qui lui a valu de nombreuses menaces de mort. Elle revient pour le Laboratoire de la République sur ce qu'est le frérisme et comment le combattre.
Frérisme et ses réseaux | Éditions Odile Jacob Le Laboratoire de la République : Vous avez récemment publié un livre sur le frérisme. Pouvez-vous définir ce qu’incarne le frérisme et comment il s’est développé en Europe ? Florence Bergeaud-Blackler : En m’appuyant sur la sociologie des organisations, j’ai proposé de définir le frérisme non comme un courant théologique mais comme un « système d’action » destiné à rassembler l’ensemble des musulmans des différents courants de l’Islam pour les guider dans l’accomplissement de la prophétie califale. On ne parle pas ici de Daesh, mais de faire passer la société technologique moderne sous gouvernance divine. Ce mouvement est organisé autour de cet objectif ultime qui lui permet d’agir de façon pragmatique, en utilisant les avantages et inconvénients de chacun des courants de l’Islam à son avantage. Pour faire advenir une société islamique sur Terre, tous les moyens licites halal, sont acceptables. Il faut rendre les mentalités et lois de la société compliant à la charia, ce que j’appelle « charia-compatible ». Le frérisme est un islamisme qui s’est expatrié hors du monde musulman, fruit de la rencontre de deux branches revivalistes islamiques nées en réaction à la domination coloniale au début du XXème siècle. Des étudiants musulmans venus faire leurs études en Europe parfois chassés de leurs pays, ont choisi de renoncer au devoir de (re)venir vivre son Islam en terre musulmane et se sont attribués une nouvelle mission : convertir à l’Islam la société occidentale développée, qui incarne un modèle de réussite perverti par le vice et déboussolé par la perte de sa gouvernance divine. Si l’Occident a un ancrage mais plus de boussole, il faut « islamiser cette modernité », pour citer Abdessalam Yassine. Le Laboratoire de la République : Vous avez également beaucoup travaillé sur la normativité islamique. Quel lien existe-t-il entre le frérisme et la normativité islamique ? Florence Bergeaud-Blackler : L’analyse des normativités islamiques m’a permis de comprendre comment les Frères ont choisi d’adapter le contexte non musulman à leur norme à l’inverse de ce que la société d’accueil attendait d’eux.  Seule une approche anthropologique par le bas permettait d’analyser ce renversement car les Frères tenaient un double discours. Quand ils disaient adapter l’islam et l’Europe, on entendait l’islam à l’Europe alors qu’ils voulaient dire l’Europe à l’islam. Ce sont les dynamiques du marché halal que j’ai étudié longtemps qui m’ont permis de comprendre comment ils opéraient. Je les écoutais mais je mesurais aussi l’écart entre leurs mots et leurs pratiques, à rebours des anthropologues pris alors dans un folie relativiste absolue, prétendant qu’il ne faillait prendre en compte que les « récits » indigènes sur leurs propres pratiques.  Eux seuls étaient capables de dire et interpréter ce qu’ils faisaient. A travers la normativité islamique, le frérisme a progressivement instillé dans les esprits son idéologie, selon laquelle les musulmans sont une espèce d’humanité particulière, différente du reste de l’humanité. Le marché halal qui permet d’halaliser tout produit de consommation pour les musulmans crée un grand écosystème islamique, avec ses codes et ses repères culturels, économiques, sociaux. Le marché halal global est la projection de cette société islamique mondialisée même si les producteurs et les consommateurs ne sont pas forcément musulmans[1]. Alors que la confrérie est un réseau serré de quelques milliers de personnes en France, ce qu’elle a produit, le frérisme, est une idéologie suprémaciste qui se diffuse aujourd’hui dans la tête d’un grand nombre de musulmans, grâce à l’écosystème halal : du booking halal à la finance halal en passant par les médias halal, les burquinis ou les abayas. La plus grande force des Frères réside dans leur détermination : ce sont des missionnaires, ils savent où aller même s’ils ne savent pas toujours comment y parvenir. Il leur suffit simplement de trouver les moyens licites qui le permettront car ils sont sûrs que l’islam forme un système nécessaire et suffisant. Le Laboratoire de la République : Dans votre dernier livre, vous analysez les modes opératoires et la stratégie fréristes. Quels sont-ils, et quels objectifs servent-ils ? Florence Bergeaud-Blackler : Le frérisme développe méthodiquement ses activités dans le monde et toujours de manière licite[2] selon leur lecture littéraliste salafie, et autant que possible légale. L’infiltration et la ruse sont les deux armes principales des Frères musulmans. Youssef al-Qaradâwî l’explique très clairement : s’il est possible de remplir le dessein de Dieu pour les musulmans, alors il faut le faire. Les moyens pour y parvenir doivent être licites. Parfois il est possible d’agir de façon illicite si le but est d’obtenir un bien plus grand que le mal causé. Le sociologue Weber oppose la rationalité en finalité et la rationalité en valeur. Tandis que la seconde suit un ensemble de valeurs claires qui guident l’action, la première poursuit un objectif, et tous les moyens sont bons pour atteindre cet objectif. Le frérisme est rationnel en finalité relativement aux moyens. Leur stratégie semble très machiavélienne, ou inspirée de l’Art de la Guerre de Sun Tzu qu’ils ont certainement lu aussi. Avec cette stratégie, la notion d’« alliés utiles » - certains diront d’« idiots utiles » - devient acceptable, il est possible d’employer des ennemis provisoirement. Le frérisme s’appuie et capitalise sur tous les mouvements qui l’aident à saper les fondations des sociétés européennes et occidentales, puisque cela sert son objectif. Les Frères n’ont pas une préférence pour la violence du moins quand elle n’est pas efficiente.  En Europe, ils ne la prônent pas, en revanche, si elle se produit, ils l’instrumentalisent. Loin d’être une fumeuse théorie complotiste comme les Frères le prétendent pour mieux dissimuler leur mode opératoire, le plan califal est une réalité bien documentée. Les Frères avancent par plans. Plusieurs documents secrets ont été retrouvés qui montrent le caractère planifié de leur avancée en Europe. Mais ils travaillent parfois à découvert. C’était le cas de Youssef al-Qaradâwî qui a quitté officiellement la confrérie mais qui est resté leur principal penseur en Europe, à la tête du Conseil de la Fatwa et de la Recherche. Le Global mufti, prédicateur sur la chaine qatarie Al Jazeera a proposé par exemple à la fin des années 1980 un plan pour les 30 ans à venir pour lever le « Mouvement islamique » qui ferait advenir dans plusieurs décennies ou siècles le califat mondial. Trente ans plus tard, force est de constater que certains objectifs ont été atteints, le marché halal, la mise en marche d’une élite islamique, d’un féminisme islamique. Il est presque impossible d’échapper aux enseignements fréristes dans les écoles coraniques et dans les mosquées de France. Un autre exemple concerne « l’islamisation de la connaissance », dont l’origine intellectuelle est à attribuer à Mawdudi, que j’appelle l’ingénieur du système-islam. Puisque tout est bon dans l’Islam, et rien que dans l’Islam, il suffit de placer la science dans le cadre de l’islam. L’islamisation de la connaissance a produit des universités comme en Malaisie dans laquelle toutes les disciplines intègrent l’éthique islamique. De cette manière, puisque l’input et le process sont licites, alors l’output l’est nécessairement. Le Laboratoire de la République : Face à cette stratégie d’islamisation de nos sociétés sécularisées, comment la laïcité française peut-elle défendre nos concitoyens ? En l’état, l’arsenal législatif laïque est-il suffisant ? Florence Bergeaud-Blackler : Il faut d’abord faire respecter la loi de 1905. C’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Nous sommes face à un projet théocratique profondément contraire à nos valeurs démocratiques et laïques. Il faut le regarder en face et avoir le courage de le nommer pour ce qu’il est. Il faut résister aux accusations de racisme et d’islamophobie, qui sont des instruments de censure et de désarmement moral. Et il faut absolument arrêter de subventionner par dizaines de millions d’euros ces groupes qui luttent contre la démocratie sous couvert d’antiracisme.  Ce néo-antiracisme qui a très bien été analysé par Pierre-André Taguieff aboutit à généraliser le racisme. Par ailleurs, il est nécessaire de relancer des études sur l’islamisme en Europe. Les Frères ont su infiltrer très vite les universités, et placer des compagnons de route qui n’ont de cesse d’expliquer que les Frères musulmans ne cherchent au fond qu’à affirmer leur identité et qu’ils sont porteurs de formes de démocratie alternative. Cette interprétation nous a trompé pendant quarante ans, en nous faisant croire que l’islamisme était politique, alors que l’islamisme est suprémaciste, théocratique et missionnaire. Il faut enfin du courage, et du courage politique. Les frères se sont installés en Europe en totale légalité, et ils ont acheté des élus qui leur sont obligés. Plus que l’action politique, je crois à l’action citoyenne : des français informés et alertes ne se décourageront plus. Il faut informer et réarmer moralement nos sociétés face au danger du frérisme. Les entraves à ce réarmement moral sont nombreuses, mais il y en a une qui les surpasse toutes. Un témoignage d’une femme lors d’une manifestation portant une banderole en soutien à Rushdie - après sa tentative d’assassinat en juillet 2022 - l’exprime mieux que tout. Elle m’a dit « Je n’ai pas peur qu’on m’agresse ou me tue, j’ai peur qu’on me filme et qu’on pense que je suis raciste ou islamophobe ». [1] La viande halal peut être produite par n’importe qui dans le monde, mais les seuls organes de labellisation halal reconnus aujourd’hui (grâce à une longue stratégie d’influence ayant rendu possible ce monopole) sont des émanations fréristes. En ayant su s’imposer comme les seuls à même de définir ce qui était halal, c’est-à-dire licite aux yeux d’Allah, ils ont acquis une influence déterminante sur les musulmans du monde entier. Par exemple, en France, 95% des personnes se déclarant musulmanes disent manger halal. [2] Est licite tout ce qui n’est pas interdit dans le Coran. Par exemple, l’esclavage n’est pas interdit dans le Coran, il est donc licite, c’est-à-dire halal. Idem pour le meurtre : certaines mise à mort sont licites, d’autres non. (ndlr)

« Ne faiblissons pas face aux attaques antisémites »

par Caroline Yadan le 30 mars 2023 Caroline Yadan
Trois députés, Caroline Yadan (Paris), Éric Bothorel (Côtes-d’Armor) et Mathieu Lefèvre (Val-de-Marne) ainsi que le parti EELV ont saisi mardi 14 février la procureure de la République de Paris pour demander le blocage d’ « Europe Écologie – Les Bruns », un forum néonazi. Ce site est l’extension du site Démocratie participative, créé et animé par le néonazi Boris Le Lay, caché au Japon. Caroline Yadan éclaire cette initiative pour Le Laboratoire de la République.
Le Laboratoire de la République : Pourquoi avez-vous décidé, avec Éric Bothorel et Mathieu Lefèvre, de saisir la procureure de la République de Paris ? Caroline Yadan : Sur un plan purement juridique, l’article 40 du code de procédure pénale est très clair : tout citoyen ayant connaissance de faits pouvant constituer un crime ou un délit doit saisir le Procureur pour qu’il apprécie les suites à donner. Il s’agit bien d’une obligation civique, d’un devoir incombant au citoyen. En l’occurrence, les faits sont plutôt clairs : apologie du IIIe Reich, promotion d’un séparatisme d’extrême-droite, antisémitisme décomplexé, fantasmes de guerre raciale … Par le passé, Monsieur Le Lay, néonazi Français, a déjà été condamné pour des faits similaires, puisqu’il doit purger une peine de plus de 10 ans de prison et qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt Interpol. Les demandes d’extradition adressées au Japon n’ont, pour l’instant, pas porté leurs fruits. Au-delà de la simple démarche civique et juridique, l’enjeu de dénonciation de ces faits est, pour moi, fondamental. Il s’agit ici d’incarner la fermeté républicaine, et de ne pas faiblir face aux menaces et attaques faites à notre démocratie et à nos valeurs. Face à des faits aussi graves, il est de notre responsabilité d’incarner un rempart républicain et de lutter contre toutes les formes de racisme. Comment ne pas s’inquiéter de voir fleurir ce type de propos et de comportements sur Internet ? Je suis surtout inquiète et interrogée par le silence assourdissant des extrêmes sur ce sujet : ce silence est très révélateur… Le Laboratoire de la République : Dégradations de cimetières ou sur la voie publique, manifestations, diffusion sur internet : l’antisémitisme d’extrême-droite semble être plus présent qu’avant. La parole antisémite d’extrême-droite s’est-elle libérée ? Si oui, à la faveur de quoi ?  Caroline Yadan : L’augmentation des actes antisémites en France est constante. Elle a été de 74 % en 2021 et représente 60% des actes racistes alors que les juifs représentent 1% de la population. La dernière radiographie de l’antisémitisme, publiée par Fondapol en 2022, démontre que les Français ont conscience de la progression de l’antisémitisme : 64% des personnes interrogées estiment que l’antisémitisme est plus répandu qu’auparavant. La progression du phénomène antisémite, en France mais aussi dans le monde, est très inquiétante. Déferlement de la haine en ligne, poussée des thèses conspirationnistes, haine d'Israël, islamisme, récupération de la mémoire de la Shoah, attentats perpétrés en France, en Allemagne ou aux USA, assassinats, meurtres, menaces à l’encontre des Juifs, slogans antisémites scandés dans des manifestations, infiltration dans le mouvement des Gilets Jaunes ou des antivax, le phénomène perdure à travers l’histoire et se renouvelle dans ses formes et ses expressions. L’antisémitisme multiplie les visages et les faux semblants. Pour tenter de tromper notre vigilance, il se pare sans cesse des habits de notre temps. L’antisémitisme est attisé aujourd’hui par l’extrême-gauche, sur fond de haine d’Israël et de complaisance à l’égard de l’islamisme. L’antisémitisme qui tue aujourd’hui en France est l’antisémitisme islamiste. L’antisémitisme d’extrême-gauche a supplanté celui de l’extrême-droite dans l’espace médiatique classique et dans les arènes politiques. Toutefois, cette nouveauté ne doit surtout pas nous induire en erreur ou nous rassurer quant à une potentielle disparition ou diminution de l’antisémitisme de l’extrême-droite. Le Rassemblement National se positionne actuellement comme luttant contre l’antisémitisme, notamment à l’Assemblée nationale, dans une volonté de respectabilité : de la triste remise de médaille de la ville de Perpignan à Serge Klarsfeld par Louis Aliot à la volonté toute récente de prendre la présidence du groupe d’étude sur l’antisémitisme à l’Assemblée Nationale, nous assistons à une instrumentalisation par le RN de cette lutte contre l’antisémitisme. La parole antisémite d’extrême-droite est, par ailleurs, soutenue par le manque de régulation des propos tenus sur Internet qui prolifèrent à la faveur des algorithmes de plus en plus pointés du doigt pour leur tendance à invisibiliser les opinions modérées au profit d’opinions extrêmes. Enfin, et c’est là une grande source d’inquiétude, ces propos antisémites répandus sur les réseaux sociaux atteignent nos jeunes, trop peu accompagnés dans le décryptage des médias et trop peu éduqués face aux dangers du complotisme et des extrêmes. Instagram et TikTok recensent des millions de hashtags liés à l’antisémitisme, selon une analyse conduite par l’association britannique « Hope not Hate », la fondation allemande Amadeu Antonio et le groupe suédois Expo Foundation. Le Laboratoire de la République : Le site source « Démocratie participative » serait toujours accessible malgré un blocage ordonné en 2018 selon Libération. Les pouvoirs publics ont-ils les ressources pour bloquer durablement les sites racistes ou antisémites de ce type ? Caroline Yadan : La demande de blocage est une solution technique peu efficace et n’éteint de toute façon pas la source de la haine. La parade est facilement trouvée : il suffit de recréer le même site en changeant simplement son nom de domaine. Concrètement, il s’agit du procédé bien connu de la « boîte postale », simplement plus moderne, dématérialisée et reproductible quasiment à l’infini. A ma connaissance, le site « Démocratie Participative » est beaucoup moins accessible depuis que Google l’a déréférencé. Cela signifie qu’il n’est plus possible de le trouver au moyen d’une recherche via cette plateforme. Cette situation interpelle sur la capacité de réponse des pouvoirs publics car nous n’avons évidemment pas les mêmes moyens d’intervention techniques que les GAFAM. D’ailleurs, aucun État n’en dispose factuellement. Très concrètement, le pouvoir détenu par ces entreprises questionne partout à travers le monde, tant et si bien que leur démantèlement est évoqué par plusieurs responsables politiques à l’international. Au cours de la présidence française de l’Union européenne, Emmanuel Macron a indiqué envisager cette solution parmi les options de régulation possibles, sur un moyen terme. La majorité présidentielle a beaucoup œuvré pour renforcer la législation, et a également porté un travail de fond à l’échelle européenne pour structurer une réponse régionale, à défaut de pouvoir être mondiale. Beaucoup a déjà été fait : instauration du principe de la majorité numérique ; installation obligatoire par défaut du contrôle parental sur les ordinateurs ; renforcement des obligations incombant aux gestionnaires de plateformes, plus particulièrement lorsqu’ils sont saisis par une demande émanant de la justice ou des services de polices, renforcement des effectifs de police pour mieux lutter contre la cybercriminalité, … A l’échelle européenne, l’adoption des 2 règlements Digital Service Act (DSA) et du Digital Market Act (DMA) donne les moyens à l’Union européenne de répondre aux dérives constatées chez les GAFAM, que ce soit dans leur fonctionnement ou les services qu’ils proposent à leurs utilisateurs ou bien dans leurs obligations de lutte contre les contenus illicites, la transparence en ligne, l’atténuation des risques ou les réponses aux crises. Concrètement, la France comme l'Union européenne se dote des moyens de sanctionner les entreprises tout comme les utilisateurs, en fermant les sites criminels et en condamnant leurs auteurs à des amendes ou des peines de prison selon les faits. Toutefois, beaucoup reste encore à faire car les réseaux sociaux et Internet sont des espaces évolutifs où l’économie de l’infox a encore de beaux jours devant elle. Nous devons réfléchir et construire les solutions techniques, juridiques, économiques et sociales pour endiguer et marginaliser ces phénomènes. Olivier Véran a rappelé l’ouverture prochaine des états généraux de l’information, pour acter le lancement d’un travail essentiel à faire à l’heure des fake news, des conséquences des sphères complotistes et antisémites, de l’impact des réseaux sociaux et des algorithmes sur l’information. Les réponses restent donc à construire sur le plan politique, et j’aurais à cœur d’y prendre part dans les prochaines semaines.

Le Laboratoire
de la République

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