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Un an après la mort de Mahsa Amini, où en est la Révolution iranienne ?

par Shaparak Saleh le 16 septembre 2023
Le 16 septembre 2022, Mahsa Jina Amini décède dans un hôpital de Téhéran des suites de mauvais traitements subis pendant sa détention. Elle avait été arrêtée, trois jours avant, par la police des mœurs pour avoir prétendument enfreint les lois strictes sur le voile. Sa mort a provoqué des manifestations à travers le pays qui ont été violemment réprimées par les autorités. Un an après, la Révolution iranienne continue le combat pour renverser la République islamique d’Iran. Shaparak Saleh, co-fondatrice et Secrétaire générale de « Femme Azadi », association sensibilisant l'opinion publique à cette cause et voulant porter la voix du peuple iranien, a accepté de présenter la situation et les enjeux de cette révolution pour le Laboratoire de la République.
Le Laboratoire de la République : Qu’y-a-t-il d’inédit dans la révolution en cours en Iran depuis le 16 septembre 2022 ? Shaparak Saleh : La révolution en cours depuis le meurtre de Mahsa Jina Amini par la police des mœurs, le 16 septembre 2022, est inédite à plusieurs égards. Elle l’est déjà si l’on se situe au niveau de l’Iran. En effet, pour la première fois, les manifestations ne sont pas régionales. Elles ont envahi tout le pays, c’est-à-dire aussi bien les villes que les villages. La révolution gronde même dans les villes réputées pour être les plus croyantes, à l’instar de la ville sainte de Qom, ville natale du guide suprême iranien Ali Khamenei. Ensuite, cette révolution n’est pas comparable aux précédents mouvements de révolte. Ainsi, contrairement au mouvement vert de 2019 pendant lequel les jeunes scandaient : « Où est mon vote ? » en arborant la couleur verte – symbole de Mir Hossein Moussavi, candidat floué prônant un islam réformé et plus ouvert – c’est aujourd’hui le principe même d’une république islamique qui est contesté. Les Iraniens ont compris que les conservateurs et les modérés faisaient partie d’un même système visant à maintenir sur pied une théocratie. Ils souhaitent la mise en place d’un état de droit et d’une démocratie, laquelle ne sera possible que si le régime des mollahs chute. Enfin et surtout, pour la première fois, la peur a changé de camp. Malgré la répression féroce, le mouvement ne s’est pas éteint. Tandis que les mollahs n’osent plus porter leur tenue dans la rue, de crainte de subir des agressions, de nombreuses femmes refusent de porter le voile. Pour ne plus qu’on leur dicte ce qu’elles doivent porter, elles refusent de courber l’échine devant la redoutable police des mœurs, risquant arrestation, coups de fouet, viol ou mise à mort. Cependant, ces femmes n’ont plus peur. Elles préfèrent prendre ce risque que de vivre éternellement sans être libres. Mais ce n’est pas qu’en Iran que cette révolution est inédite : une révolution menée par des femmes, pour tout un peuple, c’est une première mondiale. C’est notamment pour cela qu’elle ne peut pas échouer. Un échec serait un revers pour toutes les femmes. La chute du régime des mollahs serait aussi la défaite de la première république islamique au monde et, par conséquent, l’échec de l’islamisme politique. Le Laboratoire de la République : A quoi ressemblerait le monde si la révolution aboutit et conduit à la chute du régime des mollahs ? Shaparak Saleh : C’est une évidence : le monde serait bien meilleur sans la République islamique d’Iran. Toute une partie du globe retrouverait la paix. Il s’agit avant tout d’une théocratie qui rêve d’exporter son modèle dans le monde. Soutien aux mouvements radicaux dans le Moyen-Orient, la République islamique n’hésite pas à utiliser le terrorisme pour régner. Prises d’otages, attentats, répressions, massacres sont autant d’armes utilisées pour dominer le monde. La République islamique déploie une énergie sans limite pour augmenter son influence et sa politique de déstabilisation de la région : elle parraine le Hezbollah, soutient le Hamas, livre des drones à la Russie pour l’aider à dominer l’Ukraine, aide les milices en Irak, tout en appelant à la destruction d’Israël. La liste n’est pas exhaustive. Si on se situe au niveau de la France, l’aboutissement de la révolution et la chute du régime des mollahs présenteraient de nombreux avantages. Du point de vue des droits humains, la chute du régime tyrannique et sanguinaire qui pratique l’apartheid des genres ne peut qu’être accueillie favorablement par la France, pays des droits de l’Homme. Ce serait la fin d’un régime qui autorise les mariages des fillettes dès l’âge de huit ans ou pour qui la parole d’une femme dans un procès vaut quatre fois moins que celle d’un homme (si une femme dépose une plainte pour viol, quatre autres femmes devront témoigner avec elle pour qu'on lui accorde plus de crédit face à son agresseur présumé). Il s’agirait également d’une bonne nouvelle pour le quai d’Orsay puisqu’à l’heure actuelle, on compte quatre otages français. Cette politique des otages a été mise en œuvre par le régime dès son accession au pouvoir en 1979 avec « la crise des otages américains en Iran ». Enfin, un Iran libre et démocratique où règnerait l’état de droit serait seul à même d’attirer des investisseurs étrangers. On entend des rumeurs selon lesquelles des négociations seraient en cours entre les pays occidentaux et la République islamique d’Iran pour raviver le Plan d’action global commun (dit JCPOA). Pense-t-on sérieusement que des investisseurs ne mesureraient pas le risque financier et réputationnel d’un accord avec l’Iran ? Les pays occidentaux ont tout à gagner à la liberté de l’Iran. C’est un pays stratégique en raison de ses réserves de pétrole, mais également un marché à gros potentiel pour les industriels français dans tous les domaines : aéronautique, agroalimentaire, automobile, construction, hôtellerie, luxe ou encore télécommunications. En effet, après quarante-trois années de privations générées par l’isolement de la République islamique d’Iran sur la scène internationale, le succès serait nécessairement au rendez-vous. Les démocraties du monde libre ont tout intérêt à abandonner les efforts visant à pactiser avec un régime à l’agonie qui n’a rien à leur apporter. Elles doivent se concentrer à la réussite d’une révolution qui comporte en elle l’assurance de nombreux débouchés. Pour l’heure, tant que le régime sera en place, aucune négociation ne peut et ne doit avoir lieu. En attendant, la République islamique d’Iran a adhéré au BRICS, ce qui va lui permettre de développer son réseau commercial avec les autres membres de ce club des puissances anti-démocratiques. Le Laboratoire de la République : Quel soutien peut-on apporter ? Shaparak Saleh : Le peuple iranien et la diaspora iranienne ont du mal à se faire entendre. En Iran, l’accès à internet est souvent coupé afin que le régime puisse commettre ses exactions à huis-clos. En dehors du pays, nous avons aussi du mal à nous faire entendre. Nous avons besoin que notre combat soit visible. Dans l’ensemble, les médias ne font pas bien leur travail sur ce sujet. La recherche du scoop ou du clic les conduit à traiter en priorité les faits divers nationaux au détriment des sujets de fonds internationaux qui ont du mal à rester visibles avec pour seule exception l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Alors mon premier message s’adresse aux journalistes : nous avons besoin de vous ! Rendez visible cette révolution. Chaque information relayée dans la presse internationale suscite tant d’espoir en Iran. Mais, me direz-vous, comment soutenir quand on n’est pas journaliste mais simple citoyen ? Personne ne doit minimiser son pouvoir. Il faut s’abonner aux pages Instagram, Twitter et LinkedIn des associations qui font un formidable travail d’investigation. Vous pouvez suivre les comptes de Femme Azadi ou de This is a Revolution pour avoir des informations traduites en français. S’informer, c’est déjà bien. Partager, c’est encore mieux. Notre première vidéo de sensibilisation a atteint 10 millions de vues sur les différents réseaux sociaux. La dernière dans laquelle nous annoncions avoir porté plainte contre un dignitaire du régime lors de son déplacement à Paris à l’occasion de la préparation des JO a atteint 130.000 vues. Enfin, vous pouvez soutenir des associations comme la nôtre en faisant par exemple des dons. Pour prendre notre exemple, les montant des dons récoltés par notre collectif nous permettent d’apporter un soutien financier, juridique et administratif aux réfugiés, d’organiser des évènements en France pour amplifier la voix du peuple iranien, d’aider les activistes sur place à continuer de mener le combat, et de financer VPN et Starlinks afin que le peuple iranien puisse nous envoyer des images de cette révolution, malgré les efforts du régime pour couper internet et massacrer en toute discrétion. Pour nous soutenir, vous pouvez également participer à la marche, aujourd'hui samedi 16 septembre, date anniversaire de la révolution (l'emplacement exact est communiqué sur nos réseaux).

Fahimeh Robiolle : « Un vent de laïcité qui vient d’Iran souffle sur l’Europe »

par Fahimeh Robiolle le 17 mars 2023 F. Robiolle
6 mois après le meurtre de Mahsa Amini et pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Après un premier entretien sur la situation des femmes afghanes, nous l'interrogeons sur la situation des femmes iraniennes depuis le meurtre de Mahsa Amini.
6 mois après le meurtre de Mahsa Amini et pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Après un premier entretien sur la situation des femmes afghanes, nous l'interrogeons sur la situation des femmes iraniennes depuis le meurtre de Mahsa Amini. Entretien réalisé le 2 mars 2023. https://www.youtube.com/watch?v=HKdoKXj0Reg Entretien avec Fahimeh Robiolle sur la situation des femmes iraniennes

Fahimeh Robiolle : « Pour les Talibans, la femme n’existe pas »

par Fahimeh Robiolle le 10 mars 2023 F. Robiolle
Pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Nous l'interrogeons sur la situation des femmes afghanes depuis l'arrivée des Talibans. Elle évoquera la situation des femmes iraniennes dans un prochain entretien.
Pour la journée internationale des droits de la femme, le Laboratoire de la République a reçu Fahimeh Robiolle, scientifique nucléaire et enseignante iranienne ayant fuit la révolution islamique. Elle enseigne en France (ENA, école de guerre, Essec, Sc Po, Paris III) et milite ardemment en faveur des femmes afghanes et iraniennes. Nous l'interrogeons sur la situation des femmes afghanes depuis l'arrivée des Talibans. Elle évoquera la situation des femmes iraniennes dans un prochain entretien. Entretien réalisé le 2 mars 2023. https://www.youtube.com/watch?v=ypxqYsXtF2Q&t=1s Entretien avec Fahimeh Robiolle sur la situation des femmes afghanes

Tristane Banon : « Il n’y a pas de féminisme religieux ! »

par L'équipe du Lab' le 16 février 2023
Lors de notre conversation éclairée du mercredi 15 février, Marie Ameller et Brice Couturier ont pu débattre avec Tristane Banon sur son ouvrage "Le péril dieu" aux éditions de l'Observatoire
Lors de cette soirée, Tristane Banon est revenue sur son ouvrage "Le péril dieu". Elle raconte l'histoire des trois religions : la religion juive, musulmane et catholique, leur texte sacré respectif et leurs lectures influencées par les hommes. Le féminisme et la religion seraient incompatibles. "Toutes les religions sont sexistes." Aucun texte sacré ne veut l'émancipation de la femme. Contre l'universalisme républicain, un obscurantisme intégriste gagne du terrain. Certains utilisent la religion comme moyen d'installer un ordre social au sein duquel la femme se soumet. L'auteure questionne le port du voile sur son obligation, sur sa religiosité et sur l'objectif politique derrière. Tristane Banon a répondu aux propos sur le féminisme et la laïcité de Sandrine Rousseau, d'Eric Zemmour, ou bien encore d'Annie Ernaux, la dernière prix Nobel de littérature. La conversation éclairée de Tristane Banon est à retrouver sur notre chaîne Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=lNxLP14uce0 Conversation éclairée de Tristane Banon

Alexandra Borchio Fontimp : « Faisons de la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps une priorité de politique publique »

le 1 décembre 2022
"Porno, l'enfer du décor" : pour la première fois dans l'histoire parlementaire, un rapport sénatorial, publié le 27 septembre, s'intéresse aux violences subies par les femmes dans le secteur de la pornographie et aux graves dérives qui entourent la production et la diffusion de ces contenus sur internet. Le Laboratoire a interrogé une des quatre rapporteures, Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice LR des Alpes-Maritimes, pour l'éclairer sur ce qui doit devenir pour elle une "priorité de politique publique".
Le Laboratoire de la République : Qu'est-ce qui a changé dans la pornographie depuis le début des années 2000 ? Pourquoi le secteur est-il devenu plus violent ? Alexandra Borchio Fontimp : Lorsque nous avons entamé nos travaux avec mes collègues rapporteures, nous avons très vite dressé un constat : la pornographie a suivi l’essor d’internet et a, de facto, changé radicalement de visage. Au milieu des années 2000, l’apparition des « tubes », grandes plateformes numériques de diffusion de dizaines de milliers de vidéos, a totalement bouleversé l’industrie du ‘’porno’’. Fondant leur modèle économique sur la génération d’un trafic massif, grâce à du contenu souvent piraté et gratuit, ces plateformes ont amené les consommateurs de pornographie à changer leur comportement. Au fil des ans, la société s’est numérisée et les modes de consommation avec. Une tendance qui s’est malheureusement confirmée avec la crise sanitaire et les confinements successifs. Aujourd’hui, il est tout aussi simple d’accéder à du ‘’porno’’ que de faire ses courses en ligne. Représentant 25% du trafic web mondial, cette industrie s’est mutée en un véritable business où le ‘’porno’’ est devenu plus une affaire d’argent qu’une affaire de sexe. Pesant plusieurs milliards d’euros, ce business plus que lucratif a rapidement été accaparé par quelques multinationales propriétaires des « tubes » qui n’hésitent pas à exploiter la vulnérabilité psychologique et économique de jeunes femmes pour alimenter leur flux. Répondant à une sorte de politique de l’offre et de la demande, ces ‘’producteurs’’ enchaînent des productions aux conditions de tournage déplorables au sein desquels la marchandisation du corps des femmes et du sexe est devenue monnaie courante. Par ailleurs, depuis 2010, sont également apparues des plateformes de partage de contenus à caractère sexuel telles qu’Onlyfans ou MYM. Parallèlement à cet essor, les réseaux sociaux et messageries privées comme Snapchat, WhatsApp ou encore Telegram sont devenus de nouveaux vecteurs de diffusion de contenus pornographiques. Or, on sait que ces canaux de diffusion sont particulièrement appréciés par notre jeunesse : plus de 70% des 15-16 ans sont présents sur au moins 4 réseaux sociaux (Instagram, Twitter,Snapchat...). Cette massification, presque à outrance, de la diffusion du ‘’porno’’ a considérablement contribué à la recrudescence de contenus de plus en plus ‘’trash’’, violents qui font fi des conditions de tournage et des contrôles. Le Laboratoire de la République : Comment renforcer la répression pénale contre des producteurs responsables de violence ? Quelle régulation imposer aux plateformes dans ces cas ? Alexandra Borchio Fontimp : Tout d’abord, pour que répression il y ait, condamnation il doit y avoir. Et pour que condamnation soit prononcée, procès et donc dépôt de plainte il doit y avoir. Je suis persuadée qu’un travail fondamental de libération de la parole sur ces violences doit se faire. C’est une condition sine qua non ! Nous devons briser les tabous, bousculer les consciences afin d’encourager les victimes à dévoiler au grand jour les abus de cette industrie. Comment une actrice trouvera-t-elle le courage de passer la porte d’un commissariat si l’opinion publique campe sur la position selon laquelle le ‘’porno’’ est synonyme de violence ? Elle ne le trouvera pas, - ce courage -, et la Justice ne sera donc jamais saisie. Mes collègues rapporteures et moi-même avons été agréablement surprises de l’écho qu’a eu notre rapport. Encore aujourd’hui, nous continuons de recevoir des demandes d’interview et nous poursuivons notre tournée des ministères pour présenter nos travaux aux membres du Gouvernement. Nous espérons sincèrement que ces entretiens donneront lieu à des prises de décision concrètes et fermes. Mais nous avons bon espoir ! Nos interlocuteurs semblent sensibles aux problématiques présentées et à nos recommandations. Après des mois d’auditions, notre revendication première est claire : la lutte contre les violences pornographiques et la marchandisation des corps doit devenir une priorité de politique publique. Comme je vous l’ai expliqué plus haut, nous devons imposer dans le débat public la question des violences pornographiques. Comment peut-on envisager de fermer les yeux plus longtemps sur un tel sujet lorsque l’on sait que 90% des scènes pornographiques présentes sur internet comportent de la violence ? En plus de la banaliser, presque de la ‘’normaliser’’, nous mettons en danger notre jeunesse. Là aussi, nous devons cesser de nous leurrer. Nos enfants naissent avec des tablettes entre les mains. Au cours de nos études, nous avons dressé l’accablant constat que les enfants et adolescents développent de nos jours une consommation de plus en plus massive, précoce et toxique de contenus pornographiques. 1/3 des garçons de moins de 15 ans se rend sur un site ‘’porno’’ chaque mois et 2/3 des enfants de moins de 15 ans a déjà eu accès à de telles images. C’est effrayant ! Pour que cette tendance s’inverse et que les producteurs soient punis, il est impératif que la parole se libère. Ainsi, nous avons mis en avant plusieurs pistes : Favoriser le dépôt de plaintes en améliorant les conditions d’accueil des victimes en formant les forces de l’ordre au recueil des plaintes spécifiques de ces dernières et en instaurant un suivi de leur dossier par un contact unique ; Prendre en compte le contexte spécifique des violences pornographiques en adaptant les conditions d’accueil et d’écoute du numéro national 3919 dédié à la prise en charge des femmes victimes de violences ; Imposer aux diffuseurs, plateformes, réseaux sociaux des amendes face à toute diffusion de contenu illicite ; Ou encore imposer aux plateformes de satisfaire gratuitement aux demandes de retrait de vidéos formulées par les personnes filmées. Le Laboratoire de la République : Votre rapport porte également sur la régulation de l'accès aux contenus pornographiques en ligne. Face aux difficultés techniques de mise en œuvre et au cadre de protection des données personnelles, la puissance publique a-t-elle les moyens de mettre en œuvre cette régulation ? Alexandra Borchio Fontimp : Encore une fois, nous devons être lucides et honnêtes sur cette question. Oui, la puissance publique a les moyens de mettre en place une régulation de l’accès aux contenus pornographiques mais cela ne se fera pas sans difficulté et sans un travail de longue haleine. A l’heure actuelle, cette régulation est quasi inexistante sur Internet. S’il n’a longtemps eu aucune compétence sur Internet, le CSA – aujourd’hui l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) – est désormais chargé de la régulation systémique des plateformes ayant une activité d’intermédiation en ligne, telles que les plateformes de partage de vidéo, les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les agrégateurs et les magasins d’application. Pour autant, force est de constater que l’accès aux sites pornographiques demeure encore extrêmement aisé pour n’importe quel public. Aucun contrôle de l’âge n’est prévu pour accéder aux sites Pornhub, YouPorn, Xnxx, Tukif, etc. C’est pourquoi, nous avons souhaité dans nos recommandations donner plus de moyens à l'Arcom pour lui permettre d’agir : Lui confier la possibilité de prononcer des sanctions administratives, aux montants dissuasifs, à l’encontre des sites pornographiques accessibles aux mineurs ; Qu’il définisse dans ses lignes directrices des critères exigeants d’évaluation des solutions techniques de vérification de l’âge ; Que ces agents soient assermentés afin de leur permettre de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Parallèlement à l’action de l’Arcom, nous souhaitons imposer aux sites pornographiques la diffusion de messages d’avertissement sur les contenus violents ou encore l’affichage d’un écran noir tant que l’âge de l’internaute n’a pas été vérifié. Enfin, nous prônons pour une meilleure détection des comportements violents sur internet en créant une catégorie « violences sexuelles » dans les signalements à Pharos afin de faciliter et de mieux compatibiliser les signalements. Découvrir le rapport.

« Interdire le recours à l’avortement va à contre-courant de la majorité des opinions des Américains »

par Vincent Michelot le 23 mai 2022 Cour suprême
L’arrêt historique Roe v. Wade de 1973 reconnaissant l’avortement comme un droit protégé par la Constitution est en danger. Le lundi 2 mai, une fuite révélait qu’une décision à venir de la Cour Suprême américaine entendait revenir sur ce droit, supprimer sa protection constitutionnelle et, par conséquent, redonner le droit aux États de le maintenir ou non. Vincent Michelot, Professeur des universités à Sciences Po Lyon et spécialiste de l'histoire politique des États-Unis, analyse les conséquences que cette décision pourrait avoir, au prisme du fonctionnement de la Cour suprême.
Le Laboratoire de la République : Cette potentielle fragilisation du droit à l'avortement est-elle le résultat direct du fonctionnement de la Cour Suprême, composée de juges nommés à vie ? N’est-ce pas là une manifestation d’un véritable « gouvernement des juges » ? Vincent Michelot : Si la décision finale de la Cour qui sera annoncée en juin confirme effectivement le contenu des attendus qui ont fuité dans la presse (ce qui est en soi un événement assez extraordinaire qui en dit long sur les tensions internes qui agitent la Cour suprême), ce ne sera une surprise pour aucun observateur avisé de la Cour mais bien plutôt le résultat mécanique et inéluctable de la nomination de trois magistrats conservateurs par Donald Trump, Neil Gorsuch (2017), Brett Kavanaugh (2018) et Amy Coney Barrett (2020). Il était clair et public qu’un des principaux critères de sélection par l’ancien président était celle de leur position sur l’arrêt Roe v. Wade. Faut-il pour autant parler de « gouvernement des juges » ? Non pour deux raisons : d’abord le renversement probable de ce monument de la jurisprudence qu’est Roe est d’abord et avant tout le produit d’un concours de circonstances dans lequel un président a l’opportunité, lors d’un mandat unique, de renouveler 3 des 9 membres de la Cour, ce qui s’est très rarement produit dans l’histoire du haut tribunal. Certes, la première des trois nominations a été, pour les Démocrates, « volée », le leader d’alors de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, ayant refusé de tenir des auditions pour remplacer le juge Scalia, décédé en février 2016, avant l’élection présidentielle de cette même année. Mais les deux nominations suivantes sont la conséquence d’une démission, celle d’Anthony Kennedy, et d’un décès Ruth Bader Ginsburg. Dans ce dernier cas il s’agit aussi d’une nomination très controversée car examinée et validée en temps record par le Sénat à la veille de l’élection présidentielle de 2020. S’il existe donc bien une ombre politique sur deux de ces trois nominations, elle est à trouver dans une instrumentalisation partisane de la procédure de confirmation par les Républicains, pas dans une dérive constitutionnelle ou une rupture de l’équilibre des pouvoirs qui mènerait au gouvernement des juges. Qui plus est, si l’on accepte 1/ que les nominations des magistrats fédéraux sont à vie 2 / que la Cour suprême dispose d’un pouvoir de contrôle de constitutionnalité des lois qui n’est que très peu encadré ou limité, une décision comme celle qui s’annonce sur l’avortement est à imputer aux procédures de nomination en premier lieu. Cela ne signifie pas pour autant que les accusations de « gouvernement des juges » ne sont pas justifiées, mais ce pour une raison différente : toutes les enquêtes d’opinion le montrent, interdire le recours à l’avortement va à contre-courant de la majorité des opinions des Américains sur la question. Enfin, il est opportun de le rappeler, si la décision va bien dans le sens qu’indiquent les attendus qui ont fuité la presse, le droit de réguler l’accès à l’avortement reviendra aux États, sachant que 13 d’entre eux ont déjà voté des textes qui, si Roe est effectivement cassé, interdiront tout recours à l’avortement. En dernier lieu, il ne faut pas sous-estimer le choc tectonique qu’une telle décision peut provoquer : le « droit à l’intimité » sur lequel repose toute la logique de Roe est aussi le fondement de multiples autres droits de la personne, notamment en ce qui concerne la contraception, la sexualité ou le mariage. La disparition de Roe irait donc bien au-delà d’un creusement soudain des inégalités face à l’accès à l’avortement. Le Laboratoire de la République : Alors que le président de la Cour Suprême John Roberts rappelait en 2018 « Nous n’avons pas de juges Obama ou de juges Trump… Nous avons un groupe extraordinaire de juges, dévoués qui font de leur mieux », l’ère Trump et la nomination d’Amy Coney Barrett, pro-life, suite au décès de la juge féministe Ruth Bader Ginsburg ne laisse-t-elle pas craindre une polarisation excessive des opinions parmi les neuf juges ? Vincent Michelot : Il ne faut être en l’occurrence, ni innocent, ni naïf. La Cour suprême des États-Unis n’a jamais, dans son histoire, fonctionné dans un espace politique stérile et non partisan. C’est une chambre d’écho des grands débats politiques du moment, parfois en avance sur son temps, parfois en retard. Il faudrait tomber dans une forme inquiétante d’irénisme constitutionnel pour penser que l’extrême polarisation partisane qui s’est emparée de la vie politique américaine depuis les années 1990 ne ferait jamais sentir ses effets jusque dans le « Temple de marbre ». On le sait, les juges qui sont nommés à la Cour ont derrière eux des milliers de pages d’attendus qu’ils ont rédigés dans leurs fonctions précédentes (aujourd’hui, et avant que Kentanji Brown-Jackson ne remplace Stephen Breyer), tous les juges de la Cour étaient magistrats avant leur nomination. Cela signifie que, nonobstant les discours lénifiants face au Sénat de respect du précédent et d’attachement à la règle de droit, ils arrivent à la Cour suprême avec des modèles d’interprétation, une hiérarchie des libertés et une idéologie qui va transparaître dans leurs positions. Tout au long de l’histoire de l’institution, il a fallu trouver un fragile équilibre entre une Cour qui n’a comme seule légitimité que de parler au nom de la Constitution (elle n’est ni élue, ni représentative) d’une part et d’autre part le réalisme constitutionnel qui pose que la Constitution est un document vivant que chaque génération doit s’approprier. Quoi qu’en disent les tenants de « l’originalisme » qui affirment que la Constitution signifie ce que les Constituants ou ceux qui l’ont amendée entendaient, cette appropriation du document organique par les Américains est conduite par des hommes et des femmes qui injectent dans la lecture d’un texte souvent ambigu ou sibyllin leurs préférences, leur hiérarchie des droits ou encore leur histoire personnelle. La polarisation partisane extrême de ces dernières années aura donc simplement contribué, en cassant les normes et les codes de civilité et de courtoisie qui permettaient à conservateurs et progressistes de continuer à se parler, à mettre à nu les apories d’une constitution ratifiée en 1788 et à enlever ses derniers oripeaux de légitimité à ce discours d’une Cour au-dessus des partis et des majorités partisanes. Le Laboratoire de la République : Augmenter le nombre de juges, limiter la durée de leur mandat et le mode de sélection des affaires sur lesquelles ils statuent… : une refonte de l’institution de cet ordre serait-elle une attaque directe contre cette institution judiciaire indépendante ou permettrait-elle au contraire de garantir des droits déjà acquis ? Vincent Michelot : Le Président Biden, dès son entrée en fonctions, a nommé une commission indépendante qui avait pour objet de réfléchir sur l’avenir du pouvoir judiciaire aux États-Unis et sur le fonctionnement des tribunaux. Il a effectivement été question d’augmenter le nombre des juges (qui n’est fixé que par la loi et non pas par la Constitution et qui peut donc être modifié par la loi), de limiter la durée de leur mandat (ce qui signifierait d’amender la Constitution car la nomination à vie des magistrats fédéraux y est inscrite), d’encadrer par la loi le périmètre du contrôle de constitutionnalité ou encore de modifier les processus de décision de la Cour, dans la saisine ou encore dans l’exigence de majorités qualifiées lorsque la jurisprudence est renversée. Si le rapport de la commission est intéressant à consulter, il faut pourtant bien affirmer qu’il s’agit là essentiellement d’un exercice de « droit constitutionnel fiction ». Il est en effet totalement illusoire de penser que l’on trouvera au Congrès une majorité qualifiée des 2/3 (qui doit elle-même être suivie d’une majorité qualifiée des 3/5ème des États pour la ratification d’un mandement constitutionnel) pour par exemple mettre fin aux nominations à vie. De même, une majorité simple au Congrès pour porter le nombre de juges à 11, 13 ou 15 ou modifier le périmètre du contrôle de constitutionnalité, dans l’état actuel du rapport de forces partisan dans l’une et l’autre des deux chambres, relève du rêve éveillé.Au total donc, l’avenir de la Cour suprême et de sa jurisprudence, notamment l’édifice de droits construit par la Cour Warren dans les années 1960, dépend exclusivement des urnes : qui sera le prochain président des États-Unis en 2025 ? Lequel des deux partis aura la majorité dans l’une et l’autre des deux chambres ? A quel degré les décisions de la Cour seront-elles des facteurs de mobilisation, côté démocrate comme républicain ? Vincent Michelot est Professeur des universités à Sciences Po Lyon, qu'il dirige de 2014 à 2016, et spécialiste de l'histoire politique des États-Unis.

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