République indivisible

Regards croisés sur le Service National Universel : « Rendre le SNU obligatoire apporterait enfin une vraie mixité sociale »

par Bruno Thomas le 16 février 2023
Dans cette série consacrée au Service National Universel, Le Laboratoire de la République donne la parole à ceux qui font vivre ce programme dans toute la France depuis sa création en 2019. Aujourd’hui, Bruno Thomas, directeur adjoint en charge de l’encadrement et de la pédagogie du centre SNU de la Creuse, nous partage son expérience d’encadrement dans un des tous premiers centre SNU de France, un témoignage inspirant d’engagement pour la jeunesse.

Le Laboratoire de la République : Le centre SNU de la Creuse est un des tout premiers centres créés en France en 2019. Comment l’expérience a-t-elle évolué depuis la première édition ?

Bruno Thomas : Lors de la première édition en 2019, nous faisions partie des départements pilotes du SNU. Si le programme pédagogique et les objectifs étaient très clairs, l’organisation concrète et le déroulement du séjour sur le terrain ont été construits pas à pas. Notre équipe de base était composée d’un chef de centre, d’un adjoint aux finances et d’un adjoint encadrement pédagogique, moi-même. Sous le pilotage précieux des services de l’état (Education Nationale, Jeunesse et Sport, et représentants locaux du ministère de la défense) nous avons ensemble commencé par recruter une trentaine d’encadrants, et identifié des acteurs du territoire pour animer les nombreux modules de formation qui rythment le séjour de cohésion (éducation à la santé, activités sportives, valeurs de la République, lutte contre les fake news, …).

Le séjour de cohésion dure deux semaines et alterne entre modules de formation et temps dédiés à d’autres activités. Durant le séjour, des règles de vie commune sont posées et partagées avec tous les jeunes volontaires, et tous les suivent avec beaucoup de rigueur. Plusieurs rituels quotidiens rythment le séjour et deux journées phares sont au programme : une journée défense et une journée protection et sécurité intérieure, avec des intervenants de la défense, de la Police Nationale, de la Gendarmerie et des brigades de sapeurs-pompiers volontaires.

Les séjours de cohésion sont très intenses : durant deux semaines, les jeunes sont levés à 6h00, l’extinction des feux est à 22h30 et de chaque journée est très dense. C’est une expérience inédite pour la grande majorité des jeunes, qui n’ont jamais vécu de séjour collectif, qui ne connaissent pas d’autre vie en collectivité que l’école, voire qui ne sont jamais sortis de chez eux. Nous avons pris soin, depuis le début du SNU, de prendre en compte les retours des jeunes concernant les séjours de cohésion. Par exemple, la première session ne prévoyait pas de goûter, mais les jeunes se sont réunis et organisés pour venir nous demander, de manière argumentée et collective, de les instaurer, alors nous l’avons fait. Un autre groupe de jeunes a mis en avant le besoin de faire ses devoirs pendant le SNU : nous avons donc mis en place un temps optionnel d’aide au devoir. Pour le séjour de printemps de 2023, l’accompagnement scolaire sera intégré dans les plannings. Un dernier exemple concerne les téléphones portables : les jeunes n’y ont accès que 30 minutes par jour dans nos séjours de cohésion, après le dîner. Un seul groupe a exprimé le besoin de prolonger l’accès au téléphone et, après discussion avec eux, nous nous sommes adaptés. Les premières années nous ont permis d’adapter notre fonctionnement et nos plannings aux besoins et aux envies des jeunes, et aujourd’hui, nous avons un taux de satisfaction des jeunes de plus de 90% en fin de séjour.

Quand nous composons nos équipes, j’apporte un grand soin à la diversité des profils qui encadreront les jeunes : nos encadrants sont des militaires réservistes ou retraités, des enseignants de l’Education Nationale, des animateurs, des professeurs de sport, des Elus, des sapeurs-pompiers volontaires… âgés de 19 à 68 ans, et cette grande diversité de profils et de parcours est une richesse pour les jeunes volontaires du SNU, qui échangent librement et en continu tout au long du séjour avec les encadrants. Souvent, quand on parle de SNU, les gens ont en tête le service militaire, c’est-à-dire des jeunes au service de la Nation. Le SNU, c’est l’inverse : c’est la Nation au service de sa jeunesse ! Les jeunes encadrants des premières éditions demandent aujourd’hui plus de responsabilités et souhaitent devenir tuteurs ou commandants de compagnie. Cette année, nous avons même reçu pour la première fois des candidatures de jeunes ayant fait leur SNU à 16 ans et, ayant gardé un excellent souvenir du SNU et énormément appris durant ce séjour de cohésion, souhaitant eux-mêmes devenir tuteurs et s’engager auprès des jeunes. Pour tous ces jeunes volontaires, le SNU a créé une belle dynamique, conforme à l’ambition du projet d’origine.

Le Laboratoire de la République : Quels enseignements tirez-vous de votre expérience dans l’encadrement ?

Bruno Thomas : Notre équipe d’encadrement est composée de personnes très différentes, dans leurs origines sociales, leurs parcours de vie et leurs motivations à participer au SNU. Ces différences ne facilitent pas toujours la collaboration au sein de l’équipe, cela crée des discussions importantes. Pourtant, nous parvenons toujours à trouver un compromis, parce que tous sont mobilisés pour offrir le meilleur séjour de cohésion aux jeunes. Les encadrants réussissent très bien à travailler ensemble, et leurs différences de point de vue viennent justement enrichir la qualité de l’accueil des jeunes. Personnellement, je trouve ça très encourageant de voir que toute la société civile se mobilise au service de la jeunesse. La plus grande difficulté, pour les encadrants, c’est le devoir d’exemplarité. Durant les deux semaines du séjour de cohésion, ils sont tenus de montrer l’exemple, d’être irréprochables. C’est loin d’être facile, mais ils réussissent à l’être au maximum, et c’est une expérience très enrichissante pour eux.

D’ailleurs, les encadrants sont très heureux d’avoir la possibilité de s’inscrire dans ce processus de transmission avec les jeunes, dans les moments formels durant les modules obligatoires comme dans les moments plus informels, dans des temps dédiés. Durant tout le séjour, les encadrants peuvent partager leur expérience et répondre aux questions des jeunes, et ces échanges en direct sont très appréciés par tous. En effet, certains jeunes du SNU postulent aujourd’hui pour rejoindre les équipes d’encadrement, et chaque année nous fidélisons plus de 50% de l’équipe, qui renouvellent leur candidature pour continuer de participer au SNU. Certains jeunes gardent contact avec leurs encadrants à l’issue du séjour, surtout lorsqu’ils ont travaillé sur leur orientation professionnelle ensemble, et les jeunes d’une même maisonnée gardent le contact entre eux via les réseaux sociaux, longtemps après la fin du séjour de cohésion.

A l’issue du séjour de cohésion, les jeunes poursuivent leur engagement en rejoignant une mission d’intérêt général (MIG). Lors de la première édition, en 2019, près de la moitié des jeunes choisissait des corps en uniforme, souvent parce qu’ils étaient eux-mêmes enfants de militaires, pompiers ou policiers. Progressivement, cela a évolué et aujourd’hui, plus de 80% des jeunes choisissent des missions culturelles ou des missions de solidarité, dans des associations de protection animale, de protection de l’environnement ou auprès du Secours Populaire ou du Secours Catholique par exemple.

La plupart du temps, ils n’ont aucune idée de MIG lors de leur arrivée au SNU. Le travail des compagnies consiste justement à travailler avec les jeunes, sur les temps libres, afin de les accompagner dans leur réflexion. Un forum de l’engagement est organisé durant le séjour, avec de nombreuses personnes engagées présentes pour répondre aux questions des jeunes. A l’issue du séjour, tous les jeunes réalisent une MIG en rentrant chez eux. A titre personnel, ma fille a fait son SNU l’an dernier et elle a choisi de faire sa MIG au Secours Populaire tous les mercredis après-midi, alors que cela n’a rien à voir avec son orientation professionnelle. Elle souhaiterait devenir ingénieure météorologue. Sans le SNU, elle n’aurait peut-être jamais entendu parler du Secours Populaire, elle n’aurait jamais pensé par elle-même à s’engager dans une mission d’intérêt général.

Le Laboratoire de la République : Qu’avez-vous envie de dire à un jeune qui aimerait participer au SNU ?

Bruno Thomas : Je pense que le SNU ouvre des portes à tous les jeunes qui y participent. Je recommanderais donc à tous les jeunes de participer au séjours de cohésion du SNU. Le meilleur moment pour y participer, à mon avis, c’est la Seconde, autour de 16 ans. Après, il y a le baccalauréat. Aujourd’hui, la grande majorité des jeunes qui participent au SNU sont en Seconde.

La notion de SNU obligatoire peut permettre d’atteindre l’objectif de mixité sociale Mais il faudrait pour cela qu’il expérimenté, réfléchi nationalement, peut être intégré aux programmes scolaires. Mais sa mise en œuvre ne peut se faire sans un maximum de pédagogie. Aujourd’hui, le SNU est un bon outil pour travailler la cohésion nationale, mais ce n’est pas le seul. Ce serait une erreur de penser que c’est le seul outil pour retravailler la cohésion nationale. Les séjours de vacances, les classes découvertes, les services civiques, les centres aérés… toutes ces expériences collectives sont autant de dispositifs qui contribuent à la cohésion nationale et mériteraient, tous, d’être renforcés.

Une mise en place homogène sur tous les départements me semble très compliquée. Je pense qu’il vaut mieux tourner dans le sens où il est important d’avoir un cadre national mais avec des possibilités d’adaptation pour répondre au mieux aux attentes des jeunes volontaires.

Pour le SNU, on a trouvé une osmose départementale efficace, construite par les services de l’Etat, Jeunesse et Sport, préfète, défense, santé… Il ne faut pas être trop rigide, au risque de faire perdre une partie de l’âme, de la spontanéité et la réactivité qui font partie du succès du dispositif.

Propos recueillis le 19 janvier 2023.

Le Laboratoire
de la République

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