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Corse : « Un tel démantèlement de la nation française devrait être soumis à référendum »

le 20 mars 2024 drapeau français et corse
Seize constitutionnalistes de renom*, dont Pierre Mazeaud, Jean-Louis Debré, Jean-Michel Blanquer, Jean-Éric Schoettl et Anne-Marie Le Pourhiet, dénoncent les révisions constitutionnelles incessantes, qui trahissent, selon eux, les principes de la Ve République. Ils plaident pour un référendum concernant le projet constitutionnel de révision relatif au statut de la Corse.
Les seize constitutionnalistes plaident pour un référendum concernant l’autonomie de la Corse. PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP Dans son discours prononcé le 4 octobre 2023 au Conseil constitutionnel pour le 65e anniversaire de la Ve République, le président Macron reconnaissait solennellement que «veiller au respect de la Constitution, comme c'est la charge du chef de l'État aux termes de son article5, c'est aussi être scrupuleusement fidèle à son esprit». Il faisait alors l'éloge d'un régime «qui combine la liberté et l'autorité, l'ordre et le pluralisme, la démocratie et l'unité dans un mélange heureux, français, républicain » sous l'empire d'une Constitution qui est «la traduction politique de l'esprit public français». Il constatait que notre loi fondamentale est tout à la fois un régime et un projet exprimés dans son article 1er, lequel contient tous les maillons de notre chaîne républicaine et les quatre piliers de l'idéal des Lumières : «La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.» Il concluait son apologie d'une «nation si politique» et d'un «pays bâti par la volonté autour d'une langue et d'un État, où l'unité est un combat à toujours recommencer » par la phrase définitive : «Je ne crois pas qu'il soit dans l'intérêt de la France, ni dans la cohérence de son histoire de changer de République». C'est précisément au nom de ces principes d'unité, de laïcité et d'égalité devant la loi que fut discutée et adoptée en 2021 la loi confortant le respect des principes de la République dite « loi séparatisme » qui se proposait de lutter contre le communautarisme. Mais les Français sont désormais habitués à ce que lorsque l'exécutif abandonne apparemment le « en même temps » , il revienne aussitôt au galop. En l'espace de quelques mois, nous avons vu fleurir les projets de révision constitutionnelle destinés à contourner et à écarter les principes énoncés à l'article 1er de la Constitution. Celui-ci ajoute en effet aux quatre piliers énoncés le méta-principe : «La France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion», l'article 2 affirmant quant à lui que «la langue de la République est le français». Ici réside l'essentiel du modèle républicain hérité de la Révolution qui consacre la répudiation des discriminations fondées sur les appartenances communautaires et fut inscrit de façon magistrale dans la première Constitution française : «Il n'y a plus pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français.» Outre le projet de pérenniser les privilèges autochtones en Nouvelle-Calédonie en portant définitivement atteinte au suffrage universel sur le Caillou, et celui de réformer l'application du code de la nationalité pour le seul territoire de Mayotte (conduisant à ce que les conditions d'accès à la nationalité française ne soient pas les mêmes selon la partie du territoire où l'on est né), le président de la République s'apprête à porter un troisième coup (et non le moindre) aux principes dont il faisait l'éloge en octobre. Le projet de révision constitutionnelle relatif au statut de la Corse propose en effet d'accorder à ce territoire un nouveau statut dérogatoire et un pouvoir législatif local fondés sur son «insularité méditerranéenne et sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre ». C'est renier les principes fondamentaux des articles 1er, 2 et 3 de la Constitution et déchirer le contrat social des Français. En outre, dès lors que les statuts territoriaux dérogatoires sont ainsi accordés sur des critères purement subjectifs fondés sur le « ressenti » identitaire de nature ethnique invoqué par les élus, on ne voit pas, en effet, pourquoi les mêmes privilèges ne seraient pas étendus à la Bretagne, à l'Alsace, au Pays basque et à toutes les collectivités dont les élus prétendent se prévaloir d'une « identité forte ». Et comment cette notion de communauté, désormais constitutionnalisée, n'inspirerait-elle pas d'autres revendications communautaristes, ethniques ou religieuses ? Le Conseil constitutionnel avait, en 1991, censuré, au nom de l'indivisibilité de la République, une loi prévoyant que «la République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques». Robert Badinter, que le président de la République se propose aujourd'hui de panthéoniser, disait alors que c'était la décision du Conseil dont il était le plus fier. C'est pourtant cette fidèle application des principes républicains qui, selon la jurisprudence constante, «s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance», qu'il s'agit de contourner par une révision de notre pacte fondamental. Il n'est pas imaginable que cette remise en cause du coeur de l'identité constitutionnelle française, ne soit pas soumise au référendum constituant. Il appartient, en effet, à la nation tout entière de consentir, si elle le souhaite, à son démantèlement. En outre, la loi constitutionnelle de 2003 sur l'organisation décentralisée de la République a aussi prévu la possibilité expresse de consulter les électeurs d'une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier lorsqu'il est envisagé de modifier celui-ci. Consultés à ce titre, les électeurs corses avaient refusé, en 2003, le changement de statut qui leur était proposé, avant que la loi du 7 août 2015 ne vienne contourner délibérément leur vote en leur imposant la réforme dont ils n'avaient pas voulu. À l'heure où l'on célèbre partout le « consentement » , il serait tout de même indispensable de demander d'abord aux Français s'ils acceptent de renoncer à leurs principes constitutionnels fondateurs et, le cas échéant, d'interroger ensuite les Corses sur un projet de statut qui les voue à l'assignation communautaire, au repli identitaire et à l'omerta imposés par certains de leurs féodaux. Le 4 octobre dernier, le président Macron citait Charles Péguy dans son discours au Conseil constitutionnel : «Une révolution n'est pas une opération par laquelle on se contredit.» La contradiction semble pourtant en permanence à l'ordre du jour de l'exécutif. * Les signataires : Pierre Avril, professeur émérite à l'université Panthéon-Assas ; Marie-Françoise Bechtel, ancienne vice-présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale ; Jean-Michel Blanquer, professeur à l'université Panthéon Assas, président du Laboratoire de la République ; Jean-Pierre Camby, professeur associé à l'université de Versailles Saint-Quentin ; Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel et de l'Assemblée nationale ; Renaud Denoix de Saint Marc, ancien vice-président du Conseil d'État et membre du Conseil constitutionnel ; Alexis Fourmont, maître de conférences à l'université Paris 1 ; Yves Gaudemet, membre de l'Académie des sciences morales et politiques ; Anne-Marie Le Pourhiet, professeur émérite à l'université de Rennes ; Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel et de la commission des lois de l'Assemblée nationale ; Benjamin Morel, maître de conférences à l'université Panthéon-Assas ; Olivier Pluen, maîtrede conférences à l'université Paris Saclay ; André Roux, professeur émérite à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence ; Jacques de Saint Victor, professeur à l'université Sorbonne Paris Nord ; Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel ; Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel. Retrouvez l'article : Corse: «Un tel démantèlement de la nation française devrait être soumis à référendum» (lefigaro.fr)

La Laïcité plus que jamais au cœur de l’actualité de la République

par Michel Lalande le 15 mars 2024 Michel_Lalande
Vingt ans se sont écoulés depuis la promulgation de la loi encadrant le port de signes religieux dans les établissements publics d'enseignement, un moment décisif dans l'histoire de la laïcité en France. Alors que nous célébrons cet anniversaire, il est essentiel de rappeler les principes fondamentaux qui sous-tendent cette législation et de rester vigilants face aux menaces qui pèsent sur la laïcité aujourd'hui. En tant que responsable de la commission République laïque, Michel Lalande tient à souligner l'importance de préserver cet héritage précieux, garant de l'émancipation de l'individu et de l'égalité des hommes et des femmes.
Le 15 mars 2004 le Président de la République, Jacques CHIRAC, promulgue la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Cette loi insère dans le code de l’éducation un article L 145-5-1 qui dispose que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou de tenues pour lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » Ce texte rencontre une très large adhésion au Parlement puisqu’il est adopté par 297 voix pour et 20 contre au Sénat et par 494 pour et 36 contre à l’Assemblé nationale. Seules quelques milliers de personnes principalement à Paris avaient tenu à manifester leur opposition à ce texte au nom de la liberté de conscience. Ce texte marque un aboutissement en même temps qu’un nouveau point de départ pour la défense de la laïcité en France. L’aboutissement est celui d’une histoire qui éclate au grand jour en 1989 à Creil : le refus de trois jeunes collégiennes d’enlever leur voile en entrant au collège. Dans la polémique savamment orchestrée et médiatisée qui en suivit, le corps politique s’est déchiré et la gauche en particulier. La question du port du voile n’a cessé de prendre de l’ampleur au cours des années qui suivront à mesure que la réponse était laissée aux seuls chefs d’établissement, selon les conclusions de l’avis du 27 novembre 1989 du conseil d’État, après que le pouvoir politique de l’époque ait choisi, en pleine année du Bicentenaire de la Révolution, de se défausser.  La laïcité, affaiblie par cette épreuve, ne cessera d’être attaquée par les mouvements islamistes et il faudra attendre la loi du 15 mars 2004 pour qu’elle se retrouve réaffirmée, dans le système éducatif, de manière éclatante. Pour autant après cette victoire politique de la laïcité, les opposants ne désarmeront pas comme en témoignent les incidents qui ne cessent d’émailler la vie des services publics confrontés à des usagers, voire à certains de leurs propres salariés, qui chercheront par tout moyen à imposer la primauté du droit de chacun sur celui de l’une des valeurs constitutionnelles de la République. 20 ans suivant la loi du 15 mars 2004, le débat sur la laïcité est plus que jamais présent dans notre actualité comme l’a rappelé, par exemple, la question du port de l’abaya dans les établissement scolaires l’été dernier. La réponse politique forte a balayé la provocation. Il reste que toutes les embuscades seront bonnes pour diviser l’opinion et pour tenter de susciter la réprobation de telle ou telle comitologie onusienne. La laïcité est plus que jamais un défi pour notre pays mais aussi pour les États européens qui ont choisi, chacun selon leur histoire, la primauté du temporel sur le spirituel, le temporel étant le seul garant de la liberté de conscience. Dans la campagne des prochaines élections européennes, la laïcité associée à l’émancipation de l’individu, à l’égalité des hommes et des femmes, au refus des déterminismes sociaux et à la Fraternité, doit être plus que jamais promue en ayant présent à l’esprit cette phrase prophétique de Jean Jaurès : « la République doit être laïque et sociale mais restera laïque parce qu’elle aura su être sociale. »

Jeudi 28 mars : Conférence et jeux oratoires autour de la laïcité à Orléans

par L'antenne du Loiret le 14 mars 2024 Concours, jeux, orleans
Jeudi 28 mars, le Laboratoire de la République en partenariat avec Orléoquence vous propose un moment exceptionnel pour comprendre et décrypter les enjeux de la laïcité.
Le Laboratoire de la République en partenariat avec Orléoquence vous propose un moment exceptionnel pour comprendre et décrypter les enjeux de la laïcité. Une conférence en présence de Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'Education nationale et Président du Laboratoire de la République, mais aussi de Gilles Kounowski, Président du Laboratoire Loiret de la laïcité. D'autres invités sont à venir... Une conférence particulière car des membres de l'association étudiante proposeront des jeux oratoires (mini-débat, éloges, slam, lecture à voix haute,...) pour séparer les différentes parties de la conférence. Un échange avec la salle et un moment de convivialité viendront conclure la soirée. Quand ? Jeudi 28 mars, 17h Où ? CRIJ - 3, rue de la Cholérie, 45000 Orléans Pour vous inscrire, cliquez-ici

A Manouchian, la patrie reconnaissante

par Astrig Atamian le 23 février 2024
Astrig Atamian revient sur la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian. Elle est historienne et chercheuse associée au CERCEC à l’EHESS. Elle a consacré sa thèse de doctorat aux communistes arméniens en France des années 1920 à 1990, travail bientôt publié aux Presses universitaires de Rennes. Elle a coécrit avec Claire Mouradian et Denis Peschanski, « Manouchian. Missak et Mélinée, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française », paru en novembre 2023 aux éditions Textuel.
Le 21 février 2024, quatre-vingt ans après son exécution au Mont-Valérien par les nazis, Missak Manouchian est entré au Panthéon, accompagné de Mélinée qui fut l’amour de sa vie. Reposent symboliquement avec ce couple qu’Aragon et Ferré ont rendu mythique, les autres fusillés FTP-MOI de Paris ainsi qu’Olga Bancic et Joseph Epstein dont les noms sont désormais gravés en lettres d’or dans la crypte du mausolée. Tous, jusqu’alors honorés par leurs descendants et quelques cercles, ont ainsi intégré le roman national. Ces résistants morts pour la France étaient presque tous des étrangers. Ils étaient communistes aussi, partageant ainsi un engagement qui durant l’entre-deux-guerres était un puissant vecteur d’intégration dans la société française. La République a enfin rendu hommage à la composante immigrée de la lutte contre l’occupant. En reconnaissant le rôle qu’ont eu les Français venus d’ailleurs dans la Libération du pays, cette décision hautement politique prise par le Président Emmanuel Macron réunit les mémoires. Au-delà, la panthéonisation de Manouchian réaffirme une conception de la nation fondée sur des valeurs communes et non pas ethniciste. En amont de cette panthéonisation, il y a eu plusieurs mobilisations de personnalités. Celle qui porté ses fruits a été lancée en 2021 par l’association Unité Laïque, présidée par Jean-Pierre Sakoun, qui lutte contre les communautarismes fracturant la société française et défend les principes universalistes de la République. Manouchian était un survivant du génocide des Arméniens perpétrés par les Turcs. Ses camarades de combat avaient fui les persécutions antisémites, le fascisme, la victoire de Franco. Victimes de régimes autoritaires et du racisme, ces Européens étaient habités par les idéaux des Lumières. Ils rêvaient d’émancipation. La France apparaissait comme un phare dans leur nuit. Issus de cultures différentes, ils avaient un même imaginaire peuplé de grands noms : des révolutionnaires de 1789 mais aussi des figures de la littérature. Décortiquer leur francophilie permettrait de réactiver les ressorts d’un softpower qui a depuis perdu de sa superbe. Envisager l’hommage solennel du 21 février 2024 comme une main tendue à l’immigration plus récente et post-coloniale, impose aussi de considérer que la France n’a pas jouit d’une image aussi positive partout. Les « Français de préférence » « dont les noms sont difficiles à prononcer » portent en eux plusieurs identités qui se superposent sans être antagonistes. Manouchian est apatride, il admire la culture de son pays d’adoption dont il demande par deux fois la nationalité. Il est aussi Arménien et se soucie du devenir de l’Arménie qui à cette époque est soviétique. Il est communiste, internationaliste. Il travaille en usine, pose nu comme modèle pour des artistes, rêve d’être poète. Il est intellectuel et sportif. Rédacteur d’un journal communiste arménien dans le Paris du Front populaire, il fait la promotion du « rapatriement » des réfugiés vers la mère patrie mais n’envisage pas de quitter la France. Membre du PCF, il n’adhère toutefois pas à la ligne du pacte germano-soviétique renvoyant dos à dos Hitler et Churchill. En septembre 1939, alors qu’il est emprisonné à la prison de la Santé en tant que suspect car communiste, il insiste pour être sous les drapeaux. C’est depuis sa caserne en Bretagne où on le voit porter fièrement l’uniforme qu’il dépose une deuxième demande de naturalisation en janvier 1940. Quelques plus tard, la France est occupée. Manouchian est bientôt sollicité par la MOI pour mener un combat clandestin politique puis militaire à partir de début 1943. La suite est connue. L’héritage qu’il entend laisser est contenu dans sa dernière lettre. « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement », écrit-il deux heures avant de mourir.

« Oui aux identités locales, mais quand elles sont avec la France ! »

par L'équipe du Lab' le 21 décembre 2023
Retour sur la conférence-débat "La République indivisible face aux risques de fragmentation", modérée par Gaëlle Atlan Akerman. Autour de la table, Jean-Michel Blanquer et Benjamin Morel ont débattu et ont écouté les messages de Jean-Pierre Raffarin et de Jean-Pierre Chevènement sur le sujet.
Le 13 décembre, à l’Hôtel de l’Industrie (Paris 6e), le Laboratoire de la République a organisé une conférence-débat rassemblant un public nombreux autour de l'indivisibilité de la République. En introduction, deux personnalités importantes ont apporté un éclairage précieux à la thématique abordée. Jean-Pierre Raffarin a délivré (via une vidéo) un message fort sur les vertus et les perspectives d’une politique volontariste de décentralisation. Jean-Pierre Chevènement a fait lire une déclaration soulignant son inquiétude relative aux propositions du Président de la République quant aux évolutions du statut de la Corse. Durant la très riche conférence/débat modérée par Gaëlle Atlan Akerman, Jean-Michel Blanquer a échangé avec le juriste spécialiste de ces sujets Benjamin Morel. Ils ont, sur des fondements historiques, institutionnels et politiques, explicité les enjeux de l’indivisibilité de la République, garante de l'égalité des citoyens devant la loi et premier rempart face aux menaces de fragmentation plurielles. Ainsi, a été soulignée l’importance d’une décentralisation équilibrée, évitant les pièges de la différenciation et des surenchères identitaires. On retient (par nombre d’illustrations historiques et internationales) que, face aux tentations communautaristes, l’indivisibilité de la République constitue le gage de notre unité nationale. https://youtu.be/LawsctWrJ4g

Groupuscules d’ultra-droite : analyse d’une émergence identitaire décomplexée

par Jean-Yves Camus le 21 décembre 2023
Après le drame de Crépol, les groupuscules d’ultra-droite reviennent dans l’actualité, par leur action, leur manifestation et leur possible dissolution. Jean-Yves Camus, codirecteur de l'Observatoire des radicalités politiques et chercheur rattaché à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques) apporte son analyse.
Le Laboratoire de la République : Parlons-nous de groupuscules d’ultra-droite ou d’extrême-droite ? Quelle est la différence entre ces deux notions ? Jean-Yves Camus : Le concept d'ultra-droite n'est pas un concept scientifique. Il a été forgé après que les anciens renseignements généraux aient été entièrement refondus dans ce qui est maintenant la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), la grande différence étant que les renseignements généraux avaient le droit de surveiller les partis politiques. Il a fallu forger une catégorie pour désigner ce qui, à l'extrême droite du spectre politique, restait encore dans le giron du renseignement intérieur. Or ce qui restait dans le giron du renseignement intérieur, ce sont les gens qui présentent une menace pour la sécurité de l'État ou ceux qui promeuvent une idéologie raciste, antisémite, suprémaciste et qui tombent sous le coup de la loi. Donc le renseignement intérieur s'est retrouvé dans l'obligation de forger une catégorie qui apparaît au début des années 2010 : l’ultra-droite. Ultra, c'est à dire au-delà de la limite de ce qui reste dans le champ du renseignement, ce qui est une menace. Concrètement, cela veut dire que le Rassemblement national et désormais Reconquête sont des partis qui ne peuvent pas être suivis par le renseignement intérieur parce qu'ils cherchent à conquérir le pouvoir par les urnes, mais ceux qui souhaitent le conquérir autrement ou qui s'adonnent régulièrement à des activités de propagande ou de manifestations sur la voie publique et qui utilisent la violence ou la haine, ceux-là sont classés à l'ultra-droite. La pertinence du concept, pour nous, politistes, est relative parce qu’à l'intérieur de l'ultra-droite, il existe des gens dont les idées sont effectivement très radicales, hostiles à la démocratie par exemple, mais est-ce qu'ils sont un danger pour les institutions ? Pour moi, non. Ils ont une idéologie, certes radicale, parfois antidémocratique, souvent identitaire, avec parfois, pas toujours, une notion de suprématie de la race blanche, mais leur discours, à mon sens, n'est pas un danger imminent pour la sécurité des institutions. Le Laboratoire de la République : Comment les partis politiques, notamment le Rassemblement national et Reconquête, se positionnent-ils par rapport à ces groupuscules ? Jean-Yves Camus : Le Rassemblement national de 2023 n'est pas le Front national fondé en 1972. Il y a peut-être encore des militants de base du Rassemblement national qui ont un pied dans un groupuscule radical. Cependant, l'identité du parti, son positionnement comme acteur politique, n'est plus celui de Jean-Marie Le Pen et des fondateurs du Front national. En 1972, Jean-Marie Le Pen a fondé le Front national avec un numéro 2, qui, quand il avait 20 ans, portait l'uniforme nazi, c'est historiquement vrai. Mais cela ne définit pas l'identité du Rassemblement national de 2023. Aujourd’hui, les membres du parti sont nationalistes, hostiles à l’immigration, à l'Union européenne et à toute forme de supranationalité. Le projet politique de Civitas qui a été dissous récemment, disait souhaiter l'abolition des lois de 1905 sur la laïcité et le retour du catholicisme comme religion d'État. C’est évidemment une atteinte aux institutions, au moins en paroles.  Le RN n’a pas le même discours. Marine Le Pen n'a jamais parlé d’abolir la laïcité. Elle ne parle pas de remigration. Elle n'a jamais dit que l'islam était incompatible avec la République contrairement à Éric Zemmour. Le combat contre les idées du Rassemblement national et celles de Reconquête ne peut être efficace que si on évite les raccourcis hâtifs en se servant de l'histoire. Il faut distinguer ce qui rentre dans la stratégie dite de normalisation de Le Pen ou dans la stratégie politique d’Eric Zemmour. L'extrême droite existe. Il y a eu longtemps un consensus établi des chercheurs pour avaliser l'utilisation de ce terme. Désormais il y a débat. Dans le monde anglo-saxon, on a tendance à utiliser le terme « droite radicale » et il me convient assez pour décrire les partis qui s’inscrivent dans le jeu démocratique tout en se démarquant du consensus par des propositions, au sens premier, « radicales » telles la priorité nationale et l’arrêt de l’immigration. Contrairement à la France qui n’a pas de définition juridique, les Allemands, pour des raisons historiques, ont été amenés à élaborer une définition de l'extrême droite comme de l'extrême gauche qui est utilisée par l’office de protection de la Constitution et les services de renseignement pour décider qui peut être mis sous surveillance. Les Allemands font la différence entre ce qui est extrême et ce qui est radical. Un parti a le droit d'être de droite et d'élaborer un projet politique assez radical dans l'ampleur des réformes qu'il propose à la condition de rester dans le respect de la loi fondamentale de 1949. Le parti est dit extrême quand le type d'État qu’il propose est condamné par la loi fondamentale, par exemple le retour au Grand Reich ou à une vision ethniciste de la citoyenneté allemande. Le Laboratoire de la République : Quelle est la réalité aujourd’hui de ces groupuscules, leur idéologie, méthode et activité ? Jean-Yves Camus : Plusieurs cartes ont montré dernièrement qu'il existait des groupuscules pratiquement dans chaque métropole régionale et dans beaucoup de petites villes : Thionville, Narbonne, Albi, Chambéry, Annecy. Les dissolutions des grands mouvements qui étaient Génération identitaire, l’Œuvre française et le Bastion social entre 2013 et 2021 ont obligé ces gens à contourner le délit de reconstitution de ligne dissoute en formant de petits groupes par scissiparité. Pour un groupe dissous, naissent X groupes qui ont chacun un intitulé différent qui se réfère, le plus souvent, à l'histoire locale. Ils font partie de la mouvance identitaire, ce qui veut dire que ces gens sont des ethno différentialistes, c'est à dire qu’ils pensent que sur une terre ne peut exister que le peuple qui y a des racines millénaires et que les autres ne doivent ni y habiter ni se mélanger. Le sang fait la citoyenneté. Pour comprendre leur idéologie, il faut s'intéresser à ce sujet sur la durée. Or on ne s'intéresse à cette mouvance d'ultra droite ou de droite radicale que lorsqu'il se produit un incident. Dès lors on n'a pas de repères historiques et on a l'impression que ces groupes ne font que se greffer sur un événement. Au contraire, ce sont des acteurs politiques permanents. Certains effectivement suite à la dissolution, se mettent en sommeil, d'autres continuent sous un autre nom et surtout il y en a qui produisent de la théorie. Academia Christiana, dont la dissolution a été annoncée par Gérald Darmanin, a publié un livre de 128 pages qui s'appelle « Programme politique d'une génération dans l'orage » (2022). Il ne faut pas penser que ces gens sont juste des écervelés qui échafaudent des plans pour abattre la République. Jean-Eudes Gannat, qui est l'ancien leader de l’Alvarium dissout, a écrit la préface du programme d'Academia Christiana avec qui il collabore. Il pose dans son texte cette question : pourquoi intituler « programme politique », le manifeste d'un groupe qui ne participe pas aux élections. Pour lui, un programme politique n’est pas quelque chose qui est destiné à arriver au pouvoir. Il explique que les lecteurs d’un programme électoral savent parfaitement celui que les différents partis présentent en période de campagne ne sera pas appliqué, ne sera pas l'action de l'État. Son objectif est de former idéologiquement des gens qui seront des « soldats politiques » (Dominique Venner), des propagandistes, des acteurs, des gens qui, par leur mode de vie, leur attitude, leur degré d'engagement, montreront qu'il est possible de faire de la politique sur d'autres bases que celle du système existant. Le Laboratoire de la République : Les dernières mesures des autorités françaises à leur encontre tel que la dissolution sont-elles efficaces ? Jean-Yves Camus : Les dissolutions ne sont pas entièrement efficaces parce qu'il est illusoire de vouloir éradiquer une mouvance politique. Seul le totalitarisme peut l’éradiquer, évidemment, il ne faut pas en arriver là. On est dans un Etat de droit, où l’on respecte les libertés publiques. Une démocratie est saine quand elle tolère dans son sein des gens qui la remettent radicalement en cause. Il y en aura toujours. La limite est la sécurité de l'État et des institutions mais on doit pouvoir dire qu'on est radicalement contre le consensus. Entretien enregistré le 12 décembre 2023.

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