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DE LA SOBRIETE ET DE LA DECARBONATION

par Brice Lalonde le 19 juillet 2023
La sobriété figure parmi les pistes de la transition énergétique. Elle n’est pas définie et couvre un éventail qui va de l’efficacité énergétique jusqu’au renoncement à des consommations d’énergie jugées dispensables. Brice Lalonde, ancien ministre de l'Environnement et ancien sous-secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, coordonnateur exécutif de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20), nous fait part de son analyse sur la sobriété énergétique en France et les défis à relever dans le domaine.
Pour le gouvernement qui a lancé un plan de sobriété énergétique en octobre 2022, Il s’agit de réduire la consommation d’énergie de la France de 10% en 2024 grâce à « des économies choisies plutôt que des coupures subies », ce qui représenterait une première marche vers l’objectif en 2050 annoncée par le président à Belfort le 8 février 2022 d’une diminution de 40% (la loi Royal prévoyait 50%) de l’énergie finale consommée en France (par rapport à 2012). Le plan énumère une série de propositions d’économies d’énergie dans plusieurs secteurs, les bâtiments, les transports, les entreprises, les collectivités. La consommation de gaz et d’électricité a en effet diminué cet hiver de près de 9%, avec l’aide de prix élevés et d’un hiver clément.Cependant le plan du gouvernement répond à une situation de crise due à l’arrêt du gaz russe et à la découverte de fissures dans les centrales nucléaires, qui a conduit à importer du gaz liquéfié américain et à brûler du gaz et du charbon pour produire de l’électricité, deux palliatifs émetteurs de CO2. Ce n’est donc qu’un apport indirect à la lutte contre le changement climatique puisque consommer moins d’énergie contribue de facto à réduire les émissions de CO2. Toutefois ce qui compte surtout, c’est de réduire la part des énergies fossiles responsables de ces émissions, donc éliminer systématiquement leur emploi dans les transports, les bâtiments, l’industrie, en leur substituant des énergies décarbonées, notamment l’électricité dont la part doit fortement s’accroître. Malheureusement les errements antinucléaires des pouvoirs publics ont fragilisé l’offre d’électricité décarbonée qu’il faut désormais augmenter à marches forcées.Décarboner les usages et les sources d’énergie, tout en maintenant le niveau de vie (débat : c’est quoi ? ) et en préservant la souveraineté, implique de mettre à disposition des Français les moyens adéquats en matière de transport, de logements, de production, de services. C’est ce qu’on résume par l’évocation d’un programme majeur d’industrialisation, lequel va nécessairement consommer de l’énergie. Les gains d’efficacité énergétique apportés par l’électricité suffiront-ils à atteindre l’objectifs de 40% de réduction de la consommation finale d’énergie de la France en 2050 ? Rien n’est moins sûr. En tenant compte de l’intensité énergétique de l’économie française (quantité d’énergie pour produire un point de PIB) et des besoins industriels de la transition énergétique, réduire la consommation d’énergie finale de 40% en 2050 semble hors d’atteinte, même si l’on joue sur l’écart entre les consommations primaire, secondaire et finale (la consommation du vélo est insignifiante tandis qu’il a fallu de l’énergie pour le fabriquer, paradoxe de la transition).La prévision des besoins en électricité pour 2050 s’établit aujourd’hui autour de 750 TWh, une hausse de plus de 60% par rapport à 2019. Il faut en effet additionner l’électrification des véhicules, la fabrication des batteries, l’extraction et le raffinage des matériaux, le passage aux pompes à chaleur dans les bâtiments convenablement isolés, la production d’hydrogène par électrolyse, le déploiement d’éoliennes sur terre et sur mer, le décuplement du parc solaire, la construction d’une trentaine de réacteurs nucléaires nouveaux, le transport de l’électricité, le captage et stockage ou réutilisation du CO2, la fabrication de carburants de synthèse… Ça fait beaucoup ! (L’énergie restante sera consommée sous forme de chaleur renouvelable fournie par le soleil, la géothermie, la maréthermie, la biomasse. Celle-ci pourra également être mise à contribution pour donner du biométhane ou des biocarburants, mais la ressource restera limitée).L’insistance mise sur la réduction de la consommation d’énergie au détriment de celle des émissions de CO2 mène à commettre des erreurs. Ainsi la réglementation thermique des bâtiments a longtemps favorisé le gaz et pénalisé l’électricité. C’est que le gaz brûle avec un bon rendement tandis que l’électricité doit d’abord être produite avant utilisation. Le diagnostic de performance des bâtiments a donc alourdi artificiellement l’électricité d’un handicap appelé « coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire » qui double la consommation électrique réelle utilisée pour le chauffage et l’eau chaude et déclasse les bâtiments alimentés à l’électricité. C’est oublier que l’électricité d’origine nucléaire, hydraulique ou renouvelable ne contribue pas au dérèglement du climat, à la différence du gaz, du fioul ou du charbon. La performance climatique doit éclairer la performance énergétique. Sans doute l’hostilité au nucléaire a-t-elle joué un rôle dans la réprobation de l’électricité.Au-delà des comportements individuels et des politiques d’électrification, la sobriété dépend de l’organisation du temps et de l’espace, des services collectifs, de la mutualisation de certains biens, des produits mis sur le marché, des incitations tarifaires ou fiscales, des lois et règlements. Certains ont suggéré que la semaine de quatre jours et le télétravail relevaient d’une politique de la sobriété. Au reste l’énergie n’est pas seule en cause, mais aussi les aliments, les matériaux, les sols, l’eau, voire le téléphone portable. Est-ce qu’une forme contemporaine de tempérance peut faire écho au « Rien de trop » des Anciens ? Vanter un épicurisme moderne est plus gratifiant que multiplier les interdits. Pour une formation politique sollicitant les suffrages de ses compatriotes, le curseur est difficile à placer entre les nécessités de la transition et les risques de réaction d’électeurs excédés par les admonestations écologistes.Pas de doute cependant, il y a des limites aux capacités de la biosphère à supporter la prédation et les déchets des sociétés humaines (débat : la prédation et les déchets de qui ?), les collapsologues n’ont pas tort de nous alerter. Peut-on croître sans fin ? Il faudrait que l’économie crée de la valeur en allégeant son empreinte écologique, que le capitalisme rétribue le capital naturel, que les passagers du vaisseau spatial Terre se reconnaissent solidaires. On dirait que nos gouvernements, nos entreprises, nos élus prennent conscience de la situation. Les surenchères fusent, les lois se succèdent, mais les progrès sont lents, à chaque jour suffit sa peine. Avons-nous le temps d’attendre qu’un nouvel Adam Smith écrive le livre de l’économie écologique ? que les 190 Etats de la planète s’entendent ? que des partis écologistes libérés du gauchisme émergent enfin ? Le rythme du dérèglement climatique est si terrifiant que l’on se prend à espérer un comité de salut public. Mais je ne suis plus dans la sobriété…

Culture : « Comment renouer le dialogue ? » Telle est la question

par Christian Gonon de la Comédie-française le 17 juillet 2023
La culture, domaine sacrifié pendant l’épidémie de Covid, où chacune de ses cérémonies de remises de prix est scrutée. La relation entre le politique et l’artiste se tend de plus en plus. Le lien entre les deux semble rompu. Le Laboratoire de la République interroge Christian Gonon de la Comédie-Française sur les défis à relever, l’essentialité de la culture et sur cette relation ambiguë. Il était à l’affiche de son seul-en-scène « La pensée, la poésie et le politique » de Karelle Ménine et Jack Ralite où il entrait dans la pensée et la peau de Jack Ralite, ancien ministre, communiste et surtout homme de culture.
Le Laboratoire de la République : Dans votre seul en scène « La pensée, la poésie et le politique » à la Comédie-Française, vous retracez la pensée de Jack Ralite sur la politique culturelle de François Mitterrand à François Hollande. Jack Ralite n’a pas connu celle d’Emmanuel Macron. Pour vous, en tant que comédien, quelles sont les avancées et quels sont les défis à relever ? Christian Gonon : J’ai un mot qui me paraît le plus juste : c’est le dialogue, la restauration du dialogue. Cela vaut sur tous les plans d’une politique qui actuellement manque de dialogue. Je ne m’attaquerai pas à tous les champs que sont la santé, l’éducation, etc. Je resterai sur la culture et particulièrement sur le théâtre parce qu’il y a, me semble-t-il, des zones grises pour moi. Je ne sais pas très bien ce qui se passe. J’ai l’expérience de la Comédie-Française, l’expérience de camarades ayant des compagnies ou qui sont directeurs de théâtre et qui ont aussi leur problématique vis-à-vis de la politique culturelle. Jack Ralite disait qu’il fallait renouer avec le dialogue. Dans les années 60-70, le politique allait au théâtre et il y avait une conversation avec les acteurs ou avec les auteurs, ou avec les musiciens. J’ai un peu connu cela lorsque je suis entré à la Comédie-Française, il y a 25 ans. Je me souviens en particulier de Lionel Jospin qui, à l’époque était un habitué de la CF. Aujourd’hui, c’est plus exceptionnel chez nos politiques. Mes camarades se souviennent de François Mitterrand venant au Français et restant au foyer des artistes, partageant un verre et parlant de la pièce et du théâtre. De mémoire, Jacques Chirac n’est jamais venu au Français. Nicolas Sarkozy est parti à l’entracte de Cyrano car il était en campagne. Il est revenu pour « Juste la fin du monde » de Jean-Luc Lagarce mais il n’a pas beaucoup apprécié la pièce.… François Hollande et Emmanuel Macron fréquentent Richelieu de temps en temps. Aujourd’hui le politique apparaît plutôt comme un gestionnaire et un financier de la Culture mais souvent ne va pas plus loin. L’argent est bien sûr le nerf de la guerre mais il peut y avoir un dialogue plus approfondi, plus intime avec l’artiste. Comment renouer le dialogue ? Telle est la question.Lorsqu’on lui posait des questions sur les politiques qui se désengagent, Jack Ralite répondait : « mais vous, êtes-vous déjà allé écouter un discours politique en entier ? ». Le dialogue est du côté de l’artiste et du politique. Cependant, qu’est ce aujourd’hui être un homme politique ? Existe-t-il une liberté culturelle dans la pratique de l’homme politique ? N’est-ce pas qu’une politique de débats idéologiques sans véritables objectifs ? Jack Ralite disait que faire de la politique, c’est intense, ingrat. Aujourd’hui le politique n’a plus le temps, il manage, il communique, il pare et donne des coups…il s’oppose. Il réagit à chaud. On devrait enlever le « r » et agir. Le Laboratoire de la République : A la fin du spectacle, tous les comédiens et comédiennes de la troupe lisent une lettre à destination d'Emmanuel Macron pour défendre la culture. En quoi la culture est importante et essentielle dans notre société ? Christian Gonon : La culture est essentielle dans notre société parce qu’elle nous permet de nous connaitre et de connaitre l’autre. « L’homme qui lit est un homme qui marche et l’homme qui marche vers un théâtre est un homme qui fait corps avec les autres. Chacun de nous devient un singulier collectif », disait Jack Ralite. On est ensemble. On partage quelque chose, encore faut-il intéresser les autres. Pourquoi la poésie nous déplace ? Elle nous sort de l’esprit mercantile à l’envi, une société de classements, de rentabilité où il faut être le meilleur, faire plein de choses, de plus en plus dans un minimum de temps. On n'apprend plus à se poser, à lire et à regarder. Il faut réhumaniser la société. Donner la possibilité à tout le monde de comprendre qu’on a besoin de tout le monde. Trop de gens restent à l’écart de la culture. La culture et le dialogue vont main dans la main. Qui dit Culture, dit aussi pensée, celle-ci ayant pour objet la connaissance, laquelle s’enrichit du dialogue.Pendant la Covid-19, les comédiens ont été beaucoup aidés au regard de bien d’autres pays. Cependant, les tournées, les achats, la rentabilité des spectacles ont été bousculés. Certaines compagnies sont dans l’eau et n’arrivent pas à s’en sortir. La lettre adressée à Emmanuel Macron est une lettre adressée par Jack Ralite à François Hollande. Je l’ai utilisée car elle collait tellement à tous les présidents et à la défense du patrimoine culturel. J’ai voulu lire cette lettre avec toute la troupe pour donner plus de force au texte. Je ne peux le faire qu’à la Comédie-Française. Soixante comédiennes et comédiens pour une lettre de cinq minutes! Je peux donc que remercier l’institution et l’Etat qui l’aide. Nous sommes très aidés par la tutelle bien que ce ce ne soit pas suffisant pour maintenir nos créations à leur niveau des années antérieures : ainsi, quand je suis entré au Français, il y avait cinq créations à Richelieu. Cette année, il n’y en a que trois. Il y a également des problèmes de rémunération pour les plus bas salaires au sein de la maison. Il y a vingt ans, travailler à la Comédie-Française était vu comme un privilège mais aujourd’hui le prestige d’appartenir à cette institution ne suffit plus.Aujourd’hui, nous parlons souvent de la retombée économique de la culture mais la culture est un autre enrichissement… « La culture c’est le nous extensible à l'infini des humains… » Le Laboratoire de la République : Lors des Molière de 2023, la ministre de la culture a été prise à partie par deux comédiennes et pour la première fois, la ministre s’est immédiatement levée pour répondre aux attaques, est-ce un exemple de la relation entre l’artiste et le politique aujourd’hui ? Comment qualifieriez-vous cette relation ? Christian Gonon : Encore une fois je vais citer Ralite : « Il s’agit maintenant de comprendre comment recréer une dynamique d’échange, sans quoi la panne de dialogue va durer et à sa suite il y aura immanquablement des « retards d’avenir » comme disait Aragon . Mais c’est difficile car le problème a une couleur nouvelle et il est impossible d’utiliser les recettes d’antan.Le politique répète parce qu’il est pris dans une organisation du temps où son travail consiste à accumuler des preuves des actions qu’il produit. Du coup, il additionne. Celui qui prend un nouveau poste va vouloir faire mieux que son prédécesseur, il va vouloir aussi accumuler et gagner au score.La création échappe totalement à la réalité du politique parce qu’elle échappe totalement à la société. On a organisé des chaînes de reproduction, où l’ouvrier répète sans cesse le même geste, mais ce n’est pas lui qui crée, on ne lui laisse pas cette place. Encore une fois la poésie a cette force : elle nous déplace, elle nous fait respirer ».L’artiste est un trublion. Il est le grain de sable dans la chaussure du politique mais il est aussi le fou du roi. Il met en avant l’hypocrisie, la petitesse des choses. On peut lire Shakespeare sur le pouvoir. Le politique craint l’artiste mais ça le dynamise. Il peut y avoir une alliance mystérieuse, une complicité avec chacun son champ d’action et chacun enrichissant l’autre. Il faut que le théâtre dérange... l’Art doit être dangereux !« Le théâtre c’est le bêchage du terrain humain et dans son champ de force très petit se joue toute l’histoire de l’humanité ! »… et cela doit commencer dès l’enfance. Le théâtre éclaire, fait bouger, émeut, nous bouleverse, efface nos certitudes et quand nous sortons d’une représentation nous avons bien souvent plus de questions que de réponses… et cela nous fait avancer !Si chacun reste dans son camp avec l’assurance de son bon droit et cramponné à ses certitudes, on ne peut pas arriver au dialogue et trouver des solutions concrètes. Il faudrait retrouver l’élan créatif des débats lors des états généraux de la culture qu’avait impulsé Jack Ralite en 1987 où il y avait des milliers de personnes au Zénith. Des artistes et des politiques repensaient ensemble l’action culturelle. Le Laboratoire de la République : Si vous ne deviez retenir qu’une seule citation de votre spectacle, ce serait laquelle ? Christian Gonon : René Char : « La réalité ne peut être franchie que soulevée. » Soulevée par la poésie.Ou encore, une citation de Saint-John Perse : « La poésie est le luxe de l’inaccoutumance. Elle est action. Elle est passion. Elle est puissance et novation qui toujours déplace les bords. L’amour est son foyer, l’insoumission, sa loi et son lieu est partout dans l’anticipation. Seule l’inertie est menaçante. » Entretien réalisé le 12 juillet 2023

Perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France

par Antoine Armand le 13 juillet 2023
Le 30 mars 2023, la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France" a rendu son rapport. Ses conclusions décryptent les raisons de ce constat. Le député Antoine Armand évoque pour la commission Défi environnemental du Laboratoire les pistes de solution pour regagner en souveraineté et favoriser sobriété et transition énergétique vertueuse.
Antoine Armand, dans le cadre des travaux de la commission "défi environnemental" du Laboratoire de la République, nous éclaire sur les décisions politiques qui ont conduit à la situation de dépendance énergétique actuelle. Celle-ci a impliqué, l'hiver dernier, la nécessité de prendre des mesures d'urgence en matière de sobriété. Le parlementaire, en revenant sur les principales conclusions de la commission d'enquête, nous explique les grandes orientations qui permettront de retrouver notre souveraineté énergétique et d'optimiser la transition écologique. Regarder l'entretien en entier sur notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=z4asUsyY8co Entretien avec le député Antoine Armand, rapporteur de la commission d'enquête "visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France"

« L’avenir du travail et du dialogue social » avec M. Pénicaud et J.C. Mailly

par L'équipe du Lab' le 27 juin 2023
Mardi 20 juin, le Laboratoire de la République invitait Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail, et Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général de Force Ouvrière à l'hôtel de l'Industrie pour débattre sur l'avenir du travail et du dialogue social.
Le mardi 20 juin 2023, le Laboratoire de la République, dans le cadre des travaux de sa commission République Sociale a organisé une conférence sur "l'avenir du travail et du dialogue social en France" à l'Hôtel de l'Industrie (Paris 6è). Un passionnant débat entre Muriel Pénicaud, ancienne ministre du Travail et Jean-Claude Mailly, ancien secrétaire général de Force Ouvrière a permis d'évoquer les grands enjeux du futur du monde du travail (l'impact des nouvelles technologies et notamment de l'Intelligence artificielle, l'égalité femme-homme, la formation, l'emploi des jeunes et des séniors, la transition écologique, l'importance de la négociation, le rôle des syndicats et ses relations avec les pouvoirs publics...) et de mettre en lumière des pistes d'amélioration au travers des témoignages et réflexions de deux grands acteurs du dialogue social. Edouard Tétreau, essayiste et entrepreneur, a modéré les échanges. Retrouver la captation en son intégralité sur notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=iBGjGB37ezU "L'avenir du travail et du dialogue social en France"

Intelligence artificielle : une trêve de 6 mois pour répondre aux risques encourus

par Malik Ghallab le 22 juin 2023
En mars dernier, Elon Musk et des centaines d’experts ont signé une lettre ouverte demandant la suspension pour six mois des recherches sur les systèmes d’intelligence artificielle plus puissants que GPT-4. Malik Ghallab, directeur de recherche au CNRS, fait parti des signataires. Il nous explique les raisons d'une « pause » dans le développement de l’intelligence artificielle.
Laboratoire de la République : Vous faites partie des signataires de l’appel mondial pour une pause dans le développement de l’Intelligence artificielle (IA) qui a été publié sur le site de la fondation américaine « Future of life » le 29 mars dernier. Pourquoi avez-vous signé cet appel ? Malik Ghallab : Ce que nous demandons dans cet appel, ce n’est pas seulement une pause dans le développement de l’IA mais une pause dans son déploiement et sa diffusion. Bien au contraire, il est nécessaire que les recherches se poursuivent. La pause demandée concerne le déploiement auprès du grand public et l’utilisation par des entreprises qui peuvent être mal avisées. Cet instrument avec des modèles de langages profonds a des performances remarquables et est surprenant sur bien des aspects. Cependant, sa diffusion présente des risques. C’est un constat qui est régulièrement partagé. C’était déjà un sujet central à Paris il y a trois ans lors du Forum de l’IA pour l’humanité qui a réuni 400 à 500 participants à l’échelle internationale. Cette conférence avait d’ailleurs donné lieu à de nombreux documents et à un ouvrage de référence sur le sujet. Le Laboratoire de la République : quels sont ces risques ? Il faut d’abord bien comprendre qu’aujourd’hui la technique de l’IA est en avance sur la science de l’IA. On sait faire beaucoup plus de choses que l’on ne les comprend. Cela peut paraître surprenant mais ce n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire des sciences et techniques. Par exemple, la machine à vapeur a devancé Carnot de trois siècles. Le moteur électrique a devancé Maxwell de près de cinq siècles. En ce qui concerne l’IA, la science était en avance sur la technique depuis les débuts de son développement dans les années 50 jusque dans les années 80 et puis, progressivement, les choses se sont inversées. Aujourd’hui, par conséquent, on ne sait pas expliquer exactement les performances remarquables du système en matière de maîtrise du langage et de développement de raisonnements. Il y a eu un changement de phase important entre la version 2, GPT 2, et la version 3, et encore un changement plus important avec la version 4. L’émergence progressive de compétences argumentatives est étonnante mais difficile à comprendre. Il y a une centaine de publications chaque mois dans les revues scientifiques sur ce sujet. La deuxième source de risques est liée à l’écart entre les possibilités d’adaptation de la société et l’évolution des techniques. Les techniques avancent très vite mais la société a besoin de quelques générations pour pouvoir bien digérer une technique donnée et pour pouvoir mettre en place des garde-fous, des mécanismes de régulation et de contrôle. Aujourd’hui, on avance à une vitesse élevée dans une dynamique qu’on ne contrôle pas. Il n’y a pas de pilote à bord. Sur un certain nombre de sujets, on a besoin de mécanismes de régulation. On sait les mettre en place sur des techniques et technologies plus anciennes, par exemple, dans le domaine du médicament. On ne déploie pas un médicament sitôt que quelqu’un a inventé une molécule. Il se passe de très nombreux mois, voire des années de tests et de validations avant que des autorités spécialisées donnent leur feu vert et disent qu’un médicament peut être utilisé et prescrit par des médecins. Dans d’autres domaines, comme celui des transports, il ne suffit pas qu’un industriel sorte un nouvel appareil pour inviter les passagers à bord. Il peut se passer de longs mois, voire des années avant que l’appareil ne soit certifié. A contrario, il n’y a que très peu de mécanismes de contrôle sur les technologies d’IA. Les garde-fous qui ont été mis en place au niveau européen concernent principalement le respect de la vie privée (par exemple le RGPD) ou l’encadrement de la liberté d’expression : ils ne répondent pas du tout aux risques que posent les technologies d’intelligence artificielle. Laboratoire de la République : Concrètement, quels risques politiques pour notre démocratie pourrait apporter la diffusion de l’IA générative à court terme ? On a parlé de la diffusion de fake news de meilleure qualité par exemple. Malik Ghallab : L’apparition de fake news n’est qu’une des facettes du problème. Ce qui pose fondamentalement problème, c’est que les technologies d’IA confèrent un avantage énorme à ceux qui les possèdent. Elles sont en effet très difficilement reproductibles et déployables. Un modèle comme celui de GPT coûte plusieurs milliards d’euros et demande une somme d’énergie considérable au déploiement. Le développement de ces technologies est extrêmement lourd. On ne pourra pas disposer d’autant de ressources pour développer des modèles alternatifs au sein de laboratoires de recherche. En revanche, l’usage individuel de cette technologie est très simple : ce sont des technologies disponibles. Tout le monde peut interagir avec un système de dialogue. Leur disponibilité individuelle est donc très importante. Mais cette disponibilité individuelle n’a rien à voir avec l’acceptabilité sociale. L’acceptabilité sociale doit prendre en compte des effets à long terme, les valeurs d’une société, la cohésion sociale, etc. ChatGPT va avoir par exemple un impact considérable sur l’emploi : l’acceptabilité sociale va considérablement diminuer si l’outil met des centaines de milliers de personnes au chômage.  Les capacités de manipulation sont également considérables, malgré les précautions prises par OpenAI et les progrès en la matière. L’IA est une technologie clé dans la course à la puissance économique (entre entreprises) et géostratégique (entre États) car elle donne à celui qui la possède des avantages compétitifs immenses. Dans un monde où il y a de plus en plus de conflits ouverts, l’IA va être utilisé pour manipuler des sociétés à grande échelle. Il faut que les sociétés puissent se protéger. Laboratoire de la République : De nombreuses personnalités se sont exprimées pour dire qu’une pause dans le déploiement de l’IA était illusoire. Qu’en pensez-vous ? Peut-on vraiment mettre en place des mécanismes de ralentissement pour pouvoir réguler l’IA rapidement ? Malik Ghallab : Nous n’arriverons pas à mettre en pause le déploiement de l’IA si nous ne faisons que constater plus ou moins cyniquement l’existence des moteurs du développement technique et économique, comme le modèle de capitalisme de surveillance. Beaucoup d’efforts ont été faits au niveau européen en ce qui concerne le respect des données individuelles. Ces règles ont été largement acceptées et bien déployées au-delà de l’Europe. Des mécanismes similaires peuvent être créés si on se donne le temps de comprendre les technologies d’IA. Nous ne pouvons pas à la fois constater les manipulations politiques qui ont été conduites à grande échelle ces dernières années (pensons au scandale Cambridge Analytica) et rester les bras croisés sur l’IA. Cette pétition signée par plus de 20 000 personnes avait pour ambition d’attirer l’attention sur un risque considérable. Pour déployer un outil à une échelle aussi vaste, il faut le maitriser et savoir où il nous conduit. Il faut prendre le temps de comprendre pour réguler son usage. Entretien réalisé par téléphone.

Jeudi 29 juin : « La laïcité pour aujourd’hui et demain »

par L'équipe du Lab' le 21 juin 2023
Jeudi 29 juin, la Commission République laïque du Laboratoire organise sa première conférence sur le sujet : "La laïcité pour aujourd'hui et demain".
Alors même qu’elle a été pensée et concrétisée comme le meilleur moyen de libérer les individus, la laïcité est désormais perçue, notamment chez les jeunes, comme un instrument de coercition qu’exerceraient sur eux les pouvoirs publics. Notre engagement en faveur de la laïcité doit nous conduire, d’une part à un réarmement intellectuel pour revivifier les fondements de l’esprit laïque et sa défense des trois Libertés, de conscience, de pensée et d’expression, et d’autre part, à réenchanter la laïcité. Cette première rencontre de la Commission « République Laïque » du Laboratoire de la République, marque le lancement de notre action et propose de réfléchir autour de trois tables rondes. Celles-ci interrogent des praticiens de terrains, élus, grands témoins tous acteurs de la promotion de la laïcité. Les échanges seront introduits par Jean-Michel Blanquer, président du Laboratoire de la République, et modérés par Michel Lalande, haut fonctionnaire et référent de la Commission « République laïque » du Laboratoire. Nos tables rondes seront les suivantes : 1) La laïcité sur le terrain : Véronique Grandpierre : historienne et inspecteur d’Académie de Paris. Inspecteur pédagogique régional au rectorat de Paris. Référente académique laïcité et faits religieux pour Paris. Iannis Roder : professeur agrégé d’histoire en collège (Seine-Saint-Denis). Membre du Conseil des sages de la laïcité. 2) Les élus face aux enjeux de la laïcité : Caroline Yadan : députée de la 3ème circonscription de Paris. 3) De grands témoins - L'enjeu de la formation : Fahimeh Robiolle : ingénieure nucléaire iranienne, enseignante à Sciences Po et à l'ESSEC. Militante en faveur des femmes iraniennes et afghanes. Pierre-Henri Tavoillot : maître de conférences en philosophie et responsable du DU « référent Laïcité » à la faculté des lettres de Sorbonne Université. Les tables rondes seront suivies d’un dialogue avec la salle. Quand ? Jeudi 29 juin, 19h Où ? Maison de l'Amérique latine 217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris Gratuit, inscription obligatoire Pour vous s'inscrire, cliquez-ici

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