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A Manouchian, la patrie reconnaissante

par Astrig Atamian le 23 février 2024
Astrig Atamian revient sur la panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian. Elle est historienne et chercheuse associée au CERCEC à l’EHESS. Elle a consacré sa thèse de doctorat aux communistes arméniens en France des années 1920 à 1990, travail bientôt publié aux Presses universitaires de Rennes. Elle a coécrit avec Claire Mouradian et Denis Peschanski, « Manouchian. Missak et Mélinée, deux orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française », paru en novembre 2023 aux éditions Textuel.
Le 21 février 2024, quatre-vingt ans après son exécution au Mont-Valérien par les nazis, Missak Manouchian est entré au Panthéon, accompagné de Mélinée qui fut l’amour de sa vie. Reposent symboliquement avec ce couple qu’Aragon et Ferré ont rendu mythique, les autres fusillés FTP-MOI de Paris ainsi qu’Olga Bancic et Joseph Epstein dont les noms sont désormais gravés en lettres d’or dans la crypte du mausolée. Tous, jusqu’alors honorés par leurs descendants et quelques cercles, ont ainsi intégré le roman national. Ces résistants morts pour la France étaient presque tous des étrangers. Ils étaient communistes aussi, partageant ainsi un engagement qui durant l’entre-deux-guerres était un puissant vecteur d’intégration dans la société française. La République a enfin rendu hommage à la composante immigrée de la lutte contre l’occupant. En reconnaissant le rôle qu’ont eu les Français venus d’ailleurs dans la Libération du pays, cette décision hautement politique prise par le Président Emmanuel Macron réunit les mémoires. Au-delà, la panthéonisation de Manouchian réaffirme une conception de la nation fondée sur des valeurs communes et non pas ethniciste. En amont de cette panthéonisation, il y a eu plusieurs mobilisations de personnalités. Celle qui porté ses fruits a été lancée en 2021 par l’association Unité Laïque, présidée par Jean-Pierre Sakoun, qui lutte contre les communautarismes fracturant la société française et défend les principes universalistes de la République. Manouchian était un survivant du génocide des Arméniens perpétrés par les Turcs. Ses camarades de combat avaient fui les persécutions antisémites, le fascisme, la victoire de Franco. Victimes de régimes autoritaires et du racisme, ces Européens étaient habités par les idéaux des Lumières. Ils rêvaient d’émancipation. La France apparaissait comme un phare dans leur nuit. Issus de cultures différentes, ils avaient un même imaginaire peuplé de grands noms : des révolutionnaires de 1789 mais aussi des figures de la littérature. Décortiquer leur francophilie permettrait de réactiver les ressorts d’un softpower qui a depuis perdu de sa superbe. Envisager l’hommage solennel du 21 février 2024 comme une main tendue à l’immigration plus récente et post-coloniale, impose aussi de considérer que la France n’a pas jouit d’une image aussi positive partout. Les « Français de préférence » « dont les noms sont difficiles à prononcer » portent en eux plusieurs identités qui se superposent sans être antagonistes. Manouchian est apatride, il admire la culture de son pays d’adoption dont il demande par deux fois la nationalité. Il est aussi Arménien et se soucie du devenir de l’Arménie qui à cette époque est soviétique. Il est communiste, internationaliste. Il travaille en usine, pose nu comme modèle pour des artistes, rêve d’être poète. Il est intellectuel et sportif. Rédacteur d’un journal communiste arménien dans le Paris du Front populaire, il fait la promotion du « rapatriement » des réfugiés vers la mère patrie mais n’envisage pas de quitter la France. Membre du PCF, il n’adhère toutefois pas à la ligne du pacte germano-soviétique renvoyant dos à dos Hitler et Churchill. En septembre 1939, alors qu’il est emprisonné à la prison de la Santé en tant que suspect car communiste, il insiste pour être sous les drapeaux. C’est depuis sa caserne en Bretagne où on le voit porter fièrement l’uniforme qu’il dépose une deuxième demande de naturalisation en janvier 1940. Quelques plus tard, la France est occupée. Manouchian est bientôt sollicité par la MOI pour mener un combat clandestin politique puis militaire à partir de début 1943. La suite est connue. L’héritage qu’il entend laisser est contenu dans sa dernière lettre. « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement », écrit-il deux heures avant de mourir.

Haut-Karabagh : les réalités du nettoyage ethnique

par Hovhannès Guévorkian le 10 novembre 2023
Dans cet entretien exceptionnel, Hovhannès Guévorkian, Haut-représentant du Haut-Karabagh, dévoile les sombres réalités du conflit arménien post-offensive de Bakou. Alors que le patrimoine culturel et religieux est en péril, plus de 100 000 personnes ont fui vers l'Arménie, laissant derrière elles une terre déchirée. H. Guévorkian évoque les conditions de vie des réfugiés, les solutions afin de préserver l'identité et l'avenir de la région, ainsi que les défis existentiels de la représentation arménienne.
Le Laboratoire de la République : Pouvez-vous, quelques semaines après l’offensive menée par Bakou et la dramatique invasion du Haut Karabagh du 19 septembre dernier, nous faire part des informations que vous avez sur la situation sur place ? Vous mentionniez lors de notre récente conférence qu’il ne restait que 8 arméniens localement et que le patrimoine culturel et religieux était en grand danger. Hovhannès Guévorkian : Il me semble nécessaire de rappeler que l'agression menée par le régime de Bakou le 19 et le 20 septembre 2023 contre l’Artsakh (le Haut-Karabagh), a été précédée d’un blocus imposé durant près de 10 mois. Le blocus routier s’est accompagné d’un blocus énergétique et communicationnel avec la coupure de toutes les infrastructures d’acheminement (gaz, électricité et fibre optique). La famine s’est instaurée en Artsakh et la situation sanitaire y était également catastrophique. C’est dans ces conditions que les Arméniens d’Artsakh ont été soumis durant 36 heures à de bombardements azerbaidjanais intenses, conduisant les autorités artsakhiotes à se rendre. L’agression a provoqué un exode massif de quelques 105 000 Arméniens restants, les contraignants à quitter leur terre d'origine pour trouver refuge dans la République d'Arménie. Je voudrais souligner que ce déplacement forcé s'est déroulé dans les pires conditions imaginables. Il en résulte une véritable épuration ethnique, ainsi que l’a qualifié le Parlement européen par une résolution adoptée le 5 octobre 2023. Aujourd’hui, l’Artsakh est vidé de sa population. Seulement une petite dizaine d’Arméniens dans l’incapacité de se déplacer y sont restés. Cette région autrefois vibrante se retrouve avec ses villes et ses villages déserts. Afin d’anéantir toute velléité de résistance, les autorités politiques actuelles de la République d’Artsakh et ses anciens dirigeants ont été arrêtées par l’Azerbaïdjan. Maintenant que presque tous les habitants ont été chassés de cette terre, Bakou persiste dans sa politique de réécriture de l'histoire en attribuant de fantaisistes origines albanaises au patrimoine culturel arménien. Cette stratégie met en danger des siècles d’héritage arménien, témoin irremplaçable de la présence arménienne millénaire en Artsakh. L'Azerbaïdjan s'efforcera d'effacer les traces de l'existence des Arméniens en Artsakh, reproduisant ainsi des pratiques déjà observées dans d'autres régions arméniennes telle que la région de Nakhitchevan, où au début du siècle dernier la population arménienne était majoritaire. La présence arménienne a été complètement éradiquée, tout comme nos édifices religieux. Nos cimetières ont même été rasés. Les autorités azéries ont délibérément créé des environnements dénaturés, dans le but que les Arméniens ne souhaitent plus revenir, confrontés à la disparition totale de leur patrimoine. Le Laboratoire de la République : Plus de 100 000 personnes ont été contraintes de fuir, ce qui est dénoncé comme une volonté de purification ethnique, pour gagner l’Arménie. Quelle est aujourd’hui la réalité vécue par les réfugiés ? Hovhannès Guévorkian : Avant d'aborder les événements constitutifs d'un nettoyage ethnique, je voudrais mettre en lumière les actions entreprises par l'Azerbaïdjan depuis sa victoire militaire contre l’Artsakh en 2020. Bakou a mis en œuvre une politique de terreur à l'encontre de la population arménienne : appels quasi quotidiens par les haut-parleurs incitant les Arméniens à quitter leurs terres sous peine de représailles, tirs de snipers assassinant des paysans cultivant leurs terres ou des techniciens venus réparer une conduite d’eau ou un équipement électrique, utilisation la nuit des projecteurs lumineux visant les maisons des villageois arméniens des zones frontalières pour les empêcher de dormir, le tout attesté par des centaines de photos et de vidéos. La politique mise en place par l’Azerbaïdjan est sans ambiguïté une politique criminelle de déplacement forcé de la population arménienne. Les éléments des crimes de la Cour Pénale internationale précisent que le terme « de force » ne se limite pas à la force physique et peut comprendre un acte commis à l’encontre des personnes de la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un climat coercitif. Je souhaite citer également Luis Moreno Ocampo, ancien procureur général de la Cour Pénale Internationale, qui qualifie les actions de l’Azerbaïdjan de génocide. D’après le magistrat, on peut qualifier ces actions de processus génocidaire car il y a une réelle intention de détruire en tout ou en partie, les Arméniens d’Artsakh. Affamer une population, ne pas l’alimenter en électricité et en eau, en clair mettre en place des conditions aboutissant à leur disparition, c’est aussi un génocide au titre de la Convention de 1948. J’aimerai reprendre la citation de Hubert Heckmann, enseignant et chercheur en littérature médiévale, qui dédiait un article le 6 octobre dernier à la presse Figaro, « pour l’Azerbaïdjan, il ne suffit pas de chasser les Arméniens de leurs terres, il faut aussi qu’ils n’aient jamais existé. Cette forme extrême de cancel culture fait partie du processus génocidaire ». Quant à la situation actuelle des réfugiés, il est important de souligner l'impact psychologique et émotionnel. Ce déplacement massif a engendré des traumatismes, plongeant les personnes concernées dans un sentiment de déracinement, de choc moral, de deuil, d'isolement, d'anxiété et d’incertitude. Une autre réalité est d’envergure politique. Le refus de la communauté internationale à reconnaitre le droit à l’autodétermination des Arméniens d’Artsakh face à la politique agressive, raciste et arménophobe de l’Azerbaïdjan laisse les personnes déplacées de force dans une situation précaire. En abordant la dimension économique, les réfugiés artsakhiotes se trouvent désormais démunis, ayant été contraints de quitter leur terre et d’abandonner leurs emplois ainsi que leurs logements. La République d’Arménie a pris l'engagement de faciliter une intégration rapide des réfugiés, mettant en œuvre diverses mesures tels le soutien au logement, l'assistance dans la recherche d'emplois, et la fourniture de biens de première nécessité. Le Laboratoire de la République : La création d’une délégation de l’Artsakh en exil est-elle une option envisageable ? Hovhannès Guévorkian : Entretenir un espoir quant à la restauration des droits des Artsakhiotes, dépossédés de leur terre et de leur patrimoine, demeure une priorité et constitue l'un de nos objectifs fondamentaux. L'enjeu est bien évidemment de taille, il s’agit de restaurer les Artsakhiotes dans leurs droits légitimes. Cette cause jouit non seulement dans la dynamique positive instaurée en France par les amis de l'Arménie et de l'Artsakh, mais elle bénéficie également d'un vaste soutien sociétal et politique qu’il faut considérer à sa juste valeur. Ces appuis nous engagent fermement à persévérer dans notre action politique. Au sein de la Représentation et avec le soutien de nos alliés, une réflexion approfondie est en cours pour déterminer la forme politique que pourrait adopter cet engagement renouvelé. Cette démarche est motivée par une volonté clairement exprimée par ceux qui refusent de rester indifférents face au sort inhumain et injuste infligé aux Arméniens de l’Artsakh. Crédit photo : Lydia Kasparian Le Représentant - Représentation Permanente de la République d'Artsakh en France (haut-karabagh.com) Importante mobilisation pour l'Arménie et le Haut-Karabagh - Laboratoire de la République (lelaboratoiredelarepublique.fr)

Importante mobilisation pour l’Arménie et le Haut-Karabagh

par L'équipe du Lab' le 21 octobre 2023
Jeudi 19 octobre, face au drame du Haut-Karabagh et aux menaces pesant sur l’Arménie, le Laboratoire de la République a organisé un évènement en présence de nombreuses personnalités politiques et intellectuelles ayant pour objet de décrypter les enjeux humanitaires et géopolitiques de la tragédie en cours et de fédérer le plus grand nombre autour de propositions concrètes.
Hovhannès Guévorkian, Représentant du Haut-Karabagh en France a indiqué que, suite à l’attaque éclair du 19 septembre de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh, 105 000 Arméniens ont été déplacés de force. D’après les informations officielles, il ne resterait sur place que huit Arméniens. Hasmik Tolmajian, Ambassadrice de la République d’Arménie, a rappelé que cette guerre s’inscrit dans l’histoire longue du génocide arménien. L’objectif de l’Azerbaïdjan et de la Turquie est de continuer à détruire ce peuple. « On assiste au rétrécissement de l’espace démocratique face à l’obscurantisme. L’Arménie formule son inquiétude car la perte du Haut-Karabagh a fragilisé nos frontières. L’Azerbaïdjan ne veut pas négocier. Si c’était le cas, 30 ans d’efforts diplomatiques auraient été économisés. » a-t-elle déclaré. Pour Nathalie Loiseau, Députée européenne, nous avons collectivement échoué. Les mesures à prendre aujourd’hui seraient d’envoyer des armes à l’Arménie comme la ministre Catherine Colonna l’a annoncé et de renforcer la mission européenne aux frontières. « On rêve tous de sanctions contre le dictateur d’Azerbaïdjan Ilham Aliyev et sa famille, mais pour cela il faudrait obtenir l’unanimité des pays membres de l’UE, or aujourd’hui, on ne l’a pas. » a-t-elle ajouté. Sa collègue allemande au parlement européen Viola Von Cramon-Taubadel a confirmé sa conviction de la nécessité de sanctions fortes et d’initiative pour contrer le dessein de l’Azerbaïdjan. Pour Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale, l’annexion du Haut-Karabagh est sans réelle surprise. « Nous savions qu’il en serait ainsi et n’avons pas été en mesure de l’éviter. » a-t-il déclaré. « Nous n’avions pas le soutien des Etats-Unis, Israël a conclu des accords avec Bakou et n’a pas hésité à armer l’Azerbaïdjan, la Turquie a apporté des armes et des techniques militaires à l’Azerbaïdjan, c’était un piège absolu. » Désormais, les priorités sont de : garantir la sécurité et l’indépendance des frontières de l’Arménie ; aider militairement l’Arménie ; apporter des garanties juridiques internationales ; assurer la préservation du patrimoine culturel et religieux ; s’occuper des réfugiés : « l’Union européenne s’honorerait de mettre en place un plan Marshall de réinstallation des populations réfugiées. Nous répondrions à la demande d’une population qui mérite notre solidarité. » a ajouté Jean-Louis Bourlanges. Quant à Xavier Bertrand, Président du conseil régional des Hauts-de-France présent hier soir parmi de nombreux responsables politiques de tous bords, il a appelé le Président de la République à se rendre en Arménie et a évoqué notre devoir de tout faire pour libérer les Représentants du Haut-Karabagh, retenus prisonniers dans les prisons de Bakou, dont l’ancien Président de la République du Haut-Karabagh et l’ancien Premier ministre, coupables d’être arméniens et démocrates, ainsi que celle des quarante prisonniers de guerre illégalement détenus depuis 2020. « Quelque chose de très grave s’est passé, cela ne veut pas dire que l’on doit accepter. Nous ne sommes pas seuls et devons nous attacher collectivement à mobiliser les opinions publiques mondiales. » a conclu Jean-Michel Blanquer, Fondateur du Laboratoire de la République. Retrouvez la captation de l'évènement sur notre chaîne Youtube : https://youtu.be/x0-lwKOJ3aE Je signe l'Appel pétition de 50 intellectuels européens : « Pour l’Arménie et l’Artsakh »

Marseille : la cause arménienne est l’affaire de tous

le 20 octobre 2023
La mobilisation arménienne du 19 octobre a permis le lancement de l'antenne du Laboratoire à Marseille. Des chercheurs, élus, associations et citoyens se sont réunis pour échanger sur la situation de l'Arménie après l'agression du Haut-Karabagh. En présence de Pascal Chamassian, responsable Amnésie internationale - Jeunesse Arménienne de France, Taline Papazian, docteur en science politique, enseignante à Sciences Po Aix et directrice de l'ONG Armenia Peace Initiative et la députée Anne-Laurence Petel, présidente du groupe d'amitié France-Arménie à l'Assemblée nationale.
https://youtu.be/HLwBJmlciV0 Prise de parole d'Anne-Laurence Petel, députée des Bouches-du-Rhône et présidente du groupe d'amitié France-Arménie à l'Assemblée nationale

Jeudi 19 octobre : Drame du Haut Karabagh et menaces sur l’Arménie (complet)

par L'équipe du Lab' le 7 octobre 2023
Jeudi 19 octobre, à la Maison de l'Amérique latine, le Laboratoire de la République vous invite à la première étape d’une mobilisation de l’opinion publique face au drame du Haut-Karabakh et aux menaces pesant sur l’Arménie.
Face au drame du Haut-Karabakh et aux menaces pesant sur l’Arménie, le Laboratoire de la République vous invite le 19 octobre prochain à la première étape d’une mobilisation de l’opinion publique. L’objectif de cette initiative est de décrypter les enjeux humanitaires et géopolitiques de la tragédie en cours et de fédérer le plus grand nombre autour de propositions concrètes. En présence de Hasmik Tolmajyan, ambassadrice d’Arménie en France Hovhannès Guévorkian, représentant du Haut-Karabagh Nathalie Loiseau, député européenne Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale Tigrane Yegavian, chercheur et auteur, spécialiste géopolitique Jean-Christophe Buisson, journaliste et spécialiste de l’Arménie et de plusieurs associations arméniennes, de nombreux intellectuels et politiques qui s’engagent aux côtés du Laboratoire pour qu’un soutien et des solutions durables s’organisent. Nous croyons en la puissance de la réflexion collective et de l'engagement. Joignez vous à nous pour promouvoir des solutions afin d'apporter un soutien significatif à l'Arménie et à la région du Haut-Karabagh. Quand ? Jeudi 19 octobre, 19h Où ? Maison de l’Amérique latine 217, Boulevard Saint-Germain, 75007 Paris NOMBRE DE PLACES ATTEINT.

« L’Arménie est à nouveau victime de la géopolitique des empires »

par Tigrane Yegavian le 18 octobre 2022
Tigrane Yegavian, chercheur au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), est titulaire d’un Master en politique comparée spécialité monde Musulman de Sciences Po Paris et doctorant en histoire contemporaine. Depuis 2015, il publie de nombreux ouvrages sur l’Arménie dont "Arménie, à l’ombre de la montagne sacrée" aux Éditions Nevicata. Il revient pour le Laboratoire sur la situation au Haut -Karabakh et décrypte les relations géopolitiques pour mieux comprendre les enjeux qui se dressent devant nous.
Le Laboratoire de la République : Comment évaluez-vous la situation, le degré de violences actuel dans ce secteur du Haut-Karabagh ? Au regard de la mobilisation de la communauté internationale et la diaspora arménienne avons-nous affaire à une résurgence des années sombres du génocide de 1915 ? Tigrane Yegavian : Ce qui reste du Haut Karabagh arménien, un territoire réduit à sa portion congrue environ 2900 km², relié à l’Arménie par un étroit corridor gardé par les troupes russes d’interposition. La guerre de l’automne 2020 a été particulièrement cruelle, l’usage d’armes prohibées (sous munition, phosphore, etc.) ont eu des effets atroces sur les populations civiles et militaires impactées. A la suite des incursions frontalières de l'Azerbaïdjan en Arménie le 13 septembre 2022, au moins 53 km² de territoire supplémentaire sont passés sous contrôle azéri, en plus de 77 km² près de Verin Shorzha et de 20 km² près du lac Sev contrôlés depuis le printemps 2021. Pour mieux comprendre ce degré de violence inouï depuis 1992 - 1994, il faut avoir à l’esprit que les Azerbaidjanais veulent venger l’humiliation subie par le maintien de larges portions de leurs territoires sous contrôle arménien. Toute une génération a été nourrie au venin de l’arménophobie et de la soif de revanche. Un discours savamment orchestré par le régime Aliyev qui a fait des Arméniens les boucs émissaires de tous les malheurs de l’Azerbaïdjan et n’a pas hésité à les déshumaniser en voulant « les chasser comme des chiens ». En cela on peut dire que la politique azerbaïdjanaise a une dimension génocidaire car sur les territoires repris aux Arméniens ils organisent une politique de nettoyage ethnique systématique doublée d’un ethnocide. Ils détruisent tout ce qui peut rappeler une présence arménienne (églises, pierres tombales, monuments divers…) ; organisent une pression continue sur la population restante en les encourageant au départ. Dans les zones reprises sous leur contrôle partie à Chouchi et à Hadrout, le patrimoine arménien a été défiguré ou détruit en grande partie.  La communauté internationale a ignoré cette guerre ; le principe d’intégrité territoriale a donné un blanc-seing à l’État azerbaïdjanais, alors que nous savons pertinemment que la Turquie étaient aux commandes des opérations. Les Turcs ont non seulement envoyé des mercenaires syriens se faire tuer sur les premières lignes mais ont pris le commandement des opérations aériennes via l’usage de leurs drones bayraktar et l’envoi de forces spéciales. Seuls, face aux Turco Azéris, les Arméniens ont revécu les pires heures de leur histoire dans une indifférence quasi générale.* Le Laboratoire de la République : En quoi l’enjeu de civilisation (culture, religion) est-il posé et serait en danger ? Tigrane Yegavian : La lecture civilisationnelle a été retenue par quelques ONG comme SOS Chrétiens d'Orient et un certains nombre d'intellectuels français. Il existe des rapports comme celui de l’institut Lemkine de prévention des crimes de masse et un autre rapport de l’ONU, qui ont alerté des con-séquences du discours de haine anti arménienne et la volonté d’éradiquer toute trace de cette civilisation. La Turquie, voudrait répliquer au Caucase ce qu’elle a fait en Syrie, pour en chasser les Chrétiens au nord du pays. Depuis 1992-93 Ankara soutient Bakou par un blocus de l’Arménie, en fermant la frontière commune, et fait tout pour dévitaliser le pays, pour l’étouffer. L’Arménie est en danger, car l’Azerbaïdjan, qui lui est largement militairement supérieur grâce à ses revenus pétroliers, a clairement annoncé son intention d’attaquer et de capturer de nouveaux territoires au sud du pays. Je retiens surtout que l’Arménie est à nouveau une victime de la géopolitique des empires. Russes et Turcs se sont entendus pour coopérer sur certains dossiers qui dépassent de très loin la seule région du Caucase du Sud. Le Laboratoire de la République : Peut-on estimer que la Russie dans son effort de déstabilisation souhaite créer le désordre dans le Caucase pour nous déstabiliser, nous européens ?  Tigrane Yegavian : Moscou a conclu un pacte de défense avec l'Arménie en 1997 et y possède une base militaire, elle a déployé des milliers de casques bleus dans la région après un cessez-le-feu en 2020. Cela a réaffirmé son rôle de gendarme et de principal courtier de pouvoir dans la partie volatile de l'ancienne Union soviétique, où la Turquie exerce également une influence croissante grâce à son alliance étroite avec l’Azerbaïdjan. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Azerbaïdjan repasse à l’offensive au Karabagh, et grignote les zones arméniennes, avec l’accord de la Russie qui ne veut surtout pas s’aliéner ce partenaire stratégique. La preuve : deux jours avant le début de la guerre, Vladimir Poutine avait reçu son homologue azéri au Kremlin, pour signer un accord sur l’exportation de gaz russe. Bakou et Moscou dont les entreprises publiques de gaz et de pétrole sont activement présentes en Azerbaïdjan, avaient signé un nouveau partenariat pour les exportations de gaz naturel des deux pays, en vertu duquel les Russes pourraient contourner les sanctions via leur partenaire azéri. Le Laboratoire de la République : La proposition de Vladimir Poutine à Recep Tayyip Erdogan de créer un « hub gazier » en Turquie pour exporter vers l’Europe s’inscrit-elle dans cette logique et faire de l’économie des matières premières un argument de négociation politique ? Tigrane Yegavian : L’alliance arméno-russe est imparfaite et dictée par les seuls intérêts de la Russie. La Russie et la Turquie ont renoué avec la rivalité compétitive qui fait d’eux des partenaires et non des al-liés, liés par une commune volonté de maintenir l’Occident à l’écart de leurs zones d’influence qu’ils se partagent de la Libye au Caucase. Nous évoluions dans un monde de plus en plus dangereux et instable car il n’y a plus de systèmes d’alliances mais des partenariats extrêmement volatils et fluctuants au fil des opportunités. La guerre de 2020 a acté la mise à mort du groupe de Minsk et le retrait des Occidentaux du règlement du conflit pour en faire un condominium russo-turc. Il ne s’agit pas, selon moi, d’un conflit bilatéral l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais bien d’un conflit mondialisé, d’une sorte de « billard à plusieurs bandes » entre grandes puissances impérialistes -la Russie et la Turquie- dans lequel l’Arménie fait figure de monnaie d’échange, ou de variable d’ajustement. En cela, l’Arménie peut disparaître comme État, car elle sera avalée par la géopolitique des empires. En 2020, à la faveur du conflit au Karabagh, où elle s’est refusée à intervenir, la Russie a obtenu ce qu’elle n’avait pu gagner en 1994, au moment de la première guerre du Karabagh : une force d’interposition, prétextant qu’il y ait une population civile à défendre. Mais, loin de vouloir défendre les Arméniens du Karabagh, Moscou veut avoir un levier de pression sur Bakou et revenir en force dans son « étranger proche », cette zone d’influence traditionnelle où elle est présente depuis le tout début du XIXe siècle. Moscou récupère ce qu’elle considère comme sa zone d’influence. Mais aux yeux des Azéris, il s’agit d’une force d’occupation. Le Karabagh est devenu une province russe sans statut, où le russe est désormais deuxième langue officielle, une sorte de protectorat à l’instar de la Transnistrie en Moldavie (non reconnu par Moscou) ou encore de l’exclave de Kaliningrad. Haut-Karabakh : comprendre ce conflit centenaire qui embrase les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie (lemonde.fr)

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