Défi environnemental

DE LA SOBRIETE ET DE LA DECARBONATION

par Brice Lalonde le 19 juillet 2023
La sobriété figure parmi les pistes de la transition énergétique. Elle n’est pas définie et couvre un éventail qui va de l’efficacité énergétique jusqu’au renoncement à des consommations d’énergie jugées dispensables. Brice Lalonde, ancien ministre de l'Environnement et ancien sous-secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, coordonnateur exécutif de la Conférence des Nations unies sur le développement durable (Rio+20), nous fait part de son analyse sur la sobriété énergétique en France et les défis à relever dans le domaine.

Pour le gouvernement qui a lancé un plan de sobriété énergétique en octobre 2022, Il s’agit de réduire la consommation d’énergie de la France de 10% en 2024 grâce à « des économies choisies plutôt que des coupures subies », ce qui représenterait une première marche vers l’objectif en 2050 annoncée par le président à Belfort le 8 février 2022 d’une diminution de 40% (la loi Royal prévoyait 50%) de l’énergie finale consommée en France (par rapport à 2012). Le plan énumère une série de propositions d’économies d’énergie dans plusieurs secteurs, les bâtiments, les transports, les entreprises, les collectivités. La consommation de gaz et d’électricité a en effet diminué cet hiver de près de 9%, avec l’aide de prix élevés et d’un hiver clément.
Cependant le plan du gouvernement répond à une situation de crise due à l’arrêt du gaz russe et à la découverte de fissures dans les centrales nucléaires, qui a conduit à importer du gaz liquéfié américain et à brûler du gaz et du charbon pour produire de l’électricité, deux palliatifs émetteurs de CO2. Ce n’est donc qu’un apport indirect à la lutte contre le changement climatique puisque consommer moins d’énergie contribue de facto à réduire les émissions de CO2. Toutefois ce qui compte surtout, c’est de réduire la part des énergies fossiles responsables de ces émissions, donc éliminer systématiquement leur emploi dans les transports, les bâtiments, l’industrie, en leur substituant des énergies décarbonées, notamment l’électricité dont la part doit fortement s’accroître. Malheureusement les errements antinucléaires des pouvoirs publics ont fragilisé l’offre d’électricité décarbonée qu’il faut désormais augmenter à marches forcées.
Décarboner les usages et les sources d’énergie, tout en maintenant le niveau de vie (débat : c’est quoi ? ) et en préservant la souveraineté, implique de mettre à disposition des Français les moyens adéquats en matière de transport, de logements, de production, de services. C’est ce qu’on résume par l’évocation d’un programme majeur d’industrialisation, lequel va nécessairement consommer de l’énergie. Les gains d’efficacité énergétique apportés par l’électricité suffiront-ils à atteindre l’objectifs de 40% de réduction de la consommation finale d’énergie de la France en 2050 ? Rien n’est moins sûr. En tenant compte de l’intensité énergétique de l’économie française (quantité d’énergie pour produire un point de PIB) et des besoins industriels de la transition énergétique, réduire la consommation d’énergie finale de 40% en 2050 semble hors d’atteinte, même si l’on joue sur l’écart entre les consommations primaire, secondaire et finale (la consommation du vélo est insignifiante tandis qu’il a fallu de l’énergie pour le fabriquer, paradoxe de la transition).
La prévision des besoins en électricité pour 2050 s’établit aujourd’hui autour de 750 TWh, une hausse de plus de 60% par rapport à 2019. Il faut en effet additionner l’électrification des véhicules, la fabrication des batteries, l’extraction et le raffinage des matériaux, le passage aux pompes à chaleur dans les bâtiments convenablement isolés, la production d’hydrogène par électrolyse, le déploiement d’éoliennes sur terre et sur mer, le décuplement du parc solaire, la construction d’une trentaine de réacteurs nucléaires nouveaux, le transport de l’électricité, le captage et stockage ou réutilisation du CO2, la fabrication de carburants de synthèse… Ça fait beaucoup ! (L’énergie restante sera consommée sous forme de chaleur renouvelable fournie par le soleil, la géothermie, la maréthermie, la biomasse. Celle-ci pourra également être mise à contribution pour donner du biométhane ou des biocarburants, mais la ressource restera limitée).
L’insistance mise sur la réduction de la consommation d’énergie au détriment de celle des émissions de CO2 mène à commettre des erreurs. Ainsi la réglementation thermique des bâtiments a longtemps favorisé le gaz et pénalisé l’électricité. C’est que le gaz brûle avec un bon rendement tandis que l’électricité doit d’abord être produite avant utilisation. Le diagnostic de performance des bâtiments a donc alourdi artificiellement l’électricité d’un handicap appelé « coefficient de conversion de l’électricité en énergie primaire » qui double la consommation électrique réelle utilisée pour le chauffage et l’eau chaude et déclasse les bâtiments alimentés à l’électricité. C’est oublier que l’électricité d’origine nucléaire, hydraulique ou renouvelable ne contribue pas au dérèglement du climat, à la différence du gaz, du fioul ou du charbon. La performance climatique doit éclairer la performance énergétique. Sans doute l’hostilité au nucléaire a-t-elle joué un rôle dans la réprobation de l’électricité.
Au-delà des comportements individuels et des politiques d’électrification, la sobriété dépend de l’organisation du temps et de l’espace, des services collectifs, de la mutualisation de certains biens, des produits mis sur le marché, des incitations tarifaires ou fiscales, des lois et règlements. Certains ont suggéré que la semaine de quatre jours et le télétravail relevaient d’une politique de la sobriété. Au reste l’énergie n’est pas seule en cause, mais aussi les aliments, les matériaux, les sols, l’eau, voire le téléphone portable. Est-ce qu’une forme contemporaine de tempérance peut faire écho au « Rien de trop » des Anciens ? Vanter un épicurisme moderne est plus gratifiant que multiplier les interdits. Pour une formation politique sollicitant les suffrages de ses compatriotes, le curseur est difficile à placer entre les nécessités de la transition et les risques de réaction d’électeurs excédés par les admonestations écologistes.
Pas de doute cependant, il y a des limites aux capacités de la biosphère à supporter la prédation et les déchets des sociétés humaines (débat : la prédation et les déchets de qui ?), les collapsologues n’ont pas tort de nous alerter. Peut-on croître sans fin ? Il faudrait que l’économie crée de la valeur en allégeant son empreinte écologique, que le capitalisme rétribue le capital naturel, que les passagers du vaisseau spatial Terre se reconnaissent solidaires. On dirait que nos gouvernements, nos entreprises, nos élus prennent conscience de la situation. Les surenchères fusent, les lois se succèdent, mais les progrès sont lents, à chaque jour suffit sa peine. Avons-nous le temps d’attendre qu’un nouvel Adam Smith écrive le livre de l’économie écologique ? que les 190 Etats de la planète s’entendent ? que des partis écologistes libérés du gauchisme émergent enfin ? Le rythme du dérèglement climatique est si terrifiant que l’on se prend à espérer un comité de salut public. Mais je ne suis plus dans la sobriété…

Le Laboratoire
de la République

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