République indivisible

Entreprises : le temps des valeurs républicaines est venu

par Arielle Schwab , Benoit Lozé le 7 avril 2022
Trois ans après la loi Pacte, le réengagement des entreprises dans la Cité est acté. Auteurs d’une étude sur le regard des Français sur la République et les principes républicains, Arielle Schwab et Benoît Lozé, du groupe Havas, nous ont expliqué pourquoi il est de plus en plus essentiel de revendiquer des valeurs ou un combat républicains.
Entreprises

Vous avez publié au printemps dernier une étude sur le regard des Français sur la République et les principes républicains. Est-ce que les Français ont confiance en les entreprises aujourd’hui en ce qui concerne la défense des valeurs républicains ? 

Benoit Lozé : Dans notre étude, nous avons posé une question principale aux sondés : que serait pour vous une entreprise républicaine aujourd’hui en France ? Ils nous ont répondu en identifiant clairement des mesures et des manières de faire prioritaires. Les Français ont donc une vision assez claire de ce qui définirait une entreprise républicaine.

Le premier grand champ d’attente, c’est celui du patriotisme économique. Pour 92% de sondés, une entreprise républicaine, ce serait ainsi une entreprise qui paie ses impôts en France ; pour 89%, une entreprise engagée dans le made in France ou dans la relocalisation de ses activités.

Le deuxième champ d’attente, c’est celui de l’égalité : une entreprise républicaine, pour les Français, ce serait une entreprise qui œuvre pour l’égalité à tous les niveaux. Une entreprise républicaine, ce serait ainsi, pour 90% des sondés, une entreprise qui fait respecter le principe d’égalité hommes/femmes, pour 83% une entreprise au sein de laquelle la progression de carrière, les promotions se font uniquement au mérite. Enfin l’introduction d’un long congé paternité est un marqueur fort.  

Il y a enfin un troisième champ : celui de l’universel. L’entreprise républicaine, pour les Français, ce serait une entreprise qui résiste à une conception communautaire de la société. Pour 82% des sondés, une entreprise républicaine ferait respecter de façon stricte la laïcité, par exemple en interdisant les signes religieux ostentatoires ou en mettant en place une charte de la laïcité. 

Est-ce que tout cela mit bout à bout, signifie que les Français comptent sur les entreprises pour défendre la République ? C’est en tout cas notre conviction et c’est notre souhait. Les entreprises ont conscience du rôle de plus en plus politique et sociétal qu’elles doivent tenir. Nous voulons leur dire : vous avez le choix entre embrasser des valeurs importées du monde anglo-saxon et américain, ou vous positionner sur des valeurs plus européennes ou françaises. Faites selon ce qui est cohérent selon votre héritage, vos valeurs et regardez aussi ce qu’attendent des Français en la matière. 

Arielle Schwab : D’une part, en effet, l’entreprise est de plus en plus attendue et de plus en plus crédible pour se positionner sur des enjeux politiques et des thématiques jusqu’ici réservées au régalien, que ce soit la lutte contre le réchauffement climatique ou sur des sujets de société. De plus en plus d’entreprises prennent par conséquent la parole et mettent en place des actions sur ces terrains-là. D’autre part, on se rend compte avec cette étude, que pour les Français, les valeurs républicaines sont des valeurs crédibles, d’avenir, et peu clivantes. On a demandé aux Français ce qu’évoque le concept de « République » pour eux, ils nous ont répondu que c’était un concept « positif » pour 79% d’entre eux, un concept « qui rassemble » pour 72%, et un concept « qui constitue un modèle d’avenir » pour 67%. Il y a donc une projection très positive sur le champ des valeurs républicaines. Enfin, les Français que nous avons interrogés confirment que les entreprises font partie des acteurs auxquels ils font confiance pour préserver et porter les valeurs républicaines. Un terrain légitime d’engagement pour les entreprises, des associations à des notions positives et rassembleuses, des modes d’action et des enjeux qui semblent clairs aux yeux des Français : oui, l’entreprise est un acteur crédible pour s’engager sur ce terrain des valeurs républicaines.  

Selon vous, les entreprises se sont-elles suffisamment saisies de l’enjeu de défense des valeurs républicaines ?   

Benoit Lozé : aujourd’hui les entreprises ne se positionnent pas encore idéologiquement. Nous, on pense que nous allons entrer dans cette étape-là, que l’on a appelé le « temps des valeurs ». Un temps où l’engagement sera plus affirmé en termes de valeur et de modèle idéologique. Demain, les entreprises seront peut-être amenées à se revendiquer de manière plus claire d’une idéologique spécifique, voire d’un courant politique. 

Nous accompagnons beaucoup d’entreprises dans la définition de leur raison d’être. Ce que nous pouvons affirmer, c’est que la Loi Pacte a été une vraie étape dans l’émergence de ce « temps des valeurs ». La séquence raison d’être a accompagné le réengagement des entreprises dans la Cité, cela parce que beaucoup d’entreprises se sont demandé à quoi elles servaient profondément, ce qui manquerait au monde si elles n’existaient pas, ce qu’elles sont si on enlève la recherche pure de profits. La séquence raison d’être a permis une forme de psychanalyse collective de l’entreprise qui s’est interrogée sans doute comme jamais sur le sens profond de son métier et donc quelque part sur sa vision du monde et de la Cité.  

Cela fait donc longtemps que l’on observe le réengagement des entreprises dans la Cité. C’est quelque chose d’acté pour la plupart d’entre elles. Cela ne veut pas dire que les entreprises sont capables de mettre des mots sur leur positionnement idéologique. Aucune entreprise ne dit aujourd’hui : « je suis une entreprise libérale », « je suis une entreprise progressiste », « je suis une entreprise républicaine ». Je ne sais pas si les entreprises le feront un jour. Nous sommes convaincus néanmoins que la clarification des valeurs et la revendication des points de vue politiques vont devenir incontournables. C’est notamment la condition aujourd’hui de l’embarquement des collaborateurs. Et nous espérons qu’un jour, l’idée que nous avons eu avec Arielle de constituer un club des entreprises républicaines soit une idée concevable.   

Arielle Schwab : Benoît a créé chez Havas un Observatoire des Marques dans la Cité, c’est-à-dire un observatoire de l’engagement politique des marques. Ils constatent que la tendance outre-Atlantique, consiste déjà à se positionner sur des sujets qui ne sont pas évidents pour des entreprises, et qui étaient justement plutôt considérés comme appartenant au domaine réservé du régalien ou de l’associatif. L’Observatoire a défini trois temps dans cet engagement des entreprises dans la Cité : le premier temps, que nous avons dépassé, était celui de la RSE que l’on peut qualifier de réparatrice, d’une forme de colmatage ou de compensation des dommages causés. Le deuxième temps, que nous sommes en train de vivre, est celui de l’engagement authentique, sur des sujets, des thématiques et des terrains qui dépassent les territoires naturels du positionnement pour les entreprises :  les rapports annuels intègrent les nouveaux critères ESG, le recrutement intègre les critères de diversité, et les industriels intègrent les critères climatiques. Ces territoires, qui n’étaient pas naturels, deviennent clés désormais et remontent très haut dans la stratégie des entreprises et leur impact sur les business modèles. Le troisième temps en est à ses débuts, certaines entreprises vont devoir aller encore plus loin pour continuer d’être audibles et démontrer l’authenticité de leurs engagements. Elles vont devoir clarifier encore davantage les valeurs ou même les corpus idéologiques qui soutiennent leurs prises de position.

Les entreprises, qui souhaitent souvent s’adresser au plus grand nombre, ont-elles la liberté de s’engager dans une voie particulière ? Ont-elles les moyens d’être cohérentes politiquement en matière de défense des valeurs républicaines ? 

Arielle Schwab : Ce qui est certain, c’est qu’il est dangereux pour elles de ne pas travailler leur cohérence. Le cas Décathlon avec le hidjab de running est assez emblématique. Lorsque les entreprises ne se posent pas assez la question des lignes de fond qui sous-tendent leurs prises de position, elles prennent le risque de s’engager dans des actions qui peuvent s’avérer contradictoires les unes avec les autres, ou bien de devoir reculer face aux premières oppositions ou levées de bouclier. Les entreprises doivent prendre des positions réfléchies lorsqu’elles s’engagent sur des sujets de société, sans quoi leurs prises de position peuvent sembler opportunistes et légères, et constituent un risque, notamment en matière de réputation. 

Benoit Lozé :  Il y a des sujets qui s’imposent dans l’entreprise. Aucune entreprise ne peut par exemple mettre le sujet de la diversité sous le tapis. C’est un enjeu de société, un enjeu de réputation, un enjeu de recrutement et de fidélisation des talents. C’est aussi pour cela que nous avons fait cette étude : nous voulions affirmer qu’il est possible d’apporter des solutions aux difficultés d’inclusion et aux enjeux de diversité d’une manière qui soit cohérente avec les valeurs républicaines. Une entreprise républicaine, adresse tous les enjeux avec des valeurs et une approche républicaine, mais ne s’interdit aucun sujet a priori.  

Pour revenir à votre question, il faut rappeler que l’entreprise ne se présente pas à l’élection présidentielle. Elle ne peut pas avoir non plus une cohérence idéologique absolue. Elle est parfois contrainte de faire du « en même temps », parfois être ferme sur la laïcité tout en ouvrant la voie à la diversité. Il faut réussir à mener des actions qui embrassent tous les sujets de société qui se posent à elle.  

Arielle Schwab : Le constat est quasi unanime aujourd’hui :  nous faisons face à une rupture de la promesse républicaine d’égalité des chances et de réussite. Les dysfonctionnements et les discriminations sont indéniables, en ce qui concerne l’entreprise, en matière de recrutement notamment, mais aussi en matière d’évolution. Il faut donc mobiliser l’énergie, la capacité d’action et l’engagement des entreprises pour traiter ce sujet. SI elles ne le font pas par éthique, elles devront le faire par pragmatisme. La plupart des entreprises ont une haute conscience de ce sujet brûlant. La question est celle des moyens et des convictions qui peuvent être déployés pour avancer. Et c’est l’objet de nos travaux : chercher si une autre voie que la voie identitaire est possible, évaluer de quelle manière les entreprises peuvent aborder la lutte contre les discriminations, avec un prisme républicain. Proposer une voie « made in France » pour mener une politique d’inclusion et de diversité.

Benoit Lozé : ce que l’on veut dire aux dirigeants, c’est qu’il est aujourd’hui nécessaire de réfléchir à ces sujets qu’il peut être intéressant de proposer une approche républicaine aux enjeux de demain. Il faut y réfléchir à tout le moins, car sans cette réflexion, ils prennent le risque, parfois sans le savoir, de défendre des valeurs qui ne correspondent pas aux attentes profondes de la société française. 

Arielle Schwab est directrice générale adjointe de Havas Paris. Benoit Lozé est directeur du planning stratégique chez Havas Paris.

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