Rubrique : République laïque

Laïcité et religions : quels chemins pour vivre ensemble ?

par L'antenne de Bordeaux le 30 septembre 2025 lab_bordeaux_2409
Comment conjuguer liberté religieuse et vivre-ensemble dans notre République ? C’est à cette question brûlante qu’ont répondu, le 24 septembre 2025 à Bordeaux, le grand imam Tareq Oubrou, le professeur de droit public Ferdinand Mélin-Soucramanien, la présidente de la LICRA Bordeaux-Gironde Sarah Bromberg et le prêtre Basile Dumont. Entre cadre juridique, éducation des jeunes, égalité femmes-hommes et diversité des pratiques spirituelles, la soirée a offert un débat riche et sans détour sur la laïcité, ce pilier républicain qui nous unit tous.
Le 24 septembre 2025, le Laboratoire de la République inaugurait son antenne bordelaise à l’occasion d’une conférence consacrée au thème « Laïcité et religions : quels chemins pour vivre ensemble ? », en présence de Ferdinand Mélin-Soucramanien (professeur de droit public), Tareq Oubrou (grand imam de Bordeaux), Sarah Bromberg (présidente de la LICRA Bordeaux-Gironde) et de Basile Dumont (prêtre de la paroisse de Talence). Les échanges ont permis d’explorer ce principe fondateur de la République sous ses dimensions historique, juridique, sociologique et contemporaine, confirmant que la laïcité est une condition essentielle du vivre-ensemble, tout en révélant les tensions qui traversent son application dans un contexte marqué par la pluralité religieuse et l’évolution des pratiques sociales. Un cadre historique et juridique en constante évolution La laïcité s’enracine dans des jalons législatifs majeurs, comme le souligne Ferdinand Mélin-Soucramanien : la laïcisation de l’enseignement en 1882, la séparation des Églises et de l’État en 1905, ou encore la récente loi de juillet 2025 contre le racisme et l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Trois piliers en structurent la définition : liberté de conscience, séparation de l’État et des cultes, et obligation de se conformer aux règles communes sans invoquer ses croyances. Le Conseil constitutionnel a lui-même cherché à la définir, notamment dans une décision de 2004, au moment où se posait la question de l’articulation entre la Constitution française et le projet de Traité pour une Constitution européenne. Il avait alors affirmé que la laïcité interdit à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes. Cette interprétation, à laquelle Ferdinand Mélin-Soucramanien dit se rallier, fait de la laïcité non seulement une garantie de liberté mais aussi une condition du vivre-ensemble et un pilier de la République. Religion, société et jeunesse : des rapports contrastés Loin d’être un principe figé, la laïcité s’adapte aux évolutions sociétales. Tareq Oubrou rappelle que toute religion ne se vit pas seulement, elle se pense également. Faute d’un travail d’interprétation et de médiation doctrinale, une « sainte ignorance » traverse toutes les religions. L’accès direct et sans filtre aux contenus religieux via les réseaux sociaux favorise ce qu’il appelle une « désécularisation sauvage », où les jeunes, souvent plus connectés à TikTok qu’à leurs propres parents ou à des médiateurs, se montrent parfois plus religieux que la génération précédente. Dès lors, l’enjeu de la transmission devient central. « On ne peut pas obliger quelqu’un à adorer Dieu », rappelle Tareq Oubrou, soulignant que la coercition religieuse, physique ou psychologique, est non seulement juridiquement interdite mais théologiquement vaine. La foi suppose liberté et intention. D’où l’importance, selon lui, d’introduire le doute, la pédagogie et une éducation au discernement dès l’enfance. Dans cette perspective, Sarah Bromberg insiste sur la dimension éducative et citoyenne de la laïcité, notamment auprès des jeunes, mais aussi sur l’égalité entre femmes et hommes, qui doit demeurer un principe intangible dans la société. Liberté religieuse, espace public et ordre républicain La laïcité se situe à l’intersection de la liberté religieuse garantie par le droit, y compris européen, et de la neutralité attendue des institutions. Les discussions ont rappelé une distinction fondamentale : si les agents du service public doivent rester neutres, l’espace public ne saurait être totalement aseptisé. Ferdinand Mélin-Soucramanien a insisté sur la nécessité de renforcer la neutralité dans certains services particulièrement sensibles, comme l’hôpital public et les transports. Mais il met en garde contre une crispation excessive sur les signes religieux dans l’espace public. Cette distinction a été largement reprise par les intervenants : la République est laïque, mais l'ensemble des individus constituant notre société ne l’est pas. La laïcité n’est pas une religion ni une idéologie, mais une branche commune « sur laquelle tout le monde est assis », selon l’expression de Tareq Oubrou, et que chacun, croyant ou non, a le devoir de défendre car elle protège tous les citoyens. Une recomposition du paysage religieux Les évolutions religieuses en France reflètent à la fois un reflux global et des dynamiques de renouveau. Basile Dumont souligne par exemple l’augmentation significative du nombre d’adultes demandant le baptême, multiplié par deux en quelques années, signe d’un regain de quête spirituelle. En parallèle, les travaux de politistes comme Yann Raison du Cléziou mettent en évidence un mouvement plus général de reflux des pratiques religieuses. Tareq Oubrou cite aussi Peter Berger, sociologue américain, qui dès les années 1980 constatait le retour du religieux dans l’espace politique, notamment à travers les mouvements évangéliques. La France n’échappe pas à cette recomposition, où coexistent désaffiliation et réinvestissement religieux. Perspectives et recommandations Les intervenants ont formulé plusieurs recommandations pour l’avenir : • Clarifier davantage encore la distinction entre liberté dans l’espace public et règles strictes de neutralité dans les services publics, à renforcer dans certains services particulièrement sensibles. • Promouvoir une sensibilisation large aux valeurs républicaines et encourager un dialogue respectueux entre convictions. • Encourager un portage politique large de la laïcité, afin qu’elle demeure un projet républicain d’espérance partagé et défendu par le plus grand nombre. • Développer une éducation au discernement et à la liberté de conscience, en protégeant les jeunes contre toute forme de coercition. https://www.youtube.com/watch?v=SxaB1GuYIg4

21 MAI : COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE DE LILLE « NEUTRALITÉ EN ENTREPRISE »

le 28 mai 2025
Mercredi 21 mai 2025, l'antenne de Lille et la commission République laïque du Laboratoire de la République se sont réunis au Conseil régional des Hauts-de-France. En présence de Xavier Bertrand (président du Conseil régional des Hauts-de-France) et de Jean-Michel Blanquer (président du Laboratoire de la République), des experts et praticiens du monde économique ont apporté leur éclairage sur cette question essentielle qu'est la neutralité en entreprise.
Éric Clairefond, délégué général du Laboratoire de la République, a ouvert la conférence en présentant les objectifs de l’association et en invitant les participants à la prochaine Université d’été du Laboratoire de la République prévue les 28, 29 et 30 août 2025 à Autun. Jean-Michel Blanquer a lancé la conférence en affirmant la nécessité de défendre les principes républicains, en particulier la laïcité, contre les dérives idéologiques des extrêmes. Il a insisté sur l’importance de clarifier la notion de neutralité dans des espaces particuliers comme le sport et l’entreprise, aujourd’hui insuffisamment encadrés sur le plan juridique. Xavier Bertrand a rappelé que la loi de 1905 s’applique à tous les agents publics et que la loi du 24 août 2021 contre le séparatisme a élargi cette exigence aux entreprises délégataires de service public. Il a plaidé pour que cette neutralité s’applique aussi aux collaborateurs occasionnels du service public comme les accompagnants de sorties scolaires. Xavier Bertrand a enfin souligné la vulnérabilité des chefs d’entreprise face à la radicalisation, analogue à celle des proviseurs avant la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques. Olivier Bavière (DREETS adjoint Hauts-de-France) a présenté l’arsenal juridique existant en matière de neutralité. Il a rappelé qu’un règlement intérieur peut être instauré dans toutes les entreprises, même de moins de 50 salariés, et que celui-ci doit être soumis à l’inspecteur du travail qui peut statuer sur la clause de neutralité. Le salarié ne peut pas invoquer de conviction religieuse pour refuser une application du droit : il lui est interdit de refuser la médecine du travail ou un ordre d’un supérieur au motif que celui-ci soit du sexe opposé. Peggy Brione (Caisse d’Épargne Hauts-de-France) a évoqué les difficultés d’application dans le secteur privé, où l’enjeu majeur demeure le vivre-ensemble, au-delà de la neutralité. Bien que le règlement intérieur interdise les signes politiques ou religieux ostentatoires, la solidité juridique d’une telle disposition lui parait parfois incertaine s’il devait faire face à une contestation en justice. Éric Charpentier (Crédit Mutuel Nord Europe) a souligné que, son entreprise disposant d’un règlement intérieur, le prosélytisme est interdit et les employés ne peuvent porter de signes ostentatoires en situation de contact avec la clientèle et le prosélytisme. Un principe de lancement d’alerte anonyme (whistleblowing) auprès de la DRH a été mis en place pour ouvrir le sujet le cas échéant. Le sujet n’est pas tant la neutralité mais plutôt l’accompagnement de la diversité pour vivre ensemble. Rodolphe Delaunay (Toyota Motor Manufacturing France) a mis en avant une culture d’entreprise forte et inclusive dans son entreprise, appuyée sur le développement personnel et l’implication des salariés. La méthode de Toyota implique des responsables RH de proximité pour coller aux réalités vécues par les salariés. Aucun signe ostentatoire n’est autorisé, mais l’accent est mis sur la cohésion du collectif : les salariés sont par exemple impliqués dans le changement des tenues de travail afin de développer leur sentiment d’appartenance à l’entreprise. Frédéric Boiron (CHU de Lille) a insisté sur la responsabilité des services publics à être garants des principes de la République. Si les patients peuvent porter des signes religieux, les personnels, eux, doivent se conformer à la neutralité. L’hôpital emploie des aumôniers des trois grandes religions, tout en maintenant des lieux de culte œcuméniques. Les établissements privés, eux, ne sont pas soumis à la même obligation. Claire Louf (Dalkia) a insisté sur l’importance des normes d’hygiène, de sécurité et de santé qui peuvent également être des outils pour faire respecter la neutralité. Le port de signes religieux ostentatoires est interdit dans le règlement intérieur pour les personnels au contact des clients. Marc Telliez, proviseur d’un lycée professionnel à Hénin-Beaumont, a illustré comment la laïcité est appliquée dans un établissement mêlant éducation et monde professionnel. Une charte de la laïcité régule les comportements et, malgré une population considérée comme majoritairement défavorisée à Hénin-Beaumont, les cas difficiles sont rares. Il a également souligné que les règles de neutralité s’étendent aux stages et sorties scolaires. Sophie Béjean, rectrice de la région académique Hauts-de-France et rectrice de l’académie de Lille, a rappelé que le cadre réglementaire est clair, accompagné de guides et de formations pour les équipes éducatives. Marie-Claude Afarian, formatrice et coach professionnelle, a souligné l’importance du besoin de formation pour les managers, notamment dans les PME, autour des enjeux de communication interne, des aspects juridiques et de gestion émotionnelle face au prosélytisme politique et religieux. Enfin, plusieurs intervenants ont souligné que la mixité sociale constitue un facteur clé de régulation de la neutralité au quotidien. La neutralité ne se décrète pas uniquement par la loi, mais se construit aussi par la culture d’entreprise, l’exemplarité et l’accompagnement des équipes. Frédéric Danel, directeur régional de France Travail Hauts-de-France, confirme le besoin d’un cadre dans les entreprises à partir du règlement intérieur. Des formations sur ces enjeux sont mises à disposition dans la formation de rentrée à France Travail. Démystifier le sujet est essentiel pour mieux épauler les équipes. Michel Lalande, préfet honoraire, conclut la table ronde en rappelant que des mots comme « émancipation » et « vivre-ensemble » l’ont guidé tout au long de son parcours. Pour lui, l’émancipation suppose l’adhésion active aux valeurs de la République, qu’il faut sans cesse interroger, nourrir et faire vivre. Il a insisté sur la nécessité de dépasser les déterminismes sociaux. Le vivre-ensemble, quant à lui, repose sur le respect des règles communes. Face aux atteintes à la neutralité, il appelle à rompre le silence et à devenir des pratiquants de la République. Le Laboratoire de la République tient à remercier Philippe Lamblin, dirigeant sportif et d’entreprise, délégué aux emplois en Hauts-de-France, pour sa contribution déterminante à la préparation et à l’animation de cette table ronde. https://www.youtube.com/watch?v=YI9UPI_Wtx0

21/05 : Conférence à Lille « La neutralité en entreprise »

par commission République laïque , L'antenne de Lille le 12 mai 2025
Table-ronde inédite - parce que le sujet est au coeur des préoccupations de nombre de responsables d'entreprises, quels leviers d'actions mettre en place pour répondre au défi de la neutralité ?
Le Laboratoire de la République a le plaisir de vous convier à une table ronde « La neutralité en entreprise ». Quand ? Mercredi 21 mai 2025 à 18h00 Où ? Conseil régional Hauts-de-France 151, avenue du Président Hoover, 59000 Lille Inscription obligatoire Attention : Nombre de places limité. Pièce d'identité obligatoire Cliquez ici pour vous inscrire

Retour sur la table ronde « Sport et neutralité »

le 2 avril 2025 table ronde neutralité
Le 20 mars dernier, la commission "République Laïque" du Laboratoire, animée par Michel Lalande, organisait un grand évènement autour du sport et de la neutralité à la maison de l'Amérique Latine. Retrouvez en vidéo l'intégralité de cette conférence.
Alors que la proposition de loi du sénateur LR de l'Isère Michel Savin visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport a été adoptée en première lecture au Sénat, le 18 février dernier, le débat public a très vite glissé vers la seule question du port du voile, devenant ainsi aussi binaire que contreproductif. Le Laboratoire a souhaité à travers cette table-ronde apporter une voix de raison, montrant que le respect de la neutralité dans le sport est un enjeu qui dépasse largement la seule question du voile, instrumentalisée tant par l'extrême gauche au nom d'un concept dévoyé de liberté, que par l'extrême-droite qui y voit une opportunité de flatter les plus bas instincts populistes. Ce débat est fondamentalement faussé par une mauvaise compréhension du sujet en général, et de l'architecture du sport français en particulier. Chose qu'a démontré de manière limpide Médéric Chapitaux, sociologue spécialiste de la radicalisation dans le sport. La discussion a ensuite laissé la part belle aux témoignages de terrain : Quentin Fouquereau, journaliste infiltré dans un club de Ju-Jitsu brésilien, et Elisabeth Alonso, référente laïcité de la Fédération de Boxe ont pu fournir des éclairages précieux, nourris par une pratique régulière du terrain. Frédéric Thiriez, ancien président de la FFF a ensuite rappelé que ce n’était pas le principe de laïcité qui justifiait l’interdiction des signes politiques, religieux, syndicaux ou philosophiques sur le terrain de sport mais bien les valeurs universelles et fondamentales du sport telles qu’elles sont écrites dans la Charte olympique, qui interdit toute discrimination et qui pose le principe de l‘égalité absolue entre les hommes et les femmes. Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes, a insisté sur cette idée que la "laïcité à la française" était contreproductive dans le domaine du sport. La France doit appliquer qu'appliquer strictement les valeurs pronées par la Charte Olympique, avant qu'elle ne soit mise sous pression par l'Iran qui a crée des exigences discriminatoires, et tordu l'idéal féministe. Enfin, Iannis Roder, enseignant d'histoire-géographie en Seine Saint-Denis et membre du conseil des sages de la laïcité, est revenu sur le concept d'évitement en milieu scolaire. Richard Senghor, haut fonctionnaire, a lui souligné que la notion de laïcité ne suffisait pas à répondre à tous les problèmes, et que la République disposait de nombreux outils, notamment juridiques, dont il fallait se servir. Il a aussi rappelé qu'il fallait relativiser le sujet : les clubs de sport qui posent problème restent largement minoritaires, et dans la plupart des cas, le problème réussi à être jugulé de manière satisfaisante. Retrouvez la vidéo en intégralité. https://www.youtube.com/watch?v=01ibvBjhLV8

La laïcité et la cohésion sociale : repenser le vivre-ensemble

par Pierre-Henri Tavoillot le 28 janvier 2025 PH Tavoillot
La question du vivre-ensemble est plus que jamais centrale dans les débats sociétaux français. Dans un contexte marqué par des fractures sociales et culturelles, la laïcité se présente comme un principe fondamental pour garantir l’unité nationale. Cette réflexion soulève des interrogations sur le respect des convictions individuelles et sur les moyens de renforcer la solidarité collective. Les actions publiques, ainsi que le rôle des institutions, sont essentiels pour préserver les valeurs républicaines et répondre aux défis actuels.
A l'occasion de la Conversation éclairée animée par Brice Couturier et Chloé Morin, Pierre-Henri Tavoillot a présenté son ouvrage "Voulons-nous encore vivre ensemble ?" (éditions Odile Jacob) Dans cet entretien, le Laboratoire de la République questionne l'auteur sur : la définition de la laïcité et son rôle dans le respect des convictions religieuses et le vivre-ensemble ; les actions menées en tant que référent laïcité pour la Région Île-de-France, avec des exemples récents de non-respect de ce principe ; l’efficacité des politiques françaises pour protéger la laïcité et le rôle possible de l’Union européenne dans sa promotion et enfin la crise du commun et les piliers nécessaires pour reconstruire le vivre-ensemble. Une réflexion sur les enjeux actuels de la cohésion sociale. https://youtu.be/YCUwr3ogjO8

Charlie Hebdo : « la République doit rester vigilante face aux menaces contre ses valeurs fondamentales »

par Marika Bret le 7 janvier 2025 Charlie Hebdo - 10 ans après
Dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo, Marika Bret, ancienne DRH du journal, revient sur cet événement tragique et les défis toujours actuels autour de la laïcité, de la liberté d’expression et de l’unité républicaine.
Laboratoire de la République : Dix ans après l'attentat contre Charlie Hebdo, pourquoi est-il encore essentiel d'en parler aujourd'hui ? Marika Bret : Ces commémorations sont primordiales. Elles servent à rendre hommage aux talents extraordinaires que nous avons perdus et à rappeler pourquoi ces tragédies ont eu lieu. Si nous ne comprenons pas les causes de ces événements, nous n'avancerons pas. Le 7 janvier 2015, c'était la conséquence d'une longue période de refus collectif de voir que nos valeurs et principes démocratiques étaient menacés. Charlie Hebdo avait alerté à maintes reprises sur la remise en cause de la laïcité et sur les attaques contre la liberté d'expression. Ces principes ne sont pas des évidences ; ils doivent être défendus constamment. Laboratoire de la République : Quels éléments ont précédé et conduit à ces attentats ? Marika Bret : Avant même les attaques, le journal était dans une grande solitude. Les locaux ont été incendiés avec deux cocktails Molotov en 2011 et le site du journal a été piraté, et notre critique de l’islam comme dogme religieux suscitait une hostilité intense. Charlie Hebdo a toujours critiqué les religions, qu’il s’agisse du catholicisme ou de l’islam. Mais la montée de l’islamisme, une idéologie totalitaire et mortifère, a conduit à une incompréhension et à des accusations infondées d’islamophobie. L'usage abusif de ce terme a façonné un climat où la critique des dogmes religieux était assimilée à du racisme, alors que le journal s’est toujours battu contre toute forme de discrimination. Si, en 2006, lors des procès des caricatures de Mahomet, tous les médias avaient publié ces dessins, cela les aurait rendus banals. Malheureusement, Charlie Hebdo était seul, et cette solitude a contribué à l’escalade qui a culminé avec l’attentat. Laboratoire de la République : Depuis ces événements, le niveau d’alerte a-t-il changé ? Marika Bret : Sur le plan militaire, des avancées ont été réalisées contre des organisations comme Daesh. Mais l’idéologie reste présente, notamment dans les têtes. Les attentats de masse ont diminué, mais la menace s’exprime différemment, par un travail de sape identitaire et antirépublicain. Ces discours, bien que minoritaires, sont souvent les plus bruyants. Il est essentiel de réaffirmer nos valeurs pour les contrer. Laboratoire de la République : Quel message souhaitez-vous transmettre à la jeunesse sur la laïcité ? Marika Bret : Il est crucial de rappeler que la laïcité garantit l’égalité entre tous, quelle que soit la religion. Malheureusement, certains jeunes sont persuadés qu’elle les stigmatise ou les empêche de pratiquer leur culte. Ce malentendu les place en opposition avec la République. Lorsqu’on explique clairement la laïcité, la liberté d’expression et l’égalité, la majorité comprend et adhère. Mais il reste une minorité influencée par des discours extrémistes. Les enseignants ont un rôle clé, mais ils doivent être soutenus. Quand des professeurs sont menacés ou insultés pour avoir respecté la loi, cela traduit un problème profond. Samuel Paty et Dominique Bernard ont payé de leur vie pour avoir transmis ces principes républicains. Il faut renforcer la protection fonctionnelle et offrir un appui clair et solide à nos enseignants. Laboratoire de la République : Vous parlez souvent de la « liberté de rire ». Peut-on rire de tout ? Marika Bret : Oui, on peut rire de tout, mais il faut se demander pourquoi. Le rire peut briser les tabous, éclairer des sujets graves et provoquer la réflexion. Par exemple, on peut traiter de la Shoah dans un dessin humoristique si cela vise à dénoncer l’horreur ou à combattre les discours négationnistes. Mais si le but est de banaliser ou de soutenir ces atrocités, cela devient inacceptable. Le dessin de presse a ce pouvoir unique de nous heurter, de nous faire rire et de nous faire réfléchir. C’est une arme puissante, mais elle n’est pas acceptée partout. Dans de nombreux endroits du monde, le rire est strictement limité par des interdits. Laboratoire de la République : Un dernier message ? Marika Bret : Ces commémorations suscitent en moi un mélange de chagrin et de colère. Nous avons perdu des êtres exceptionnels, et certaines trahisons politiques n’ont fait qu’accentuer ce sentiment. Pour lutter contre les extrémismes et réaffirmer nos principes républicains, il faut être précis, cultivé et intransigeant.

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