Lundi dernier à Lille, une centaine d’étudiants ont participé à la table ronde organisée par le Laboratoire de la République, en partenariat avec Gorgias et Espo Mun, sur le thème : « Les conflits mondiaux négligés par les médias ». Avec Marc Semo et Fahimeh Robiolle.
Lundi dernier, une centaine d’étudiants se sont réunis à Lille pour une table ronde organisée par Le Laboratoire de la République, en partenariat avec Gorgias et Espo Mun.Une rencontre stimulante intellectuellement et culturellement, pour comprendre pourquoi certains conflits occupent les unes des journaux quand d’autres disparaissent dans le silence médiatiqueDeux voix pour éclairer ces angles morts de l’information :- Marc Semo, journaliste spécialiste des relations internationales (Libération, Le Monde, France Culture).- Fahimeh Robiolle, militante pour les droits des femmes en Iran et en Afghanistan.
De nombreux drames humains se déroulent loin des caméras : la guerre au Soudan, les violences en République démocratique du Congo, la répression en Birmanie, ou encore la lutte des femmes afghanes et iraniennes pour leurs droits.Autant de réalités souvent éclipsées par une actualité jugée plus “stratégique” ou “spectaculaire”.Les obstacles à la couverture médiatique sont nombreux :
la complexité des conflits, comme dans les Grands Lacs africains,
l’absence d’images ou de reporters sur place, notamment au Yémen ou au Soudan,
la fatigue des opinions publiques, lassées par la guerre,
la guerre des narratifs, où chaque puissance façonne sa propre vérité,
et la course à l’instantanéité, qui remplace l’analyse par le flux.
Ces freins contribuent à invisibiliser certaines tragédies, tandis que d’autres — comme la guerre en Ukraine ou le conflit israélo-palestinien — captent toute l’attention médiatique.
Cette rencontre a rappelé que l’information n’est jamais neutre. Elle est le reflet de choix économiques, politiques et culturels qui façonnent notre regard sur le monde.
Un grand merci aux étudiants présents pour la richesse de leurs échanges et leur engagement dans ce débat essentiel.
Le lundi 3 novembre prochain, l’École européenne de sciences politiques et sociales (ESPOL) de Lille accueillera une table ronde d'actualité : « Les conflits mondiaux négligés par les médias ». Organisée par le Laboratoire de la République, en partenariat avec Gorgias et Espo Mun, cette rencontre vise à interroger les logiques médiatiques et politiques qui conduisent à reléguer certaines guerres ou crises internationales dans les marges de l’information.
Alors que la guerre en Ukraine ou le conflit israélo-palestinien occupent quotidiennement les unes des journaux et les plateaux télévisés, d’autres drames humains se déroulent presque dans l’indifférence générale : l’enlisement de l’Afghanistan sous le régime taliban, les tensions récurrentes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ou encore la répression des femmes en Iran. Autant de sujets cruciaux pour comprendre le monde contemporain, mais souvent éclipsés par une actualité jugée plus “stratégique” ou “spectaculaire”.
Deux voix pour éclairer les zones d’ombre de l’information
Pour débattre de cette problématique, ESPOL recevra deux intervenants aux parcours complémentaires.Le premier, Marc Semo, journaliste spécialisé sur les questions internationales chez Libération puis Le Monde. Il est aujourd’hui éditorialiste pour Challenges et collaborateur à France Culture.
À ses côtés, Fahimeh Robiolle, militante pour les droits des femmes en Iran et en Afghanistan, apportera un témoignage humain et militant. Elle agit, depuis des années pour sensibiliser l’opinion publique à la condition des femmes dans ces pays où les libertés fondamentales reculent. Sa présence rappellera que derrière les statistiques et les cartes géopolitiques, il y a des visages, des vies, et des luttes souvent tues faute d’espace médiatique.
Une question au cœur de la démocratie : qui décide de ce qui mérite d’être vu ?
La table ronde ambitionne de poser une question simple mais essentielle : pourquoi certains conflits font-ils la “Une” tandis que d’autres restent invisibles ?Les logiques économiques des médias, la hiérarchie de l’information, les contraintes d’audience ou encore la proximité culturelle jouent un rôle majeur dans cette sélection. À travers des exemples précis, les intervenants tenteront d’analyser ce que ces choix disent de notre rapport à l’actualité et de la vision du monde que nous construisons collectivement.
Pour les étudiants en sciences politiques, en journalisme ou en relations internationales, cet échange constituera une occasion privilégiée de réfléchir à la responsabilité sociale des médias et à la dimension éthique de la couverture de l’information internationale.
Quand : Lundi 3 novembre, 18h30 – 20hOù : ESPOL, salle LW122 – 83 boulevard Vauban, Lille
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À l’heure où l’ordre international semble vaciller, la montée en puissance d’un front commun des régimes autoritaires reconfigure profondément les équilibres géopolitiques. Loin d’être conjoncturelle, cette convergence des autocraties traduit une volonté assumée : contester les valeurs universelles de liberté, de démocratie et d’État de droit, au profit d’une logique de domination et de puissance. Le 25ᵉ Forum de l’Organisation de coopération de Shanghaï, tenu en Chine en septembre 2025, en offre une image saisissante : celle d’un « bloc » d’États, dirigés par Xi Jinping, Vladimir Poutine, Kim Jong-un et d’autres, réunis dans une démonstration de force qui dépasse la simple coopération diplomatique.
Jean-François Cervel, responsable de la commission Géopolitique du Laboratoire de la République, analyse avec précision les dynamiques de cette « alliance des autoritarismes », ses ressorts idéologiques, ses ambitions impériales et les menaces qu’elle fait peser sur l’avenir des démocraties.
La photographie est impressionnante. C’est le cliché officiel du 25ème Forum de l’Organisation de coopération de Shangaï qui s’est tenu à Tianjin, en Chine, les 31 août et 1er septembre 2025. Les vingt-six États présents, dont les dirigeants sont ainsi immortalisés, sont presque tous soumis à des régimes autoritaires ou totalitaires. Renforcé encore par l’arrivée de Kim Jong-un pour la cérémonie de commémoration de la fin de la Seconde guerre mondiale en Asie, le 3 septembre, cet instantané impressionne par la mise en lumière de dirigeants autocrates avérés ou en voie de l’être. Xi Jin Ping flanqué de Vladimir Poutine à sa droite et de Kim Jong-un à sa gauche, au balcon de la Cité interdite, le 3 septembre, applaudissant un exceptionnel déploiement militaire, quelle extraordinaire image de l’apothéose des tyrans ! Des milliards d’humains sont ainsi représentés par des dirigeants qui n’ont pas été désignés par un processus démocratique. Même si leur déclaration commune prétend s’inscrire dans les valeurs de la Charte des nations unies et même de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ces dirigeants constituent, bel et bien, l’alliance des régimes autoritaires contre les valeurs de la liberté et de la démocratie. En affirmant leur puissance, sous la haute autorité du dictateur chinois, ils disent clairement qu’ils rejettent ce corpus de valeurs et qu’ils combattront ceux qui le défendent. Les Européens ne pourront pas dire qu’ils n’étaient pas clairement informés.
Sont effectivement ainsi rassemblés des dirigeants dont les régimes sont caractérisés par la négation de la liberté individuelle, par l’absence de séparation des pouvoirs, par le rejet de la démocratie, par la propagande nationalo-identitaire, par l’endoctrinement patriotique et militaire c’est-à-dire par des régimes totalitaires. Dans le cadre de discours idéologiques différents, qu’ils soient religieux, communistes et, de toute manière, nationalo-identitaires, on retrouve ces caractéristiques chez tous. Contrairement à ce qu’ils prétendent, il y a donc bien un « bloc » ainsi constitué par son unité idéologique fondamentale qui s’oppose à « l’occident » non pas tant comme puissance mais comme porteur de l’idéologie libérale et démocratique. Tous répriment de manière plus ou moins brutale toute velléité de liberté de pensée dans leurs pays respectifs et ont mis en place des systèmes de pouvoir autoritaires avec dirigeants inamovibles. Ainsi Alexandre Loukachenko est au pouvoir depuis plus de 30 ans en Biélorussie, Vladimir Poutine depuis 26 ans en Russie, Xi Jin Ping depuis 13 ans en Chine, et la Corée du Nord est dirigée par une dynastie familiale depuis quelque 75 ans, au profit d’un monarque absolu. Les deux plus puissants, Chine et Russie, affichent leur « amitié stratégique » et développent leur politique de vassalisation sur leur environnement proche et leur politique d’influence sur le reste du monde.
On comprend que leurs voisins menacés se préparent à résister à leur domination. Les Taïwanais ne veulent pas subir le sort des Tibétains, des Ouighours et des Hongkongais écrasés sous le joug du Parti communiste chinois. Les Ukrainiens ou les Baltes ne veulent pas subir le sort de la Biélorussie. Ce n’est pas un sujet de nationalité, c’est un sujet de régime politique.
Eu égard à son poids démographique, à ses richesses naturelles et à sa puissance économique, cet ensemble pèse – et veut peser encore plus - dans le fonctionnement du monde. Par l’intermédiaire de l’organisation dite des « BRICS » désormais « élargie », sous la haute autorité de la Chine, cet ensemble prétend grouper autour de lui le désormais dénommé « Sud Global » rassemblé dans une logique de revanche sur les puissances occidentales autrefois colonisatrices.
Le « bloc » ainsi constitué se définit, en effet, par sa volonté d’affronter « l’occident » en tous domaines, économique, financier, scientifique, idéologique et n’hésite pas, désormais, à engager la confrontation militaire directe. Certes, ce « bloc » (a fortiori lorsqu’il est étendu aux BRICS élargis) est loin d’être homogène et n’est pas encore constitué en véritable « alliance ». Mais il est cimenté par un objectif commun d’opposition et même de haine contre l’occident défini en tant que puissance et, plus encore, en tant que système, en mobilisant toutes les volontés de revanche contre les anciennes puissances colonisatrices comme on peut le constater, notamment en Afrique, contre la France.
Que ces pays veuillent modifier l’organisation mondiale mise en place à l’issue de la Seconde guerre mondiale, alors qu’une partie du monde était encore colonisée par les pays occidentaux, est parfaitement légitime. Le fonctionnement de l’Organisation des nations unies - qu’ils ne remettent pas en cause - et notamment la composition du Conseil de sécurité, doivent certainement être revus parce que le monde de 2025 n’est évidemment plus le monde de 1945. Et cela interpelle tout particulièrement la France, membre permanent du Conseil de sécurité.
Mais la réalité de leur objectif n’est pas celle d’un multilatéralisme de bon aloi au service d’un développement planétaire harmonieux comme le prétend leur discours officiel. La réalité est celle de puissances impériales qui veulent imposer par la force leur vision du monde et leur idéologie.
Il s’agit de systèmes dictatoriaux à l’intérieur et agressifs à l’extérieur. Dictatoriaux à l’intérieur, ils empêchent toute expression libre et toute contestation par leurs populations. Malgré des tentatives héroïques, en Iran, à Hong Kong, à Minsk et même en Russie, les appareils de répression et le dispositif d’endoctrinement généralisé, par tous les canaux de formation et de propagande entre les mains des pouvoirs, empêchent toute possibilité de contestation interne. Ils mobilisent tous les moyens des technosciences pour accroitre encore leur contrôle.
Agressifs à l’extérieur, ils visent à vassaliser leurs voisins proches et à placer dans leur zone d’influence le maximum possible d’autres États avec un développement accéléré des moyens militaires de tout type y compris dans l’espace.
C’est à cette réalité violemment affichée à nouveau, à Tianjin et à Pékin, que sont confrontés les pays occidentaux. Vladimir Poutine est accueilli comme l’hôte de marque des manifestations organisées au long de ces journées. Il conforte ainsi sa position et sa capacité à gagner la guerre qu’il a lancé contre l’Ukraine. Adossé à la Chine et, plus globalement, à l’Asie, il peut poursuivre le conflit jusqu’à la victoire finale c’est-à-dire la soumission de l’Ukraine, dans un statut de vassalisation similaire à celui de la Biélorussie dont le dirigeant éternel, Alexandre Loukachenko, était également en bonne place à Pékin.
Mais ce qui est nouveau, c’est que Vladimir Poutine a également bénéficié d’un accueil tout aussi chaleureux par le président des Etats-Unis d’Amérique, à Anchorage, le 15 août dernier. Donald Trump a ainsi clairement affiché qu’il n’est plus le défenseur des valeurs de la démocratie libérale et le chef de file de ce que l’on appelait autrefois le « monde libre » ou de ce que le « bloc » autoritaire appelle encore l’Occident.
Cet « Occident » que dénoncent les membres des BRICS, sous la haute autorité du Parti communiste chinois, ne présente plus aujourd’hui un front uni capable de défendre le corpus des valeurs libérales et démocratiques. Les choix de l’administration du président Trump aux Etats-Unis contestent ces valeurs et ont pour objectif exclusif la puissance des Etats-Unis dans une nouvelle phase de domination technoscientifique. Ils ne se préoccupent en rien de l’intérêt général planétaire et des souhaits de liberté et de démocratie exprimés par toutes les populations du monde. Dans les décisions qu’il prend, il semble balancer en permanence entre son attirance pour les régimes nationalisto-autocratiques dont il est très proche idéologiquement et son opposition géostratégique aux grands empires qui les portent.
Dans ce contexte, seule l’Europe qui a réussi à développer son unité depuis près de 75 ans, peut être une puissance suffisante pour faire valoir le discours de la démocratie libérale et de l’intérêt général planétaire dans une perspective universaliste.
Mais dans un monde qui est clairement redevenu un monde de l’affrontement et du rapport de force, l’Union européenne doit impérativement se doter de moyens militaires propres. Elle bénéficie à cet égard de la capacité nucléaire de la France et du Royaume-Uni ce qui est aujourd’hui un élément déterminant de la relation avec les puissances hostiles, la Russie n’hésitant pas à menacer en permanence de passer à ce stade de la confrontation dans la guerre qu’elle mène contre une Ukraine qui a perdu son armement nucléaire en 1994 contre une garantie de sécurité de ses frontières ! Les Européens sont-ils prêts à faire les efforts nécessaires pour se préparer à cette situation de conflictualité et à investir en priorité absolue dans le développement d’entreprises technologiques européennes à vocation duale ?
Dans un paysage international qui se réorganise ainsi au profit des autocrates, le seul objectif possible est la montée en puissance de l’Union européenne qui, en lien avec les quelques autres États qui, à travers le monde, défendent encore le même corpus de valeurs, peut faire pièce à la volonté de tous les dictateurs qui ont pour ambition de détruire tous les sanctuaires de liberté et de démocratie à travers le monde de manière à pouvoir assurer définitivement leur domination exclusive sur les peuples asservis.
Alors que le Moyen-Orient est une nouvelle fois au cœur de l’actualité internationale, entre escalades militaires, recompositions diplomatiques et luttes d’influence, Frédéric Encel apporte un éclairage précieux. Dans son dernier ouvrage La Guerre mondiale n’aura pas lieu (éditions Odile Jacob), et dans l’entretien qu’il nous a accordé, le géopolitologue analyse les dynamiques profondes de cette région sous tension.
Alors que les tensions géopolitiques s’accumulent au Moyen-Orient et en Asie, la peur d’un embrasement mondial hante de nouveau les esprits. Pourtant, dans son dernier ouvrage La Guerre mondiale n’aura pas lieu (éditions Odile Jacob), Frédéric Encel défend une thèse à contre-courant : oui, le monde est instable, mais non, nous ne sommes pas aux portes d’un conflit mondial généralisé. Dans un entretien riche et sans détours, il répond à 5 grandes questions pour mieux comprendre les foyers de crise actuels.
Il revient d’abord sur la confrontation entre Israël et l’Iran, qu’il considère comme un affrontement structurant, mais contenu par des logiques stratégiques de dissuasion mutuelle. À ceux qui imaginent un front israélien uni derrière Netanyahou, Encel nuance en évoquant une société israélienne profondément divisée, y compris face à la politique sécuritaire. Il analyse aussi l’arrivée au pouvoir d’Ahmed al-Charra en Syrie, invitant les Européens à conjuguer lucidité et prudence dans leurs relations avec ce nouveau pouvoir. Puis, il se penche sur la montée des tensions entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires aux équilibres fragiles, et souligne les risques d’escalade tout en insistant sur les garde-fous existants.
https://youtu.be/cdp9v2Jr5xw
Alors que les projecteurs médiatiques se détournent, le Soudan sombre dans une guerre civile aux conséquences dévastatrices. Le 15 avril 2023 a marqué le début d’un conflit opposant deux factions militaires, précipitant le pays dans une crise humanitaire majeure, peu relayée dans l’espace public français. Face à ce silence, le Laboratoire de la République a organisé une conférence intitulée « Soudan, une tragédie oubliée » afin de redonner de la visibilité à ce drame. Cette rencontre visait à analyser les causes du conflit, ses répercussions régionales et internationales, ainsi que les perspectives d'une amélioration des aides humanitaires.
Lire l'article de Marianne : "Il s’agit aujourd’hui de la plus grande crise humanitaire au monde" : pourquoi personne ne parle du Soudan ?
Modérée par Jean-Michel Blanquer, cette conférence visait à donner de la profondeur et de la visibilité à un conflit largement absent de l’agenda médiatique, alors même qu’il déchire un pays clé du continent africain : le Soudan.
Trois intervenants sont venus croiser leurs regards :
Clément Deshayes, anthropologue et chercheur à l’IRD (Laboratoire Prodig), a évoqué la complexité historique et territoriale du pays. Il a insisté sur les dynamiques de fragmentation sociale et les héritages coloniaux, qui nourrissent les conflits actuels.
Caroline Bouvard, directrice pays de Solidarités International, a livré un témoignage poignant sur la catastrophe humanitaire en cours, avec des millions de déplacés, des populations en proie à la famine, et l’effondrement des services de base.
François Sennesael, doctorant à Oxford, a exploré les dimensions politiques et géopolitiques du conflit, en soulignant notamment la compétition entre puissances régionales et les enjeux liés.
Plutôt qu’une simple addition d’expertises, la conférence a permis de faire émerger les différentes strates du drame soudanais : historique, politique, humanitaire, symbolique.
Depuis le 15 avril 2023, le Soudan est en proie à une guerre civile dévastatrice entre l’armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dogolo (surnommé « Hemetti »).
Le conflit trouve racine dans les dysfonctionnements structurels de l’État soudanais depuis l’indépendance en 1956, marquée par une alternance de régimes militaires, de guerres civiles, et d’exclusions ethniques ou régionales. La chute d’Omar el-Béchir en 2019, après 30 ans de dictature, a donné lieu à un espoir démocratique, vite trahi par un nouveau coup d’État militaire en octobre 2021, où al-Burhan et Hemetti ont pris le pouvoir. Rapidement, leurs alliances se transforment en rivalité politique, économique et militaire.
En avril 2023, les tensions éclatent lorsque les FSR refusent leur intégration dans l’armée nationale. Des combats violents s’engagent à Khartoum et au Darfour, avec des affrontements à l’arme lourde, des bombardements, et des massacres.
En 18 mois, le conflit a provoqué :
Des dizaines de milliers de morts ;
Le déplacement de plus de 10 millions de personnes ;
Un risque de famine généralisée, déjà présent au Darfour (camp de Zamzam) ;
L’effondrement des infrastructures de base (eau, nourriture, soins), affectant plus de 25 millions de Soudanais, soit plus de la moitié de la population.
Le Soudan est devenu le théâtre d’une guerre par procuration entre puissances étrangères (Émirats arabes unis, Arabie Saoudite, Russie, Israël…). Pendant que les généraux cherchent à s’imposer, le peuple soudanais est pris en otage, victime de luttes de pouvoir cyniques, et du désintérêt croissant de la communauté internationale.
https://youtu.be/mEgyGqWZcyI
Alors que le conflit soudanais entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) entre dans sa troisième année, François Sennesael, doctorant en sciences politiques à l’Université d’Oxford, propose une analyse lucide et approfondie d’une guerre trop souvent réduite à une rivalité entre chefs militaires. Dans cet article, publié à l’occasion de sa participation à notre conférence du 2 juin à la Maison de l’Amérique latine, il retrace les origines historiques et politiques d’un effondrement national aux conséquences humanitaires majeures, interroge les failles structurelles de l’État soudanais, et met en lumière les enjeux géopolitiques d’un conflit que les puissances régionales instrumentalisent dans une logique de recomposition des équilibres de la Corne de l’Afrique. Un éclairage essentiel sur une crise aussi dramatique qu’oubliée.
Des manifestants près du QG de l'armée soudanaise à Khartoum en avril 2019. Photo de M. Saleh
Les cris de victoire des soldats du général Al-Bourhane, chef des Forces armées soudanaises (FAS), résonnent ce lundi 17 mars 2025 dans les rues de Khartoum, la capitale du Soudan. Après de longs mois de combats acharnés, ils sont enfin parvenus à reprendre le contrôle de la ville aux Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par le commandant Mohammed Hamdan Daglo, plus connu sous le nom de « Hemetti ». Pourtant, cette joie apparente ne saurait dissimuler l’amère réalité : après deux années de conflit ininterrompu, Khartoum, autrefois si fière, n’est plus qu’un champ de ruines.
Khartoum est un symbole, mais c’est l’ensemble du Soudan qui est profondément meurtri par la guerre. Depuis le déclenchement du conflit en avril 2023, plus de 8,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, tandis qu’environ 4 millions ont été contraintes de franchir les frontières pour chercher refuge dans les États voisins, eux-mêmes confrontés à une instabilité persistante. Environ 30 millions de personnes, soit les deux tiers de la population, ont aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire d’urgence et plus de la moitié des Soudanais souffrent d’insécurité alimentaire aigüe, faisant de cette situation l’une des plus graves crises humanitaires du 21ème siècle, mais aussi l’un des plus oubliées.
Tout avait commencé par une révolution en 2018, qui mit un terme au long règne d’Omar el-Béchir, militaire au pouvoir depuis 1989 avec le soutien des islamistes et visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre au Darfour. Le pouvoir allait-il enfin être restitué au peuple et à la société civile ? La vision d’un Soudan uni, demeurée inachevée depuis l’indépendance en 1956 et écornée par l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, allait-elle enfin se concrétiser ? L’espoir était immense, mais la transition politique s’enlisa rapidement dans ses propres contradictions, prise entre la mainmise de l’appareil sécuritaire, une société civile composée d’un patchwork de coalitions aux intérêts parfois divergents, et des acteurs internationaux incapables d’adapter un système de maintien de la paix à bout de souffle. Les militaires ont rapidement refusé de céder le pouvoir, avant de s’engager dans une lutte fratricide qui a plongé le pays dans l’horreur.
Ce conflit ne saurait toutefois être réduit à une simple « guerre des généraux » entre Al-Bourhane et Hemetti, comme le voudraient des lectures trop simplistes, fréquentes lorsqu’il s’agit d’analyser la violence comme fait social en Afrique. Le conflit révèle les lignes de faille profondes qui traversent la société soudanaise, creusées par des décennies de sous-développement, de marginalisation et de pouvoir autoritaire. Il ne peut être compris qu’au prisme d’une approche historique sur la construction de l’État. Il met ainsi lumière la question, aussi cruciale que douloureuse, de ce que signifie « faire nation » au Soudan : quelle identité collective peut émerger dans un pays marqué par tant de divisions ? Quelle place pour le Darfour et pour les périphéries longtemps ignorées face à un centre dominateur ? Comment intégrer les identités régionales dans une vision unitaire de la nation ? Autant d’interrogations qui ressurgissent avec une acuité tragique au cœur de la guerre.
De plus, le Soudan, qui nourrissait encore récemment l’ambition de s’imposer comme puissance régionale face à l’Éthiopie, est aujourd’hui devenu la proie des appétits de puissances moyennes — notamment celles du Golfe — désireuses d’étendre leur influence sur la Corne de l’Afrique, désormais érigée, en l’espace d’une décennie, en épicentre des ambitions géopolitiques régionales. Dans un système de sécurité internationale en pleine recomposition, où la Pax Americana semble se rétracter et où le multilatéralisme s’effrite, le conflit soudanais apparaît pour beaucoup comme une occasion stratégique de redessiner les équilibres régionaux à leur avantage dans une nouvelle ère de realpolitik.
Les acteurs soudanais se sont engagés dans une course effrénée aux soutiens extérieurs, compromettant davantage encore les chances d'une paix négociée à court terme. La détermination des deux camps — chacun composé de groupes hétérogènes, fluides, et difficilement contrôlables — à poursuivre les hostilités pourrait-elle conduire à une partition du pays et à une redéfinition de ses frontières ? Le Soudan s’achemine-t-il vers une trajectoire semblable à celle de la Libye, où l’effondrement de l’État a plongé le pays dans une guerre prolongée entre factions rivales, favorisé l’émergence de pouvoirs parallèles soutenus par des puissances étrangères, et entraîné une fragmentation durable du territoire ? Quel rôle peut – doit – jouer l'Union Européenne dans ce conflit ? Deux ans après le début de la guerre, la paix semble plus éloignée que jamais.
Conférence : lundi 2 juin, 19h : Soudan, une tragédie oubliée
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