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Compte-rendu de la conférence « Soudan : une tragédie oubliée »

le 3 juin 2025 Soudan-2juin
Alors que les projecteurs médiatiques se détournent, le Soudan sombre dans une guerre civile aux conséquences dévastatrices. Le 15 avril 2023 a marqué le début d’un conflit opposant deux factions militaires, précipitant le pays dans une crise humanitaire majeure, peu relayée dans l’espace public français. Face à ce silence, le Laboratoire de la République a organisé une conférence intitulée « Soudan, une tragédie oubliée » afin de redonner de la visibilité à ce drame. Cette rencontre visait à analyser les causes du conflit, ses répercussions régionales et internationales, ainsi que les perspectives d'une amélioration des aides humanitaires.
Lire l'article de Marianne : "Il s’agit aujourd’hui de la plus grande crise humanitaire au monde" : pourquoi personne ne parle du Soudan ? Modérée par Jean-Michel Blanquer, cette conférence visait à donner de la profondeur et de la visibilité à un conflit largement absent de l’agenda médiatique, alors même qu’il déchire un pays clé du continent africain : le Soudan. Trois intervenants sont venus croiser leurs regards : Clément Deshayes, anthropologue et chercheur à l’IRD (Laboratoire Prodig), a évoqué la complexité historique et territoriale du pays. Il a insisté sur les dynamiques de fragmentation sociale et les héritages coloniaux, qui nourrissent les conflits actuels. Caroline Bouvard, directrice pays de Solidarités International, a livré un témoignage poignant sur la catastrophe humanitaire en cours, avec des millions de déplacés, des populations en proie à la famine, et l’effondrement des services de base. François Sennesael, doctorant à Oxford, a exploré les dimensions politiques et géopolitiques du conflit, en soulignant notamment la compétition entre puissances régionales et les enjeux liés. Plutôt qu’une simple addition d’expertises, la conférence a permis de faire émerger les différentes strates du drame soudanais : historique, politique, humanitaire, symbolique. Depuis le 15 avril 2023, le Soudan est en proie à une guerre civile dévastatrice entre l’armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dogolo (surnommé « Hemetti »). Le conflit trouve racine dans les dysfonctionnements structurels de l’État soudanais depuis l’indépendance en 1956, marquée par une alternance de régimes militaires, de guerres civiles, et d’exclusions ethniques ou régionales. La chute d’Omar el-Béchir en 2019, après 30 ans de dictature, a donné lieu à un espoir démocratique, vite trahi par un nouveau coup d’État militaire en octobre 2021, où al-Burhan et Hemetti ont pris le pouvoir. Rapidement, leurs alliances se transforment en rivalité politique, économique et militaire. En avril 2023, les tensions éclatent lorsque les FSR refusent leur intégration dans l’armée nationale. Des combats violents s’engagent à Khartoum et au Darfour, avec des affrontements à l’arme lourde, des bombardements, et des massacres. En 18 mois, le conflit a provoqué : Des dizaines de milliers de morts ; Le déplacement de plus de 10 millions de personnes ; Un risque de famine généralisée, déjà présent au Darfour (camp de Zamzam) ; L’effondrement des infrastructures de base (eau, nourriture, soins), affectant plus de 25 millions de Soudanais, soit plus de la moitié de la population. Le Soudan est devenu le théâtre d’une guerre par procuration entre puissances étrangères (Émirats arabes unis, Arabie Saoudite, Russie, Israël…). Pendant que les généraux cherchent à s’imposer, le peuple soudanais est pris en otage, victime de luttes de pouvoir cyniques, et du désintérêt croissant de la communauté internationale. https://youtu.be/mEgyGqWZcyI

Au Soudan, l’impossible paix ?

par François Sennesael le 22 mai 2025 Soudan-2019
Alors que le conflit soudanais entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) entre dans sa troisième année, François Sennesael, doctorant en sciences politiques à l’Université d’Oxford, propose une analyse lucide et approfondie d’une guerre trop souvent réduite à une rivalité entre chefs militaires. Dans cet article, publié à l’occasion de sa participation à notre conférence du 2 juin à la Maison de l’Amérique latine, il retrace les origines historiques et politiques d’un effondrement national aux conséquences humanitaires majeures, interroge les failles structurelles de l’État soudanais, et met en lumière les enjeux géopolitiques d’un conflit que les puissances régionales instrumentalisent dans une logique de recomposition des équilibres de la Corne de l’Afrique. Un éclairage essentiel sur une crise aussi dramatique qu’oubliée.
Des manifestants près du QG de l'armée soudanaise à Khartoum en avril 2019. Photo de M. Saleh  Les cris de victoire des soldats du général Al-Bourhane, chef des Forces armées soudanaises (FAS), résonnent ce lundi 17 mars 2025 dans les rues de Khartoum, la capitale du Soudan. Après de longs mois de combats acharnés, ils sont enfin parvenus à reprendre le contrôle de la ville aux Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par le commandant Mohammed Hamdan Daglo, plus connu sous le nom de « Hemetti ». Pourtant, cette joie apparente ne saurait dissimuler l’amère réalité : après deux années de conflit ininterrompu, Khartoum, autrefois si fière, n’est plus qu’un champ de ruines. Khartoum est un symbole, mais c’est l’ensemble du Soudan qui est profondément meurtri par la guerre. Depuis le déclenchement du conflit en avril 2023, plus de 8,5 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, tandis qu’environ 4 millions ont été contraintes de franchir les frontières pour chercher refuge dans les États voisins, eux-mêmes confrontés à une instabilité persistante. Environ 30 millions de personnes, soit les deux tiers de la population, ont aujourd’hui besoin d’une aide humanitaire d’urgence et plus de la moitié des Soudanais souffrent d’insécurité alimentaire aigüe, faisant de cette situation l’une des plus graves crises humanitaires du 21ème siècle, mais aussi l’un des plus oubliées. Tout avait commencé par une révolution en 2018, qui mit un terme au long règne d’Omar el-Béchir, militaire au pouvoir depuis 1989 avec le soutien des islamistes et visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre au Darfour. Le pouvoir allait-il enfin être restitué au peuple et à la société civile ? La vision d’un Soudan uni, demeurée inachevée depuis l’indépendance en 1956 et écornée par l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, allait-elle enfin se concrétiser ? L’espoir était immense, mais la transition politique s’enlisa rapidement dans ses propres contradictions, prise entre la mainmise de l’appareil sécuritaire, une société civile composée d’un patchwork de coalitions aux intérêts parfois divergents, et des acteurs internationaux incapables d’adapter un système de maintien de la paix à bout de souffle. Les militaires ont rapidement refusé de céder le pouvoir, avant de s’engager dans une lutte fratricide qui a plongé le pays dans l’horreur. Ce conflit ne saurait toutefois être réduit à une simple « guerre des généraux » entre Al-Bourhane et Hemetti, comme le voudraient des lectures trop simplistes, fréquentes lorsqu’il s’agit d’analyser la violence comme fait social en Afrique. Le conflit révèle les lignes de faille profondes qui traversent la société soudanaise, creusées par des décennies de sous-développement, de marginalisation et de pouvoir autoritaire. Il ne peut être compris qu’au prisme d’une approche historique sur la construction de l’État. Il met ainsi lumière la question, aussi cruciale que douloureuse, de ce que signifie « faire nation » au Soudan : quelle identité collective peut émerger dans un pays marqué par tant de divisions ? Quelle place pour le Darfour et pour les périphéries longtemps ignorées face à un centre dominateur ? Comment intégrer les identités régionales dans une vision unitaire de la nation ? Autant d’interrogations qui ressurgissent avec une acuité tragique au cœur de la guerre. De plus, le Soudan, qui nourrissait encore récemment l’ambition de s’imposer comme puissance régionale face à l’Éthiopie, est aujourd’hui devenu la proie des appétits de puissances moyennes — notamment celles du Golfe — désireuses d’étendre leur influence sur la Corne de l’Afrique, désormais érigée, en l’espace d’une décennie, en épicentre des ambitions géopolitiques régionales. Dans un système de sécurité internationale en pleine recomposition, où la Pax Americana semble se rétracter et où le multilatéralisme s’effrite, le conflit soudanais apparaît pour beaucoup comme une occasion stratégique de redessiner les équilibres régionaux à leur avantage dans une nouvelle ère de realpolitik. Les acteurs soudanais se sont engagés dans une course effrénée aux soutiens extérieurs, compromettant davantage encore les chances d'une paix négociée à court terme. La détermination des deux camps — chacun composé de groupes hétérogènes, fluides, et difficilement contrôlables — à poursuivre les hostilités pourrait-elle conduire à une partition du pays et à une redéfinition de ses frontières ? Le Soudan s’achemine-t-il vers une trajectoire semblable à celle de la Libye, où l’effondrement de l’État a plongé le pays dans une guerre prolongée entre factions rivales, favorisé l’émergence de pouvoirs parallèles soutenus par des puissances étrangères, et entraîné une fragmentation durable du territoire ? Quel rôle peut – doit – jouer l'Union Européenne dans ce conflit ? Deux ans après le début de la guerre, la paix semble plus éloignée que jamais. Conférence : lundi 2 juin, 19h : Soudan, une tragédie oubliée

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