Dans cette troisième lettre d’Amérique, les laborantins sur place analysent le rôle crucial des indécis à l’approche du scrutin du 5 novembre. Entre mobilisations ciblées et campagnes médiatiques, Démocrates et Républicains redoublent d’efforts pour convaincre ces électeurs, qui pourraient faire basculer l’élection. Au-delà du résultat, cette course pour capter les dernières voix interroge sur la représentativité et les réformes du système électoral, un débat qui fait écho de part et d’autre de l’Atlantique.
Chers Laborantins,
L’échéance du 5 novembre approche, les votes par anticipation ont commencé, pourtant certains électeurs n’ont pas encore fait leur choix. Dans une course qui risque de se jouer à quelques voix, ces indécis ont un poids considérable. Quels facteurs peuvent changer d’ici au 5 novembre pour les faire pencher d’un côté ou de l’autre ? Quelle motivation à aller voter ? Voter ou s’abstenir est un premier choix, le second est de savoir à quel candidat donner sa voix. Les sondages estiment que 5% des électeurs demeurent incertains. Ces électeurs ont tendance à être très peu impliqués en politique, une majorité finissant souvent par simplement ne pas aller voter.
Au cours des deux dernières présidentielles, les indécis ont fini par favoriser Donald Trump. Il a remporté leurs voix avec une marge de plus de 20%. Si la même tendance se répète en 2024, elle ajouterait 1% net en faveur de Donald Trump, sachant que dans certains états clefs comme la Pennsylvanie Kamala Harris a une avance estimée à 0,8%, le résultat est rapide à calculer.
Quelle stratégie pour les candidats pour motiver ces indécis à voter ? Du côté Démocrate c’est peut-être la raison derrière la multiplication d’interview TV pour tenter de toucher un public moins intéressé par la politique à travers des émissions regardées par un grand nombre. Ces électeurs indécis semblent être plutôt jeunes, et souvent Latino ou Afro-Américains. Cela transpire dans les annonces de cette semaine alors que Donald Trump multiplie les podcasts dont l’audience est majoritairement jeune et blanche. La campagne de Kamala Harris multiplie le porte-à-porte dans les quartiers majoritairement habités par les Afro-Américains pour encourager les résidents à voter. Au niveau propositions, Harris se concentre sur des programmes visant à réduire les inégalités en matière de santé, qui touchent disproportionnellement les hommes noirs. L’ancien Président Obama, conscient du déclin du soutien des Afro-Américains au parti démocrate s’est déplacé en Pennsylvanie pour motiver le vote à coup d’argument de fraternité et en allant même jouer sur la provocation en suggérant que si les électeurs supportaient moins Harris que lui en 2008, c’était parce qu’elle était une femme. Plus récemment, lors d’un meeting dans le Michigan, l’ancien président a même rappé sur Lose Yourself d’Eminem, le chanteur étant invité au meeting. Ces techniques de communications originales peuvent-elles motiver les électeurs indécis ? Mélanger politique et rap américain défroissera peut-être l’image d’une Kamala Harris trop lisse pour certains électeurs. Le vote de ces électeurs indécis est crucial, difficile à prévoir mais central.
Ce vent de panique chez les démocrates est aussi lié à une pratique du vote propre aux États-Unis. Alors que l’élection se tient dans une dizaine de jours, plus de 30% des Américains ont déjà voté. Cela est rendu possible par le vote par correspondance. Ce dernier a connu un rebond après que Donald Trump ait explicitement appelé ses électeurs à se rendre aux urnes par anticipation. Grand revirement pour le candidat qui est habituellement un fervent critique de cette pratique de early vote. Ces encouragements ont été spécifiquement adressés aux électeurs du Wisconsin, de la Caroline du Nord et de Pennsylvanie, états clefs pour le résultat du scrutin final. Cet appel a fait son effet, et les républicains semblent déjà se rendre aux urnes. L’inquiétude provoquée par ces early votes chez les démocrates est que des républicains réussissent à davantage mobiliser leur base électorale, ce qui favoriserait Donald Trump. Point crucial au cadre de réflexion autour du choix de se rendre aux urnes ou non, l’écart entre les deux candidats semble se resserrer. Le dernier sondage du New York Times et du Siena College annonce une égalité entre les deux candidats, chacun récoltant 48% des voix.
Si le résultat sera serré, si ce sont les électeurs aujourd’hui indécis qui font pencher la balance d’un côté ou de l’autre, la représentativité de l’élection risque à nouveau d’être questionnée. Cela renforce la question d’une réforme du système électoral et notamment de la place du Collège Électoral. Environ 63% des Américains préfèrerait voir le Président élu à la majorité des votes des électeurs. Les perspectives de réformes sont très étroites, et questionnent sur l’adéquation des règles électorales et des préférences des constituants. Ce débat semble encore une fois commun aux démocraties Américaines et Françaises alors que chez nous se pose la question de l’élection de l’Assemblée nationale à la proportionnelle. Réformer ces systèmes rigides est un vrai débat sur le fonctionnement de nos démocraties, les électeurs ont-ils perdus le pouvoir d’agir sur les règles qui désignent leurs représentants ? Qu’est-ce que cela dit de la démocratie représentative ? N’y a-t-il pas là la source de la perte de confiance dans nos politiques ? ou bien à l’inverse est-ce cette perte de confiance qui nourrit la volonté de réformer le système ?
Alexandre Alecse
Elise Torché