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Pour une reconnaissance du crime « d’apartheid des femmes »

par Renée Fregosi le 2 février 2023
Renée Fregosi est Docteur en philosophie et en science politique. Elle est membre du comité scientifique du Laboratoire et de la commission République laïque. La qualification de crime d'apartheid contre les femmes qui a fait l'objet d'une tribune dans le Monde du 1er février est aujourd'hui indispensable pour lutter contre les nouvelles offensives discriminatoires à leur égard en particulier dans les pays islamistes. Renée Fregosi en fait l'analyse pour le Laboratoire de la République.
Dans une tribune parue le 1er février 2023 dans le journal Le Monde, à lire ici, huit éminents juristes français, parmi lesquels Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix et Linda Weil-Curiel, responsable de la Ligue du droit international des femmes, ont interpelé les Nations Unies, l’Union Européenne et le président de la République française, les enjoignant de compléter la Convention internationale sur la répression et l’élimination du crime d’apartheid, par la condamnation du crime « d’apartheid des femmes ». En s’inspirant de la Convention de 1973 contre le crime d’apartheid racial pratiqué par l’Afrique du sud à l’époque, le collectif propose de lui adjoindre un nouvel article ou d’ajouter une partie à son article 2, condamnant la « séparation radicale, sous la contrainte, des femmes ». La ségrégation et les discriminations légales, fondées sur le seul critère du sexe, dont les femmes sont victimes aujourd’hui dans plusieurs États à travers le monde, appellent en effet la reconnaissance par la communauté internationale de la notion d’apartheid sexuel, en l’occurrence à l’encontre des femmes. Cet apartheid des femmes est pratiqué depuis de longues années dans plusieurs théocraties du Moyen-Orient et dans des régimes islamistes d’Asie, mais c’est ladite « révolution islamique » menée par l’ayatollah Khomeini qui avait provoqué la première réaction de quelques féministes françaises contre l’ostracisme légal des femmes dans la sphère publique et leur soumission s’accompagnant souvent de maltraitances dans la sphère privée.  Puis dans les années 90, la Ligue du droit international des femmes a commencé à avancer cette analogie entre l’apartheid fondé sur la race et l’apartheid fondé sur le sexe. Aujourd’hui, la révolte contre le régime des mollahs en Iran qui s’est cristallisée autour de l’obligation pour les femmes de porter le voile, ainsi que le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan, ont relancé le débat. La revendication de la reconnaissance de la qualification, et de la condamnation, par la communauté internationale du crime d’apartheid des femmes est non seulement justifiée mais est devenue indispensable pour lutter contre la nouvelle offensive islamiste désormais mondialisée. Or l’imposition du voilement des femmes, présentée par les islamistes comme une injonction religieuse est généralement appréhendée de façon erronée en Occident. Paradoxalement en effet, alors que latins ou anglosaxons, nos pays d’une façon ou d’une autre, ont tous vu leurs États nationaux se séculariser et leurs sociétés s’émanciper du poids communautaire et des mœurs traditionnelles, la nature politico-religieuse et l’origine orientale de ce totalitarisme de troisième type qu’est l’islamisme, les déroute et les inhibe. Le voile, emblématique de l’offensive islamiste qui en a fait son étendard, est en fait un signe sinon universel du moins un signe reconnu dans toutes les cultures traditionnelles influencées par les religions monothéistes : le voile c’est le signe de la soumission et de l’impureté des femmes. On peut ainsi se référer à la première épître aux Corinthiens de verset 11 où l’apôtre Paul donne ces deux raisons du voilement des femmes. Mais les cultures occidentales en se modernisant ont peu à peu abandonné ce signe. L’islamisme dans son offensive de réislamisation a fait du retour au port du voile, un de ses marqueurs, et de l’oppression des femmes un des piliers de son système. En devenant « voile islamique », le voile, avant tout symbole de l’oppression des femmes, est donc devenu non pas tant un « signe religieux » qu’un signe politique. Mais le voile n’est que la partie la plus visible de la soumission exigée des femmes et de leur relégation. La ségrégation, la séparation des groupes est en effet le premier pas indispensable à la structuration de relations sur le mode de l’inégalité au sein d’un même espace partagé. Le voilement du corps des femmes est ainsi l’instrument d’une triple séparation. 1. Séparation réelle : grâce au voile, le corps des femmes dans l’espace public partagé est de fait soustrait au regard et au contact des hommes non autorisés à les voir et à les toucher. 2.  Séparation métaphorique ou métonymique (lorsque seule la tête est voilée) : le voile construit de façon imaginaire un mur qui délimite un espace séparé lorsque par la force des choses les femmes évoluent dans le même espace que les hommes, contrairement aux espaces matériellement séparés de la salle à manger ou du hammam, et aux espaces interdis aux femmes comme les cafés. 3. Séparation symbolique : le corps des femmes est « mis sous » voilement, parce qu’il est « sous-mis », et son impureté est ainsi exclue du monde et à la limite n’existe plus. La relation à la femme s’organise en effet dans l’islam selon une « dynamique de l’inclusion et de l’exclusion » et selon un « processus d’identification-désidentification » (deux concepts développés par Abram de Swaan dans un autre contexte). On sépare pour unir, pour rendre vivable la cohabitation, la relation entre les sexes est paradoxalement rendue acceptable par leur séparation. Le processus est redoublé par la question du rapport sexuel et de la procréation : les femmes appartiennent nécessairement à l’humanité sinon le rapport sexuel avec elles serait de la bestialité rigoureusement réprouvée, et la procréation serait une impossibilité ou une monstruosité, mais en même temps les femmes étant considérées comme impures et leur commerce réputé dangereux pour les hommes, la contradiction se résout forcément dans la violence. En terre d’islam la répression sexuelle étroitement articulée à la soumission des femmes marche ainsi du même pas que la répression des délits de libre expression et surtout de liberté de conscience : apostasie et athéisme, sont pourchassés davantage encore que les religions autres que l’islam (toujours soumises cependant à la dhimmitude). On comprend donc pourquoi la laïcité est l’ennemie déclarée de l’islamisme. La laïcité avant de s’incarner dans des lois de 1791 à nos jours, est en effet un esprit qui prend racine dans la philosophie des Lumières et la philosophie du libertinage : libertinus en latin signifiant « l’esclave affranchi », le libertin est cet humain (homme ou femme) affranchi de l’emprise religieuse et des pensées dogmatiques en général, un être émancipé de la soumission, un individu libre de corps et d’esprit. La libération des femmes qui passe tout autant par la libre disposition de son corps que par la libre pensée, l’esprit libéré des préjugés, est donc forcément, foncièrement laïque. C’est à ce titre que la lutte contre l’apartheid des femmes concerne les défenseurs de la laïcité, et de la démocratie. En proposant la reconnaissance et la condamnation de l’apartheid des femmes, il ne s’agit pas pour les États démocratiques de s’immiscer dans des questions religieuses mais de préserver la liberté de conscience de tous les individus hommes ou femmes, et l’égalité des sexes. C’est pourquoi, la France qui est à l’avant-garde du combat laïque depuis ses origines philosophique jusqu’à son institutionnalisation dans un corpus juridique remarquable, s’honorerait de prendre la tête de cette revendication à l’ONU.

Le Laboratoire
de la République

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